salle comble à Oloron Sainte Marie

Le propriétaire du cinéma Le Luxor à Oloron Sainte Marie, une petite ville magnifique de 12 000 habitants, située à une quarantaine de kilomètres de Pau, n’en est pas revenu. Ni d’ailleurs Martin Rieussec, le fondateur de l’Appel de la Jeunesse (voir sur ce blog), qui y exerce le métier d’ostéopathe, et avait organisé cette projection, avec une dizaine de partenaires: 250 personnes sont venues, hier, voir Les moissons du futur, et une cinquantaine n’ont pas pu entrer, faute de place!

Le propriétaire du cinéma Le Luxor à Oloron Sainte Marie, une petite ville magnifique de 12 000 habitants, située à une quarantaine de kilomètres de Pau, n’en est pas revenu. Ni d’ailleurs Martin Rieussec, le fondateur de l’Appel de la Jeunesse (voir sur ce blog), qui y exerce le métier d’ostéopathe, et avait organisé cette projection, avec une dizaine de partenaires: 250 personnes sont venues, hier, voir Les moissons du futur, et une cinquantaine n’ont pas pu entrer, faute de place!

Je remercie Pierre-Emmanuel Michel qui m’a envoyé les deux photos ci-dessous.

Je remercie aussi les paysans conventionnels qui ont largement participé au débat, en expliquant la difficulté de « sortir du système« . Publiquement, et en présence de Bernard Uthurry, le maire (PS) de Oloron, j’ai relancé un appel au gouvernement pour qu’il soutienne, par des mesures concrètes, la transition vers l’agriculture biologique et l’agroéécologie. Comme l’a dit, hier, un agriculteur conventionnel, « beaucoup sont prêts, mais il faut les aider« .

Dont acte?!

J’écris ces lignes de Pessac (Gironde) où je vais participer, ce soir, à une nouvelle projection des Moissons du futur, avant de me rendre, demain, à Bayonne.

http://www.sudouest.fr/2012/11/13/une-graine-d-espoir-876621-4720.php

De Chapela à Séralini: comment AgBioWorld détruit la réputation de scientifiques indépendants

J’invite les internautes à lire l’article publié par Rue 89 qui a enquêté sur AgBioWorld, un puissant lobbyiste pro-OGM, qui a orchestré la campagne de diffamation contre Gilles-Eric Séralini. Dans cet article, Benjamin Sourice confirme que ce que j’ai montré dans Le Monde selon Monsanto, où j’avais rencontré Ignacio Chapela, le scientifique de l’Université de Berkeley, victime d’une  incroyable machine de guerre, qui ressemble étrangement à celle déployée pour anéantir la réputation de Gilles-Eric Séralini, et Jonathan Matthews, qui avait révélé le pot aux roses. Si l’on compare l’affaire de Ignacio Chapela et de Séralini, on retrouve les mêmes ingrédients: lettres « indignées » de « scientifiques » commandités qui dénoncent le caractère « militant » des scientifiques, en mettant en cause leur intégrité professionnelle, critiques débridées de leurs études, et demande du retrait de leurs études des journaux qui les ont publiées.

Lisez l’article de Rue 89 et comparez avec ce que j’ai écrit dans Le monde selon Monsanto.

http://blogs.rue89.com/de-interet-conflit/2012/11/12/ogm-la-guerre-secrete-pour-decredibiliser-letude-seralini-228894

EXTRAIT DU MONDE SELON MONSANTO

Le lynchage médiatique du biologiste Ignacio Chapela

« Les petits paysans mexicains sont très conscients des enjeux que représente la contamination transgénique, car pour eux, le maïs est non seulement leur nourriture de base, c’est aussi un symbole culturel », m’explique Ignacio Chapela, l’auteur de l’étude publiée par Nature, qui m’a donné rendez-vous sur le fameux parvis de l’université de Berkeley, à San Francisco. C’est d’ici que partît, en 1964, le mouvement contre la guerre du Viêt-nam, qui dénonçait notamment les épandages de l’agent orange et les « marchands de la mort », au nombre desquels Monsanto.
En ce dimanche d’octobre 2006, l’immense campus, où s’affairent normalement plus de 30 000 étudiants et près de 2 000 enseignants, est désertique. Seule une voiture de police erre comme une âme en peine. « C’est pour moi, me dit Ignacio Chapela, depuis cette affaire, je suis étroitement surveillé, surtout quand je suis accompagné d’une caméra… » Devant mon air incrédule, il ajoute : « Vous en voulez la preuve ? Venez ! » Nous partons en voiture pour rejoindre une colline qui domine la baie de San Francisco. Alors que nous nous dirigeons vers le point de vue panoramique, nous apercevons la même voiture de police qui se gare ostensiblement au bord de la route et qui restera là pendant tout notre entretien…
« Comment avez-vous découvert que le maïs mexicain était contaminé ?, lui ai-je demandé, passablement troublée.
– J’ai travaillé pendant quinze ans avec des communautés indiennes d’Oaxaca, à qui j’apprenais à analyser leur environnement, me répond le biologiste, lui-même d’origine mexicaine et qui travailla plusieurs années pour la firme suisse Sandoz (devenue Novartis, puis Syngenta). David Quist, l’un de mes étudiants, est parti y animer un atelier sur les OGM. Afin de leur expliquer les principes de la biotechnologie, il leur a proposé de comparer l’ADN d’un maïs transgénique, issu d’une boîte de conserve apportée des États-Unis, avec celui d’un maïs criollo qui était censé servir de contrôle, car nous pensions qu’il n’existait pas de maïs plus pur au monde. Quelle ne fut pas notre surprise quand nous avons découvert que les échantillons de maïs traditionnel contenaient de l’ADN transgénique ! Nous avons alors décidé de mener une étude, qui a confirmé la contamination du maïs criollo. »
Pour conduire leur recherche, les deux scientifiques ont prélevé des épis de maïs dans deux localités de la Sierra Norte de Oaxaca. Ils ont constaté que quatre échantillons présentaient des traces du « promoteur 35S », issu comme on l’a vu (voir supra, chapitres 7 et 9) du virus de la mosaïque du chou-fleur ; deux échantillons révélaient la présence d’un fragment provenant de la bactérie Agrobacterium tumefaciens et un autre celle d’un gène Bt . « Dès que nous avons eu nos résultats, commente Ignacio Chapela, nous avons alerté le gouvernement mexicain, qui a conduit sa propre étude, laquelle a confirmé la contamination. »
Le 18 septembre 2001, le ministre de l’Environnement mexicain annonce en effet que ses experts ont fait des tests dans vingt-deux communautés paysannes, et qu’ils ont trouvé du maïs contaminé dans treize d’entre elles, avec un niveau de contamination compris entre 3 % et 10 % . Curieusement, ce communiqué passe alors quasiment inaperçu, alors que, moins de trois mois plus tard, la foudre s’abattra sur Ignacio Chapela et David Quist, sans doute à cause de la renommée de Nature, qui publie leur article fin novembre. Pourtant, lorsqu’ils le proposent au magazine britannique, les deux scientifiques sont félicités pour la qualité de leur étude, et le processus suit son cours normal : l’article est soumis à quatre relecteurs, qui donnent leur feu vert au bout de huit mois. Comme le soulignera en mai 2002 le journal East Bay Express : « Personne ne pouvait prévoir l’ampleur de la controverse à venir . » Elle sera d’une violence inouïe, à travers un véritable lynchage médiatique organisé en grande partie depuis… Saint-Louis.
« D’abord, me raconte Ignacio Chapela, il faut bien comprendre pourquoi cette étude a déclenché les foudres des promoteurs inconditionnels de la biotechnologie. En effet, elle comprenait deux révélations : la première concernait la contamination génétique, qui n’a en fait surpris personne, parce que tout le monde savait que cela finirait par arriver, y compris Monsanto qui s’est toujours contenté d’en minimiser l’impact. » De fait, dans son Pledge, la firme aborde l’épineux sujet avec une infinie délicatesse, puisqu’elle ne parle pas de « contamination », mais de « présence accidentelle qui fait partie de l’ordre naturel  ». « En revanche, poursuit le chercheur de Berkeley, le second point de notre étude était beaucoup plus sérieux pour Monsanto et consorts. En effet, en cherchant où étaient localisés les fragments d’ADN transgénique, nous avons constaté qu’ils s’étaient insérés à différents endroits du génome de la plante, de manière complètement aléatoire. Cela signifie que, contrairement à ce qu’affirment les fabricants d’OGM, la technique de manipulation génétique n’est pas stable, puisqu’une fois que l’OGM se croise avec une autre plante, le transgène éclate et s’insère de manière incontrôlée. Les critiques les plus virulentes se sont surtout concentrées sur cette partie de l’étude, en dénonçant notre incompétence technique et notre manque d’expertise pour pouvoir évaluer ce genre de phénomène. »
Le fait que les « transgènes soient instables » a des « implications graves », commente Science en mars 2002 : « Étant donné que le comportement d’un gène dépend de sa place dans le génome, l’ADN déplacé pourrait créer des effets absolument imprévisibles . » « Cela sape la prémisse fondamentale selon laquelle la manipulation génétique est une science sûre et exacte », renchérit trois mois plus tard une journaliste du East Bay Express . « Cette étude est du pur mysticisme déguisé en science  », rétorque Matthew Metz, un ancien étudiant de Chapela à Berkeley, devenu microbiologiste à l’université de Washington, qui dénigrera Ignacio Chapela et David Quist, au point de prétendre qu’ils avaient été piégés par des « faux positifs » dus à la « contamination de leur laboratoire  »…
« D’où est venue l’offensive ?, ai-je demandé à Ignacio Chapela.
– De deux endroits, murmure-t-il. D’abord de collègues de Berkeley à qui je m’étais affronté dans le passé, à propos d’un contrat de 25 millions de dollars que mon département de biologie avait passé en 1998 avec Novartis-Syngenta, mon ancien employeur. Ce contrat de cinq ans donnait droit à la firme de déposer des brevets sur un tiers de nos découvertes. Cette histoire avait créé deux clans à Berkeley, où s’opposaient deux conceptions antagonistes de la science : d’un côté, ceux qui, comme moi, veulent qu’elle reste indépendante ; et, de l’autre, ceux qui sont prêts à vendre leur âme pour obtenir des financements… »
En juin 2002, le magazine New Scientist a identifié ces « collègues », qui, dès décembre 2001, écrivaient une lettre incendiaire à Nature, demandant au magazine de désavouer l’article. Du jamais vu. Ils ont pour nom Matthew Metz, déjà cité, Nick Kaplinsky, Mike Freeling et Johannes Futterer, un chercheur suisse dont le « boss » était Wilhelm Gruissem, qui travailla à Berkeley, où il était « unanimement considéré comme l’homme qui apporta Novartis à Berkeley  ».
« Mais la pire campagne est venue de Monsanto, lâche Ignacio Chapela, qui, de toute évidence, a reçu une copie de notre étude avant sa parution. »

Les « coups tordus de Monsanto »

Il faut dire que là, la firme de Saint-Louis a fait très fort et qu’il faut se pincer pour croire l’histoire que je vais raconter. En effet, le jour même de la publication de l’article de Chapela et Quist dans Nature, le 29 novembre 2001, une certaine Mary Murphy, manifestement bien informée, poste un courriel sur le site scientifique pro-OGM AgBioWorld, où elle écrit : « Les activistes vont certainement faire courir le bruit que le maïs mexicain a été contaminé par des gènes de maïs OGM. […] On doit noter que l’auteur de l’article de Nature, Ignacio H. Chapela, fait partie du directoire du Pesticide Action Network North America (PANNA), un groupe d’activistes. […] Ce n’est pas vraiment ce qu’on peut appeler un auteur impartial . »
Et le même jour, une certaine Andura Smetacek poste sur le même site un courriel intitulé : « Ignatio (sic) Chapela : un activiste avant d’être un scientifique », où elle n’est pas à un mensonge près : « Malheureusement, la publication récente par le magazine Nature d’une lettre (et non pas un article de recherche soumis à l’analyse de scientifiques indépendants) de l’écologiste de Berkeley Ignatio (sic) Chapela a été manipulée par des activistes anti-technologie (comme Greenpeace, les Amis de la terre et la Organic Consumers Association) et les médias dominants pour alléguer faussement l’existence de maladies associées à la biotechnologie agricole. […] Une simple recherche dans l’histoire des relations de Chapela avec ces groupes [écolo-radicaux] montre sa collusion avec eux pour attaquer la biotechnologie, le libre échange, les droits de propriété intellectuelle et d’autres sujets politiques . »
Au moment où s’amorce la « campagne de diffamation  » qui brisera la carrière d’Ignacio Chapela, un homme « tombe par hasard » sur ces étranges courriels. Il s’appelle Jonathan Matthews et il dirige GMwatch, un service d’information sur les OGM basé à Norwich, dans le sud de l’Angleterre. « À l’époque, je faisais une enquête sur AgBioWorld, m’explique-t-il lorsque je le rencontre en novembre 2006, installé comme il se doit devant son ordinateur. C’était vertigineux : les deux courriels postés par Mary Murphy et Andura Smetacek ont été distribués aux 3 400 scientifiques enregistrés sur la liste de diffusion d’AgBioWorld. À partir de là, la campagne a enflé, certains scientifiques, comme le professeur Anthony Trewavas, de l’université d’Édimbourg, appelant au désaveu de l’étude par Nature ou au licenciement d’Ignacio Chapela.
– Qui est derrière AgBioWorld ?
– Officiellement, c’est une fondation à but non lucratif, qui affirme “fournir de l’information scientifique sur l’agriculture biologique aux décideurs à travers le monde”, comme le proclame son site, me répond Jonathan Matthews, démonstration à l’appui . Elle est dirigée par le professeur Channapatna S. Prakash, le directeur du centre de recherche sur la biotechnologie végétale de l’université Tuskegee, dans l’Alabama. D’origine indienne, il est conseiller de l’USAID, l’agence des États-Unis pour le développement international ; à ce titre, il intervient régulièrement en Inde et en Afrique pour promouvoir la biotechnologie. Il s’est rendu célèbre en lançant en 2000 la “Déclaration de soutien à la biotechnologie agricole”, qu’il a fait signer par 3 400 scientifiques, dont vingt-cinq Prix Nobel . Sur son site, il n’hésite pas à accuser les défenseurs de l’environnement de “fascisme, communisme, terrorisme, y compris de génocide”. Un jour, alors que je consultais les archives d’AgBioWorld, j’ai reçu un message d’erreur m’indiquant le nom du serveur qui héberge le site : appollo.bivings.com. Or, le Groupe Bivings, basé à Washington, est une entreprise de communication qui compte parmi ses clients… Monsanto  et qui s’est spécialisée dans le lobbying sur Internet. »
Et Jonathan Matthews d’exhiber un article, publié en 2002 par le journaliste George Monbiot dans The Guardian, où l’on découvre que la firme a présenté son « savoir-faire » dans un document mis en ligne, intitulé : « Marketing viral : comment infecter le monde. » « Pour certaines campagnes, il n’est pas souhaitable et il est même désastreux que le public sache que votre entreprise y est directement impliquée, explique-t-elle à ses clients. En termes de relations publiques, ce n’est tout simplement pas une bonne chose. Dans ces cas-là, il est d’abord important de bien “écouter” ce qui se dit en ligne. […] Une fois que vous vous en êtes bien imprégné, il est possible de vous brancher sur ces sites pour présenter votre position en faisant croire qu’elle vient d’une tierce personne. […] Le grand avantage du marketing viral, c’est que votre message a plus de chance d’être pris au sérieux. » Dans son document, note le journaliste du Guardian, Bivings cite un « dirigeant de Monsanto » qui « félicite la firme » pour son « excellent travail » .
« Savez-vous qui sont Mary Murphy et Andura Smetacek, ai-je demandé à Jonathan Matthews, avec l’impression de nager en plein polar…
– Ah !, me répond le directeur de GmWatch, avec un sourire. Comme l’a bien résumé The Guardian , à qui j’ai transmis mes découvertes, ce sont des “fantômes”, ou des “citoyens factices” ! J’ai passé beaucoup de temps à chercher qui étaient ces deux “scientifiques” qui avaient déclenché la campagne contre Ignacio Chapela. Pour ce qui est de Mary Murphy, elle a posté au moins un millier de courriels sur le site d’AgBioWorld. Elle a notamment mis en ligne un faux article de l’agence Associated Press qui critique les “activistes anti-OGM”. Quand on remonte à l’adresse du serveur dont dépend son adresse électronique, on obtient : Bw6.Bivwood.com ! “Mary Murphy” est donc une salariée de l’agence Binvings ! Quant à “Andura Smetacek”, je me suis dit qu’il devrait être facile de retrouver une scientifique avec un nom si peu commun, d’autant plus qu’elle prétendait écrire depuis Londres. C’est elle qui a notamment initié une pétition demandant l’incarcération de José Bové. J’ai épluché l’annuaire électronique, le registre des électeurs et des cartes bancaires, mais impossible de retrouver sa trace… J’ai engagé un détective privé aux États-Unis, mais il n’a rien trouvé non plus. Finalement, j’ai épluché les détails techniques en bas de ses courriels qui indique l’adresse de protocole Internet : 199.89.234.124. Quand on la copie sur un annuaire des sites Internet, on tombe sur “gatekeeper2.monsanto.com”, avec le nom du propriétaire, “compagnie Monsanto de Saint-Louis” !
– Qui se cacherait, d’après vous, derrière “Mary Murphy” ?
– Avec George Monbiot, du Guardian, nous pensons qu’il s’agit de Jay Byrne, qui fut responsable de la stratégie Internet chez Monsanto. Lors d’une réunion avec des industriels, qui s’est tenue à la fin de 2001, il a notamment déclaré : “Il faut considérer Internet comme une arme sur la table : soit c’est vous qui vous en emparez, soit c’est votre concurrent, mais dans tous les cas, l’un de vous deux sera tué .”
– De faux scientifiques et de faux articles, c’est incroyable !
– Oui, me répond Jonathan Matthew, ce sont vraiment des coups tordus, qui représentent l’exact opposé des qualités que Monsanto prétend incarner dans son Pledge : “Dialogue, transparence, partage ”… Ces méthodes révèlent une firme qui n’a aucune envie de convaincre avec des arguments et qui est prête à tout pour imposer ses produits partout dans le monde, y compris à détruire la réputation de tous ceux qui peuvent lui faire obstacle… »

Un « pouvoir absolu »

En attendant, la « conspiration  », pour reprendre les mots du magazine The Ecologist, a porté ses fruits : le 4 avril 2002, après avoir exigé, en vain, que les auteurs se rétractent, Nature publiait une « note éditoriale inhabituelle  » qui constitue un « désaveu sans précédent  » dans les cent trente-trois ans d’existence du respectable magazine : « Les preuves disponibles ne sont pas suffisantes pour justifier la publication de l’article original », écrit-il en effet. « Unique dans l’histoire de l’édition technique  », cette rebuffade crée quelques remous dans le microcosme scientifique international : « Cela donne une bien piètre image de la ligne éditoriale et du processus de relecture de Nature, s’étonne Andrew Suarez, de l’université de Berkeley, dans une lettre au journal. Dans ce cas, pourquoi Nature s’est-il interdit de procéder à des rétractations similaires pour des publications antérieures qui se sont révélées incorrectes ou susceptibles d’être interprétées différemment  ? » La réponse à cette question est suggérée par Miguel Altieri, un autre chercheur de Berkeley : « Le financement de Nature dépend des grandes firmes, assure-t-il. Regardez la dernière page du magazine et vous verrez qui paie les annonces de recrutement : 80 % sont des entreprises technologiques qui payent de 2 000 à 10 000 dollars par annonce … »
Le « rétropédalage  » de Nature est d’autant plus étonnant que, un mois plus tôt, Science révélait que « deux équipes de chercheurs mexicains » avaient annoncé qu’ils confirmaient les « résultats explosifs du biologiste Ignacio Chapela  ». Dirigée par Exequiel Ezcurra, le très respecté président de l’Institut mexicain de l’écologie, l’une d’elles avait analysé des échantillons de maïs prélevés dans vingt-deux communautés de Oaxaca et Puebla. Une contamination génétique de 3 % à 13 % avait été constatée dans onze d’entre elles, et de 20 % à 60 % dans quatre autres. Le docteur Ezcurra avait soumis un article à Nature, qui l’a refusé, en octobre 2002. « Ce rejet est dû à des raisons idéologiques », a-t-il dénoncé, en soulignant les « explications contradictoires » des relecteurs, dont l’un aurait dit que les résultats étaient « évidents », et l’autre « difficiles à croire  »…
En attendant, Ignacio Chapela a payé le prix fort : en décembre 2003, la direction de Berkeley l’informe qu’elle est revenue sur sa décision (pourtant votée à trente-deux voix contre une) de le nommer professeur titulaire, et qu’il devra quitter l’université à la fin de son contrat, six mois plus tard. En clair : l’enseignant est licencié. Il porte plainte et obtient gain de cause en mai 2005. « Depuis, m’a-t-il expliqué, je traîne mon boulet de lanceur d’alerte. Je n’ai pas de budget pour conduire les recherches qui m’intéressent, car désormais, aux États-Unis, on ne peut plus travailler en biologie si on refuse le soutien financier des firmes de la biotechnologie. Il fut un temps où la science et l’université revendiquaient haut et fort leur indépendance par rapport aux instances gouvernementales, militaires ou industrielles. C’est fini, non seulement parce que les scientifiques dépendent de l’industrie pour vivre, mais parce qu’ils font partie eux-mêmes de l’industrie… C’est pourquoi je dis que nous vivons dans un monde totalitaire, gouverné par les intérêts des multinationales qui ne se sentent responsables que devant leurs seuls actionnaires. Face à ce pouvoir absolu, il est difficile de résister. Regardez ce qui est arrivé à Exequiel Ezcurra… »
Malheureusement, je n’ai pas pu rencontrer l’ancien directeur de l’Institut mexicain de l’écologie qui, peu après s’être insurgé contre le refus de Nature de publier son étude sur la contamination du maïs criollo, a été nommé en 2004 directeur de la recherche scientifique du Musée d’histoire naturelle de San Diego (Californie), où il avait dirigé un Centre de recherche sur la biodiversité de 1988 à 2001. J’avais été surprise de voir qu’il avait cosigné en août 2005 une étude publiée dans Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), qui, comme son nom l’indique, dépend de l’Académie des sciences des États-Unis. Éditée par l’université Washington de Saint-Louis , celle-ci concluait à « l’absence de transgènes détectables dans les variétés locales de maïs à Oaxaca  ». En revanche, en octobre 2006, j’ai rencontré l’une de ses collaboratrices, le docteur Elena Alvarez-Buylla, dans son laboratoire de l’Institut mexicain d’écologie.
« Comment expliquez-vous que le docteur Ezcurra ait signé une étude qui contredise à ce point ses travaux précédents ?
– Lui seul le sait, me répond prudemment la biologiste. Ce que je peux dire, c’est que nous avons commencé ces travaux ensemble et que j’en ai été écartée. J’ai été remplacée par une Américaine, Allison Snow, de l’université de l’Ohio, qui a pris l’étude en cours… Ils ont décidé de publier des résultats préliminaires, que j’estime peu rigoureux d’un point de vue scientifique. » Elle n’est pas la seule à le penser : cinq chercheurs internationaux — dont Paul Gepts, que j’avais rencontré en juillet 2004 à l’université Davis à propos des brevets sur le vivant (voir supra, chapitre 10) — ont estimé aussi que les « conclusions [de l’étude] n’étaient pas scientifiquement justifiées  ». Pourtant, cette publication a été présentée par de nombreux journaux internationaux, comme Le Monde …
« Depuis, me dit Elena Alvarez-Buylla, mon laboratoire a conduit une nouvelle étude dans tout le pays, qui a établi que le taux national de contamination est, en moyenne, de 2 % à 3 % selon le type de transgène, avec des pointes beaucoup plus élevées.
– Que pensez-vous de cette polémique ?
– Je pense qu’elle n’a rien à voir avec la rigueur scientifique, me répond la biologiste, et qu’elle cache d’autres intérêts… Désormais, ce qui m’importe, c’est de savoir quelles peuvent être, à moyen terme, les conséquences de la contamination sur le maïs criollo. C’est pourquoi j’ai mené, avec mon équipe, une expérience sur une fleur toute simple, Arabidopsis thaliana, qui possède le plus petit génome du monde végétal, dans laquelle nous avons introduit un gène par manipulation génétique . Puis nous avons semé les graines transgéniques et observé leur croissance. Nous avons constaté que deux plantes strictement identiques du point de vue génétique — elles ont le même génome, les mêmes chromosomes et le même transgène — peuvent présenter des phénotypes (c’est-à-dire des formes florales) très différents : certaines ont des fleurs qui sont identiques au modèle naturel, avec quatre pétales et quatre cépales ; mais d’autres ont des fleurs aberrantes, avec des poils anormaux ou des pétales bizarres. Et certaines sont carrément monstrueuses… En fait, la seule différence entre toutes ces plantes, c’est la localisation du transgène qui s’est inséré complètement à l’aveugle, en modifiant le métabolisme végétal.
– En quoi cela peut-il servir pour le maïs ?, demandé-je, en contemplant une fleur absolument monstrueuse que la scientifique a affichée sur son ordinateur.
– Ce modèle expérimental permet d’extrapoler ce qui risque de se passer quand le maïs transgénique se croisera par pollinisation avec les variétés locales. C’est très préoccupant, parce qu’on peut craindre que l’insertion aléatoire du transgène affecte le fonds génétiques du maïs criollo de manière totalement incontrôlée… »

FIN DE L’EXTRAIT

Notes et références:

[1] University of California, Berkeley press release, 28 novembre 2001.

[1] The New York Times, 2 octobre 2001 ; The Guardian, 29 et 30 novembre 2001.

[1] Kara Platoni, « Kernels of truth », East Bay Express, 29 mai 2002.

[1] Monsanto, The Pledge Report 2001-2002, p. 13. C’est aussi le terme que Monsanto emploiera dans son 10K Form de 2006, op. cit., p. 47.

[1] Robert Mann, « Has GM corn “invaded” Mexico ? », Science, vol. 295, n° 5560, 1er mars 2002, p. 1617-1619.

[1] Kara Platoni, « Kernels of truth », loc. cit.

[1] Marc Kaufman, « The biotech corn debate grows hot in Mexico », The Washington Post, 25 mars 2002.

[1] Robert Mann, « Has GM corn “invaded” Mexico ? », loc. cit.

[1] Fred Pearce, « Special investigation : the great Mexican maize scandal », New Scientist, 15 juin 2002.

[1] Ce courriel peut être consulté dans les archives du site Web d’AgBioWorld : <www.agbioworld.org/newsletter_wm/index.php?caseid=archive&newsid=1267>.

[1] <www.agbioworld.org/newsletter_wm/index.php?caseid=archive&newsid=1268>.

[1] George Monbiot, « Corporate ghosts », The Guardian, 29 mai 2002.

[1] <www.agbioworld.org/about/index.html>.

[1] « Scientists in Support of agricultural biotechnology », <www.agbioworld.org/declaration/petition/petition.php>.

[1] <www.bivings.com/client/index.html>.

[1] George Monbiot, « The fake persuaders. Corporations are inventing people to rubbish their opponents on the Internet », The Guardian, 14 mai 2002.

[1] George Monbiot, « Corporate ghost », The Guardian, loc. cit.

[1] Cité par George Monbiot, « The battle to put a corporate GM padlock on our food chain is being fought on the net », The Guardian, 19 novembre 2002.

[1] Monsanto, The Pledge Report 2001-2002, p. 1.

[1] « Amazing disgrace », The Ecologist, vol. 32, n° 4, mai 2002.

[1] « Journal editors disavow article on biotech corn », The Washington Post, 4 avril 2002.

[1] « Special investigation : the great Mexican maize scandal », New Scientist, op. cit.

[1] Wil Lepkowski, « Maize, genes, and peer review », Center for Science, Policy and Outcomes, n° 14, 31 octobre 2002.

[1] Andrew Suarez, « Conflict around a study of mexican crops », Nature, 27 juin 2002.

[1] Kara Platoni, « Kernels of truth », loc. cit.

[1] Ibid.

[1] Robert Mann, « Has GM corn “invaded” Mexico ? », loc. cit.

[1] « Corn row », Science, 6 novembre 2002.

[1] Sol Ortiz-García, Exequiel Ezcurra, Bernd Schoel, Francisca Acevedo, Jorge Soberón et Allison A. Snow, « Absence of detectable transgenes in local landraces of maize in Oaxaca, Mexico, 2003-2004 », Proceedings of the National Academy of Sciences, 30 août 2005, vol. 102, n° 35, p. 12338-12343.

[1] David A. Cleveland, Daniela Soleri, Flavio Aragon Cuevas, José Crossa et Paul Gepts, « Detecting (trans)gene flow to landraces in centers of crop origin : lessons from the case of maize in Mexico », Environmental Biosafety Research, vol. 4, n° 4, 2005, p. 197-208.

[1] Hervé Morin, « La contamination du maïs par les OGM en question », Le Monde, 7 septembre 2005.

[1] Voir Elena R. Alvarez-Buylla et Berenice García-Ponce, « Unique and redundant functional domains of APETALA1 and CAULIFLOWER, two recently duplicated Arabidopsis thaliana floral MADS-box genes », The Journal of Experimental Botany, vol. 57, n° 12, 7 août 2006, p. 3099-3107.

Photo (Marc Duployer): Jonathan Matthews m’expliquant comment il est remonté à l’agence Bivings et Monsanto, qui ont orchestré la campagne de diffamation contre Ignacio Chapela.

Le monde selon Monsanto ce soir à la télé et l’agroforesterie en France

J’informe ceux qui n’ont pas vu mon film Le monde selon Monsanto ou qui veulent le voir et revoir que le documentaire sera diffusé, ce soir à 20 heures 40, sur Ushuaia TV.

Je mets aussi en ligne l’excellent article publié par Témoignage Chrétien qui a parfaitement saisi les deux dimensions de mon film Les moissons du futur: la dimension agronomique (techniques agro-écologiques) et la dimension politique ( nécessité d’une réforme des marchés internationaux, nationaux et locaux):

http://www.temoignagechretien.fr/ARTICLES/International/Marie-Monique-Robin&nbsp;-%C2%AB&nbsp;Les-grandes-multinationales-controlent-tout&nbsp;%C2%BB/Default-36-4187.xhtml

Au moment où j’écris ces lignes, plus de 30 000 personnes ont vu le film en accès libre sur ARTE + 7:

http://videos.arte.tv/fr/videos/les-moissons-du-futur–6985970.html

Faites circuler le lien!!

La presse a salué la « belle récolte » que « Les moissons du futur » a « offert à ARTE« , malgré la concurrence du foot!

http://www.toutelatele.com/les-moissons-du-futur-offrent-une-belle-recolte-a-arte-43802

http://www.terrafemina.com/culture/medias/articles/18506-arte-replay–les-moissons-du-futur.html

Je participerai, ce soir, à un débat après la projection de mon film au cinéma L’Écran de Saint Denis.

Enfin, j’invite les internautes à regarder le dossier  (textes + vidéo) sur l’agro-foresterie en France que j’ai réalisé en exclusivité pour ARTE. Vous y découvrirez les travaux exceptionnels de Christian Dupraz, chercheur à l’INRA, qui fait pousser du blé à l’ombre des noyers, avec d’excellents résultats:

http://www.arte.tv/fr/france/6984730.html

Je mettrai bientôt en ligne un extrait de mon livre où je raconte cette expérience unique en Europe.

Bande annonce les moissons du futur

Je suis heureuse de mettre en ligne sur mon Blog la bande annonce de mon nouveau film Les moissons du futur, qui sera diffusé sur ARTE, le 16 octobre, à 20 heures 40.

Faites circulez l’information et la vidéo!

Par ailleurs, je publie le texte qui constitue la 4ème de couverture de mon livre  Les moissons du futur. Comment l’agroécologie peut nourrir le monde, qui sera en librairie le 8 octobre (Une coédition La Découverte/Arte-Éditions)

« Si on supprime les pesticides, la production agricole chutera de 40 % et on ne pourra pas nourrir le monde. » Prononcée par le patron de l’industrie agroalimentaire française, cette affirmation est répétée à l’envi par les promoteurs de l’agriculture industrielle. De son côté, Olivier de Schutter, le rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation des Nations unies, affirme qu’il faut « changer de paradigme », car « l’agriculture est en train de créer les conditions de sa propre perte ». Pour lui, « seule l’agroécologie peut relever le défi de la faim et répondre aux besoins d’une population croissante ». D’après la FAO, il faudra augmenter la production agricole de 70 % pour nourrir 9 milliards de Terriens en 2050. Comment y parvenir ?

C’est à cette question que répond ici Marie-Monique Robin, en menant l’enquête sur quatre continents. S’appuyant sur les témoignages d’experts mais aussi de nombreux agriculteurs, elle dresse le bilan du modèle agro-industriel : non seulement il n’est pas parvenu à nourrir le monde, mais il participe largement au réchauffement climatique, épuise les sols, les ressources en eau et la biodiversité, et pousse vers les bidonvilles des millions de paysans. Et elle explique que, pratiquée sur des exploitations à hauteur d’homme, l’agroécologie peut être hautement efficace et qu’elle représente un modèle d’avenir productif et durable.

Du Mexique au Japon, en passant par le Malawi, le Kénya, le Sénégal, les États-Unis ou l’Allemagne, son enquête étonnante montre que l’on peut « faire autrement » pour résoudre la question alimentaire en respectant l’environnement et les ressources naturelles, à condition de revoir drastiquement le système de distribution des aliments et de redonner aux paysans un rôle clé dans cette évolution.


 

For the no  frenchspeaking public, I put the english trailer of Crops of the Future.

For more informations about this documentary contact:

www.m2rfilms.com

Message au parlement japonais

Comme je l’écrivais depuis le Japon, j’ai été sollicitée par Masahiko Yamada, un député démocrate, pour adresser au parlement japonais un message concernant le Trans Pacific Partnership  (TPP), un traité de « libre échange » qui vise à « intégrer » les économies de la région Asie-Pacifique, dont celle du Japon, en « partenariat » avec les États Unis. Ce projet provoque un vif débat dans l’archipel où on s’inquiète des conséquences qu’il pourrait avoir, notamment pour l’agriculture du pays. La question est d’autant plus pertinente que le Japon représente aujourd’hui l’un des pays les plus dépendants de l’extérieur pour son alimentation, puisqu’il importe plus de 50% des aliments qu’il consomme. C’est dans ce contexte que mon film Le monde selon Monsanto a été projeté, deux fois le 14 juin , devant deux commissions parlementaires et qu’on m’a demandé de présenter mes travaux sur l’Accord de libre échange nord américain (ALENA) qui, comme je l’ai expliqué dans mon reportage Les déportés du libre échange, constitue un « laboratoire » de la mondialisation appliquée à l’agriculture. Ne pouvant participer physiquement au débat parlementaire, car j’étais alors en tournage dans la province de Saitama, j’ai accepté d’enregistrer mon  message  qui a été projeté devant les parlementaires, après la diffusion du Monde selon Monsanto.

http://www.uplink.co.jp/monsanto/message.php

Je retranscris ici le texte de mon message, suivi de la vidéo filmée par Marc Duployer avec son appareil photo, lors de l’enregistrement dans une salle du parlement japonais.

Mesdames, Messieurs, je suis très honorée d’avoir l’opportunité de m’adresser  aux représentants de la nation japonaise. Je sais que le pays est sur le point de signer un accord important avec les Etats Unis, le « TPP », et j’aimerais témoigner de mon expérience concernant l’Accord de libre échange nord-américain, qui a été signé, en 1992, entre les Etats Unis, le Canada et le Mexique, et qui est entré en vigueur le 1er janvier 1994.

J’ai réalisé récemment un reportage sur l’ALENA et j’ai pu constater, sur le terrain, les effets économiques et sociaux très néfastes que cet accord a entraînés au Mexique. Les méfaits les plus importants sont les suivants : Du jour au lendemain, le Mexique, qui représente le centre d’origine du maïs, a été envahi par le maïs transgénique de la multinationale Monsanto, qui a été vendu 19% au-dessous de son coût de production, grâce aux énormes subventions dont bénéficient les producteurs nord-américains.

Ce dumping a contraint trois millions de petits paysans mexicains à quitter l’agriculture, car ils ne pouvaient pas concurrencer les grands céréaliers des Etats Unis. La plupart sont partis clandestinement de l’autre côté du Rio Grande : on estime que de 1994 à 2008, 500 000 Mexicains ont franchi, chaque année, illégalement la frontière.

Alors qu’avant l’ALENA, le Mexique était autosuffisant d’un point de vue alimentaire, aujourd’hui, il importe plus de 40% de ses aliments. En 2008, il a connu ses premières émeutes de la faim, car la distribution du maïs est désormais contrôlé par les multinationales de l’agroalimentaire, comme Cargill ou Monsanto, qui spéculent sur les marchés internationaux.

Le maïs transgénique importé a contaminé les variétés locales, et on craint, qu’à terme, il les fasse disparaître, en entraînant une réduction dramatique de la biodiversité, qui est, pourtant, une clé de la souveraineté alimentaire.

La promesse des « avantages comparatifs », selon laquelle chaque pays de l’accord allait tirer parti de ses atouts, fut un leurre, y compris dans le domaine industriel.

Je sais que l’économie japonaise est bien plus puissante que celle du Mexique. Mais je me permets d’attirer votre attention sur les conséquences que pourrait avoir le TPP sur l’agriculture et la qualité des aliments consommés dans le pays. Tout indique que le TPP entraînera une dépendance accrue du Japon, vis à vis des Etats Unis, pour se nourrir.

A l ‘heure du réchauffement climatique et de l’extrême volatilité du prix des matières premières agricoles, le TPP rendra la nation japonaise extrêmement vulnérable.

Je prépare actuellement un nouveau documentaire et livre qui m’ont conduite dans quatre continents, et, aujourd’hui, au Japon. Il en ressort que si les pays veulent pouvoir relever les nombreux défis du XXIème siècle, comme le réchauffement climatique, la fin annoncée des énergies fossiles, mais aussi la crise de la biodiversité, il faut absolument retirer les denrées alimentaires des marchés de la mondialisation, en  relocalisant leur production, et en s’appuyant sur un modèle agricole biologique, respectueux des ressources naturelles et plus résilient aux aléas du climat.

Le TPP représente tout le contraire de ce modèle.  Mesdames, Messieurs, je vous remercie de votre attention.

Voici maintenant la vidéo de l’enregistrement. Je précise que , lorsque j’ai lu mon texte, j’ai fait une erreur, en parlant de « NPP » et non de « TPP »! Il faut dire que je venais de passer deux semaines à tourner au Japon, dont une très éprouvante dans la province de Fukushima. Bref, j’étais très fatiguée, d’autant plus qu’avant cet enregistrement, je venais d’accorder une quinzaine d’interviews à la presse nippone!

Bruno le Maire s’asseoit sur la Loi Grenelle II

Pour ceux qui en douteraient encore : Bruno Le Maire représente le meilleur allié des grands céréaliers et pollueurs agricoles : le 5 mars dernier, le ministre de l’agriculture, qui depuis qu’il occupe ce poste n’a cessé de détricoter discrètement les lois issues du Grenelle de l’environnement, a signé tout aussi discrètement une circulaire, destinée à « assouplir l’interdiction de pulvériser des pesticides par voie aérienne », pour reprendre les termes du Monde du 24 mars. En effet, la Loi Grenelle II du 13 juillet 2010 prévoit (article 103) l’interdiction de ce type d’épandages, laquelle, il est vrai, peut être l’objet de dérogations, « dans des conditions strictement définies par l’autorité administrative pour une durée limitée », et « après avis de plusieurs commissions compétentes en matière d’environnement ». Pour la circulaire du 5 mars,  personne n’a été consulté!

Intitulé « Liste des produits phytopharmaceutiques autorisés ou en cours d’évaluation pour les traitements par aéronefs », le texte du ministre Le Maire à « diffusion limitée » , fournit aux directions régionales et départementales de l’agriculture, la « possibilité de délivrer des dérogations pour toute une série de fongicides, herbicides, insecticides destinés à traiter le maïs, le riz, la vigne et les bananiers. » On notera au passage l’usage du bel euphémisme imposé par l’industrie chimique, ainsi que je le raconte dans mon livre Notre poison quotidien, qui consiste à faire croire que les poisons agricoles déversés dans nos champs sont de vulgaires médicaments censés soigner les plantes !  Ainsi que souligne Le Monde, parmi les pesticides compris dans la fameuse liste, six sont classés officiellement « dangereux pour l’environnement et « nocif » sur le plan toxicologique, au point de pouvoir provoquer des « effets graves pour la santé ». Pas mal pour des « médicaments » qui , notamment lors d’un épandage aérien, vont polluer l’air, les ressources aquifères, la terre et les maisons sur des dizaines de kilomètres.

Tout indique qu’en cette période de campagne électorale la circulaire « discrète » est destinée à satisfaire les grands pollueurs agricoles qui n’ont de cesse de tirer à boulets rouges sur les défenseurs de l’environnement, ainsi que le prouve ce texte incroyable, publié par Gilbert Bros, le président de la chambre d’agriculture de Haute Loire, dans La Haute Loire Paysanne ( sic) du 24 février. Intitulé « Les malfaisants » , cet « édito » explique sans complexe: « Ce sont ceux qui détruisent l’économie et les emplois, qui ruinent la France. Je veux parler des écolos ».

Mais lisez plutôt cette charge nauséabonde d’un homme qui dirige une institution chargée de conseiller et d’assister les paysans…

Pour ma part, je mets en ligne un extrait de mon livre Notre poison quotidien, où j’expliquais que selon des études réalisées aux Etats Unis et en France, moins de 1% des pesticides épandus atteignent leurs cibles, le reste partant dans l’environnement. Je rapportais aussi une étude conduite par des chercheurs californiens montrant que les riverains habitant près de grandes cultures arrosées de poisons agricoles partageaient avec les agriculteurs un risque accru de déclencher une maladie de Parkinson, surtout s’ils étaient exposés pendant l’enfance.

EXTRAIT

Les pesticides ratent largement leur cible, mais n’épargnent pas l’homme

Quelques jours plus tard, le 6 janvier 2010, je rencontrais à l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière, à Paris, le docteur Alexis Elbaz, un neuroépidémiologiste qui travaille pour une unité de l’Inserm. En France, ce jeune chercheur est un pionnier, à qui Gilbert Vendé doit une fière chandelle. C’est en effet en lisant un article dans Le Quotidien du médecin, en 2004, que Me Gilbert Couderc, l’avocat du salarié agricole berrichon, a découvert qu’une étude du docteur Elbaz, montrant une corrélation positive entre l’exposition aux pesticides et la maladie de Parkinson, venait de remporter le prix Épidaure[i]. « Nous nous sommes sentis confortés », a raconté Gilbert Couderc, qui s’est empressé de communiquer la précieuse publication au Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles[ii].

Au moment où je l’ai interviewé, Alexis Elbaz venait de publier dans les Annals of Neurology une nouvelle étude qu’il avait conduite en collaboration étroite avec la Mutualité sociale agricole[iii]. Une preuve supplémentaire, s’il en était besoin, que la mutuelle a vraiment décidé de faire la lumière sur les conséquences sanitaires de l’usage des pesticides. Dans cette enquête de cas-témoins, 224 agriculteurs parkinsoniens ont été comparés à un groupe de 557 agriculteurs non malades, tous affiliés à la MSA et originaires du même département. « Les médecins du travail de la MSA ont joué un rôle capital, m’a expliqué le neuroépidémiologiste. En effet, ils se sont rendus au domicile des agriculteurs et ont reconstitué très minutieusement avec eux leur exposition aux pesticides durant toute leur vie professionnelle. Ils ont recueilli un grand nombre d’informations, telles que la surface des exploitations, le type de cultures et les pesticides utilisés, le nombre d’années et la fréquence annuelle d’exposition, ou encore la méthode d’épandage – avec un tracteur ou à l’aide d’un réservoir à dos. Ils ont mené un véritable travail de détective, en tenant compte de tous les documents fournis par les agriculteurs : les recommandations des chambres d’agriculture ou des coopératives agricoles, qui sont très suivies, les calendriers de traitement, les factures, les bidons vides qui avaient pu être gardés sur la ferme. Toutes ces données ont ensuite été évaluées par des experts, qui ont vérifié leur validité.

– Quel fut le résultat ?

– Nous avons constaté que les insecticides organochlorés multiplient par 2,4 le risque d’avoir la maladie de Parkinson. Parmi eux, il y a le DDT ou le lindane, qui furent largement utilisés en France entre les années 1950 et 1990 et qui se caractérisent par une persistance dans l’environnement de nombreuses années après l’utilisation.

– Est-ce que vous savez si les pesticides utilisés dans les champs peuvent aussi affecter les résidents qui vivent près des zones traitées ?

– Nous n’avons pas de données là-dessus, mais il est vrai qu’au-delà de l’exposition à des niveaux élevés en milieu professionnel, nos résultats soulèvent la question des conséquences d’une exposition à des doses plus faibles, telle qu’elle peut être observée dans l’environnement, à savoir dans l’eau, l’air et l’alimentation. À ce jour, seule une étude a pu apporter une réponse convaincante. »

Publiée en avril 2009, l’étude dont parle le docteur Elbaz a été conduite par une équipe de chercheurs de l’université de Californie dans la vallée centrale de Californie[iv]. Ceux-ci disposaient d’un avantage précieux, dont la France ne peut malheureusement se prévaloir. Depuis les années 1970, en effet, l’État le plus riche de la fédération américaine exige que soient enregistrées dans un système informatique centralisé, baptisé California Pesticides Use Reports, toutes les ventes de pesticides, avec l’indication du lieu et de la date prévue de leur utilisation. Ce qui permet de savoir au jour le jour quels secteurs géographiques ont été traités et avec quelles molécules. C’est ainsi que l’équipe de Sadie Costello a pu « reconstituer l’histoire de l’exposition aux pesticides agricoles dans l’environnement résidentiel » de toute la région étudiée, entre 1975 et 1999. Pour cela, les participants à l’étude – 368 parkinsoniens et 341 témoins non malades, tous résidant dans la vallée centrale de Californie – ont dû communiquer leur adresse pour que soit calculé leur niveau d’exposition au cours de ces vingt-quatre années.

Avant de découvrir les résultats très inquiétants de ce travail remarquable, il importe de bien comprendre sa pertinence, car elle nous concerne tous. En effet, ainsi que l’expliquait en 1995 l’Américain David Pimentel, professeur au Collège d’agriculture et des sciences de la vie de l’université Cornell, « moins de 0,1 % des pesticides appliqués pour le contrôle des nuisibles atteint leur cible. Plus de 99,9 % des pesticides utilisés migrent dans l’environnement, où ils affectent la santé publique et les biotopes bénéfiques, en contaminant les sols, l’eau et l’atmosphère de l’écosystème[v] ». Certains observateurs sont un tout petit peu moins pessimistes, comme Hayo van der Werf, agronome à l’INRA : « On estime que 2,5 millions de tonnes de pesticides sont appliqués chaque année sur les cultures de la planète, écrivait-il en 1996. La part qui entre en contact avec les organismes indésirables cibles – ou qu’ils ingèrent – est minime. La plupart des chercheurs l’évaluent à moins de 0,3 %, ce qui veut dire que 99,7 % des substances déversées s’en vont ailleurs[vi]. » Et d’ajouter : « Comme la lutte chimique expose inévitablement aux traitements des organismes non-cibles – dont l’homme –, des effets secondaires indésirables peuvent se manifester sur des espèces, des communautés ou des écosystèmes entiers. »

À lire la suite, on comprend que l’agriculture chimique est tout sauf une science exacte, au point qu’on finit par se demander comment et au nom de quoi on a pu laisser s’installer sur nos territoires un tel système d’empoisonnement généralisé : « Dès qu’ils ont atteint le sol ou la plante, les pesticides commencent à disparaître : ils sont dégradés ou sont dispersés. Les matières actives peuvent se volatiliser, ruisseler ou être lessivées et atteindre les eaux de surface ou souterraines, être absorbées par des plantes ou des organismes du sol ou rester dans le sol. Durant la saison, le ruissellement emporte en moyenne 2 % d’un pesticide appliqué sur le sol, rarement plus de 5 % à 10 %. En revanche, on a parfois constaté des pertes par volatilisation de 80 % à 90 % du produit appliqué, quelques jours après le traitement. […] Lors des traitements par aéronef, jusqu’à la moitié du produit peut être entraîné par le vent en dehors de la zone à traiter. […] On a commencé à se soucier du passage des pesticides dans l’atmosphère durant les années 1970 et 1980, en constatant que les substances peuvent se répandre très loin, comme l’atteste leur découverte dans les embruns océaniques et dans la neige de l’Arctique[vii]. »

Après la lecture de ce scénario catastrophe, la question se pose immédiatement : est-ce qu’au moins cela sert à quelque chose ? Est-ce que les « nuisibles » ont bien tous été exterminés ? Eh bien non ! C’est ce qu’expliquait dès 1995 le professeur David Pimentel : « On estime que quelque 67 000 parasites attaquent chaque année les récoltes mondiales : 9 000 insectes et mites, 50 000 plantes pathogènes et 8 000 mauvaises herbes. En général, on considère que moins de 5 % présentent un réel danger. […] Malgré l’application annuelle d’environ 2,5 millions de tonnes de pesticides et l’usage de moyens de contrôle non chimique, 35 % de la production agricole est détruite par les parasites : 13 % par les insectes, 12 % par les plantes pathogènes et 10 % par les mauvaises herbes[viii]. »

En résumé : les poisons déversés dans les champs ratent généralement leurs cibles, soit parce que les nuisibles leur résistent ou leur échappent, soit parce qu’ils « s’en vont ailleurs », pour reprendre l’expression de Hayo van der Werf, en contaminant l’environnement. D’où la question, hautement pertinente, de l’équipe de Sadie Costello : les pesticides peuvent-ils induire la maladie de Parkinson chez des personnes vivant à proximité des cultures traitées ? La réponse est clairement positive. Les registres d’utilisation des pesticides ont indiqué que, parmi les produits les plus utilisés dans la vallée centrale de Californie, figuraient le maneb, le fongicide à base de manganèse que j’ai déjà évoqué, et l’incontournable paraquat. Les résultats de l’étude ont montré que le fait de vivre à moins de 500 yards (environ 450 mètres) d’une zone traitée augmentait de 75 % le risque de développer la maladie. De plus, la probabilité d’être atteint du mal avant l’âge de soixante ans était multipliée par deux lors de l’exposition à l’un des deux pesticides (OR : 2,27) et par plus de quatre (OR : 4,17) lors d’une exposition combinée, surtout si l’exposition avait eu lieu entre 1974 et 1989, c’est-à-dire à un moment où les personnes concernées étaient enfants ou adolescentes.

« Cette étude confirme deux observations faites lors d’expériences sur des animaux, a expliqué Beate Ritz, professeur d’épidémiologie à l’UCLA School of Public Health, qui a supervisé les travaux de l’équipe de l’université de Californie. Premièrement, l’exposition à des produits chimiques multiples augmente l’effet de chaque produit. C’est important, parce que les humains sont généralement exposés à plus d’un pesticide dans l’environnement. Deuxièmement, le moment de l’exposition est aussi un facteur important[ix]. »


[i] Alexis Elbaz et alii, « CYP2D6 polymorphism, pesticide exposure and Parkinson’s disease », Annals of Neurology, vol. 55, mars 2004, p. 430-434. Le prix Épidaure a été créé par Le Quotidien du médecin pour encourager la recherche en médecine et écologie.

[ii] Martine Perez, « Parkinson : le rôle des pesticides reconnu », Le Figaro, 27 septembre 2006.

[iii] Alexis Elbaz et alii, « Professional exposure to pesticides and Parkinson’s disease », Annals of Neurology, vol. 66, octobre 2009, p. 494-504.

[iv] Sadie Costello et alii, « Parkinson’s disease and residential exposure to maneb and paraquat from agricultural applications in the central valley of California », American Journal of Epidemiology, vol. 169, n° 8, 15 avril 2009, p. 919-926.

[v] David Pimentel, « Amounts of pesticides reaching target pests : environmental impacts and ethics », Journal of Agricultural and Environmental Ethics, vol. 8, 1995, p. 17-29.

[vi] Hayo van der Werf, « Évaluer l’impact des pesticides sur l’environnement », Le Courrier de l’environnement, n° 31, août 1997 (traduction française de : « Assessing the impact of pesticides on the environment », Agriculture, Ecosystems and Environment, n° 60, 1996, p. 81-96).

[vii] Ibid. Pour plus d’informations, voir Dwight Glotfelty et alii, « Volatilization of surface-applied pesticides from fallow soil », Journal of Agriculture and Food Chemistry, vol. 32, 1984, p. 638-643 ; et Dennis Gregor et William Gummer, « Evidence of atmospheric transport and deposition of organochlorine pesticides and polychlorinated biphenyls in Canadian arctic snow », Environmental Science and Technology, vol. 23, 1989, p. 561-565.

[viii] David Pimentel, « Amounts of pesticides reaching target pests : environmental impacts and ethics », loc. cit.

[ix] Beate Ritz, « Pesticide exposure raises risk of Parkinson’s disease », <www.niehs.nih.gov>.

FIN DE L’EXTRAIT

J’informe que j’ai rencontré en octobre dernier le professeur David Pimentel, de l’Université de Cornell, qui a publié récemment une nouvelle étude confirmant les résultats de la première. Sur la photo , prise par Marc Duployer, on le voit tenant un globe que j’utilise lors de  mon nouveau périple autour du monde, dans le cadre de ma nouvelle enquête intitulée provisoirement  « Comment on nourrit les gens? »: www.m2rfilms.com