Paracelse: « la dose fait le poison »

Je profite de la remarque très éclairée de « La coupe est pleine » pour livrer un premier extrait de mon livre Notre poison quotidien, qui sera en librairie le 7 mars prochain. Dans cet ouvrage de plus de 400 pages, j’explique notamment le rôle joué par Paracelse dans le système d’évaluation des poisons chimiques qui contaminent notre alimentation.

En effet, le médecin suisse du  XVI ème siècle qui est cité à toutes les sauces, est l’auteur d’une phrase, qui constitue le dogme central de l »idéologie de la dose journalière acceptable« , pour reprendre les termes de René Truhaut, considéré comme  l' » initiateur de la DJA » (voir mon commentaire précédent « Pourquoi ce titre?): « Rien n’est poison, tout est poison: seule la dose fait le poison. »

Voici donc ce que j’écris dans mon livre:

EXTRAIT

Né Philippus Theophrastus Aureolus Bombastus von Hohenheim, celui qui est entré dans l’histoire sous le nom de « Paracelse » était un alchimiste, astrologue et médecin suisse, à la fois rebelle et mystique, qui a dû maintes fois se remuer dans sa tombe,  en voyant comment les toxicologues du XX ème siècle ont abusé de son nom pour justifier la vente massive de poisons. Parmi les coups de gueule légendaires du « médecin maudit » [1] , l’un mérite d’être médité par tous ceux qui sont chargés de la protection de notre santé :  « Qui donc ignore que la plupart des médecins de notre temps ont failli à leur mission de la manière la plus honteuse, en faisant courir les plus grands risques à leurs malades ? » [2] , s’emporte le professeur de médecine,  alors qu’il vient de brûler les manuels classiques de sa discipline devant l’ Université de Bâle , ce qui, on  s’en doute, lui  valut quelques solides inimitiés.

«  Allergique à tout argument d’autorité » [3] – chose que semblent aussi avoir oublié ceux qui appliquent les yeux fermés le principe qui porte son nom – Paracelse est à la fois considéré comme le père de l’homéopathie et de la toxicologie, deux disciplines  qui, aujourd’hui, ne s’apprécient guère. La première revendique l’une de ses phrases les plus célèbres, dont s’est d’ailleurs aussi inspiré Pasteur, lorsqu’il inventa le premier vaccin : « Ce qui guérit l’homme peut également le blesser et ce qui l’a blessé peut le guérir. » La seconde en préfère une autre, somme toute complémentaire : « Rien n’est poison, tout est poison: seule la dose fait le poison. »[4]

L’idée que « la dose fait le poison » remonte à l’Antiquité. Dans leur livre Environnement et santé publique, Michel Gérin et ses coauteurs rapportent que « le roi Mithridate consommait régulièrement des décoctions contenant plusieurs dizaines de poisons afin de se protéger d’un attentat de ses ennemis. Il aurait si bien réussi que , fait prisonnier, il échoua dans sa tentative de se suicider à l’aide de poison ». [5] C’est au Grec que l’on doit le mot « mithridatisation » qui désigne « l’accoutumance ou l’immunité acquise à l’égard de poisons par exposition à des doses croissantes ».

S’appuyant sur ses propres observations, Paracelse considère que des substances toxiques peuvent être bénéfiques à petites doses, et qu’inversement une substance a priori inoffensive comme l’eau peut s’avérer mortelle si elle est ingérée en trop grande quantité.

Nous verrons ultérieurement que le principe de la « dose fait le poison », – dogme intangible de l’évaluation toxicologique des poisons modernes -,  n’ est pas valide pour de nombreuses  substances, dont celles qu’on appelle « les perturbateurs endocriniens » et qu’il est souvent complètement inopérant , car il ignore la multiplicité des poisons auxquels nous sommes quotidiennement exposés, lesquels peuvent interagir ou s’additionner, en vertu de « l’effet cocktail ».  Mais nous n’en sommes pas encore là…

FIN DE L’EXTRAIT

En prime: une photo prise dans « les sous-sols  » de l’OMS où sont conservées toutes les études fournies par l’industrie pour que les experts puissent établir la fameuse Dose journalière acceptable et les Limites maximales de résidus des poisons utilisés dans l’agriculture.


[1] René Allendy, Paracelse. Le médecin maudit, Dervy-Livres, 1987.

[2] Paracelsus, Liber paragraphorum, in Sämtliche Werke, Editions K. Sudhoff , t. IV, p. 1-4 .

[3] Andrée Mathieu , Le 500e anniversaire de Paracelse, L’Agora, vol. 1, no 4, décembre 1993/janvier 1994.

[4] Rebelle invétéré, Paracelse n’écrivait pas en latin, mais en allemand. Pour les germanistes, la phrase originale est : « Alle Ding sind Gift, und nichts ohn Gift; allein die Dosis macht, das ein Ding kein Gift ist ». Mot à mot : tout est poison et rien n’est sans poison. Seule la dose fait qu’une chose n’est pas un poison.

[5] Michel Gérin, Pierre Gosselin, Sylvaine Cordier, Claude Viau, Philippe Quénel, Eric Dewailly, Environnement et santé publique. Fondements et pratiques, , Edisem Inc, 2003, p.120. À noter que l’on soupçonne que les poisons utilisés par le malheureux roi, qui sera finalement tué par un mercenaire, d’avoir été éventrés…

Notre poison quotidien: pourquoi ce titre?

Comme promis, je voudrais expliquer comment le titre de mon livre et film  Notre poison quotidien a été choisi.

Au cœur de ma nouvelle enquête , il y a une question fondamentale : comment les produits chimiques qui contaminent notre chaîne alimentaire sont-ils testés, évalués, puis réglementés ?

Pour pouvoir répondre à cette question, qui concerne exclusivement les pesticides, les additifs et plastiques alimentaires (et donc pas les autres polluants environnementaux, comme les radiations nucléaires ou les ondes magnétiques), je me suis intéressée à l’histoire des produits concernés.

C’est ainsi que j’ai découvert que les « produits phytosanitaires », selon le terme euphémisant utilisé par l’industrie et les pouvoirs publics, sont des dérivés des gaz de combat mis au point par un  chimiste allemand du nom de Fritz Haber pendant la première guerre mondiale.

Ses travaux sur les gaz chlorés ont ouvert la voie à la production industrielle d’insecticides de synthèse, dont le plus célèbre est le DTT, qui fait partie de la vaste famille des organochlorés. Suivront les organophosphorés, dont le développement dans l’entre-deux guerres est directement lié à la recherche sur de nouveaux gaz de combat, qui finalement ne seront jamais utilisés à des fins militaires., mais seront recyclés dans l’agriculture chimique.

Comme le souligne un film institutionnel du ministère de la santé américain du début des années 1960, que j’ai utilisé dans mon film, les pesticides sont bel et bien des « poisons », car ils ont été conçus pour tuer. La grande famille des pesticides est d’ailleurs identifiable par le suffixe commun « – cide », – du latin caedo, cadere , « tuer » – car d’après leur étymologie, les pesticides sont des tueurs de « pestes », du latin « pestis » qui désigne  des fléaux ou calamités  : les adventices, ou « mauvaises herbes » (herbicides), les insectes (insecticides), les champignons (fongicides), les escargots et autres limaces (mollusticides), les vers (nématicides), les rongeurs (rodenticides), ou les corbeaux (corvicides).

C’est précisément parce qu’ils sont hautement toxiques et nocifs pour la santé de ceux qui y sont exposés (les agriculteurs, mais aussi les consommateurs) que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et la Food and Agriculture Organization (FAO) ont inventé un système qui permet d’évaluer la toxicité des pesticides (mais aussi des additifs et plastiques alimentaires-), dont le pilier s’appelle la « Dose Journalière Acceptable » (DJA). Certains emploient l’expression « Dose journalière admissible » mais je préfère utiliser celle qu’a proposée René Truhaut, un toxicologue français, considéré comme le « père de la DJA« , dans les (rares) articles qu’il a consacrés à son « invention ».

Ce concept, dont j’ai reconstitué l’origine grâce à mes recherches dans les archives de l’OMS , à Genève (voir photos ci-dessous) désigne « la quantité de substance chimique que l’on peut ingérer quotidiennement et pendant toute une vie sans qu’il n’y ait d’effet sur la santé ».

En termes clairs : c’est la quantité de poison que nous sommes censés pouvoir ingérer quotidiennement, car si ladite substance n’était pas un poison, il n’y aurait pas besoin d’inventer une DJA!

Voilà pourquoi , avec ARTE et La Découverte, j’ai décidé d’appeler mon film et livre Notre poison quotidien, car je montre comment notre nourriture est quotidiennement contaminée par de petites quantités de poisons divers et variés.

Le titre est aussi un clin d’œil à la référence des Evangiles que tout le monde connaît: « Notre pain quotidien« .

Les photos ci-dessous ont été prises par Marc Duployer, l’ingénieur du son de mon film,  à l’OMS.

»

« Notre poison quotidien » : le 15 mars sur ARTE

J’ai le plaisir de vous informer que mon film « Notre poison quotidien « sera diffusé le 15 mars sur ARTE, à 20 heures 40.

Le même jour mon livre éponyme sera dans les librairies ainsi que le DVD.

Je commence aujourd’hui une série de papiers qui vont expliquer la démarche que j’ai suivie pour réaliser cette longue enquête qui m’a conduite dans six pays européens (France, Italie, Allemagne, Suisse, Grande Bretagne, Danemark), aux Etats Unis, au Canada, au Chili, et en Inde.

Pourquoi cette enquête?

Alors que je travaillais sur le passé et le présent peu glorieux de Monsanto et que je découvrais comment depuis sa création au début du XXème siècle la firme n’a cessé de cacher la haute toxicité de ses produits, je me suis posé trois questions:

– Est-ce que le comportement de Monsanto constitue une exception dans l’histoire industrielle?

– Comment sont réglementés les 100 000 molécules chimiques qui ont envahi notre environnement depuis la fin de la seconde guere mondiale?

– Y-a-t il un lien entre l’exposition à ces produits chimiques et « l’épidémie de maladies chroniques évitables » que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a constatée surtout dans les pays dits « développés » ( les termes que j’ai mis entre guillemets sont ceux utilisés par l’OMS)?

Consciente que le champ d’investigation était très vaste, j’ai décidé de ne m’intéresser qu’aux seuls produits chimiques qui entrent en contact avec notre chaîne alimentaire du champ du paysan (pesticides) à l’assiette du consommateur (additifs et plastiques alimentaires).

Avant d’entreprendre mon nouveau tour du monde, j’ai réalisé un long travail de recherche préparatoire qui a consisté à lire de nombreux livres (une centaine, essentiellement anglophones), rapports, études scientifiques et j’ai rencontré des experts (toxicologues, biologistes, représentants des agences de réglementation) , soit directement lors de rendez-vous personnels ou lors de colloques spécialisés. J’ai aussi consulté les archives d’organisations internationales comme l’OMS ou le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) qui dépend de la première.

Prochain papier: pourquoi ce titre?

la tarte aux cerises industrielle

Au moment où je rédige mon livre « Notre poison quotidien », qui sortira en même temps que mon film éponyme sur ARTE, je tombe sur ce texte, consacré à « la tarte aux cerises de supermarché« .

Il a été rédigé par Claude Bourguignon, un ingénieur agronome qui travailla à l’INRA, avant de quitter l’honorable maison pour cause de désaccord. Spécialiste de la microbiologie des sols, c’est lui qui démontra, pour la première fois, que les sols cultivés à grand renfort d’engrais chimiques et de pesticides, étaient biologiquement … morts. Tout ce qui fait la vie, et donc la qualité des terres, à savoir les populations microbiennes et fongiques, est détruit par les produits chimiques, conduisant à une perte des nutriments et à l’érosion des sols.

Membre de la Société américaine de microbiologie – en France , il n’ y a plus aucune chaire de microbiologie des sols, y compris à l’INRA! – Claude Bourguignon a créé avec sa femme le Laboratoire d’analyse microbiologique des sols, qui intervient dans de nombreux pays, pour aider les agriculteurs à retrouver la fertilité de leurs sols.

Voici, en tout cas, la liste des produits chimiques utilisés pour la fabrication d’une tarte aux cerises de supermarché, depuis le champ de blé jusqu’à l’usine agroalimentaire.

Bon appétit!

Histoire de la Pâte
Pour obtenir la farine, les grains de blé ont été enrobés d’un fongicide  avant semis. Pendant sa culture, le blé a reçu de 2 à 6 traitements de  pesticides selon les années, 1 traitement aux hormones pour raccourcir les tiges
afin d’éviter la verse et 1 dose importante d’engrais: 240 kg d’azote, 100 kg  de phosphore et 100 kg de potassium à l’hectare, tout de même !
Le blé moissonné, dans le silo, après récolte, les grains sont fumigés au tétrachlorure de carbone et au bisulfide de carbone, puis arrosés au chlopyriphosméthyl. Pour la mouture, la farine reçoit du chlorure de nitrosyl, puis de l’acide ascorbique, de la farine de fève, du gluten et de l’amylase.
Ensuite, il faut faire lever la pâte. La poudre levante est traitée au  silicate de calcium et l’amidon est blanchi au permanganate de potassium. Pas de  pâte sans corps gras. Ceux-ci reçoivent un antioxydant (pour éviter le
rancissement) comme l’hydroxytoluène de butyl et un émulsifiant type lécithine.

Histoire de la Crème
La crème sur laquelle vont reposer les cerises se fait avec des oeufs, du  lait, et même de l’huile.
* Les oeufs proviennent d’un élevage industriel où les poules sont  nourries avec des granulés contenant des :
– antioxydants (E300 à E311),
– arômes,
– émulsifiants: alginate de calcium,
– conservateurs : acide formique,
– colorants : capsanthéine,
– agents liants: lignosulfate
– et enfin des appétants : glutamate de sodium, pour qu’elles puissent  avaler tout ça.
Elles reçoivent aussi des antibiotiques, bien entendu, et surtout des anticoccidiens. Les oeufs, avant séchage, reçoivent des émulsifiants, des agents actifs de surface comme l’acide cholique et une enzyme pour retirer le sucre du blanc.
* Le lait provient d’un élevage industriel où les vaches reçoivent une alimentation riche en produits chimiques :
– antibiotiques : flavophospholipol (F712) ou monensin-sodium (F714)
– antioxydants : ascorbate de sodium (F301), alphatocophérol de synthèse
(F307), buthyl-hydrox-toluène (F321) ou éthoxyquine (E324),
– émulsifiants : alginate de propylène-glycol (F405) ou polyéthylène  glycol
(F496),
– conservateurs : acide acétique, acide tartrique (E334), acide  propionique
(F280) et ses dérivés (F281 à E284),
– composés azotés chimiques : urée (F801) ou diurédo-isobutane (F803),
– agents liants : stéarate de sodium,
– colorants : F131 ou F142
– et enfin des appétants pour que les vaches puissent manger tout ça,  comme le glutamate de sodium.
* Les huiles, quant à elles, ont été :
– extraites par des solvants comme l’acétone,
– puis raffinées par action de l’acide sulfurique,
– puis lavageà chaud,
– neutralisées à la lessive de soude,
– décolorées au bioxyde de chlore ou au bichromate de potassium
– et désodorisées à 160°C avec du chlorure de zinc.
– Enfin, elles ont été recolorées à la curcumine.
La crème de la tarte, une fois fabriquée, reçoit des arômes et des  stabilisants comme l’acide alginique (E400).

Histoire des Cerises (complété d’apres des elements de « Aromatherapie »  Jean Valnet 1990, Maloine)
Les cerisiers ont reçu pendant la saison entre 10 et 40 traitements de pesticides selon les années.
* Les cerises sont :
– décolorées à l’anhydride sulfureux
– et recolorées de façon uniforme à l’acide carminique ou à l’érythrosine.
– Elles sont plongées dans une saumure contenant du sulfate d’aluminium
– et à la sortie, reçoivent un conservateur comme le sorbate de potassium (E202).
Elles sont enfin enduites d’un sucre qui provient de betteraves qui, comme  les blés, ont reçu leur bonne dose d’engrais et de pesticides. Ce sucre est  extrait par :
– défécation à la chaux et à l’anhydride sulfureux,
– puis décoloré au sulfoxylate de sodium,
– puis raffiné au norite et à l’alcool isopropylique.
– Il est enfin azuré au bleu anthraquinonique.
Par ces traitements, les cerises ayant donc perdu tout leur goût, il est necessaire d’ajouter un parfum artificiel alimentaire. Ce parfum est une recréation synthetique du goût et de l’odeur à partir d’éléments  artificiels
issus de la chimie du pétrole aux prix de revient extrêmement faibles-  par économie d’echelle – en comparaison du parfum naturel de fruit.
L’exemple developpé est ici la cerise, mais de tels composés servent à recréer aussi bien des parfums artificiels de fraise, d’ananas, de framboise, de miel, de  caramel, de muguet.. etc.
* Le parfum artificel de cerise se compose donc des molécules synthetiques (donc à la stéréochimie inversée) suivantes :
– acétate d’ethyle
– acéthyl méthylcarbinol
– butyrate d’isoamyle
– caproate d’ethyle
– caprylate d’isoamyle
– caprate d’ethyle
– butyrate de terpenyle
– geraniol
– butyrate de geranyl – acetylacetate d’ethyle
– heptanoate d’ethyle
– aldéhyde benzoique
– aldéhyde p-toluique
– vanilline
– essence artificielle d’amande amère SAP
– essence artificielle de girofle Bourbon
– essence artificielle de cannelle Ceylan
– essence de lie de vin .

A propos de l’espérance de vie

Je profite du commentaire posté par Laurent Berthod sur « l’allongement de notre espérance de vie » pour aborder ce sujet que j’ai bien sûr traité de fond en comble avant de me lancer dans mon enquête sur les produits chimiques.

De fait, dès qu’on travaille sur le cancer et les maladies chroniques, une question revient avec la régularité d’un pendule : si la pollution chimique fait tant de dégâts, comment expliquer alors que notre espérance de vie ne cesse d’augmenter ?

La question fait le bonheur des fabricants de produits chimiques qui en profitent pour livrer un deuxième argument : il n’y a pas d’augmentation générale des cancers, mais seulement une impression trompeuse due au vieillissement général de la population (sous-entendu : les cancers sont plus fréquents chez les personnes âgées) et à de meilleures capacités de diagnostic.

Il suffit de se pencher sérieusement sur chacun de ces poncifs pour comprendre qu’aucun ne tient. Concernant le « vieillissement de la population » : dans l’interview qu’elle m’a accordée, Linda Birnbaum, la directrice du National Institute of Environmental and Health Studies des Etats Unis, m’a expliqué que l’espérance de vie était en train de stagner aux Etats Unis , et que tout indiquait qu’elle allait commencer à baisser. Sa prudence s’explique par le fait qu’il faudra attendre encore plusieurs années avant de confirmer la tendance à la baisse que plusieurs facteurs expliquent : aujourd’hui, 45 % de la population américaine est obèse, et 70% en surcharge pondérale, et l’augmentation est constante depuis des années.

Signe le plus visible de l’épidémie de maladies chroniques qui frappe la population américaine, l’obésité est associée au diabète, aux infarctus, et aux cancers. On estime que l’espérance de vie d’un obèse est de dix à vingt ans inférieure à une personne « « normale ».

Or, on sait aujourd’hui que l’obésité n’est pas due uniquement à la malbouffe et au manque d’exercice physique, mais aussi à l’exposition à des substances chimiques « obésogènes », comme les perturbateurs endocriniens, qui peuvent induire l’obésité chez des sujets qui ont été exposés in utero. C’est ce que certains scientifiques appellent « l’origine fœtale des maladies de l’adulte » : en d’autres termes, certaines molécules chimiques peuvent affecter particulièrement les fœtus et provoquer des maladies, vingt ou trente ans plus tard, chez le sujet adulte.

De plus, les personnes âgées d’aujourd’hui, celles-là mêmes sur lesquelles nous nous basons pour chanter l’augmentation de l’espérance de vie, ont toutes entre 70 et 90 ans. Elles sont nées bien avant la guerre, c’est-à-dire avant que l’environnement ne soit massivement pollué par les quelque 100 000 molécules chimiques qui ont été mises sur le marché, au cours des cinquante dernières années. Les vieux d’aujourd’hui ont grandi dans un environnement sain. Or, on sait que les produits toxiques qui contaminent notre environnement et y compris notre alimentation ont un effet d’autant plus grand que le sujet exposé est jeune.

Les statistiques fournies par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), un organisme basé à Lyon, qui dépend de l’Organisation mondiale de la santé, confirment cette interprétation des faits : l’incidence du cancer a été multipliée par deux au cours des trente dernières années, dans les pays dits « développés ». Et, ainsi que me l’a dit très clairement Christopher Wild, le directeur du CIRC, cette évolution est due à « l’environnement et au style de vie ».

Je rappelle que l’incidence désigne le nombre de malades que l’on trouve sur une population de 100 000 habitants, or celle-ci n’a cessé d’augmenter dans les pays occidentaux, à la différence des pays dits « sous développés » qui n’ont pas encore adopté notre mode de vie industriel.

J’invite les internautes à consulter les cartes du cancer réalisées par le CIRC qui sont bien plus parlantes que n’importe quel discours.

Un exemple:le cancer du sein:

http://globocan.iarc.fr/map.asp?selection=3142&title=Breast&sex=2&type=0&statistic=2&map=5&window=1&size=2&colour=1&scale=0&submit=%C2%A0Execute%C2%A0

De cette carte, il ressort très clairement que l’incidence du cancer du sein est cinq fois plus élevée en Europe, Amérique du Nord et       Australie que dans les pays dits du « Sud ». C’est la même chose pour les vingt cancers les plus courants en Occident.

L’astuce des fabricants de produits chimiques et de certains scientifiques qui roulent pour eux (j’y reviendrai longuement) est de confondre systématiquement l’incidence du cancer et le taux de mortalité de la maladie. Or, il est un fait, que grâce aux progrès médicaux, le taux de mortalité dû au cancer a chuté, mais il n’en reste pas moins que le taux d’incidence ne cesse de croître, et qu’on assiste à une augmentation permanente du nombre de nouveaux cas par an, et notamment chez les enfants et personnes jeunes.

Ainsi que le souligne Devra Davis, épidémiologiste et spécialiste du cancer, l’incidence du cancer du cerveau chez les enfants a augmenté de 1 à 3%, chaque année, depuis trente ans, alors que les méthodes de diagnostic de cette pathologie n’ont pas changé pendant la même période.

Mon nouveau blog est ouvert!

Me voici donc de retour sur mon blog, après trois mois (inhabituels !) de silence. Comme je l’avais expliqué, dans l’un de mes derniers billets, j’étais en plein montage de mon prochain film, intitulé « Notre poison quotidien », qui est actuellement en fin de post-production : conformation de l’image, mixage, sous-titrage. D’une durée exceptionnelle de 112 minutes, le film a déjà été préacheté par sept chaînes internationales, et sera diffusé sur ARTE au début de l’année 2011. Depuis trois semaines, j’ai commencé l’écriture du livre, qui sortira en même temps que le documentaire, à  La Découverte et  ARTE Edition.

Cette nouvelle enquête, sur laquelle je reviendrai, régulièrement, pendant les semaines à venir, explore la manière dont sont évalués et réglementés les produits chimiques, qui entrent en contact avec notre alimentation (pesticides, additifs et plastiques alimentaires) et le lien potentiel entre l’exposition à ces substances et certaines maladies chroniques, comme les cancers, les maladies neurodégénératives, comme le syndrome parkinsonien, les troubles de la reproduction (stérilité), le diabète et l’obésité .

À partir d’aujourd’hui, je n’écrirai plus sur le blog Le monde selon Monsanto, qui restera accessible pour ceux qui veulent y consulter les archives des nombreux messages que j’y ai postés depuis la sortir du film et livre éponymes, en  mars 2008. Pour élargir à ma nouvelle enquête, et – au-delà à toutes celles qui suivront ! -, ARTE a décidé de m’ouvrir un nouveau blog à mon nom.

Bien évidemment, je continuerai de suivre l’actualité concernant Monsanto et les OGM, mais j’y parlerai aussi du lien entre santé et environnement, ou de « Torture made in USA »,  qui devrait sortir en DVD au début de l’année 2011, pour le dixième anniversaire des attentats du 11 septembre et de la « guerre contre le terrorisme » du président Bush.

J’en profite pour m’excuser auprès des nombreux internautes ou personnes qui m’écrivent des courriels ou lettres, jour après jour depuis plus de deux ans : je ne parviens pas à répondre à tous, car les journées n’ont que vingt-quatre heures. En revanche, je les lis tous, et remercie leurs auteurs du fond du cœur…