J’ai eu le plaisir d’être l’invitée d’honneur (après Coline Serreau, l’an passé) de la Foire éco bio d’Alsace qui a tenu sa trente-deuxième édition à Colmar du 8 au 12 mai:
Ce salon bio est l’un des plus anciens mais aussi des plus grands de France. Sa caractéristique est d’allier la vente et l’exposition de produits issus de l’agriculture biologique à un programme culturel très étendu: films, débats, concerts, et même numéros de cirque!
Il y a deux ans, j’avais été invitée à participer à une journée entière consacrée à cinq de mes films diffusés sur ARTE: Le monde selon Monsanto, Les pirates du vivant, Argentine: le soja de la faim, Notre poison quotidien et Blé: chronique d ‘une mort annoncée?
Cette année, j’ai présenté Les moissons du futur, en compagnie de Philippe Müller, producteur à ARTE (Strasbourg), devant un public d’environ 200 personnes.
Voici un extrait du débat qui a suivi la projection du film (images Solène Charrasse):
Les commentaires sont unanimes: le colloque « Agroéologie, une pratique d’avenir: comment réussir la transition? » organisé au sénat par Joël Labbé (EELV) fut un franc succès.
Comme le sénateur du Morbihan l’a rappelé dans son introduction, l’idée de ce colloque est venue après notre rencontre en septembre 2012, à Muzillac, où nous avions participé à un débat à la suite de la projection de Notre poison quotidien. L’élu sénatorial faisait partie de la commission sur les pesticides pour laquelle j’avais été auditionnée en juin 2012 (voir sur ce blog). Je dois dire que j’ai été impressionnée par la capacité de travail et l’engagement de celui qui est aussi maire de la petite commune de Saint Nolff dont l’arrivée au Palais du Luxembourg avait été très remarquée.
Plus de 200 personnes ont participé au colloque que j’ai eu l’honneur d’animer. Dès huit heures j’étais sur place, pour réaliser les essais vidéos, car les interventions de la matinée ont été ponctuées par des extraits de mon film les moissons du futur.
Très attendu, Olivier de Schutter , le rapporteur des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, est arrivé par le premier train en provenance de Bruxelles.
Il s’est entretenu avec Stéphane Le Foll, le ministre de l’agriculture, de l’agro-alimentaire et de la forêt qui avait organisé, le 18 décembre 2012, une conférence nationale sur l’agriculture, intitulée « Faire de l’agro-écologie une force pour la France« . Lors de cette journée très prometteuse, le ministre avait annoncé une feuille de route pour « promouvoir une agriculture plus respectueuse de l’environnement et plus en phase avec les attentes de la société »:
Dans son introduction, le sénateur Labbé a rappelé l’espoir suscité par les promesses du ministre en soulignant, à juste titre, la nécessité de « prendre des mesures » pour « réussir la transition« .
Puis, Stéphane Le Foll a ouvert le colloque avec un discours qui a fait l’unanimité dans la salle qui s’était progressivement remplie.
Je retranscris ici le contenu de cette allocution qui confirme les annonces faites pas le ministre lors de la journée du 18 décembre. Pour commencer, le ministre a évoqué les « nombreuses contraintes » qui sont liées au modèle agro-industriel, comme les « sols dégradés en Europe« , ou le » coût de l’énergie« . Ces « contraintes » a-t-il dit, sont liées au « modèle de la révolution verte » et à des « pratiques très grandes consommatrices d’intrants issus du pétrole et de la chimie« . Il a évoqué aussi les « externalités négatives qui ont pu être constatées partout et qui conduisent parfois à des catastrophes », comme l' »utilisation du chlordécone en Guadeloupe et en Martinique qui fait que les sols sont condamnés pour cent ou deux cents ans aujourd’hui, ce qui est quand même un constat affligeant« .
« Cela nous impose de réfléchir à un changement dans la manière de concevoir la production agricole et sa durabilité, a poursuivi le ministre. A partir de là, il y a plusieurs pistes qui sont ouvertes et le choix doit se faire en ayant en tête ces contraintes et en même temps les besoins ». Soulignant la nécessité de « profondes évolutions dans les modèles de consommation alimentaire », il a évoqué aussi le « gaspillage » qui fait que 30% des aliments produits finissent à la poubelle: « Il faut déjà commencer par éviter de perdre ce qui est produit! »
Puis le ministre Le Foll a expliqué pourquoi l’agro-écologie constituait une alternative au modèle agro-industriel:
» Plutôt que sélectionner quelques espèces, ou variétés plus productives, de faire en sorte qu’on élimine autour tout ce qui pourrait les concurrencer et qu’on utilise pour ça beaucoup de chimie, en mettant aussi beaucoup de travail et beaucoup d’énergie, et bien est-ce qu’on ne pourrait pas regarder ce que nous permet de faire la nature tout simplement? « , s’est-il interrogé. Au lieu d’utiliser des produits, qui « sont hors des processus naturels« , « il y a l’agro-écologie qui consiste à utiliser au mieux la connaissances que nous avons sur les processus naturels pour les mettre au service de la production agricole. C’est ça le principe et c’est ça la mutation« .
Pour le ministre, les OGM sont « l’envers du décor, c’est exactement le contraire qu’il faut faire« , à savoir « la concurrence que la nature organise elle même il faut savoir la mettre à notre propre profit. Cela veut dire que derrière les modèles de production il y a une conception et une science qu’il va falloir réinventer. C’est le rôle de l’agronomie. Qu’est ce qui va faire que demain cette agroécologie pourra être aussi compétitive en permettant d’atteindre des niveaux de production avec des coûts de production qui soient plus faibles? Elle le sera si l’intensification des connaissances que nous avons des processus naturels nous permet de faire des économies en termes de coûts de production. C’est ça l’enjeu! Et le jour où , les agriculteurs, en France en particulier, auront intégré le fait que dans ce processus, il y a derrière une dimension économique tout à fait positive, et bien je suis sûr que ce processus engagera une véritable dynamique ».
Le ministre a annoncé que « l’INRA organisera en septembre un grand colloque sur ce domaine conceptuel, parce que pour pouvoir avancer il faut qu’on imagine la structuration intellectuelle et scientifique nécessaire« .
Puis le ministre de l’agriculture a évoqué les « modèles pionniers » comme « l’agriculture biologique » qui n’a pas « attendu les scientifiques qui sont venus après« . On a des pionniers qui ont anticipé les évolutions sur lesquels on va s’appuyer« . Et d’enfoncer le clou: « Il faut qu’on implique la science » . C’est pour ça que « cela prendra un peu de temps et qu’il faut être capable d’ouvrir les possibles .L’enjeu étant de combiner la performance écologique dans le sens où il y a une mutation qui s’opère qu’il va falloir accompagner et structurer avec l’attente de nos sociétés développées (…) C’est dans un processus implicatif qu’on va créer nous mêmes les conditions de la mise en oeuvre. Il faut qu’on soit capable de créer et de mettre en oeuvre ce qui est nouveau, de créer les conditions de la réussite d ‘un concept comme l’agroécologie « . Après avoir insisté sur la » double performance écologique et économique, car la question économique elle sera posée, elle nous rattrapera si nous ne sommes pas capables de l’intégrer« , le ministre a martelé: « L’implication de tous sera nécessaire pour la réalisation d’un grand projet (…) La France a une responsabilité particulière, car elle est un grand pays agricole à l’échelle européenne, ayant été longtemps leader dans ce domaine, elle doit donc reprendre une mission , un leadership, car nous avons des capacités à faire valoir. (…) Sur cette question, on doit être moteur« .
Dans sa conclusion, Stéphane Le Foll m’a citée: « Je voulais dire à Mme Robin que la France n’est pas du tout à côté de l’enjeu de l’agro-écologie, bien sûr on ne fera pas tout , tout de suite, on ne va pas tout révolutionner, il faut qu’on enclenche un vrai processus. C’est tout l’enjeu du plan sur l’agro-écologie qu’on a mis en oeuvre, avec trois volets: la définition des concepts, la diffusion des concepts et la mise en oeuvre des techniques. la diffusion des concepts, c’est ce qu’il y a de plus fort et de plus difficile, car il y a des intérêts aussi … »
Puis, Joël Labbé et moi-même avons gagné la tribune pour lancer les contributions, au premier rang desquelles celle d’Olivier de Schutter que Stéphane Le Foll a écoutée, avant de regagner son ministère.
Je rappelle qu’Olivier de Schutter a présenté un rapport sur l’agro-écologie, le 8 mars 2011 devant le Conseil permanent des droits de l’homme de l‘ONU, à Genève (voir Les moissons du futur). Dans ce texte, qui fut largement commenté, le rapporteur des Nations Unies pour le droit à l’alimentation dressait un bilan sévère du modèle agro-industriel et appelait à « changer de cap » en promouvant « l’agro-écologie partout où cela est possible« .
Je retranscris ici l’intégralité du discours d’Olivier de Schutter au Sénat:
« Tous les indicateurs sont au rouge »
« Mon rapport sur l’agro-écologie a lancé un débat à l’échelle mondiale. Pourquoi cet engouement, pourquoi cette mode?Pourquoi cet intérêt renouvelé aujourd’hui pour l’agro-écologie? (…) L’agro-écologie répond à toute une série d’impératifs quii sont ceux quele ministre Le Foll a rappelés il y a quelques instants.D’abord, l’impératif de passer d’une agriculture intensive en intrants, accélérant par conséquent le réchauffement climatique, avec le dégagement de gaz à effet de serre, notamment de protoxyde d’azote, accélérant aussi la réduction de la biodiversité, à une agriculture intensive en connaissances, qui va utiliser au mieux les interactions écologiques. Deuxièmement, parce que l’agro-écologie permet de mieux conserver la santé des sols, rappelons qu’à l’échelle mondiale, 25% des sols sont dégradés, voire fortement dégradés, et ceci en raison de pratiques agricoles intensives qui ne sont pas soutenables. Troisièmement, parce que l’agro-écologie vise à économiser les ressources en eau douce (…)Quatrièmement, parce que l’agro-écologie permet de favoriser les systèmes agricoles fondés sur la diversité, et la diversité c’est une source de résilience, contre le changement climatique( …) Alors, aujourd’hui, je crois que la question n’est plus de savoir si l’agro-écologie est une voie d’avenir. Je pense qu’ il y a un large consensus là-dessus, parce que tous les indicateurs sont au rouge et que nous devons changer de cap, chacun le reconnaît.
« Il y aura des obstacles »
La difficulté, cependant, est comment devons-nous réaliser la transition?Quels instruments mobiliser?Parmi les différentes conceptions de l’agro-écologie, laquelle retenir? Je voudrais dire ici que la France, par la voix du ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, Stéphane Le Foll, propose de miser sur l’agro-écologie, de la développer et même de devenir pionnier en Europe. Je m’en réjouis personnellement. Il y aura naturellement, nous lesavons tous, des résistances, il y aura des obstacles, car toute transition met en cause des habitudes des acteurs et des situations acquises. Le ministre Le Foll devra faire de la politique, au sens le plus noble du mot, il devra rencontrer ces résistances, il devra écouter ces acteurs et en même temps montrer le cap, et préparer le changement aujourd’hui plutôt que d’avoir à le subir demain, sous l’impact des crises énergétique, climatique, et écologique. Mais j’entends aussi par ailleurs des craintes, non pas que la transition écologique aille trop vite ou trop loin, mais qu’elle manque d’ambition, ou souffre d’un défaut de cohérence. Plus précisément que l’agro-écologie telle qu’elle serait promue aujourd’hui dans certains États, dont la France, serait bienvenue mais insuffisamment radicale. Il ‘agirait simplement de verdir l’agriculture, sans lui faire changer véritablement de cap. Alors, pour ma part je considère que le débat qui est lancé aujourd’hui est une opportunité à saisir: dans le schéma qui est proposé, 2013 est le temps de la conception et de l’amplification. La France dispose, le ministre Le Foll l’a rappelé, d’atouts considérables, qui nous autorisent à penser qu’elle peut montrer la voie au sein de l’Union européenne , comme le Brésil l’a montré au sein de l’Amérique latine.
« Les conditions de la réussite »
Pour cela, il me semble qu’un certain nombre de conditions doivent être réalisées et je voudrais en énumérer quatre qui me paraissent importantes et recoupent, Monsieur le ministre, les quelques engagements que vous avez pris. D’abord, l’agro-écologie suppose une co-construction des solutions, ce que le ministre Le Foll a appelé le système « implicatif« ; co-construction des solutions au niveau, d’abord, de la recherche agronomique, comme par exemple par la sélection participative telle qu’elle est promue par le réseau »semences paysannes« ; mais surtout con-construction dans la définition des politiques publiques, qui peuvent soutenir et accompagner la transition agroécologique. La co-construction signifie la participation active des acteurs de terrain, à commencer par les agriculteurs et agricultrices, comme source de légitimité mais aussi de connaissances, parce que les savoirs traditionnels, les savoirs locaux, les pratiques, doivent se combiner au savoir des experts, pour produire des pratiques agro-écologiques qui sont appropriées aux contextes spécifiques dans lesquels ces pratiques vont s’ancrer. La co-construction ça suppose un État qui n’est pas seulement un grand ordonnateur, qui est aussi à l’écoute, qui est modeste, qui est facilitateur et qui accompagne la recherche de solutions locales (…) La deuxième condition c’est le renforcement des capacités des acteurs collectifs et la mise sur pied de réseaux associant producteurs, consommateurs, et pouvoirs publics, avec le soutien des experts scientifiques. Avec l’agro-écologie, en effet, il ne s’agit pas seulement de production agricole, car après tout à quoi sert-il de produire mieux si on n’a pas de débouchés, si les intermédiaires, les transformateurs, les distributeurs, rejettent nos produits ou si les consommateurs ne suivent pas le mouvement? Ce qu’il faut c’est donc une transition qui concerne toute la filière, plus précisément tout le système agroalimentaire, au-delà de la production , incluant la transformation et la distribution et la consommation. Troisièmement, l’agro-écologie vise à réduire la dépendance vis à vis des intrants et à mieux inscrire l’agriculture dans les écosystèmes dont elle dépend, dont elle va entretenir ensuite les capacités en retour. C’est au fond une quête d’autonomie qui caractérise largement l’agro-écologie, et cette autonomie doit pouvoir s’exprimer aussi sur d’autres plans. Notamment, l’agriculteur et l’agricultrice doivent être mieux protégés contre la volatilité des prix du marché, l’agriculteur et l’agricultrice doivent être mieux protégés contre les abus de pouvoirs économiques des chaînes alimentaires, dans une gouvernance alimentaire qui doit être attentive aux déséquilibres et aux rapports de force qui sont noués entre les différents acteurs. Pourquoi faut-il que l’agro-écologie s’accompagne de réformes sur ce plan? Et bien d ‘abord parce que l’autonomie que cela permettre aux producteurs est source de résilience par rapport aux cours chahutés des hydrocarbures ou des matières premières agricoles, résilience aussi par rapport aux pratiques des grands acteurs de l’agroalimentaire, qui parfois rendent extrêmement difficile la capacité des plus petits agriculteurs simplement de subsister grâce à leur travail. Deuxièmement c’est en renforçant l’autonomie qu’on préservera le tissu rural de manière dynamique et que pourra émerger une nouvelle génération d’agriculteurs et d’agricultrices, bref que l’histoire de la paysannerie pourra continuer d’être écrite. Quatrième condition, pour que l’agroécologie puisse émerger véritablement comme une nouvelle manière de produire et de consommer qui soit à la hauteur des enjeux d’aujourd’hui suppose, il faut une approche pluri-sectorielle. Par exemple, les règles concernant l’aménagement du territoire doivent favoriser l’accès à la terre d’une nouvelle génération d’agriculteurs; les régimes qui régissent les écoles, l’éducation doivent favoriser la fourniture de cantines scolaires en aliments produits de manière responsable et qui respectent les conditions de durabilité; les subsides qui vont aux agriculteurs, mais aussi les régimes de la fiscalité doivent encourager les pratiques agro-écologiques, cela correspond au troisième axe « inciter » du projet proposé par le ministre Stéphane Le Foll. Cela suppose évidemment que le ministre de l’agriculture travaille avec le ministère des finances et avec la ministre de l’écologie pour que ces réformes pluri-sectorielles puissent avoir des chances de réussir.
« Les atouts de la France »
Et la France, je crois, a des atouts considérables pour réussir cette transition. D’abord, il y a en France une conception territoriale de l’action publique, ce qui permet de rechercher la cohérence au niveau local, au niveau régional, comme le promeuvent, par exemple, les CIVAM, les centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural, en prêchant par l’exemple. Ces centres ont 10 000 adhérents aujourd’hui, et ils veulent territorialiser les solutions qui visent à aller vers des pratiques agricoles plus durables et à revitaliser le tissu rural.Cette conception territoriale de l’action publique permet de favoriser la réelle participation de l’ensemble des acteurs intéressés à la définition des politiques au plan local, ce qui garantit que les décisions soient prises dans l’intérêt général plutôt que dans l’intérêt de quelques uns. Deuxièmement , la France, comme l’a rappelé le ministre Le Foll, est un terrain fertile en expériences : il y a bien sûr l’agriculture de conservation, sans labour, qui doit s’orienter vers une agriculture de semis sous couvert sans herbicides, il y a aussi des expériences nombreuses de sélection participative associant chercheurs et cultivateurs pour le développement de nouvelles variétés, pour préserver et miser sur le patrimoine génétique local, comme certaines expériences en Bretagne ou le travail du réseau semences paysannes, il y a , en France, un grand nombre d’initiatives qui visent à favoriser l’accès au foncier, en lien avec le projet d’insertion d’agriculteurs dans l’économie locale, c’est par exemple à quoi vise le travail de l’association Terre de Liens, qui vise à favoriser l’accès à la terre pour une nouvelle génération d’agriculteurs. Il y a,enfin, des tentatives de groupes agroalimentaires comme Terrena, un chiffre d’affaires de 4,4 milliards d’Euros, 22000 agriculteurs qui sont associés, 11000 salariés, et Terrena veut s’orienter aujourd’hui vers l’agro-écologie, c’est un signe extrêmement significatif. On a donc des expériences nombreuses et diverses qui émanent des paysans, des consommateurs, du monde de l’agroalimentaire industriel qui ressentent tous à leur niveau les besoins de cette conversion. Troisième atout de la France: la France a une très forte tradition en matière d’économie sociale et solidaire, avec un ministre délégué chargé de ces questions qui est, aujourd’hui Benoît Hamon. L’économie sociale et solidaire a de fortes affinités avec l’agro-écologie, d’abord parce qu’elle vise la gestion démocratique et participative associant une pluralité avec des sensibilités différentes, ensuite parce qu’elle vise le développement d’un tissu économique au service de la collectivité, et non seulement au service d’une maximisation des profits, troisièmement parce qu’elle mise sur la mixité des ressources publiques et privées, et quatrièmement parce que l’économie sociale et solidaire veut un ancrage territorial dans l’économie locale.Malgré ces atouts qui sont réels et nombreux, la transition sera difficile. Elle exigera de la volonté politique et un pilotage très adroit. De nombreux instruments devront être mobilisés et je voudrais en mentionner quatre qui me paraissent prioritaires pour opérer cette transition. Le premier ce sont des lignes de crédit spécifiques en soutien de l’agriculture paysanne, développant des pratiques agro-écologiques. Le deuxième c’est la formation de conseillers techniques du ministère de l’agriculture déployés sur le terrain pour favoriser la diffusion des pratiques agro-écologiques, alors que généralement ces conseillers sont formés sur la base du paradigme dominant et reposant sur l’utilisation massive d’intrants chimiques. Troisièmement, il faut je crois utiliser l’outil des marchés publics, pour créer des débouchés pour les produits issus de pratiques agricoles suivant les bonnes pratiques agro-écologiques et maximisant les interactions écologiques: par exemple, ce qu’a fait le Brésil avec une loi de juin 2009 qui prévoit que 30% des aliments des cantines scolaires qui fournissent aujourd’hui des repas à 49 millions d’enfants proviendront de l’agriculture familiale et agro-écologique, c’est un levier extrêmement puissant pour favoriser l’agriculture familiale des petites exploitations. Quatrièmement, il faut peut être s’engager dans la certification de bonnes pratiques écologiques, mais ceci de manière participative, et en reconnaissant la diversité et l’évolution permanente des pratiques.
« La France a le devoir de réussir »
Je voudrais conclure en trois points en disant que la transition agro-écologique est nécessaire et que la proposition du ministre Stéphane Le Foll peut être vue comme une opportunité à saisir pour s’engager dans ce mouvement. Deuxièmement, la transition agro-écologique supposera des réformes et des mesures d’accompagnement de ces réformes qui vont bien au-delà des bureaux du ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt. D’abord, parce que les collectivités locales doivent s’engager: le rôle des conseils généraux, au plan régional, est tout à fait essentiel, il faut un ancrage de la transition dans les politiques territoriales au niveau local et régional. Troisièmement parce que la transition doit engager plusieurs secteurs l’éducation, l’emploi, l’écologie, l’économie sociale et solidaire, il faut donc un effort qui aille au-delà d’un seul ministère qui soit un effort trans-sectoriel. Enfin, comme je l’ai dit, la France est bien située pour montrer la voie, avec d’autres pays comme l’Autriche, le Danemark, je souhaite donc bonne chance à la France et au ministre de l’agriculture pour réussir et je dirais même: vous avez le devoir de réussir, parce que les attentes qui sont placées dans la France sont importantes, parce que la France pionnière de cette transition ne doit pas décevoir ces attentes considérables qui sont placées en elle, et parmi elles il y a les miennes!
Puis, ce fut mon tour! Avant de dresser le bilan des pratiques agro-industrielles, j’ai présenté l’extrait de mon film Les moissons du futur, opposant Eleazar, le paysan mexicain pratiquant l’agorécologie, et Dale, le grand céréalier du Midwest au bout du rouleau:
Voici le texte de mon allocution:
« Si j’ai choisi cet extrait de mon film Les moissons du futur, qui est sorti sur ARTE en octobre 2012 en même temps que mon livre éponyme, c’est parce qu’il résume parfaitement l’opposition entre deux modèles agricoles : d’un côté, le modèle agro-industriel, promu sans relâche depuis la seconde guerre mondiale, basé sur l’utilisation d’intrants chimiques; de l’autre, le modèle agro-écologique fondé sur l’équilibre des écosystèmes et la complémentarité des cultures, insectes, arbres et animaux.
Or, tout indique que l’agriculture se trouve, aujourd’hui, à la « croisée des chemins », pour reprendre le titre d’un document de près de six cents pages, publié en 2008, connu sous le nom de Rapport de l’IAASTD. Cet acronyme désigne une expertise collective, conduite à la demande de la Banque mondiale par quatre cents scientifiques internationaux, dont les conclusions ont finalement été approuvées par cinquante-huit pays, lors d’une conférence intergouvernementale qui s’est tenue à Johannesburg, du 7 au 12 avril 2008[1]. J’ai moi même interviewé Hans Herren, l’auteur principal du rapport, qui a souligné l’urgence de « changer de paradigme agricole », pour pouvoir faire face aux multiples crises qui menacent la stabilité du monde et la souveraineté alimentaire des peuples : la crise du climat, de la biodiversité, de l’eau, la crise financière, sociale, économique, sanitaire, énergétique et alimentaire. Or, l’agriculture constitue un puissant levier pour agir sur toutes ces crises, à condition bien sûr que l’on change de paradigme, car le système agro-industriel, loin de les atténuer, au contraire les accélère. Avant de laisser la parole aux intervenants qui vont nous montrer comment on pourrait faire autrement, je voudrais rappeler les effets néfastes du modèle de la fameuse « révolution verte ». La liste n’est pas exhaustive, mais elle rassemble les critiques principales et récurrentes que fait un nombre croissant d’experts au modèle agro-chimique :
– d’abord, l’agriculture industrielle est responsable de 14% des émissions de gaz à effet de serre, car elle repose sur l’usage de pesticides et d’engrais chimiques, fabriqués avec du gaz et du pétrole ; elle repose aussi sur la mécanisation et le transport des denrées agroalimentaires, très gourmands en énergies fossiles. A ces 14%, s’ajoutent les 19% dus à la déforestation, pratiquée majoritairement pour développer des monocultures comme le soja transgénique, qui nourrissent les animaux des élevages industriels, ou pour produire des agrocarburants. Le modèle agrochimique contribue donc largement à l’accélération du réchauffement climatique, alors que l’agriculture devrait être captatrice de carbone ! Faut-il rappeler que les émissions de CO2 n’ont jamais augmenté aussi vite qu’au cours de la dernière décennie : 3 % par an en moyenne, soit trois fois plus que lors de la décennie précédente. Nous sommes sur la trajectoire des pires scénarios imaginés par le GIEC, le groupement interministériel sur l’évolution du climat.
Le réchauffement climatique affecte déjà les rendements des grandes cultures européennes, ainsi que l’ont confirmé plusieurs études[i]. D’après l’une d’entre elles, publiée par Science en 2011, l’augmentation des températures, mais aussi des précipitations, entre 1980 et 2008 a fait chuter les rendements moyens mondiaux des cultures de blé et de maïs respectivement de 5,5 % et 3,8 % (en France, la baisse des rendements du blé est estimée à 5 %)[ii].
– Deuxièmement, la part du secteur agricole dans la consommation mondiale de l’eau atteint aujourd’hui 70%, en raison notamment des techniques d’irrigation que nécessite l’agriculture industrielle. Un peu partout dans le monde on assiste au développement de conflits autour de la gestion des ressources aquifères. Au problème de la raréfaction s’ajoute celui de la pollution, particulièrement en France : C’est ainsi qu’en cinquante ans, la nappe phréatique de la Beauce, la plus étendue d’Europe, – 9 500 km2 entre la Seine et la Loire, 20 milliards de m3 d’eau, utilisés pour la production de l’eau potable, l’irrigation et l’industrie- , regorge de nitrates et autres polluants. Intensément exploitée, la réserve a connu des baisses de niveau inquiétantes, notamment dans les années 1990. Les rivières ont également souffert. En 2005, sur les dix-sept sources de rivières exutoires de la nappe, quatorze présentaient des teneurs en nitrates supérieures à 50 mg/l, la norme de concentration maximale admissible pour la consommation humaine[iii] . Aux nitrates s’ajoutent les pesticides et en particulier l’atrazine (désormais interdite, mais qui persiste longtemps dans l’environnement), qui sont responsables de 60 % des cas de pollution d’origine agricole. Près de 700 000 personnes sont concernées, essentiellement dans le Bassin parisien, le Nord, la vallée du Rhône et le Sud-Ouest , a relevé une étude publiée par l’UFC-Que choisir[iv]. De son côté, Martin Guespereau, le directeur de l’agence de bassin Rhône-Méditerranée-Corse, dénonçait le mauvais état général du « paysage aquatique français » : « Les trois quarts des eaux de nos bassins sont chargées en glyphosate [le principe actif du désherbant Roundup de l’agrochimiste Monsanto]. On a aussi identifié dans 60 % des rivières et 45 % des nappes phréatiques destinées à l’alimentation en eau potable six pesticides interdits depuis 2003, dont l’atrazine[v].
– Troisièmement, 25% des sols où ont été développées les monocultures de la « révolution verte » sont complètement érodés, voire morts. Or ces monocultures qui caractérisent de vastes territoires français sont finalement peu productives, au regard des ressources consommées pour les développer .Car, contrairement à ce qu’on affirme généralement, les petites fermes sont beaucoup plus productives que les grandes[vi], ainsi que me l’a expliqué un chercheur de l’université californienne de Berkeley. Si l’on mesure ce qu’on appelle le total output, c’est-à-dire la production alimentaire totale qui sort d’une unité d’exploitation, le ratio est beaucoup plus élevé dans les petites fermes que dans les grandes. Par exemple, des études montrent qu’un hectare planté avec le système de la milpa où l’on associe la culture de maïs, haricots et courges, produit autant de calories alimentaires que 1,7 ha de monocultures de maïs. Si l’on mesure seulement le rendement du maïs, il est certes plus élevé sur la grande exploitation (5 tonnes contre 7 tonnes à l’hectare), mais sur la petite on produit aussi des haricots, des citrouilles, des tomates et des dindes. De plus, le système de la milpa produit quatre tonnes de matières organiques par hectare qui peuvent être réinjectées dans le sol, contre deux seulement dans les monocultures. De plus, les petites fermes sont beaucoup plus efficaces dans l’usage des ressources naturelles. Par exemple, quand on mesure l’efficacité énergétique des grandes exploitations industrielles, on obtient un rapport de deux ou trois, maximum. Ça veut dire qu’en injectant une kilocalorie d’énergie, on obtient trois kilocalories d’énergie en terme de nourriture. Pour une petite exploitation, le rapport est de quinze à trente. La conversion énergétique est très élevée. C’est la même chose pour l’eau, les nutriments, l’énergie solaire ou les ressources génétiques. On estime que les petits paysans ont développé environ un million de variétés végétales au cours de l’histoire, tandis que les sélectionneurs de la révolution verte n’en ont créé que 7 000. Donc, le service rendu par les petits paysans pour conserver la biodiversité dont l’humanité aura besoin pour se nourrir dans le futur est énorme.
– Quatrièmement, comme nous allons le voir, le prix des aliments issus de l’agriculture dite « conventionnelle » est faussé par le jeu pervers des subventions accordées aux producteurs des pays du nord, et la non prise en compte des externalités, c’est à dire des coûts indirects induits par le modèle agroindustriel, comme la facture environnementale (contamination de l’eau, de l’air, érosion des sols, destruction de la biodiversité) et sanitaire (paysans malades ou morts, maladies des consommateurs et riverains). Une étude publiée en 2009 par le parlement européen a révélé que si on interdisait en Europe les seuls pesticides cancérigènes, on économiserait 26 milliards d’Euros par an. De son côté, David Pimentel de l’Université Cornell a estimé, en 1992, que le coût environnemental et sanitaire de l’usage des pesticides aux Etats Unis s’élevait à dix milliards de dollars. De nombreuses études montrent aussi que l’exposition aux pesticides peut provoquer des effets négatifs sur le système de la reproduction, sur le système hormonal et endocrinien ou sur le système neurologique, conduisant aux maladies de Parkinson ou d’Alzheimer, ou encore sur le système immunitaire. D’ailleurs, la maladie de Parkinson a récemment été intégrée au tableau des maladies professionnelles de la Sécurité Sociale.
– Cinquièmement, le développement du modèle agro-industriel a provoqué un exode rural massif au nord comme au sud de la planète : depuis 2008, un habitant sur deux habite dans les villes. Des villes qui ont au mieux deux jours d’autonomie alimentaire. La France n’est bien sûr pas épargnée : En 1960, on comptait 1,8 million d’exploitations agricoles ; en 1990, on n’en comptait plus qu’un million, et aujourd’hui moins de la moitié. Chaque semaine, 200 fermes disparaissent du territoire français, tandis que la superficie moyenne des exploitations ne cesse d’augmenter.
– Enfin, le modèle agricole productiviste, relayé par de puissants lobbies, a conduit à la consommation accrue de viande depuis le début du xxe siècle, notamment dans les pays du Nord, où elle est passée de vingt kilos par personne et par an à quatre-vingts aujourd’hui. Avec le changement des habitudes alimentaires, on observe la même tendance dans les pays émergents, comme la Chine ou l’Inde. Selon les projections de la FAO, pour répondre à la demande, la production mondiale de viande devra doubler d’ici à 2050, passant de 229 à 465 millions de tonnes. Or, on estime qu’il faut quatre calories végétales pour produire une calorie de viande de poulet ou de porc, et onze pour produire une calorie de bœuf élevé de manière intensive. Aujourd’hui, 40 % des céréales cultivées dans le monde sont destinés à alimenter les animaux des élevages industriels. Comme la production de viande est beaucoup plus gourmande en eau que celle de légumes, on estime que les mangeurs de viande consomment 4 000 litres d’eau par jour, alors que les végétariens n’en consomment que 1 500. Enfin, l’élevage est l’une des principales causes du réchauffement climatique, puisqu’il totalise 18 % des émissions de gaz à effet de serre. Un repas avec viande et produits laitiers équivaut, en émissions de gaz à effet de serre, à 4 758 km parcourus en voiture, contre 629 km pour un repas végétarien.
Encore une fois, cette liste d’effets pervers est loin d’être exhaustive, mais les contributions que nous allons entendre tout au long de cette journée devraient apporter un éclairage documenté et fructueux sur un autre modèle agricole permettant à la France et à l’Europe de relever les défis qui l’attendent dans un avenir proche : réduction des émissions des gaz à effets de serre (agroforesterie), fin de la dépendance de l’agriculture européenne par rapport aux énergies fossiles, baisse du coût des externalités que génère le modèle agroindustriel (pollution de l’eau, de l’air, épuisement des ressources aquifères, facture sanitaire), création d’emplois, restauration des sols érodés et des écosystèmes, souveraineté alimentaire (substitution des tourteaux de soja importés des Amériques par une production locale de protéines végétales). C’est de tout cela que nous allons parler aujourd’hui !
Photos: Marc Duployer
[1] Le rapport est parrainé par sept organisations onusiennes, dont la FAO, l’Unesco, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE).
[i] Voir notamment : Nadine Brisson et alii, « Why are wheat yields stagnating in Europe ? A comprehensive data analysis for France », Field Crops Research, vol. 119, 2010, p. 201-212.
[ii] Stéphane Foucart, « Une étude estime que le réchauffement a réduit de 5,5 % et 3,8 % les rendements du blé et du maïs », Le Monde, 7 mai 2011 ; David Lobell, « Climate trends and global crop production since 1980 », Science, vol. 333, n° 6042, 29 juillet 2011, p. 616-620.
[iii] Sophie Landrin, « Dans la Beauce, cinquante ans de pollution agricole », Le Monde, 13 mars 2012.
[iv] Citée par Gilles van Kote, « L’agriculture à l’origine des deux tiers de la pollution de l’eau potable en France », Le Monde, 21 mars 2012.
[v] Cité par Éliane Patriarca, « Il faut impérativement économiser l’eau », Libération, 19 mars 2012.
[vi] Andrew Dorward, « Farm size and productivity in Malawian smallholder agriculture », Journal of Development Studies, vol. 35, n° 5, 1999, p. 141-161 ; Graham Dyer, « Farm size farm productivity re-examined : evidence from rural Egypt », Journal of Peasant Studies, vol. 19, n° 1, 1991, p. 59-92.
A dire vrai cela ne m’était encore jamais arrivé! Sur les quelque 300 projections des Moissons du futur, organisées depuis octobre dernier, c’est la première fois qu’un rendez-vous prévu de longue date était annulé quasiment à la dernière minute!
L’histoire est la suivante: M2Rfilms, ma maison de production, avait été contactée il y a plus de six mois par Le Jardin des Sciences, une « équipe pluridisciplinaire » de l’Université de Strasbourg, dirigée par Saïd Hasnaoui. « Ancré au cœur de l’Université et tournée vers la Cité, le Jardin des Sciences organise un grand nombre de manifestations diverses permettant un débat science-citoyen sans cesse renouvelé« , explique le site de cette institution très réputée en Alsace:
Pour désenclaver la science et la rendre accessible au plus grand nombre, le Jardin des Sciences a développé un partenariat avec les communes alsaciennes, avec lesquelles il organise notamment des projections de documentaires à caractère scientifique, suivies de débats. C’est ainsi que la ville de Haguenau avait accepté sa proposition d’organiser une projection des Moissons du futur dans le cadre de la semaine du développement durable.
Il y a deux semaines, la rumeur a commencé à circuler que la FDSEA – la branche départementale de la FNSEA, le syndicat agricole majoritaire – avait fait pression sur le député-maire Claude Sturni pour annuler la soirée. « La FDSEA se vante d’avoir empêché ta venue » m’a ainsi prévenu un ami alsacien.
N’ayant pas été informée de ce changement de programme, M2RFilms a contacté la représentante de la mairie de Haguenau en charge de la programmation et Saïd Hasnaoui du Jardin des sciences, lesquels ont confirmé, fort embarrassés, qu’ils n’avaient rien pu faire pour empêcher cette annulation… D’après les informations que j’ai obtenues c’est un représentant de la FDSEA qui aurait effectivement demandé au député-maire d’annuler la projection, au motif que le film était « polémique »!!
Il est intéressant de constater qu’un agriculteur alsacien, représentant d’un syndicat agricole, empêche la projection d’un film qui constitue un hommage aux paysans pratiquant une agriculture efficace, productive et respectueuse de l’environnement. De quoi a-t-il peur? Mais peut-être n’a-t-il pas vu le film qui comprend une partie tournée sur une ferme allemande située à trente kilomètres de Strasbourg?!
Il est aussi intéressant de constater qu’un élu – le sieur Claude Sturni– accepte de céder aux injonctions d’un syndicaliste agricole – je choisis délibérément de rester sobre dans mes termes- et de faire annuler un événement préparé de longue date par ses services!!
Bel exemple de démocratie!!
Face à cet acte de censure manifeste, le Jardin des Sciences a rapidement rebondi en organisant à la dernière minute, en partenariat avec l’association Campus Vert– que je remercie chaleureusement- une projection débat dans un amphithéâtre de l’Université de Strasbourg:
Hier soir, donc quelque 150 personnes étaient présentes malgré la communication très réduite!
C’est d’autant plus remarquable que Campus Vert avait déjà projeté le film la semaine précédente: l’association m’avait invitée, mais j’avais décliné l’offre, car je pensais être à … Haguenau la semaine suivante! Je rappelle que j’avais aussi présenté mon enquête, en décembre dernier, lors d’une rencontre organisée par la librairie Kléber et le Club de la presse, où étaient présentes plus de 200 personnes.
Je remercie donc Le Jardin des Sciences et l’Association Campus Vert pour cet acte de résistance à la censure. Je remercie aussi Mme Véronique Le Tan de la mairie de Haguenau, qui a beaucoup oeuvré pour que soit maintenue la projection, et qui était présente hier dans l’amphithéâtre. Je remercie, enfin, Mr. Philippe Muller, producteur des Soirées Thema de ARTE, qui était aussi présent pour souligner son attachement à la « liberté d’informer« . Je remercie, enfin, tous ceux et celles qui se sont mobilisées très rapidement pour que les pratiques anti-démocratiques de la FDSEA soient dénoncées.
Pour ma part, j’ai décidé d’inviter l’édile alsacien peu courageux au colloque sur l’agro-écologie organisé, lundi prochain, au sénat (voir mon post précédent). Le député-maire de Haguenau aura l’occasion d’y croiser le ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll, qui a promis de faire de l’agro-écologie « une force pour la France« . Il aura aussi l’occasion de voir de larges extraits du film qu’il a fait censurer sur sa commune!
Lundi 8 avril se tiendra au Palais du Luxembourg un colloque sur l’agro-écologie organisé par le sénateur Joël Labbé (EELV) qui m’a demandé d’en assurer la coordination et la modération. Cette journée est ouverte au public, mais il est impératif de s’inscrire pour pouvoir y participer, car le nombre de places est limité (200).
Le colloque sera ouvert par Stéphane Le Foll, le ministre de l’agriculture, dont on attend avec impatience qu’il prenne des mesures au plus vite pour « faire de la l’agro-écologie une force pour la France ». C’était le titre de la conférence nationale sur l’agriculture que son ministère a organisée, le 18 décembre 2012, au Conseil économique, social et environnemental (Place d’Iéna, à Paris). Après cette journée « prometteuse » où il était question de « produire autrement », force est de reconnaître qu’aucune mesure concrète n’a été annoncée…
Pour ma part, je vois deux chantiers urgents :
– aider la conversion des paysans qui sont prêts à changer de système. Et, comme j’ai pu le constater lors de ma tournée française, ils sont très nombreux ;
– encourager le développement de l’agroforesterie, en aidant les paysans à acheter et replanter des arbres, y compris au milieu de leurs champs de blé !
Pour mon enquête Les moissons du futur, j’ai notamment filmé la ferme expérimentale de l’INRA, sur le domaine de Restinclières, dans l’Héraut, où Christian Dupraz mène un programme d’agro-foresterie unique en Europe, où il fait pousser du blé sous les noyers !
Vous pouvez avoir un aperçu de cette expérience sur le site d’ARTE :
Vous pouvez aussi en savoir plus en lisant le chapitre de mon livre que j’ai consacré à ce programme pilote qui n’attend qu’à être reproduit partout en France !
Lors du colloque au sénat, auquel participera Olivier de Schutter, le rapporteur des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, Fabien Liagre, le collègue de Christian Dupraz, présentera les multiples avantages environnementaux et économiques de l’agro-foresterie.
Parmi les intervenants, il y aura aussi Sjored Wartena, le fondateur de Terre de Liens, une association qui fait appel à l’épargne populaire et solidaire pour acheter des fermes et permettre l’installation d’agriculteurs biologiques.
Alors qu’en France, deux cents exploitations agricoles disparaissent, chaque semaine, le rôle de Terre de Liens est capital. Depuis sa création, en 2003, l’association a réussi à lever 30 millions d’Euros de capital (7600 actionnaires) pour acquérir 97 fermes , louées à ce jour à 210 agriculteurs.
Les terres acquises ne sont pas destinées à être revendues. L’objectif de Terre de Liens est, en effet, de sanctuariser les terres agricoles, pour les soustraire à la spéculation et à la concentration de la propriété de la terre.
En effet comme cela sera souligné lors du colloque, l’un des plus gros freins au développement de l’agro-écologie c’est l’accès au foncier. La logique agroindustrielle a conduit à un agrandissement considérable de la taille moyenne des fermes et à la concentration toujours plus poussée de la propriété de la terre. Dans tous les départements, on assiste régulièrement au même scénario: une ferme se « libère », à la suite du départ à la retraite ou au décès d’un agriculteur sans successeur. Comme le prévoit la loi d’orientation agricole de … 1960, le terres disponibles ne peuvent être vendues sans l’accord des Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) qui ont un droit de préemption. comme j’ai pu le constater dans de nombreux départements où j’étais en « tournée », bien souvent les SAFER – où siègent les organisations professionnelles agricoles, dont la FNSEA) ont souvent tendance à accorder la ferme disponible à un gros exploitant agricole, qui agrandit ainsi ses surfaces. Récemment, à Avignon, j’ai entendu le témoignage d’un jeune maraîcher bio, qui avait essayé d’acquérir trois hectares pour s’installer, mais la SAFER a préféré attribuer les terres au fils d’un agriculteur qui possédait déjà une très grande ferme.
C’est pour toutes ces raisons que j’ai décidé de « marrainer » un projet d’installation, soutenue par Terre de Liens Normandie.
Fin janvier, je me suis ainsi rendue sur la ferme des Clos Mignons, à Sainte Marguerite en Ouche , dans l’Eure. J’y ai rencontré Sophie et Vincent Ozeblio qui cherchent à s’installer depuis huit ans ! Grâce à Terre de Liens, qui a déjà réuni plus de 100 000 Euros (sur les 160 000 Euros requis), le couple va pouvoir s’installer, avec ses deux enfants, sur une exploitation appartenant à Françoise Moraine, une agricultrice qui part à la retraite. En arrivant, j’ai découvert avec bonheur que la ferme comprenait un verger agro-forestier (trois hectares), avec des moutons qui paissent sous les pommiers.
Sophie et Vincent envisagent aussi de fabriquer du fromage de chèvres (ils vont récupérer le troupeau de Michel, un voisin qui part aussi à la retraite) et d’élever des poulets fermiers.
Vous pouvez soutenir leur installation à cette adresse:
Je mets ici en ligne une petite vidéo que j’ai filmée avec mon portable lors de ma visite sur la ferme le 26 janvier dernier. Le soir, Terre de Liens Normandie avait organisé une projection des Moissons du futur pour continuer à récolter des fonds. Avis aux amateurs !!
Enfin, je salue l’initiative de Terre de Liens Normandie qui vient de lancer un « convertisseur alimentaire », permettant de calculer combien de paysans et paysannes nous devrions avoir si la France passait massivement à l’agriculture biologique et si les consommateurs relocalisaient leur consommation.
Je vous invite à faire un test sur le site de Terre de Liens Normandie en calculant combien d’emplois agricoles l’agriculture biologique pourrait créer dans votre ville :
Pour la France, le développement d’une agriculture biologique de proximité nécessiterait 1187 000 paysans (travaillant sur 22 963 759 ha, équivalant à 80% de la Surface Agricole Utile) , soit deux fois plus qu’aujourd’hui, et donc une création de plus de 400 000 emplois !
Qu’attend le gouvernement pour aller au plus vite dans cette direction ?
Je poursuis mon tour de France et d’Europe, pour présenter Les moissons du futur, enchaînant les TGV (qui arrivent de plus en plus rarement à l’heure), les voyages en voiture, tramway et autres moyens de transport. Partout où je vais, les salles sont combles, preuve que ce film et livre répondent à une attente d’un public de plus en plus large. Au moment de boucler ma valise, je suis régulièrement assaillie par un sentiment de lassitude, car ces déplacements rapprochés sont épuisants. Mais celui-ci disparaît, comme par enchantement, dès que j’entends les applaudissements chaleureux qui ponctuent systématiquement la fin du film, comme un « remerciement », pour reprendre les termes de Yashinori Kaneko, le paysan bio des Moissons du futur. Les débats qui suivent s’étirent jusque tard dans la nuit, car les questions et témoignages sont nombreux.
Il est frappant de voir le décalage qui existe entre la prise de conscience du public qu’il « faut changer de cap », ainsi que le dit dans le film Olivier de Schutter, le rapporteur des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, et l’inertie des politiques qui continuent d’ignorer l’imminence des crises majeures qui nous attendent dans les deux prochaines décennies. Je suis surprise – pour ne pas dire déçue- de constater que le gouvernement actuel n’ait pas encore émis de signaux clairs, annonçant au minimum une amorce de changement de cap… Tout indique que nos dirigeants continuent de fonctionner avec un, vieux logiciel qui date de XXème siècle où l’on croyait le « développement » et la « croissance » illimités, au point d’en faire l’alpha et l’oméga de toute action politique. Or ces temps sont résolus, car les énergies fossiles bon marché appartiendront bientôt au passé, d’où la nécessité d’anticiper, en prenant des mesures qui préparent l’incontournable transition, sous peine d’avoir à les prendre sous la contrainte, ce qui sera beaucoup plus douloureux.
Ces mesures indispensables concernent, bien sûr , l’agriculture française, qui s’avère d’une extrême vulnérabilité, car très liée aux énergies fossiles. Mais, pour l’heure, c’est le statu quo du côté du ministère de l’agriculture et de Stéphane Le Foll, dont je crains qu’il ressemble fort à son prédécesseur (vedette des Moissons du futur !).
Même constat du côté de Matignon, où Jean-Marc Ayrault continue de défendre bec et ongles son projet d’extension de l’aéroport de Nantes, à Notre Dame des Landes, qui constitue une véritable aberration, pour plusieurs raisons : d’abord, parce que l’avenir n’est pas à l’augmentation du trafic aérien, mais à sa diminution. Si nous continuons sur cette voie, seuls les nantis pourront continuer à prendre l’avion, pour se « dépayser » quelques jours dans de lointaines contrées, car tout indique que dans un avenir proche, le prix des billets d’avion sera exorbitant. De plus, comme l’a écrit Hervé Kempf, dans Le Monde (23 avril 2012), les dégâts écologiques qu’entraînera la construction de l’aéroport à l’ « utilité douteuse » sont « indiscutables » : bétonner 2000 hectares de zones humides rares, en chassant les paysans qui y travaillent, relève de la plus grande irresponsabilité et d’une cécité que seule l’addiction à un modèle dépassé – le « progrès », le « productivisme », la « croissance »– peut expliquer.
C’est pourquoi j’appelle tous les lecteurs de ce Blog à rejoindre la grande manifestation prévue à Notre Dame des Landes, samedi 17 novembre.
Au delà du projet lui-même , aussi insensé que ringard, cette bataille est hautement symbolique, car il s’agit de dire au gouvernement, élu sur des promesses de « changement » : « ça suffit ! Il faut maintenant changer de paradigme ! »
Pour toute information concernant les activités de résistance à l’aéroport de Notre Dame des Landes, consultez le site de la ZAD :
De mon côté, je continue mon travail qui consiste à ouvrir les « boîtes noires », pour reprendre l’expression du sociologue Bruno Latour, c’est-à-dire à chercher ce qui se cache derrière les « vérités établies », et les « TINA » – « There is no alternative » – selon l’affirmation lancée par Margareth Thatcher en 1980.
La prochaine « boîte noire » que je voudrais décortiquer c’est le dogme de la « croissance », dont l’aéroport de Nantes constitue une parfaite illustration.
Comme pour Les moissons du futur, je lance une nouvelle souscription (préachat d’un DVD en tirage limité avec bonus) pour soutenir la production de mon prochain film (et livre), intitulé provisoirement « Sacrée croissance ! »
Je suis convaincue que ce nouveau projet correspond à une attente du public, car, chaque jour, j’en reçois la preuve dans ma … boîte à lettres. En effet, les quelque 2000 souscripteurs (près de 2300 souscriptions) qui ont soutenu la réalisation des Moissons du futur(dont le titre provisoire était « Comment on nourrit les gens ? ») ont reçu récemment leur DVD (avec 70 minutes de bonus) et un flyer pour souscrire à « Sacrée croissance ! ». En une semaine, j’ai déjà reçu une soixantaine de souscriptions par la poste !
Pour plus d’informations sur ce projet, consultez le site de m2rfilms :
Jeudi dernier, j’ai présenté Les moissons du futur au Parlement européen. Cette projection était organisée par les députés européens Thijs Berman (S&D), Charles Goerens (ALDE), Mariya Gabriel (EPP) et Bart Staes (the Greens) . Une soixantaine de députés, assistants parlementaires et représentants de la Commission européenne étaient présents :
Le lendemain, vendredi, j’ai ouvert le colloque « The Potential of Agroecology » , organisé par Bart Staes, un député flamand écologiste, auquel ont participé 500 personnes (plus de 200 n’ont pas pu y assister faute de place !)
Au cours du colloque, un extrait de 20 minutes des Moissons du futur, concernant l’expérience de Manfred et Friedrich Wenz (voir vidéo –ci dessous) a été présenté :
Pour l’agenda des projections où je serai présente, consultez le site de m2rfilms, car je vais sillonner la France pendant un mois quasi complet !
Pour finir, je constate avec plaisir que mon livre Les moissons du futur rencontre un beau succès. Voici un commentaire glané sur la toile, parmi de nombreux autres :
Greenpeace a invité deux grands producteurs américains de plantes transgéniques à témoigner de leurs déboires avec les OGM de Monsanto. L’un, Wes Shoemyer exploite 1200 hectares dans le Missouri, l’État où est implanté Monsanto; l’autre, Wendel Lutz est un paysan du Midwest, comme Dale Lesser, le grand céréalier qui raconte dans Les Moissons du futur l’engrenage infernal, dans lequel l’ont plongé des OGM (voir sur ce blog l’extrait de mon film et de mon livre).
J’invite les internautes à lire l’article qu’a consacré Rue 89 aux deux agriculteurs américains:
Ce que racontent Wes Shoemyer et Wendel Lutz confirment ce que j’avais écrit dans Le monde selon Monsanto.
Voici l’extrait de mon livre où je présente le problème des « super mauvaises herbes » qui ont commencé à infester les prairies américaines dès 2004:
Quand la contamination des OGM produit de « super mauvaises herbes »
Je dois dire que je suis très impressionnée par la capacité de la firme de Saint-Louis à dire une chose et à faire exactement l’inverse. Au moment où elle harcelait Percy Schmeiser, son service de communication écrivait en effet dans son Pledge : « Dans le cas où apparaîtraient de manière non intentionnelle des variétés qui nous appartiennent dans les champs d’un agriculteur, bien évidemment nous travaillerons avec l’agriculteur pour résoudre ce problème d’une manière qui satisfasse aussi bien l’agriculteur que Monsanto . » Voilà donc pour l’habillage destiné à rassurer les actionnaires et d’éventuels clients. Sur le terrain, la réalité est tout autre, tant la contamination des OGM est devenue un problème majeur dans les prairies d’Amérique du Nord.
« En vérité, le colza transgénique s’est disséminé beaucoup plus rapidement que nous ne l’avions pensé, déclare ainsi en 2001 le professeur Martin Entz, de l’université de Manitoba (Canada). Ce fut un coup de semonce sur les effets secondaires de la biotechnologie . » La même année, le professeur Martin Phillipson constate : « Dans notre province, les agriculteurs dépensent des dizaines de milliers de dollars pour essayer de se débarrasser du colza qu’ils n’ont pas planté. Ils doivent utiliser toujours plus d’herbicides pour venir à bout de cette technologie . » Ces deux témoignages sont cités dans Seeds of Doubt (les semences du doute), un rapport publié en septembre 2002 par la Soil Association (une association britannique de promotion de l’agriculture biologique, fondée en 1946), qui dresse un bilan très détaillé des cultures transgéniques en Amérique du Nord : « La contamination massive des OGM a sévèrement affecté l’agriculture non transgénique, y compris biologique, elle a détruit le marché et sapé la compétitivité de l’agriculture nord-américaine, peut-on lire dans son introduction. Les cultures transgéniques ont aussi augmenté la dépendance des agriculteurs par rapport aux herbicides et conduit à de nombreux problèmes juridiques . »
Une étude commanditée par le ministère de l’Agriculture du Saskatchewan a ainsi révélé en 2001 que le pollen de colza Roundup ready peut se déplacer sur au moins 800 mètres, soit huit fois la distance recommandée par les autorités entre les cultures OGM et conventionnelles . Le résultat c’est que, dès 2001, l’organisme de certification biologique des États-Unis reconnaissait dans The Western Producer qu’il était quasiment impossible de trouver des semences de colza, mais aussi de maïs et de soja, qui ne soient pas contaminées par des OGM. Dans le même article, la Canadian Seed Trade Association admettait que toutes les variétés conventionnelles étaient déjà contaminées par les OGM à hauteur d’au moins 1 % . On se demande ce qu’il en est six ans plus tard…
En tout cas, anticipant sur les effets incontrôlables de la contamination transgénique, les principales compagnies d’assurance agricoles du Royaume-Uni ont annoncé en 2003 qu’elles refusaient de couvrir les producteurs de cultures OGM contre ce fléau, qu’elles comparent au problème de l’amiante ou aux actes de terrorisme, en raison des charges financières imprévisibles qu’il peut induire. Dans un sondage publié par The Guardian, les assureurs comme la National Farm Union Mutual, Rural Insurance Group (Lloyds) ou BIB Underwriters Ltd (Axa) soulignaient que « l’on en sait trop peu sur les effets à long terme des cultures [transgéniques] pour la santé humaine et l’environnement pour pouvoir proposer une quelconque protection ».
Mais une chose est sûre : en Amérique du Nord, la contamination des OGM a provoqué un véritable « bourbier de contentieux », pour reprendre les mots de la Soil Association, qui précise que celui-ci « concerne tous les niveaux de l’activité : les agriculteurs, les transformateurs, les distributeurs, les consommateurs et les entreprises de biotechnologie », les uns se retournant contre les autres, dès qu’un OGM non désiré apparaît quelque part. Pour illustrer l’absurdité insoluble de la situation, le rapport Seeds of Doubt donne l’exemple de la contamination d’un chargement de colza conventionnel canadien, arraisonné en Europe en mai 2000, parce que la présence d’un transgène de Monsanto y avait été détectée. La société Adventa a dû procéder à la destruction de milliers d’hectares, indemniser ses agriculteurs, puis déplacer sa production de semences de l’ouest vers l’est du Canada, où elle estimait pouvoir mieux se protéger de la pollinisation croisée, avec à la clé une cascade de procès …
Les problèmes que pose la contamination transgénique ne sont pas que juridiques, ils sont aussi environnementaux. En effet, lorsqu’une graine de colza transgénique atterrit dans un champ, par exemple de blé, par la grâce du vent, il est considéré comme une mauvaise herbe par l’agriculteur, qui a beaucoup de mal à en venir à bout, car « comme ce colza résiste au Roundup, un herbicide total, la seule façon de s’en débarrasser est de l’arracher à la main ou d’utiliser du 2-4 D, un herbicide extrêmement toxique »… De même, un producteur d’OGM soucieux de maintenir une rotation de ses cultures, en alternant par exemple du colza Roundup ready avec du maïs Roundup ready, peut être aussi confronté à ce problème, renforcé par la spécificité du colza : ses cosses mûrissant de manière inégale, les producteurs ont pris l’habitude de couper les plants et de les faire sécher dans les champs, avant d’en récolter les grains. Immanquablement, des milliers de graines restent sur le sol et germeront l’année suivante, voire cinq années plus tard. C’est ce qu’on appelle du « colza volontaire » ou « rebelle », qui représente en fait une « super mauvaise herbe » (en anglais « superweed »)…
Grâce aux OGM, toujours plus d’herbicides
L’ironie de l’histoire, c’est que Monsanto a compris très tôt l’intérêt financier que pouvaient représenter ces plantes « rebelles » : le 29 mai 2001, la firme a obtenu un brevet (n° 6 239 072) portant sur une « mixture d’herbicides » qui permet à la fois de « contrôler les mauvaises herbes sensibles au glyphosate et des spécimens volontaires tolérants au glyphosate ». Comme le souligne le rapport de la Soil Association, « ce brevet permettra à la firme de profiter d’un problème que ses produits ont eux-mêmes créé »…
Et à voir l’évolution dans les prairies d’Amérique du Nord, on peut s’attendre à ce que la fameuse « mixture d’herbicides » représente la nouvelle vache à lait de la firme de Saint-Louis. De fait, le développement des superweeds est devenu l’un des principaux casse-tête des agronomes nord-américains, qui notent que celles-ci peuvent émerger de trois manières. Dans le premier cas, comme nous venons de le voir, ce sont des « volontaires » (résistants au Roundup), dont la destruction nécessite le recours à des herbicides plus puissants. Dans le deuxième cas, les OGM se croisent avec des adventices — le mot savant qui désigne les « mauvaises herbes » — qui leur sont génétiquement proches, en leur transférant le fameux gène de résistance au Roundup. C’est le cas notamment du colza, qui est un hybride naturel entre le navet et le chou, capable d’échanger des gènes avec des espèces sauvages apparentées comme la ravenelle, la moutarde ou la roquette, que les agriculteurs considèrent comme des mauvaises herbes. Ainsi une étude conduite par le Britannique Mike Wilkinson, de l’université Reading, a confirmé en 2003 que le flux de gènes entre le colza et la navette (Brassica rapa), l’une des adventices les plus répandues, était très courant, ce qui indique que « la pollinisation croisée entre des plantes OGM et leurs parents sauvages est inévitable et peut créer des super mauvaises herbes résistantes à l’herbicide le plus puissant », ainsi que le souligne The Independant .
Enfin, troisième cas, si des superweeds apparaissent, c’est tout simplement parce qu’à force d’être arrosées exclusivement de Roundup, plusieurs fois par an et d’une année sur l’autre, les mauvaises herbes développent une résistance à l’herbicide qui finit par les rendre aussi efficaces en la matière que les OGM qui les ont engendrées. Curieusement, la firme, qui a pourtant une longue expérience des herbicides, a toujours nié ce phénomène : « Après vingt ans d’utilisation, on n’a jamais entendu parler d’espèces d’adventices qui soient devenues résistantes au Roundup », affirme ainsi un document publicitaire vantant les mérites du soja RR . De même, dans son Pledge de 2005, la multinationale continue d’affirmer que les cultures transgéniques « permettent aux agriculteurs d’utiliser moins d’herbicides ».
« C’est faux ! », rétorque l’agronome américain Charles Benbrook, dans une étude publiée en 2004 et intitulée : « Les cultures OGM et l’usage des pesticides aux États-Unis : les neuf premières années . » Selon lui, l’argument de la « réduction de l’usage des pesticides » a été valide durant les trois premières années qui ont suivi la mise en culture des OGM en 1995, mais « depuis 1999, ce n’est plus le cas ». « Ce n’est pas une surprise, explique-t-il : cela fait dix ans que les scientifiques spécialistes des adventices mettent en garde contre le fait que l’usage intensif des cultures résistantes à un herbicide allait déclencher des changements dans les populations de mauvaises herbes ainsi que leur résistance, forçant les paysans à appliquer d’autres herbicides et/ou à augmenter leurs doses. […] Un peu partout dans le Midwest, les agriculteurs évoquent avec nostalgie l’efficacité et la simplicité initiales de la technique Roundup Ready, en regrettant ce “bon vieux temps”. »
Charles Benbrook connaît son sujet : après avoir travaillé comme expert agricole à la Maison-Blanche sous l’administration Carter, puis au Capitole, il fut directeur de la division agricole de l’Académie nationale des sciences pendant sept ans, avant de créer son cabinet de consultant indépendant à Sandpoint, dans l’Idaho. Depuis 1996, il épluche minutieusement les données de consommation d’herbicides enregistrées par le Service national des statistiques agricoles (NASS) qui dépend de l’USDA, en les comparant avec celles fournies par Monsanto, qu’il juge « trompeuses, à la limite de la malhonnêteté ». Dans un article de 2001, il notait déjà que la « consommation totale d’herbicides utilisée pour le soja RR en 1998 était au moins 30 % supérieure en moyenne à celle du soja conventionnel dans six États, dont l’Iowa, où est cultivé un sixième du soja de la nation ».
Dans son étude de 2004, il constate que la quantité d’herbicides épandus sur les trois principales cultures des États-Unis (soja, maïs et coton) a augmenté de 5 % entre 1996 et 2004, ce qui représente 138 millions de livres supplémentaires. Alors que la quantité d’herbicides utilisés pour les cultures conventionnelles n’a cessé de baisser, celle de Roundup a connu une évolution inverse, ainsi que s’en félicite d’ailleurs Monsanto dans son « 10K Form » de 2006 : après avoir souligné que les ventes de glyphosate ont représenté un chiffre d’affaires de 2,2 milliards de dollars en 2006, contre 2,05 en 2005, la firme note que « toute expansion des cultures qui présentent la caractéristique Roundup ready accroît considérablement les ventes des produits Roundup ».
Ces résultats sont le fruit d’une stratégie planifiée de longue date : « Un facteur clé pour l’augmentation du volume de Roundup est une stratégie basée sur l’élasticité et des réductions sélectives des prix suivies par une importante augmentation des volumes », écrivait la multinationale dans son rapport annuel de 1998 (p. 7). Quand on lui fait remarquer que cette évolution est bien la preuve que les OGM ne réduisent pas la consommation d’herbicides, la multinationale réplique qu’il est normal que les ventes de Roundup augmentent, puisque la surface des cultures Roundup ready ne cesse de progresser. Certes, neuf ans après leur mise sur le marché, les cultures transgéniques couvraient près de 50 millions d’hectares aux États-Unis et 73 % étaient Roundup ready (23 % Bt), mais ces surfaces étaient déjà cultivées avant l’arrivée des OGM (et donc arrosées de pesticides )…
De plus, ajoute Charles Benbrook, la fin du monopole de Monsanto sur le glyphosate, en 2000, a entraîné une guerre des prix qui a fait chuter celui du Roundup d’au moins 40 %, et pourtant le chiffre d’affaires de la firme n’a pas été affecté, bien au contraire. Enfin, écrit-il, « la dépendance vis-à-vis d’un seul herbicide, comme méthode unique de gestion des mauvaises herbes sur des millions d’hectares, est la principale raison qui explique la nécessité d’appliquer des doses d’herbicides plus élevées pour atteindre le même niveau de contrôle ». Il rappelle qu’avant l’introduction des OGM, les scientifiques n’avaient identifié que deux adventices résistantes au glyphosate : l’ivraie (en Australie, Afrique du Sud et États-Unis) et le gaillet (en Malaisie), mais qu’aujourd’hui on en compte six sur le seul territoire américain, avec en tête la prèle, devenue un véritable fléau dans les prairies, mais aussi les amarantes, comme l’« herbe au cochon » ou l’ambroisie. Ainsi, une étude réalisée à l’université de Delaware a montré que des plants de prèle prélevés dans des champs de soja RR survivaient à dix fois la dose de Roundup recommandée . À ces mauvaises herbes déjà identifiées comme résistantes au Roundup, s’ajoute une liste d’adventices dites « tolérantes au glyphosate », c’est-à-dire pas encore résistantes, mais pour lesquelles il faut multiplier les doses par trois ou quatre pour en venir à bout…
FIN DE L’EXTRAIT
Je devais participer ce soir à une projection des Moissons du futur à Lorient, mais je n’ai pu m’y rendre, car, pour la troisième fois en deux semaines, mon TGV s’est arrêté en rase campagne, en raison d’un train de marchandises qui, nous a-t-on dit, est tombé en panne entre Le Mans et Rennes. Résultat: cinq heures de retard. J’ai donc décidé de m’arrêter à Nantes, où je participerai demain à une autre projection de mon film. J’écris ces lignes de ma chambre d’hôtel où Morgane Sabatier, l’animatrice du CRISLA qui organisait ma venue, avec une quinzaine d’organisations, vient de m’annoncer que 300 personnes avaient rempli l’amphithéâtre Paul Ricoeur (j’attends des photos)…