Torture made in USA rediffusé sur ARTE

Je vous informe que mon film Torture made in USA sera rediffusé sur ARTE, le mardi 25 février à 00 :47.

Une heure certes très tardive, mais tous ceux et celles qui n’ont pas encore vu ce documentaire, auquel je tiens beaucoup, pourront ainsi se rattraper !

En attendant, les internautes peuvent lire la présentation que j’avais rédigée sur mon blog, au moment de sa première diffusion, le 21 juin 2011, le jour de … la fête de la musique !

Par ailleurs, comme je l’ai écrit sur ce Blog, j’ai eu le plaisir de faire la connaissance de Matthieu Ricard, qui cite abondamment mon livre Le monde selon Monsanto dans son dernier ouvrage Plaidoyer pour l’altruisme. Lors de la présentation de son ouvrage sur France Info, il m’avait demandé d’intervenir dans l’émission. Vous pouvez écouter cet échange à ce lien.

Enfin, je vous informe que mon livre Notre poison quotidien sortira bientôt aux Etats Unis, publié par The New Press. Vous pouvez lire la présentation mise en ligne par mon éditeur américain/

De même, le livre sort actuellement en Chine. Je viens de recevoir un exemplaire !

chinoisjpg

Rediffusion de Notre poison quotidien, le 16 juillet, sur ARTE

Pour ceux et celles qui n’ont pas vu mon film Notre poison quotidien, je vous informe qu’ ARTE le rediffuse demain à 20 heures 50. Faites circuler l’information!

http://television.telerama.fr/tele/programmes-tv/notre-poison-quotidien,22349787.php

http://www.mariemoniquerobin.com/notrepoisondossier.html

http://www.arte.tv/sites/fr/robin/2013/03/01/notre-poison-quotidien-sort-en-poche/

Je profite de ce petit message pour rendre hommage à Manuel Fernández Cuesta, le directeur de Peninsula, la maison d’édition espagnole qui avait édité mon livre Nuestro veneno cotidiano. Manuel, qui était un homme d’engagement et un grand éditeur, est décédé le 10 juillet d’un infarctus. Il avait cinquante ans. Quelques jours plus tôt il avait appris que Planeta, la groupe qui avait racheté Peninsula, avait décidé de le mettre dehors. La dernière fois que j’ai vu Manuel, c’était le 10 juin, lorsqu’il m’avait invitée au salon du livre de Madrid pour le lancement de mon livre Las cosechas del futuro (Les moissons du futur).

Viva Manuel!

Madrid

Photo: le stand de la librairie qui avait organisé une séance de dédicaces de mes livres El mundo según Monsanto, Nuestro veneno cotidiano et Las cosechas del futuro lors du salon du livre de Madrid.

L’ANSES met en garde contre les dangers du Bisphénol A

Une fois n’est pas coutume, mais je voudrais saluer le courage de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) qui vient de publier un rapport très documenté (282 pages) sur les effets sanitaires du Bisphénol A (encore appelé « BPA »).

http://www.anses.fr/fr

Je reproduis , ici, un extrait de la synthèse du rapport :

L’avis publié ce jour confirme les effets sanitaires du bisphénol A pointés par l’Agence en septembre 2011, en particulier pour la femme enceinte au regard des risques potentiels pour l’enfant à naître. Il prend en compte, pour la première fois, une estimation des expositions réelles de la population au bisphénol A par voie alimentaire, mais aussi par inhalation (via l’air ambiant) et par voie cutanée (au contact de produits de consommation).

L’alimentation contribue à plus de 80% de l’exposition de la population. Les principales sources d’exposition alimentaire sont les produits conditionnés en boîtes de conserve (1) qui représentent environ 50% de l’exposition alimentaire totale. L’Agence a également identifié l’eau distribuée en bonbonnes de polycarbonate comme une source conséquente d’exposition au bisphénol A.

Les conclusions de l’évaluation des risques, réalisée sur la base des dangers identifiés à partir d’études conduites sur des animaux et de la caractérisation des expositions, montrent un risque potentiel pour l’enfant à naître des femmes enceintes exposées. Les effets identifiés portent sur une modification de la structure de la glande mammaire chez l’enfant à naître qui pourrait favoriser un développement tumoral ultérieur.

Comme le souligne Le Monde, dans un article intitulé « Bisphénol A et cancer : les preuves s’accumulent » (10 avril 2013),

Rarement – jamais peut-être – une agence de sécurité sanitaire aura rendu des conclusions aussi alarmantes sur un polluant à ce point omniprésent dans notre environnement quotidien. Au terme d’un travail de longue haleine ayant rassemblé les contributions d’une centaine de scientifiques, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a rendu public, mardi 9 avril, un avis sur le bisphénol A (BPA) singulièrement inquiétant pour les générations à venir.

De toutes les substances chimiques de synthèse capables d’interférer avec le système hormonal (« perturbateurs endocriniens »), le BPA est celle qui entre dans la composition du plus grand nombre d’objets (plastiques, conserves, canettes, amalgames dentaires, etc.) ; il imprègne l’ensemble de la population occidentale.

Selon l’agence française, « certaines situations d’exposition de la femme enceinte au BPA présentent un risque pour la glande mammaire de l’enfant à naître ». En d’autres termes, les enfants exposées in utero à des taux de BPA rencontrés dans la population générale pourront avoir un risque accru de contracter un cancer du sein plus tard dans leur vie.

La mesure de BPA dans l’air à l’intérieur des habitations, les poussières, l’alimentation, l’eau, les tickets de caisse, etc. a permis à l’agence d’évaluer cette exposition. Dans 23 % des situations, les femmes enceintes sont potentiellement exposées à des taux de BPA présentant un risque accru de cancer du sein pour l’enfant à naître.

La situation la plus inquiétante est celle des caissières qui manipulent des tickets de caisse en permanence : en cas de grossesse, les risques pour l’enfant à naître, outre ceux de cancer du sein, peuvent concerner les troubles du comportement, le risque d’obésité et d’éventuelles altérations de l’appareil reproducteur féminin.

Comment diminuer les risques ? s’interroge, de son côté, Libération, qui écrit dans un article intitulé « Bisphénol A, substance tout risque »:

Le Parlement a adopté une loi interdisant le bisphénol A dans tout conditionnement à vocation alimentaire à partir de 2015. Première étape, sa présence est interdite dans les contenants alimentaires destinés aux enfants de moins de trois ans depuis janvier. «Cette nouvelle législation devrait conduire à une baisse très significative du niveau d’exposition au BPA», se réjouit l’Anses. D’ores et déjà, l’agence recommande de réduire l’exposition des personnes manipulant des papiers thermiques contenant du bisphénol A. Aux femmes enceintes, elle conseille également d’éviter boîtes de conserves et bonbonnes d’eau.

Bien sûr, on ne peut que se réjouir de l’avis des experts de l’ANSES qui ont , enfin, fait leur travail : examiner TOUTES les études menées sur le BPA , dont plusieurs centaines réalisées par des laboratoires indépendants qui montrent le danger que représente une exposition à faibles doses, notamment des fœtus. Mais que de temps perdu ! Car la plupart des études qu’ils ont examinées étaient disponibles il y a déjà plusieurs années!

Ainsi que je l’ai raconté dans mon livre Notre poison quotidien, il n’est pas loin  le temps où Roselyne Bachelot, ministre de la santé, assurait, avec l’aplomb de rigueur, que les biberons contenant du Bisphénol A étaient tout à fait inoffensifs ! Ni celui, où Pascale Briand, la directrice de l’AFSSA (l’ancêtre de l’ANSES) disait, la main sur le cœur, que le BPA avait été très bien testé par les industriels et qu’il ne fallait pas céder à l’ « émotion », ainsi qu’on peut l’entendre dans cet extrait de mon film :

Comme je l’ai écrit dans la postface de l’édition poche de Notre poison quotidien (voir sur ce blog), les « choses avancent lentement mais sûrement ».

En attendant, une chose est sûre: logiquement, le ministère de la Santé devrait lancer une campagne d’information après des femmes enceintes et des jeunes parents les invitant à jeter à la poubelle ou à boycotter, au plus vite, tous les produits contenant du Bisphénol A, comme les récipients en plastique, les bonbonnes d’eau,  les boîtes de conserve et canettes, sans oublier certains matériels médicaux, les tickets de caisse ou les reçus de cartes bancaires.

Notre poison quotidien sort en poche

Pour ceux et celles qui n’auraient pas lu Notre poison quotidien, il est encore temps de se rattraper!

Le livre sort effectivement en poche dans les jours qui viennent. Je mets en ligne la postface que mon éditeur La Découverte m’a demandé de rédiger. Bonne lecture!

Postface à l’édition de 2013

 

« Il y a quelque chose de profondément malsain dans la manière dont nous vivons aujourd’hui. Nous sommes assaillis de pathologies mortifères provoquées par les inégalités d’accès à un environnement sûr, à la santé ou à l’eau potable. Elles sont aggravées par les actions politiques de court terme et un discours de division sociale fondé sur l’adoration de la richesse. » Ces mots sont ceux de Jacqueline McGlade, directrice exécutive de l’Agence européenne de l’environnement (AEE), dans la préface d’un rapport qui a fait l’effet d’une bombe lors de sa publication le 23 janvier 2013[1], tant son ton tranche avec le langage poli et lisse caractérisant habituellement ce genre de document. Intitulé Signaux précoces et leçons tardives. Science, précaution, innovation, ce « rapport choc » de 750 pages, « pointe les failles béantes du système de régulation sanitaire et environnementale en vigueur, en Europe comme ailleurs », ainsi que l’écrit Le Monde[2].

Pour étayer leur réquisitoire, les experts de l’AEE ont décortiqué l’histoire de quinze produits chimiques, qui constituent précisément la matière de Notre poison quotidien : Bisphénol A, DDT, essence au plomb ou insecticides. Et, à chaque fois, ils dressent le même constat : « Des risques importants pour la santé des populations ou l’environnement ont été ignorés, cachés ou relativisés, et se révèlent finalement coûteux pour la collectivité[3]. » La publication de ce rapport a été plusieurs fois repoussée, en raison des pressions exercées par les industriels – dont Bayer, fâché que l’on mette en cause ses poisons agricoles, comme le Gaucho ou le Cruiser (deux insecticides suspectés notamment d’exterminer les abeilles).

Paul François gagne son procès contre Monsanto

Deux ans après la sortie de Notre poison quotidien, les choses bougent enfin, lentement mais sûrement… Mon livre (et film) a-t-il contribué à cette évolution ? En tout cas, mon enquête a fait la une de cinq magazines – L’Express, Télérama, Le Nouvel Observateur, Témoignage chrétien et… L’Usine nouvelle, qui avait placé sur la couverture de son édition du 7-13 avril 2011 une photo de mon livre, avec ce titre : « Le livre qui empoisonne l’industrie chimique. »

Trois semaines plus tôt, la diffusion du documentaire avait décroché un record d’audience sur Arte (1 250 000 téléspectateurs et 4,8 % de parts de marché), tandis que dans mon bureau s’accumulait une revue de presse exceptionnelle : elle pèse plus de quatre kilos ! Il faut dire que, motivés par la « cause » qu’incarne mon investigation, les services de presse d’Arte et de La Découverte n’ont pas lésiné sur les moyens. Le 17 janvier 2011, était organisée au Club de l’Étoile, à Paris, une avant-première du documentaire, à laquelle ont participé quelque quatre-vingts journalistes. Avant la projection, j’avais rendu hommage à Yannick Chenet (voir supra, chapitre 4), décédé deux jours plus tôt des suites de sa leucémie, et j’avais présenté Paul François (voir supra, chapitre 1), qui avait ainsi pu entrer en contact avec les principaux médias français. Le 19 mars, l’agriculteur charentais était élu président de l’association Phyto-Victimes, créée à Ruffec par une soixantaine d’agriculteurs malades. Une première mondiale. Comptant aujourd’hui plus de deux cents membres, cette association vise à rassembler les agriculteurs qui, partout en France, souffrent de pathologies liées à l’utilisation des pesticides, pour mener des actions collectives – y compris judiciaires – à destination des pouvoirs publics et des fabricants de poisons agricoles. Et puis, le 28 février 2012, la nouvelle défrayait la chronique nationale et internationale : le tribunal de grande instance de Lyon condamnait Monsanto à indemniser Paul François pour les graves troubles neurologiques causés par son intoxication au Lasso.

Quelques mois plus tôt, le 1er juin 2011, la Commission supérieure des maladies professionnelles en agriculture (COSMAP) avait elle aussi pris une décision historique en approuvant l’intégration de la maladie de Parkinson dans le tableau des maladies professionnelles de la Sécurité sociale. Confirmé par un décret publié le 4 mai 2012 au Journal officiel, ce vote n’avait pourtant pas fait l’unanimité : sur les vingt-quatre membres de la COSMAP, il y eut dix-neuf voix pour, une abstention et quatre voix contre, dont celles de la FNSEA et de Coop de France (voir supra, chapitre 4) ! Pourquoi le principal syndicat agricole s’est-il opposé à ce que la maladie de Parkinson soit officiellement reconnue comme une maladie professionnelle des agriculteurs ? Sans doute – mais ce n’est qu’une hypothèse – parce que la FNSEA est très liée aux coopératives agricoles qui gagnent énormément d’argent avec la vente des poisons chimiques. Et peut-être aussi parce que les promoteurs invétérés du modèle agroindustriel craignent que les paysans malades se retournent contre les fabricants et les vendeurs d’« élixirs de mort », ainsi que leurs relais syndicaux qui continuent de pratiquer la politique de l’autruche.

Il serait pourtant temps que ceux-ci se réveillent, car la roue tourne et continuer dans le déni pourrait leur coûter très cher. Le temps où l’on pouvait affirmer, la main sur le cœur, que « les dangers des pesticides ne sont pas prouvés » est bel et bien révolu. Depuis que j’ai écrit ce livre, de nouvelles études ont confirmé que des doses infimes de pesticides, telles qu’on les retrouve dans les aliments, peuvent constituer une véritable bombe chimique, en raison de l’« effet cocktail » (voir supra, chapitre 19).

L’une d’entre elles, publiée le 3 août 2012 par PloS One, a été conduite par le toxicologue Michael Coleman, de l’université d’Aston (Angleterre), comme l’expliquait Le Monde : « Son équipe a comparé l’effet isolé et l’impact combiné, sur des cellules de notre système nerveux central, de trois fongicides fréquemment rencontrés sur les étals des primeurs, le pyriméthanil, le cyprodinil et le fludioxonil ». Résultat : les dommages infligés aux cellules sont jusqu’à vingt ou trente fois plus sévères lorsque les pesticides sont associés.Des substances réputées sans effet pour la reproduction humaine, non neurotoxiques et non cancérigènes ont, en combinaison, des effets insoupçonnés”, résume l’un des auteurs de l’étude, le biologiste moléculaire Claude Reiss, ancien directeur de recherche au CNRS et président de l’association Antidote Europe. “On observe l’aggravation de trois types d’impacts”, détaille le chercheur français : “La viabilité des cellules est dégradée ; les mitochondries, véritables “batteries” des cellules, ne parviennent plus à les alimenter en énergie, ce qui déclenche l’apoptose, c’est-à-dire l’autodestruction des cellules ; enfin, les cellules sont soumises à un stress oxydatif très puissant, possiblement cancérigène et susceptible d’entraîner une cascade d’effets”[4]. » Les auteurs de l’étude citent « parmi les conséquences possibles de telles agressions sur les cellules », « le risque d’une vulnérabilité accrue à des maladies neurodégénératives comme Alzheimer, Parkinson ou la sclérose en plaques ». Cela est d’autant plus inquiétant qu’une autre étude, publiée en juillet 2012 par la revue Environmental Health Perspectives, a montré que l’on retrouvait les molécules actives des pesticides, en petites doses, dans les moquettes et tapis de maisons situées à près d’un kilomètre et demi des zones d’épandage[5]

Pesticides et perturbateurs endocriniens : les avancées des rapports du Sénat français

Ce que j’ai écrit dans ce livre sur la dangerosité des pesticides a été largement repris en France par la Mission d’information du Sénat sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement, qui a publié un rapport exemplaire en octobre 2012[6]. À l’origine de cette initiative : Nicole Bonnefoy, une députée socialiste de Charente que j’avais rencontrée lors d’une projection de mon film Notre poison quotidien dans son département, avec la participation de Paul François.

Présidée par Sophie Primas (UMP), la mission sénatoriale a procédé à quatre-vingt-quinze auditions et entendu deux cent cinq personnes. Pour ma part, j’ai été auditionnée en juin 2012. Consultable sur le site du Sénat, le rapport extrêmement fouillé fait quatre constats dûment étayés : « Les dangers et les risques des pesticides pour la santé sont sous-évalués ; le suivi des produits après leur mise sur le marché n’est qu’imparfaitement assuré au regard de leurs impacts sanitaires réels et les effets des perturbateurs endocriniens sont mal pris en compte ; les protections contre les pesticides ne sont pas à la hauteur des dangers et des risques ;  les pratiques industrielles, agricoles et commerciales actuelles n’intègrent pas toujours suffisamment la préoccupation de l’innocuité pour la santé lors du recours aux pesticides. »

D’aucuns argueront que ce rapport ne changera pas la face du monde, car les sénateurs ont peu de pouvoir… Certes. Mais il faut mesurer le chemin parcouru : au moment où j’écrivais ce livre, les élus se contentaient généralement de répéter la propagande martelée par les industriels : « Les pesticides sont très bien testés. » Ce rapport doit être pris pour ce qu’il est : la synthèse étayée d’une prise de conscience des politiques, dont on peut espérer qu’elle débouchera tôt ou tard sur des mesures concrètes. Il en est de même pour les perturbateurs endocriniens, dont les élus ignoraient jusqu’à l’existence il y a peu encore. Or, en juillet 2011, le sénateur Gilbert Barbier (apparenté UMP) rendait public un rapport intitulé Les Perturbateurs endocriniens, le temps de la précaution[7].

Agissant à la demande de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, le chirurgien de Franche-Comté et vice-président de la commission des affaires sociales du Sénat m’avait auditionnée le 7 juin 2012, en présence de son assistant parlementaire. « Nous vous remercions pour l’énorme travail que vous avez fourni, m’avait-il dit, en désignant mon livre, dont il avait marqué de nombreuses pages avec des stickers jaunes. Nous sommes convaincus que les perturbateurs endocriniens représentent un énorme enjeu de santé publique. »

De fait, dans son rapport, le sénateur Barbier retrace brillamment tout ce qui constitue la matière de ce livre, en plantant d’emblée le décor : « La question d’une recrudescence, voire d’une “épidémie”, de maladies environnementales est clairement posée aujourd’hui », écrit-il dans son introduction, où il précise qu’il « s’intéressera à deux groupes principaux de pathologies : les cancers et les problèmes de fertilité ». Concernant le cancer de la prostate, il note « une très forte augmentation de 5,3 % par an entre 1975 et 2000, soit une quasi-multiplication par quatre du nombre de cas ». De même, il constate que « le cancer du sein est le plus fréquent chez la femme au niveau mondial (22 %). Il s’agit d’un cancer des pays développés, puisque le rapport est de 1 à 5 entre les pays occidentaux et les pays d’Afrique et d’Asie, à l’exception du Japon. […] En France, le nombre de cancers du sein a plus que doublé depuis 1980, passant de 21 000 à près de 50 000. Il représente 36 % des nouveaux cancers féminins. En éliminant l’effet de l’âge, l’incidence a doublé en France, passant de 56,8 à 101,5 pour 100 000, soit une hausse de 2,4 % par an. Le risque de développer un cancer du sein est passé de 4,9 % pour une femme née en 1910 à 12,1 % pour une femme née en 1950 ».

Le sénateur Barbier souligne aussi que, contrairement à ce qu’affirme la doxa industrielle, l’épidémie d’obésité qui frappe les nations riches et émergentes n’est pas due exclusivement à la « malbouffe » et au manque d’exercice, mais beaucoup aussi à la pollution chimique : « Depuis le début des années 1980, constate-t-il, les données relatives à la fréquence de l’obésité paraissent littéralement s’envoler. Cette évolution très rapide et générale exclut les explications génétiques et paraît induire une causalité environnementale. » Après avoir rappelé l’affaire du distilbène (voir supra, chapitre 17), puis décrit l’origine et le mode de fonctionnement des hormones de synthèse, le rapporteur dresse le bilan de leurs effets dévastateurs sur le système de reproduction, notamment des sujets mâles : baisse de la quantité et de la qualité du sperme, malformations congénitales (cryptorchidie, hypospadias) et cancer des testicules (voir supra, chapitre 16)[8]. Enfin, après avoir cité Rachel Carson et Theo Colborn (voir supra, chapitres 3 et 16), Gilbert Barbier s’interroge sur la nécessité d’une « révolution toxicologique », en retraçant l’histoire de la dose journalière acceptable (DJA) – où il s’appuie largement sur mon livre – et en évoquant longuement le rôle des « faibles doses » et de l’« effet cocktail » qui nécessitent un « changement de paradigme ».

Si la lecture du rapport m’a évidemment réjouie, en constatant que les élus prenaient enfin la mesure de l’urgence sanitaire actuelle, les solutions préconisées pour y remédier m’ont en revanche laissée perplexe. « Votre rapporteur propose de s’inspirer de ce qui a été fait pour le tabac ou pour l’alcool », écrit ainsi le chirurgien franc-comtois, qui recommande d’apposer un pictogramme – une femme enceinte de profil barrée d’une croix rouge – sur tous les produits contenant des perturbateurs endocriniens : « Ce pictogramme devrait avoir pour effet d’inciter les femmes concernées à éviter ces produits et les industriels à proposer des produits de substitution. », explique-t-il. Passablement énervée par ces conclusions, j’avais rédigé ce commentaire sur mon blog : « C’est ce que j’appelle une “demi-mesure” ou, pour être plus triviale, une “mesure de poule mouillée”… »

Lors de mon audition, j’avais fait remarquer que s’en tenir à l’étiquetage mettant en garde les femmes enceintes contre des produits hautement toxiques – au lieu de les interdire totalement – pour leur bébé était une « mauvaise mesure », car elle instituerait une discrimination dans la protection. En effet, nombreuses sont les femmes qui savent à peine lire ou qui ne prennent pas la peine de lire les étiquettes, car leur préoccupation est d’abord de nourrir leur famille au moindre coût. Le devoir des élus est de prendre des mesures qui protègent toute la population : maintenir sur le marché des substances qui ont tous les effets terribles décrits dans le rapport est donc tout simplement irresponsable. L’objectif de cette « manœuvre » semble bien de laisser le temps aux industriels de s’organiser pour trouver des substances de substitution, afin de préserver leurs profits. Mais que les élus le sachent : attendre, c’est aussi courir le risque de devoir rendre des comptes, en creusant davantage encore la méfiance qui prévaut entre les citoyens et leurs représentants.

Depuis, une nouvelle étude (publiée par la revue Human Reproduction en décembre 2012[9]) a confirmé qu’il fallait agir de toute ugence : portant sur 26 000 hommes français ayant participé à un Programme d’assistance à la procréation (AMP) entre 1989 et 2005, elle a révélé qu’en dix-sept ans, la concentration des éjaculats – qui se mesure en millions de spermatozoïdes par millilitre de sperme – avait diminué de 32,2 %, soit une réduction continue de 1,9 % par an.

Le Bisphénol A interdit dans les récipients alimentaires

Comme on l’a vu dans ce livre, la perte de fertilité des mâles occidentaux est largement due à l’exposition à de faibles doses de perturbateurs endocriniens, parmi lesquels les phtalates (utilisés dans les plastiques et les parfums), les alkyphénols (détergents, parfums, retardateurs de flammes) et les parabènes (produits cosmétiques et pharmaceutiques). Et là, il y a – enfin ! – une bonne nouvelle en France. En mai 2011, à la surprise générale, une proposition de loi du centriste Yvan Lachaud, visant l’interdiction de ces trois substances, a été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale à une courte majorité (236 voix pour et 222 contre, grâce à quelques « voix égarées » de l’UMP). Quatre mois plus tard, le 28 septembre 2011, la même Assemblée votait à une large majorité une autre proposition de loi interdisant à partir du 1er janvier 2014 la fabrication et la commercialisation de récipients alimentaires (comme les boîtes de conserves) comprenant du Bisphénol A (BPA), l’un des principaux perturbateurs endocriniens (voir supra chapitre 18).

Malheureusement, après avoir fait la navette entre les deux chambres, la loi a été revue à la baisse. En décembre 2012, le Sénat a confirmé l’interdiction, mais en repoussant son délai d’application : le BPA sera banni des contenants alimentaires à destination des enfants de 0 à 3 ans dès la promulgation du texte en 2013 et à tous les autres contenants au… 1er janvier 2015. « Cette limite de la loi ne doit pas masquer le fait que cette décision fait de la France le premier pays au monde à prendre une telle mesure, a alors commenté le Réseau environnement santé (RES). Il reste à agir sur les autres sources de contamination au BPA : revêtement des canalisations d’eau, ciments dentaires, dispositifs médicaux. […] Malgré ses limites, c’est donc un signal fort qui est envoyé aux industriels pour que la question des perturbateurs endocriniens soit prise au sérieux et que leur substitution soit recherchée de façon systématique[10]. »

De fait, certains industriels ont déjà anticipé, en faisant de l’absence de BPA dans leurs produits un argument publicitaire. C’est ainsi que les magasins U ont annoncé qu’ils avaient banni le BPA du papier de leurs tickets de caisse, mais aussi de tous les récipients alimentaires commercialisés par la chaîne : « Les magasins U sont plus que jamais certains de faire aujourd’hui ce que tout le monde fera demain, clamait ainsi un encart publicitaire publié sur une pleine page dans plusieurs quotidiens. N’attendons pas que la loi nous impose de le supprimer. »

Notons au passage le changement d’attitude de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’environnement et du travail (ANSES), qui, dans un rapport publié le 27 septembre 2011, reconnaissait – enfin ! – que le BPA avait des effets « avérés » sur l’animal de laboratoire, parmi lesquels « l’altération de la production spermatique, la survenue accrue de kystes ovariens et de lésions des glandes mammaires ou encore l’avancement de l’âge de la puberté chez les femelles ». Ayant provoqué un véritable « coup de tonnerre »[11], le rapport de l’agence française a placé dans l’embarras son homologue européenne – l’EFSA, dont j’ai longuement parlé dans ce livre –, qui, pour l’heure, continue de nier le danger des faibles doses de BPA. Il en est de même de l’Académie de médecine, dont j’ai souligné les liens avec l’industrie (voir supra, chapitre 10). Dans un rapport rendu public le 10 novembre 2011, la vénérable institution a jugé l’interdiction du BPA et des phtalates « prématurée », mais n’en pas moins fait toute une série de mises en garde destinées aux « personnes à risques », comme les « jeunes enfants, les personnes atteintes d’un cancer hormono-dépendant, les femmes enceintes ou allaitantes ». Parmi ces recommandations, qui ne sont guère rassurantes, on peut lire : « Interdire de chauffer directement les aliments dans les emballages plastiques » ; « interdire de stocker longtemps et à température élevée des eaux minérales dans les bouteilles plastiques libérant des phtalates » ; « conseiller aux caissières manipulant des tickets de caisse thermiques de porter des gants, surtout si elles sont enceintes »…

Haro sur les conflits d’intérêts : les errements de l’EFSA

« Seriez-vous disposée à venir témoigner devant le Parlement européen ? » Cette question m’a été posée par Corinne Lepage, députée européenne et vice-présidente du Parlement européen, qui m’a contactée le lendemain de la diffusion de Notre poison quotidien sur la RTBF. En vertu d’un accord de coproduction, la télévision publique belge avait été autorisée à diffuser le film six semaines avant Arte. Interpellée par le contenu de mon enquête, la fondatrice du CRIIGEN (Comité de recherche et d’information indépendante sur le génie génétique) avait décidé de s’attaquer au dossier de l’aspartame. C’est ainsi qu’elle a organisé une audition au Parlement européen, qui s’est tenue à Bruxelles le 16 mars 2011, le jour de la diffusion du film sur Arte.

Étant très prise par les nombreuses interviews suscitées par mon investigation, je n’ai malheureusement pas pu participer à cette audition, qui fut très instructive. Parmi les personnes auditionnées, il y eut notamment Hugues Kenigswald, le chef de l’Unité des additifs alimentaires de l’EFSA (voir supra, chapitre 15), qui a reconnu devant les députés de l’Union que la DJA européenne de l’aspartame était fondée sur les études hautement controversées (et jamais publiées) de Searle. Conséquence : le Parlement européen a demandé à la Commission européenne de saisir l’EFSA pour qu’elle effectue une réévaluation de la sécurité de l’aspartame. Normalement, cette « réévaluation » était prévue en… 2020, mais l’agence européenne a dû obtempérer, en avançant le processus.

« En mai 2011, la Commission européenne a invité l’EFSA à anticiper la réévaluation complète de la sécurité de l’aspartame (E 951), écrit ainsi l’agence sur son site <www.efsa.europa.eu>. Il était prévu à l’origine que cette réévaluation soit achevée en 2020. L’examen de cet édulcorant individuel est programmé dans le cadre de la réévaluation systématique de tous les additifs alimentaires ayant été autorisés dans l’UE avant le 20 janvier 2009, comme prévu par le règlement (UE) n° 257/2010. L’EFSA a accepté ce mandat et elle a organisé un appel public destiné à recueillir des données scientifiques, ainsi qu’un examen approfondi de la littérature scientifique disponible. L’EFSA a pu accéder à un grand nombre d’études scientifiques et d’ensembles de données, publiées ou non, à la suite de cet appel de données qui s’est clôturé le 30 septembre 2011. Dans un souci réitéré d’ouverture et de transparence, l’EFSA a publié la liste complète de ces études scientifiques et elle a également rendu publiques des données scientifiques non publiées à ce jour, notamment les 112 documents originaux sur l’aspartame qui avaient été soumis en tant qu’éléments justificatifs dans le cadre du processus de demande d’autorisation de l’aspartame en Europe au début des années 1980. » Au moment où j’écris ces lignes, j’apprends que l’« échéance pour la réévaluation de l’aspartame » a été fixée à… mai 2013.

On aura remarqué le ton quelque peu embarrassé de l’agence européenne, qui souligne son « souci réitéré d’ouverture et de transparence ». Il faut dire que, depuis la sortie de ce livre où j’ai longuement épinglé les conflits d’intérêts qui caractérisent de nombreux « experts » des agences de réglementation, l’EFSA a été régulièrement montrée du doigt.

Début 2012, José Bové, député européen d’Europe Écologie-Les Verts, a ainsi rapporté dans une conférence de presse que Diana Banati, la présidente du conseil d’administration de l’EFSA, avait « oublié » de mentionner dans sa déclaration de conflit d’intérêts qu’elle siégeait au conseil de direction scientifique de la branche européenne de l’International Life Sciences Institute (ILSI), le lobby de l’industrie agroalimentaire dont j’ai révélé l’histoire et les méthodes (voir supra, chapitres 12 et 15).

En mai 2012, devant l’émoi suscité par cette affaire largement médiatisée, « l’EFSA a demandé à Mme Banati de partir », selon un communiqué de la Commission européenne[12]. Pas de problème ! La scientifique hongroise a été aussitôt embauchée comme directrice exécutive de la branche européenne de l’ILSI (un « choix de carrière », selon elle) ! Dans le même communiqué, la Commission précisait « regretter que Mme Banati passe directement de l’EFSA à l’ILSI »… Si Diana Banati a bien été contrainte de démissionner, six autres membres du conseil d’administration de l’EFSA ont, en revanche, été épargnés, malgré leurs liens avérés avec l’ILSI. C’est ce qu’a montré un rapport de la Cour des comptes européenne d’octobre 2012, qui, du coup, s’interrogeait sur cette « différence de traitement »…

En janvier 2012, l’EFSA s’était déjà retrouvée sur la sellette en raison de sa tendance à ignorer la trop grande proximité de ses membres avec… l’ILSI. On découvrait que l’Institut créé par la firme américaine Coca-Cola au début des années 1980 (supra chapitres 12, 13 et 15) promouvait une nouvelle méthode d’évaluation de la toxicité des molécules contaminant la chaîne alimentaire (résidus de pesticides, d’additifs et d’emballages alimentaires). Baptisée « seuil de préoccupation toxicologique » (threshold of toxicological concern, ou TTC), cette méthode serait du pain bénit pour les industriels. Elle propose en effet de ne rendre les tests toxicologiques obligatoires qu’au-delà d’un seuil que les industriels définiraient en s’appuyant sur les ressemblances chimiques des molécules. Cette « méthode » avait déjà été avancée par l’AFSSA pour justifier l’absence d’études des effets du BPA sur le fœtus, en arguant que celles-ci n’étaient pas nécessaires, puisque la molécule était proche de celle du paracétamol (voir supra, chapitre 18) ! Devant l’insistance de l’ILSI pour imposer cette nouvelle « méthode », l’EFSA avait décidé de constituer un groupe de travail confié à Susan Barlow, une consultante de… l’ILSI, qui a aussi travaillé pour PepsiCo, Pfizer, Rio Tinto, Plastics Europe ou Philipp Morris ! Cette « experte » de l’agence européenne a donc constitué un « comité », comprenant treize experts, dont dix avaient participé à l’élaboration du TTC pour l’ILSI et huit travaillaient directement pour le fameux institut !

On le voit : depuis la première publication de ce livre, des avancées indéniables ont été réalisées et, petit à petit, les agences de réglementation sont poussées à rendre des comptes sur leurs pratiques et décisions. Quant aux responsables politiques, ils commencent à prendre conscience que si l’on veut stopper l’épidémie de maladies chroniques qui frappe la population et plombe les comptes de la Sécurité sociale, il faut s’attaquer à ses vraies causes, en revoyant de fond en comble le système de réglementation des produits chimiques et en activant le principe de précaution, dès qu’un doute raisonnable existe sur la toxicité d’une molécule. Et, faut-il le rappeler : en matière de sécurité sanitaire, le doute devrait toujours bénéficier aux citoyens et non aux industriels, comme c’est le cas aujourd’hui…

Pour finir, je voudrais rendre hommage à l’énorme travail réalisé par le Réseau environnement santé (RES) animé par André Cicollela, qui, à l’instar du Mouvement pour les générations futures de François Veillerette, ne baisse jamais la garde, en poursuivant sans relâche un seul objectif : la protection des citoyens et de la vie...


[1] European Environment Agency, Late Lessons from Early Warnings. Science, Precaution, Innovation, <www.eea.europa.eu>, 23 janvier 2013.

[2] Paul Benkimoun et Stéphane Foucart, « Bisphénol A, pesticides… L’Europe admet les failles de sa sécurité sanitaire », Le Monde, 24 janvier 2013.

[3] Ibid.

[4] Grégoire Allix, « L’inquiétant effet cocktail des pesticides sur nos molécules », Le Monde, 8 août 2012.

[5]

[6] Nicole Bonnefoy, Pesticides : vers le risque zéro. Rapport d’information n° 42 (2012-2013) fait au nom de la Mission commune d’information sur les pesticides, <www.senat.fr>,  10 octobre 2012.

[7] Gilbert Barbier, Perturbateurs endocriniens, le temps de la précaution. Rapport d’information n° 765 (2010-2011) fait au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, <www.senat.fr>, 12 juillet 2011. Pour établir son rapport, le sénateur a auditionné soixante personnes.

[8] Le sénateur Barbier cite longuement, à ce sujet, le rapport Reproduction et Environnement de l’Inserm du 14 avril 2011, publié peu après la première édition de ce livre.

[9]

[10] Réseau environnement santé, « Interdiction du Bisphénol A dans les contenants alimentaires : le RES salue une avancée historique », <http://reseau-environnement-sante.fr>, 13 décembre 2012.

[11] Stéphane Foucart, « Bisphénol A, les dessous d’un scandale sanitaire », Le Monde, 29 octobre 2011.

[12] « La présidente de l’EFSA pas limogée ? », Le Figaro.fr (avec l’AFP), 11 mai 2012.

 

Les pesticides rendent les paysans et les … plantes malades

En juin dernier, j’ai été auditionnée par la mission d’information du Sénat sur les pesticides et leur impact sur la santé, dont l’initiative revient à Nicole Bonnefoy, députée PS de Charente. J’avais rencontré la sénatrice lors de la projection de mon film Notre poison quotidien sur ses terres, en Charente. Y participait aussi Paul François, l’agriculteur victime d’une grave intoxication au lasso, qui a gagné son procès contre Monsanto et préside, aujourd’hui, l’association PhytoVictimes, dont j’ai filmé l’acte de naissance en janvier 2010, à Ruffec (voir sur ce Blog ou lire Notre poison quotidien).

http://www.phyto-victimes.fr/

La mission sénatoriale, présidée par Sophie Primas (UMP), et où le sénateur du Morbihan EELV Joël Labbé joua un rôle très actif, vient de rendre son rapport public, et je dois dire que celui-ci est d’une grande qualité. Pour le rédiger, les sénateurs ont procédé à 95 auditions et entendu 205 personnes. Consultable sur le site du Sénat,

http://www.senat.fr/rap/r12-042-1/r12-042-1.html

le rapport fait quatre constats dûment étayés, qui confirment ce que j’ai écrit et montré dans Notre poison quotidien :

– « les dangers et les risques des pesticides pour la santé sont sous-évalués ;

– le suivi des produits après leur mise sur le marché n’est qu’imparfaitement assuré au regard de leurs impacts sanitaires réels et les effets des perturbateurs endocriniens sont mal pris en compte ;

– les protections contre les pesticides ne sont pas à la hauteur des dangers et des risques ;

– les pratiques industrielles, agricoles et commerciales actuelles n’intègrent pas toujours suffisamment la préoccupation de l’innocuité pour la santé lors du recours aux pesticides ».

Je suis évidemment satisfaite que des élu(e)s de la nation reconnaissent – le rapport a été approuvé à l’unanimité-, les dangers que représentent les pesticides pour la santé des agriculteurs, des riverains et des consommateurs. Mais, j’aimerais maintenant qu’ils lisent ce que j’ai écrit dans mon livre Les moissons du futur. J’y présente un ouvrage, rédigé par un agronome de l’INRA (aujourd’hui décédé) qui a conduit de nombreuses études et consulté des dizaines de rapports scientifiques montrant que les pesticides rendent les plantes malades.

Mais lisez plutôt cet extrait de mon livre !

DÉBUT EXTRAIT

Les pesticides rendent les plantes malades

Les plantes malades des pesticides[i] : c’est précisément le titre d’un ouvrage que devraient lire de toute urgence tous les agronomes, agriculteurs et ministres de l’Agriculture de la planète, dont Bruno Le Maire, l’ancien ministre de Nicolas Sarkozy, et son successeur Stéphane Le Foll. Il a été écrit par l’agronome français Francis Chaboussou, qui est entré à l’INRA en 1933, très précisément à la station de zoologie du centre de recherches agronomiques de Bordeaux, où il fit toute sa carrière (il en a fini directeur). Édité une première fois en 1980, son livre est passé totalement inaperçu – mais ce n’est sans doute pas un hasard… –, alors qu’il fournit un éclairage scientifique capital pour comprendre la pullulation des ravageurs, maladies et autres fléaux qui ont plongé les agriculteurs adeptes de l’agriculture chimique dans un puits sans fond. Comme l’écrit Paul Besson, professeur honoraire de l’Institut national agronomique de Paris-Grignon, qui a rédigé la préface à la première édition de l’ouvrage, celui-ci est le fruit « d’une mûre réflexion basée tant sur les recherches personnelles de l’auteur que sur de multiples données expérimentales de provenance internationale, acquises en laboratoire ou en condition de culture[ii] ». Autant dire que c’est un livre très technique, truffé de références scientifiques, car il ne s’adresse pas au grand public mais à tous ceux qui travaillent dans le domaine de la « protection des plantes », ou, dit plus prosaïquement, qui fabriquent, commercialisent ou utilisent des biocides chimiques. Son objet : « Les effets délétères des pesticides sur la physiologie des plantes », ainsi que le résume Paul Besson.

Dans les années 1960, explique ce dernier, Francis Chaboussou, qui travaillait alors sur les ravageurs des cultures fruitières, du maïs et du vignoble bordelais, fait le constat suivant : « [L’usage du DDT[1]], en particulier dans les traitements des vergers et vignobles, avait eu rapidement pour conséquence l’apparition aux États-Unis et en Europe d’un nouveau fléau, les acariens phytophages, jusqu’ici relativement peu nuisibles : ces microscopiques piqueurs et suceurs de feuilles provoquent par leurs pullulations des dégâts importants au vignoble et aux vergers. La première explication générale proposée fut que le DDT et autres insecticides de contact polyvalents éliminaient les prédateurs ou parasites naturels de ces acariens phytophages. Mais ces prédateurs sont essentiellement d’autres acariens de divers genres et l’hypothèse ne put être confirmée. […] C’est en décortiquant expérimentalement ces phénomènes que l’auteur parvient à montrer que l’action des pesticides utilisés (en particulier insecticides contre les vers de la grappe ou même fongicides) se répercutait sur les acariens par l’intermédiaire de la plante. Ces produits entraînaient en effet des modifications du métabolisme de la plante, aboutissant à un enrichissement des liquides cellulaires ou circulant en sucres solubles et en acides animés libres. Les acariens phytophages piqueurs et suceurs des tissus végétaux se trouvent ainsi favorisés dans leur alimentation, ce qui se traduit, selon les espèces, par un accroissement de leur fécondité et de leur fertilité, de la vitesse du développement et du nombre de générations, voire de la longévité. Cette dépendance étroite entre les qualités nutritionnelles de la plante et son parasite, Francis Chaboussou l’a baptisée trophobiose. »

Selon ce « concept, que des recherches ultérieures ont confirmé et élargi », « tout parasite ne devient virulent que s’il rencontre dans la plante les éléments nutritionnels qui lui sont nécessaires ». Or, ces « éléments nutritionnels » sont produits en grande quantité par l’action des pesticides, qui entraîne un « désordre ou déséquilibre métabolique de la plante qui se révèle favorable aux parasites[iii] ». Et Paul Besson de poursuivre : « Cherchant à analyser selon les principes de sa théorie de la trophobiose tous les cas “inexpliqués” de pullulations de parasites, d’éclosions de mycoses, d’apparitions de viroses, d’inefficacité de certains traitements, cherchant à expliquer les effets indirects ou inattendus de divers types de pesticides, Francis Chaboussou souligne que l’on retombe toujours sur l’existence des déséquilibres entre deux processus fondamentaux de la physiologie végétale : protéosynthèse et protéolyse[2]. […] Bref, l’auteur, préoccupé de la protection des cultures contre leurs parasites ou leurs maladies, se penche plus sur la plante malade que sur le parasite ou l’agent infectieux[iv]. »

Dans l’introduction au livre de Francis Chaboussou, Paul Besson fait une description ironique des pratiques agroindustrielles, qui pourrait être carrément hilarante si on faisait abstraction des terribles conséquences qu’entraîne cette folie chimique : « Les plantes cultivées industrielles sont mises en compétition permanente, pour une croissance plus rapide, une production plus abondante, une qualité plus attirante. À ces jeux Olympiques de l’agriculture industrielle, les plantes cultivées sont suralimentées, subissant même parfois un gavage d’azote : elles sont bichonnées comme des champions avant l’épreuve (la récolte !), pulvérisées, douchées à grande fréquence, avec des mixtures fongicides, insecticides, acaricides, à titre préventif : leurs conditions de vie sont artificialisées à l’extrême. […] Mais parfois, le champion craque avant l’épreuve ; […] apparemment en bonne santé, il contracte, malgré tant de mesures préventives, des maladies subites et désastreuses (mycoses, viroses), il subit les attaques massives de la vermine parasitaire (acariens, pucerons). Alors on appelle au chevet de ces plantes-champions les spécialistes les plus réputés : phytopatologiste, virologiste, entomologiste, immunologiste, chacun dans sa partie donnant son diagnostic et son ordonnance phytopharmaceutique. […] Comme le fait remarquer Francis Chaboussou, on étudie trop la maladie et pas assez le malade. Lui, médecin du vignoble bordelais, il s’effraie de cet excès thérapeutique et de cette insuffisance d’hygiène de la plante et de son milieu. […] Nos cultures industrielles, dit-il, souffrent de maladies dont les causes mêmes ont leur origine dans un excès de soins phytosanitaires, il parle alors de maladies iatrogènes[v]. »

En effet, après avoir constaté que « les tissus végétaux se laissent pénétrer par de nombreux produits dits “phytosanitaires”[vi] » – par la feuille, la racine, les tissus, la graine, le tronc et la charpente des arbres –, ce qui agit sur leur métabolisme au travers de leur nutrition, Francis Chaboussou précise ce qu’il entend par « maladies iatrogènes » : « Tout comme en pathologie humaine ou animale, nous entendons par “maladie iatrogène” toute affection déclenchée par l’usage – qu’il soit modéré ou abusif – d’un médicament quelconque. En pathologie végétale, il s’agit donc des pesticides[vii]. » Et l’agronome de l’INRA de préciser : « Tout se passe comme si, par leur action néfaste sur le métabolisme de la plante, les pesticides brisaient sa résistance naturelle […] vis-à-vis de ses agresseurs, qu’ils soient champignons, bactéries, insectes ou même virus[viii]. » Mais ce n’est pas tout ! Non seulement les biocides favorisent le pullulement de ravageurs et maladies, mais leurs « incidences néfastes et incontrôlables » affectent également « la fertilité du sol, par la voie de la nutrition de la plante[ix] ». Et là, l’agronome met directement en cause l’irresponsabilité, et somme toute l’amateurisme, des fabricants de poisons agricoles : « C’est aux phytopharmaciens de faire leur autocritique et leur mea culpa », car ils ne se sont jamais intéressés aux « répercussions de ces produits sur les microorganismes et la vie du sol. […] C’est comme si la médecine tenait pour négligeables les éventuelles répercussions d’un antibiotique ou d’une cortisone vis-à-vis de l’organisme du patient[x] ! »

Après avoir livré sur près de trois cents pages toute la littérature scientifique alors disponible, qui étaye largement ses conclusions, Francis Chaboussou lance un « cri d’alarme », « destiné en premier lieu à aider les agriculteurs à se libérer de l’aliénation dans laquelle ils se trouvent et qui réside dans un absurde et ruineux enchaînement d’interventions pesticides, résultant lui-même d’un enchaînement de maladies artificiellement provoqué[xi] ». Et pour lui, la « solution » est pourtant simple : « Chercher à stimuler la résistance de la plante, au lieu de se proposer le but – combien incertain – de la destruction du parasite[xii]. »

FIN EXTRAIT

Concernant ma dernière enquête Les moissons du futur, j’ai entamé une tournée nationale de trois mois dont vous pouvez consulter le programme sur le site de ma maison de production m2rfilms :

http://www.m2rfilms.com/crbst_13.html

J’étais hier soir à l’École normale supérieure (ENS) où le film a été présenté devant 150 étudiants (dont la majorité était des biologistes) de la prestigieuse maison. Ce fut un réel plaisir de voir l’enthousiasme qu’a suscité mon film auprès de ceux et celles qui occuperont des responsabilités importantes  dans la recherche et l’administration dans la prochaine décennie. Je remercie tout particulièrement Hermine Durand, de l’association EcoCampus, que j’avais rencontrée lors de la Green Pride organisée par l’Appel de La Jeunesse (voit sur ce blog).

http://www.ens.fr/spip.php?article1532


[1] Le DDT est un insecticide organochloré qui a inondé la planète pendant des décennies, avant d’être interdit pour les usages agricoles dans les années 1970, en raison de son extrême toxicité et de sa persistance dans l’environnement. Pour plus d’informations sur cet « insecticide miracle », voir Marie-Monique Robin, Notre poison quotidien, op. cit. [NdA].

[2] La protéosynthèse désigne le processus de synthèse de protéines à partir d’acides aminés. Quant à la protéolyse, elle désigne le processus de fragmentation d’une protéine en plusieurs morceaux sous l’action d’enzymes, qui constitue la principale source d’acides aminés pour les organismes vivants [NdA].


[i] Francis Chaboussou, Les Plantes malades des pesticides, op. cit.

[ii] Ibid., p. 11.

[iii] Ibid., p. 13.

[iv] Ibid., p. 14. C’est moi qui souligne.

[v] Ibid., p. 15.

[vi] Ibid., p. 83.

[vii] Ibid., p. 25.

[viii] Ibid., p. 20.

[ix] Ibid., p. 107.

[x] Ibid., p. 271.

[xi] Ibid., p. 19. C’est moi qui souligne.

[xii] Ibid., p. 271.

Séralini, la pyrale du maïs et la Greenpride

La polémique autour de l’étude de Gilles –Éric Séralini continue de faire rage.

Dans ce concert de critiques virulentes fortement orchestrées (suivez mon regard…), il est important d’entendre les arguments du chercheur de l’Université de Caen, qui répond point par point à ses détracteurs dans un entretien qu’il a accordé à Hervé Kempf, journaliste au Monde, et créateur du site Reporterre :

http://www.reporterre.net/spip.php?article3280

De son côté, Le Canard Enchaîné a enquêté sur Marc Fellous, Gérard Pascal et Louis-Marie Houbedine, les principaux détracteurs français du Prof. Séralini, que j’ai déjà présentés sur ce Blog. Les informations du Canard confirment les miennes :

Les scientifiques qui s’en prennent à l’étude de Séralini sur le maïs OGM sont d’une indépendance qui gagne à être connue ! Feu à volonté ! On sait le ramdam déclenché par l’étude de Gilles-Éric Séralini sur le maïs OGM de Monsanto. Les snipers de l’industrie agroalimentaire n’ont pas fini de dégainer…

Lire la suite de l’article :

http://www.altermonde-sans-frontiere.com/spip.php?article21153#forum13776

Concernant l’avis précipité  et très sévère de l’EFSA, je rappelle ce que j’écrivais dans Le Monde selon Monsanto, concernant l’ « indépendance » des experts qui constituent le « comité OGM » au sein de l’Autorité européenne de la sécurité euorpéenne:

« Les failles du système réglementaire » : l’exemple du maïs MON 863

Alors que le gouvernement français a annoncé en janvier 2008 qu’il activait la « clause de sauvegarde » pour le maïs MON 810, suspendant la culture de ce maïs Bt de Monsanto jusqu’à ce que l’Union européenne ait examiné à nouveau son autorisation, je voudrais rappeler l’histoire du MON 863, un cousin très proche du MON 810 : le premier (MON 863) contient une toxine (Cry3Bb1) censée le protéger contre la chrysomèle des racines du maïs[1], tandis que le second (MON 810) a été manipulé (Cry1Ab) pour résister aux attaques de la pyrale. L’affaire du MON 863 constitue une illustration parfaite de la manière pour le moins préoccupante dont sont réglementés les OGM en Europe.

Tout commence en août 2002, lorsque la firme de Saint-Louis dépose une demande d’autorisation de mise sur le marché auprès des autorités allemandes, à qui elle remet un dossier technique comprenant une étude toxicologique conduite pendant quatre-vingt-dix jours sur des rats. Conformément à la réglementation européenne (voir supra, chapitre 9), celles-ci examinent alors les données fournies par Monsanto, puis transmettent un avis… négatif à la Commission de Bruxelles, au motif que l’OGM contient un marqueur de résistance à un antibiotique qui enfreint la directive 2001/18 déconseillant fortement son utilisation. La Commission est alors tenue de distribuer le dossier aux États membres pour recueillir leurs avis, lesquels seront ensuite examinés par l’European Food Safety Authority (EFSA), le comité scientifique européen, chargé d’évaluer la sécurité alimentaire des OGM.

En France, c’est la Commission du génie biomoléculaire (CGB) qui récupère le dossier, en juin 2003. Cinq mois plus tard, le 28 octobre 2003, la CGB émet à son tour un avis défavorable, non pas à cause de la présence du marqueur antibiotique, mais parce que, comme l’expliquera Hervé Kempf dans Le Monde, elle a été « très troublée par les malformations observées sur un échantillon de rats nourris au maïs 863[i] ». « Ce qui m’a frappé dans ce dossier, c’est le nombre d’anomalies, explique Gérard Pascal, directeur de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et membre de la CGB depuis sa création en 1986. Il y a ici trop d’éléments où l’on observe des variations significatives. Je n’ai jamais vu cela dans un autre dossier. Il faudrait le reprendre[ii]. »

Les « variations » incluent une « augmentation significative des globules blancs et des lymphocytes chez les mâles du lot nourri au MON 863 ; une baisse des réticulocytes (les jeunes globules rouges) chez les femelles ; une augmentation significative de la glycémie chez les femelles ; et une fréquence plus élevée d’anomalies (inflammation, régénération…) des reins chez les mâles[iii] », ainsi qu’une réduction du poids des cobayes. Or, comme le note mon confrère du Monde, « personne n’en aurait rien su » si l’avocate Corinne Lepage, ancienne ministre de l’Environnement d’Alain Juppé et présidente du CRII-GEN[2], « n’avait forcé la porte de la CGB » pour obtenir, « grâce à la commission d’accès aux documents administratifs (CADA) » les procès-verbaux des débats qui ont conduit à l’avis négatif de la CGB, « exceptionnel chez une commission qui a toujours été plutôt favorable à l’autorisation des OGM ». En effet, les délibérations des comités scientifiques des pays membres de l’Union européenne, tout comme d’ailleurs ceux de l’European Food Safety Authority (EFSA), sont confidentielles, ce qui donne une idée de la transparence du processus d’évaluation des OGM…

Toujours est-il que l’affaire rebondit, le 19 avril 2004, lorsque l’EFSA, justement, émet un avis… favorable à la mise sur le marché du MON 863. D’après le Comité scientifique européen, les anomalies observées par la CGB « rentrent dans la variation normale des populations de contrôle » ; quant aux malformations rénales, elles sont « d’une importance minimale »[iv].

Comment deux comités scientifiques peuvent-ils émettre des avis aussi différents sur un même dossier ? La réponse à cette question est fournie par la section européenne des Amis de la terre, qui a publié en novembre 2004 un rapport très détaillé (et très inquiétant) sur le fonctionnement de l’EFSA[v]. Créée en 2002, dans le cadre de la directive européenne 178/2002 sur la sécurité des produits alimentaires, cette institution compte huit comités scientifiques, dont un est chargé exclusivement de l’évaluation des OGM. C’est précisément ce dernier, que nous appellerons « comité OGM », qui est l’objet du rapport.

Premier constat des Amis de la terre : « Après un an d’activité, le comité a émis dix avis scientifiques, tous favorables à l’industrie des biotechnologies. Ces avis ont été utilisés par la Commission européenne, qui subit une pression croissante de la part des industriels et des États-Unis, pour pousser les nouveaux produits transgéniques sur le marché. Ils ont aussi servi à créer la fausse impression qu’il y avait un consensus scientifique, alors que la réalité est qu’il existe [au sein du Comité] un débat intense et continu et beaucoup d’incertitudes. Des inquiétudes quant à l’utilisation politique de leurs avis ont été exprimées par des membres de l’EFSA eux-mêmes. »

D’après le rapport, cette situation serait due aux liens étroits qui unissent « certains membres » du comité OGM avec les géants des biotechnologies, avec en tête son président, le professeur Harry Kuiper. Celui-ci est en effet le coordinateur d’Entransfood, un projet soutenu par l’Union européenne pour « favoriser l’introduction des OGM sur le marché européen et rendre l’industrie européenne compétitive » ; à ce titre, il fait partie d’un groupe de travail comprenant Monsanto et Syngenta. De même, Mike Gasson travaille pour Danisco, un partenaire de Monsanto ; Pere Puigdomenech est le co-président du septième congrès international sur la biologie moléculaire végétale, sponsorisé par Monsanto, Bayer et Dupont ; Hans-Yorg Buhk et Detlef Bartsch sont « connus pour leur engagement en faveur des OGM, au point d’apparaître sur des vidéos promotionnelles, financées par l’industrie des biotechnologies » ; parmi les (rares) experts extérieurs sollicités par le comité, il y a notamment le docteur Richard Phipps, qui a signé une pétition en faveur des biotechnologies pour AgBioWorld [vi] (voir supra, chapitre 12) et apparaît sur le site de Monsanto pour soutenir l’hormone de croissance laitière[vii]

Les Amis de la terre examinent alors plusieurs cas, dont celui du MON 863. Il apparaît que les réticences émises par le gouvernement allemand sur la présence d’un marqueur de résistance à un antibiotique ont été évacuées d’un revers de main par le comité OGM, qui s’est fondé sur un avis qu’il a publié, le 19 avril 2004, dans un communiqué de presse : « Le comité confirme que les marqueurs de résistance aux antibiotiques sont, dans la majeure partie des cas, nécessaires pour permettre une sélection efficace des OGM », y déclarait son président, Harry Kuiper. Commentaire des Amis de la terre : « La directive européenne ne demande pas de confirmer si les marqueurs de résistance aux antibiotiques sont un outil efficace pour l’industrie de la biotechnologie, mais s’ils peuvent avoir des effets nocifs sur l’environnement et la santé humaine. »

La fin de l’histoire est tout aussi exemplaire : après la publication de l’avis positif de l’EFSA, Greenpeace demande au ministère de l’Agriculture allemand de rendre public le dossier technique fourni par Monsanto (1 139 pages), pour qu’il soit soumis à une contre-expertise. Réponse du ministère : impossible, Monsanto refuse que les données soient communiquées, parce qu’elles sont couvertes par le « secret commercial ». Après une bataille judiciaire de plusieurs mois, la firme de Saint-Louis sera finalement contrainte de les rendre publiques par une décision du tribunal de Munich, le 9 juin 2005. Menée par le professeur Gilles-Éric Séralini et le docteur Arpad Pusztai, la contre-expertise confirmera les « anomalies » constatées par la Commission française du génie génétique et conduira à l’interdiction définitive du MON 863 dans l’UE, le 20 juin 2005[viii].

Concernant l’étude de Gilles-Eric Séralini, il est dommage que l’EFSA ait agi dans l’urgence, en confiant la rédaction de son avis à Andrew Chesson, un expert britannique qui est loin d’être au-dessous de tout soupçon, ainsi que l’a révélé Guillaume Malaurie dans Le Nouvel Observateur :

http://planete.blogs.nouvelobs.com/archive/2012/10/06/ogm-l-agence-europenne-aux-doubles-casquettes.html

Comme je l’ai déjà écrit, j’espère que le débat qu’a suscité l’étude de Séralini permettra de tout remettre sur la table, en contraignant les pouvoirs publics à exiger que soit conduite une nouvelle étude de toxicologie de deux ans, indépendante et transparente, qui permette de confirmer ou d’infirmer les résultats du chercheur de Caen, et de savoir – enfin !- quels risques nous courons en mangeant du maïs transgénique, comme le MON810, le maïs manipulé par Monsanto pour détruire la pyrale du maïs, un petit papillon nocturne, qui constitue le principal ravageur de la céréale.

Or, comme vous le découvrirez dans mon film (et livre) Les moissons du futur (sur ARTE, le 16 octobre, à 16 heures 55 et 20 heures 50)), on n’a pas besoin d’OGM pour venir à bout de ce fléau !!

Regardez cette petite vidéo que j’ai réalisée au Kenya, lors de mon tournage sur la ferme de John Otiep, qui utilise une méthode de contrôle biologique , appelée « push-pull », inventée par le Dr. Zeyaur Kahn , un entomologiste du centre de recherche internationale sur les insectes (ICIPE) que vous découvrirez dans mon film le 16 octobre !

http://www.arte.tv/fr/kenya/6967788.html

Lors de la projection à la presse de mon film Les moissons du futur, j’ai évoqué , avec émotion, l’histoire de John Otiep, qui représente l’un des sept paysans clés des Moissons du futur.

Dans cet extrait choisi par Marc Duployer, je répondais à une question d’une journaliste qui me demandait pourquoi je n’avais pas demandé à un représentant de l’industrie chimique ce qu’il pensait de la technique du « push pull ». Quand vous aurez vu les résultats spectaculaires obtenus par John Optiep dans son champ (rendez-vous le 16 octobre !), vous comprendrez que l’avis de l’industrie présente peu d’intérêt…



[1] D’après Greenpeace, cet insecte très nuisible a été introduit en Europe lors de la guerre des Balkans : il serait arrivé avec les avions de l’armée américaine.

[2] Je rappelle que le CRII-GEN est le Comité de recherches et d’information sur le génie génétique, dont le professeur Gilles-Éric Séralini est membre (voir supra, chapitre 4).


[i] Hervé Kempf, « L’expertise confidentielle sur un inquiétant maïs transgénique », Le Monde, 23 avril 2004.

[ii] Ibid.

[iii] Ibid.

[iv] Ibid.

[v] Friends of the Earth Europe, « Throwing caution to the wind. A review of the European Food Safety Authority and its work on genetically modified foods and crops », novembre 2004, <www.foeeurope.org/GMOs/publications/EFSAreport.pdf>.

[vi] <www.agbioworld.org/declaration/petition/petition_fr.php>.

[vii] <www.monsanto.co.uk/news/ukshowlib.phtml?uid=2330>.

[viii] Gilles-Eric Séralini, « Report on MON 863 GM maize produced by Monsanto Company », juin 2005, <www.greenpeace.de/fileadmin/gpd/user_upload/themen/gentechnik/bewertung_monsanto_studie_mon863_seralini.pdf> (version française : <www.crii-gen.org/m_fs_cz.htm>). Voir aussi : « Uproar in EU as secret Monsanto documents reveal significant damage to lab rats fed GE Corn », The Independant, 22 mai 2005.

J’ai participé , ce week end, à la Greenpride, organisée par l’Appel de la Jeunesse (dont je suis la marraine, avec Florence Servan-Schreiber) :

http://www.greenpride.me/

Ce fut une belle parade dans les rues de Paris, festive et joyeuse (avec des concerts super au Divan du monde, samedi soir) pour célébrer la vie et la résistance face au processus d’empoisonnement collectif que j’ai longuement décrit dans mon film et livre  Notre poison quotidien.

J’invite tous jeunes internautes qui lisent mon Blog à rejoindre l‘Appel de la jeunesse!

Voici une petite vidéo que j’ai tournée cet après-midi avec mon I phone !