La postface de l’édition poche de mon livre (2)

Postface, suite!

En France comme à l’étranger, un écho stupéfiant

L’anecdote péruvienne est exemplaire de l’incroyable succès planétaire qu’a rencontré mon enquête sur Monsanto. Depuis mars 2008, date de parution de la première édition de ce livre et de la diffusion sur Arte de mon documentaire éponyme , j’ai été prise jusqu’à ce jour dans un tourbillon, que personne – ni moi, ni La Découverte ou Arte – n’aurait pu espérer même dans les rêves les plus fous…

Sollicitée de partout (d’Europe, d’Amérique du Nord et du Sud, mais aussi d’Afrique), j’ai dû jongler tant bien que mal avec les centaines de demandes d’interview des médias ou de projections débats que m’ont adressées des associations, des responsables politiques ou institutionnels, et répondre aux multiples interrogations soulevées par ce travail.

J’étais bien convaincue d’avoir mis à nu les agissements pervers de l’une des grandes multinationales de la technoscience contemporaine, mais je n’imaginais pas que mon livre et mon film, qui présentent notamment les travaux de tant de « lanceurs d’alerte » jusque-là étouffés, auraient un tel impact international.
Curieusement, alors que j’ai débuté ma longue enquête sur Internet, c’est précisément de la Toile qu’est parti l’incroyable raz-de-marée.

Dans mon blog, ouvert le 18 février 2008 (note: Voir sa présentation à l’adresse ) , trois semaines avant la diffusion de mon film sur Arte, j’écrivais le 29 février :

« Il se passe vraiment un drôle de phénomène sur la Toile. Alors que la presse commence tout juste à commenter mon film (et livre), si on tape “Le Monde selon Monsanto” dans Google, on atteint les 22 000 hits ! Depuis deux semaines, ça ne cesse de monter… À dire vrai, cela fait chaud au cœur et j’espère, que le 11 mars, l’audience sur Arte sera à la hauteur de l’attente suscitée par ce film… »

De fait, elle le fut, avec deux fois plus de téléspectateurs que l’audience habituelle d’Arte pour ce genre de documentaire, et la meilleure audience de l’année pour la chaîne. S’y ajoutent plus de 150 000 visionnages sur Arte +7, qui permet de visionner les films en ligne pendant une semaine, sans oublier les rediffusions et les ventes de DVD, qui se sont arrachés le soir même de la diffusion. À ce jour, plus de 50 000 exemplaires du DVD ont été vendus.

Le 14 mars 2008, trois jours après la diffusion du film, on pouvait lire sur le site Web d’Arte :

« Le Monde selon Monsanto a suscité un buzz assez colossal dans la blogosphère. […] Plus de 338 blogs francophones citant le titre du documentaire ont été identifiés, dont 224 depuis la diffusion. » Aujourd’hui, soit dix mois plus tard, une recherche « Le Monde selon Monsanto » sur le Service Blog Search de Google donne… 8 669 blogs francophones ; pour « The World According to Monsanto », le résultat est de 9 428 blogs anglophones ; et, avec « El mundo según Monsanto », de 3 314 blogs hispanophones, alors que le film n’a eu qu’une diffusion confidentielle sur la chaîne espagnole Tele Cinco et que le DVD en espagnol n’était pas encore disponible. Au-delà des blogs, c’est par centaines de milliers que se comptent les « hits » des moteurs de recherche avec le titre du livre/film en français, en anglais ou en espagnol.

À ce jour, le documentaire a été diffusé ou programmé sur une vingtaine de chaînes en Europe, mais aussi en Australie, au Vénézuéla, au Japon, au Canada et aux États-Unis – où il a été acheté par Sundance Channel. Même phénomène pour le livre, qui s’est vendu à 100 000 exemplaires dans le monde francophone, tandis que des éditeurs de treize pays ont décidé de le traduire (y compris en Corée du Sud, où des agents se sont littéralement battus pour obtenir les droits d’édition).

Au Canada, j’ai accompagné la sortie du livre (paru aux Éditions Stanké) et du film – l’Office national du film du Canada (ONF), coproducteur, avait décidé de lancer le documentaire d’abord en salles, où il a fait quelque 20 000 entrées au Québec, un score excellent pour un documentaire. Je m’y suis rendue par deux fois, en mai et en septembre 2008, et j’ai enchaîné les interviews, constatant avec étonnement que les journalistes de ce pays – qui compte pourtant 7 millions d’hectares de cultures transgéniques – ne savaient pas pour la plupart quels OGM ils avaient dans leurs champs, et donc dans leurs assiettes.

Quand je leur expliquais qu’en achetant une huile de colza (non étiquetée), ils consommaient très probablement des résidus de Roundup, mes confrères écarquillaient immanquablement les sourcils, confirmant qu’ils découvraient la « réalité des OGM de Monsanto ».
J’ai fait le même constat en Espagne, en novembre 2008, où je suis allée pour le lancement de la version espagnole de mon livre (publiée par Peninsula). Dans ce pays – le seul de l’Union européenne à autoriser les cultures transgéniques –, 80 000 hectares, principalement en Catalogne et en Aragon, sont plantés en maïs Bt 810, celui-là même qui a été provisoirement suspendu par le gouvernement français en février 2008.

Avant chaque interview (une bonne vingtaine), je faisais un petit test :

« Savez-vous quels OGM sont cultivés en Espagne ? » Suivait, à chaque fois, un long silence et, parfois, cette réponse sidérante :

« Des plantes manipulées génétiquement pour résister à la sécheresse. »

« Malheureusement, étais-je obligée de répondre immanquablement, ces plantes magnifiques n’existent pas ! Les seuls OGM cultivés en Espagne sont des plantes insecticides, ce qui veut dire que, sans le savoir, vous consommez – vous ou les animaux que vous mangez – des résidus d’insecticide… » Je n’oublierai jamais le regard inquiet de mes confrères de la péninsule ibérique…
Dernière anecdote : alors que le film n’était pas encore disponible aux États-Unis, des internautes avisés l’ont acheté, puis l’ont découpé en dix parties pour le mettre sur Google Video, YouTube ou DailyMotion. Responsable de la distribution de la version anglaise du documentaire en Amérique du Nord, l’ONF canadien est intervenu à plusieurs reprises pour demander son retrait de la Toile, tant qu’il n’avait pas été légalement commercialisé. Le lecteur pourra vérifier que des papiers ont immédiatement circulé sur le Web, intitulés « The documentary you won’t ever see » (le documentaire que vous ne verrez jamais), expliquant, à tort, que c’était la faute à… Monsanto, qui aurait usé de son légendaire entregent pour le censurer. On ne prête qu’aux riches…

Comment expliquer un tel écho ? D’abord, je crois, par la violence même des pratiques d’une multinationale qui s’affiche paradoxalement « au-dessus de tout soupçon ». Mais aussi par l’effet souterrain du travail obstiné conduit depuis des décennies, dans le monde entier, par toutes celles et ceux qui s’y sont opposés et dont j’ai tenté ici de restituer la parole : les syndicats et mouvements paysans d’Inde ou d’Amérique latine en butte aux dégâts des OGM, les « faucheurs volontaires » de champs d’OGM en France, les scientifiques « lanceurs d’alerte » en Amérique et en Europe, ou les avocats, en particulier américains, des victimes des pratiques de Monsanto, du PCB d’hier aux OGM d’aujourd’hui. Enfin, et peut-être surtout, par le fait que la multinationale de Saint Louis représente un paradigme du modèle industriel mortifère qui s’est imposé un peu partout dans le monde après la Seconde Guerre mondiale. Or ce modèle, qui repose sur la course effrénée au profit, entretient une peur diffuse due à ses effets néfastes sur l’environnement et la santé de l’homme.
À toutes ces raisons, qu’un sociologue serait plus à même de décortiquer plus en détail, s’en ajoute une autre, absolument fondamentale : la puissance des réseaux du Web, qui se sont emparés de mon enquête comme d’un outil démocratique d’information, avec en tête le site combat-monsanto.org, créé dans la foulée de mon livre/film et qui poursuit depuis mon travail et l’enrichit avec rigueur et ténacité.

Conçu à l’initiative d’un collectif d’associations – dont Greenpeace, la Fondation sciences citoyennes du professeur Jacques Testart, Via Campesina, Attac, Les Amis de la terre, Sherpa – et parrainé par la Fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’homme, Arte et La Découverte, ce site trilingue (français, anglais, espagnol) a pour vocation de centraliser toutes les informations internationales sur la firme de Saint Louis et les OGM et de mettre en synergie les réseaux qui, un peu partout dans le monde, se battent « pour que le monde de Monsanto ne devienne jamais le nôtre ».

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