Je viens de recevoir un mail qui m’a beaucoup touchée et que je mets en ligne en accord avec son auteur.
De fait, dans toutes mes conférences, je dis et redis que je ne jette pas la pierre aux agriculteurs qui se laissent séduire par le miroir aux alouettes que représentent les plantes transgéniques. Fille d’agriculteurs (Poitou Charentes), je sais que les paysans français et d’ailleurs sont pris dans un engrenage infernal , encouragé par les fantassins du développement productiviste qui a conduit à la perte de nombreux d’entre eux et que décrit très bien Jérémy, victime de ce processus criminel, puisque son père et grand père en sont morts…
Il est temps de dresser le bilan de l’agriculture industrielle qui a entraîné la dégradation de la qualité des produits alimentaires et la désertification des campagnes…
Le retour à l’agriculture biologique est la seule solution: pour les paysans mais aussi pour les consommateurs.
J’ai réalisé un reportage pour « Reportage » de TF1 en 1997 , intitulé « le suicide des paysans », qui a remporté le prix société au Festival international du scoop d’Angers.
Voici ce que m’écrit Jérémy:
« Je m’appelle Jérémie, j’ai 33 ans et j’ai créé une association, il y a un an, qui a pour but de faire reconnaitre la souffrance qu’on vécue et que vivent encore certaines familles d’agriculteurs. Voici l’adresse du site de l’association.
Mon grand père était cultivateur dans la région du Vaucluse et s’est donnée la mort en 1977 de même pour mon père en 2000.Je sais que mon cas n’est pas un cas isolé, ce sont des milliers de fermes qui ont été ruinées et c’est pour cette raison que j’ai créé l’association.
J’ai pris contact avec la sociologue et ethnologue française Michèle Salmona qui alerte les pouvoirs publics sur les pathologies des agriculteurs liées selon elle à la modernisation rapide « à marche forcée » de l’agriculture française depuis le milieu des années 60. Je lui avais adressé un récit de vie et elle m’a beaucoup aidé. Je m’entretiens régulièrement avec elle par téléphone.
Elle a étudié le groupe social des paysans pendant plus de quarante ans, et mis clairement en évidence les effets de double contrainte et d’injonctions paradoxales dans les rapports que vivent ces derniers avec les représentants du pouvoir et de l’Etat. En effet dans le cadre de l’incitation économique, des agents mandatés par l’Etat qu’elle appelle les « fantassins du développement » pénètrent dans le domicile même des familles des agriculteurs et les soumettent à des injonctions (ordres) paradoxales assorties de la double contrainte :
– soit ils rentrent dans le jeu de la modernisation et dans ce cas on leur donne des subventions.Mais alors ils auront à subir les lourdes contraintes ( Changement brutal du mode de production, hausse de la fatigue nerveuse, endettement, risque de faillite en cas de chute des cours…) qui sont liées à cette modernisation.
– soit ils restent en marge de la modernisation et ils deviennent des marginaux économiques et donc ils sont condamnés à disparaître à brève échéance.
L’agriculteur est alors piégé, il n’a pas la possibilité de désobéir ni de s’exprimer sur l’absurdité de la situation qu’il est en train de vivre : il n’y a pas d’alternative. L’école de Palo-Alto a justement montré que ce genre de situations dans lesquelles la personne est prisonnière d’un choix « impossible » sont à l’origine de pathologies mentales graves: névrose, schizophrénie (étymologiquement veut dire « esprit » « coupé »), psychose.
Mais ce n’est malheureusement pas tout, à la fin du plan, les « fantassins du développement » reviennent dans la famille pour contrôler les résultats obtenus. Et comme de bien entendu, dans la grande majorité des cas, ils estiment que les objectifs n’ont pas été atteints (sanctions) . Cela engendre un phénomène de culpabilisation (dépression, suicide) de la part de la famille en « incitation » économique.
Contre-ordre : Le comble de l’absurde est atteint lorsque l’incitation fonctionne « trop bien » (surproduction). Les incitateurs fantassins du développement mettent en garde les familles qu’il va falloir faire attention à restreindre la production (quotas laitiers par exemple). L’ agriculteur qui a investi (après avoir été incité) dans de nouveaux bâtiments pour accroître sa production et qui comptait sur la quantité pour pouvoir compenser la baisse des prix se voit sommé de la réduire : Il y a vraiment de quoi devenir fou !
Harcèlement (des créanciers par exemple), manipulation mentale (ordre, contre-ordre, double contrainte, sanctions) … ce qui s’est passé dans les campagnes françaises est grave et tout cela ne doit pas rester sous silence. C’est pour cela que nous demandons la tenue d’un procès. Un débat contradictoire sur ces questions est plus que nécessaire. Nos élus ont des comptes à rendre aux citoyens. Les victimes de ces politiques ont le droit de savoir ce qui s’est passé.
L’association est en train de monter un dossier pour porter plainte contre l’Etat français. (Nous ne prétendons pas détenir la vérité mais nous voulons simplement que cette action en justice puisse permettre un débat contradictoire et que l’Etat se justifie des décisions qu’il a prises ou pas prises.)
Nous essayons d’alerter des médias pour faire connaitre notre projet. Malheureusement sans succès à ce jour…
C’est pourquoi, m’est venue l’idée de m’adresser à vous.
Je souhaitais soumettre à votre attention un petit documentaire « les coulisses du développement » réalisée d’après une enquête de la sociologue Michèle Salmona
(Le film est disponible en ligne sur la page d’accueil du site http://arsfp.blogspot.com/ ) ainsi qu’un article « les champs de la détresse » disponible à cette adresse.
Voilà, je pense avoir dit l’essentiel,
merci d’avoir pris le temps de me lire,
Bien Cordialement,
Jérémie (membre fondateur de l’arsfp) »