Manoeuvres à la communauté européenne

Un article de The Independant on Sunday, publié le 26 octobre 2008, et intitulé « Europe’s secret plan to boost GM plant production » , révèle que Jose Manuel Barroso, le président de la commission européenne a réuni un groupe de travail secret pour accélérer le développement des cultures transgéniques en Europe.
Ce groupe, dont le journal s’est procuré les minutes de deux réunions secrètes, comprenait un représentant des vingt-sept pays de l’Union, dont , pour la France, François Pérol, secrétaire adjoint de l’Élysée.

Les anglophones peuvent consulter l’article à cette adresse:

http://www.independent.co.uk/environment/green-living/europes-secret-plan-to-boost-gm-crop-production-973834.html

Pour ceux qui ne lisent pas l’anglais, le site de l’Observatoire de l’Europe propose une traduction de l’article de The Independant on Sunday:

http://www.observatoiredeleurope.com/Un-plan-secret-europeen-pour-activer-la-production-d-OGM_a1024.html?preaction=nl&id=10084311&idnl=41004&

Par ailleurs, le site des Amis de la terre a mis en ligne les documents obtenus par the Independant on Sunday :

http://www.amisdelaterre.org/-Actualite-.html

L’un des documents concerne la liste des représentants envoyés par les différents gouvernements, et fournit l’adresse électronique de François Pérol, à qui il serait bien d’envoyer un petit mot …

secretariat.ravignon@elysee.fr

Une fois de plus, le dossier OGM se caractérise par des pratiques et manoeuvres souterraines , ainsi que je l’ai longuement expliqué dans mon livre et film…

DÉBUT EXTRAIT

Dan Glickman : « J’ai subi beaucoup de pressions »

« Vous savez, le système des portes tournantes ne concerne pas que l’agriculture, il existe dans beaucoup d’autres domaines, comme la finance ou la santé… »

Ces mots ne sont pas ceux d’un militant anti-OGM radical, mais de Dan Glickman, qui fut secrétaire d’État à l’Agriculture de Bill Clinton de mars 1995 à janvier 2001, que j’interviewe le 17 juillet 2006 à Washington.
Connu pour avoir été un apôtre convaincu de la biotechnologie, l’homme est un vieil habitué de l’USDA, car avant d’en prendre la tête, il a représenté pendant dix-huit ans l’État rural du Kansas au Congrès, dont il a notamment dirigé la commission agricole.
Quand il arrive dans ce secrétariat stratégique, qui dispose alors d’un budget annuel de 70 milliards de dollars et emploie plus de 100 000 salariés dans tout le pays, la grande maison a beaucoup évolué depuis sa création en 1862 par le président Abraham Lincoln — lequel la surnommait le « département du peuple », parce qu’elle était censée être au service des agriculteurs et de leurs familles, soit 50 % de la population. Cent quarante ans plus tard, ses (nombreux) détracteurs la surnomment le « département de l’agrobusiness » ou « USDA Inc. », car on lui reproche de servir l’intérêt des industriels qui contrôlent la production, la transformation et la distribution des aliments.
« Les dirigeants liés à l’industrie ont aidé à développer des politiques qui minent la mission réglementaire de l’USDA, au profit de l’intérêt exclusif d’une poignée de firmes économiquement puissantes », a écrit ainsi en 2004 Philip Mattera, dans un article intitulé « USDA Inc.: comment l’agrobusiness a détourné la politique réglementaire de l’USDA ».

Pour illustrer sa démonstration, l’ancien journaliste économique, qui travaillait alors pour l’organisation Good Jobs First de Washington, prenait l’exemple de la biotechnologie, dont l’USDA, disait-il, était devenu l’un des plus ardents promoteurs. Inaugurée sous le règne du républicain George Bush (père), cette orientation a été poursuivie sous l’administration démocrate de Bill Clinton, dont le directeur de campagne était Michael Kantor — lequel deviendra en 1996 son secrétaire d’État au Commerce avant de siéger, comme on l’a vu, au conseil d’administration de Monsanto.
En 1999, l’intransigeant représentant du commerce américain se rendit célèbre par ses commentaires peu amènes et les menaces qu’il proféra contre ses partenaires européens, quand ceux-ci annoncèrent leur intention d’étiqueter les produits OGM.
Et sur ce terrain, son meilleur allié s’appelait… Dan Glickman.
Alors présenté par le St. Louis Post-Dispatch comme
l’« un des plus grands champions de la biotechnologie qui admonestent les Européens rétifs pour qu’ils ne bloquent pas la route du progrès », le secrétaire à l’Agriculture de Clinton croyait en effet dur comme fer aux bienfaits de la manipulation génétique :
« Je crois que la biotechnologie présente un énorme potentiel pour les consommateurs, les agriculteurs et pour les millions de personnes affamées et sous-alimentées des pays en voie de développement », déclarait-il encore en avril 2000 dans un discours devant le Council for the Biotechnology Information .

Son enthousiasme lui valut d’ailleurs de vivre une expérience qui l’a profondément traumatisé, lors du Sommet mondial de l’alimentation qui s’est tenu en novembre 1996 à Rome, sous l’égide de la FAO. Alors que les gouvernements venaient de s’engager à réduire de moitié le nombre des personnes sous-alimentées d’ici 2015, le représentant américain a donné une conférence de presse. Des militants de Greenpeace, qui s’étaient procurés de fausses accréditations de presse, se lèvent alors, se déshabillent et exhibent leurs corps nus recouverts de slogans anti-OGM, tout en le bombardant de grains de soja Roundup ready…

Arrivé au secrétariat à l’Agriculture juste après la mise sur le marché du soja transgénique de Monsanto, Dan Glickman fut celui qui autorisa la culture de tous les OGM qui suivirent. Quand je le rencontre en juillet 2006, il a complètement changé de casquette, puisqu’en septembre 2004, il a été nommé P-DG de la Motion Picture Association of America, qui regroupe les six majors du cinéma d’Hollywood, comme la Buena Vista Pictures Distribution (Walt Disney) ou la 20th Century Fox.
Si j’ai cherché à l’interviewer, c’est bien sûr en raison de la fonction qu’il occupa dans l’administration Clinton, mais aussi parce qu’il avait exprimé quelques regrets, dans un article du Los Angeles Times du 1er juillet 2001:
« Ceux qui étaient en charge de la réglementation se considéraient comme les défenseurs de la biotechnologie. Ils la considéraient comme la science qui allait de l’avant, et tous ceux qui n’allaient pas de l’avant étaient vus comme des luddites . »

« Pourquoi avez-vous dit cela ?, lui ai-je demandé après lui avoir lu cette citation.

– Quand je suis devenu secrétaire à l’Agriculture [en 1995], l’ambiance qui entourait la réglementation était fondamentalement orientée vers l’homologation des cultures transgéniques, dans le but de faciliter le transfert de technologie dans l’agriculture du pays, tout en poussant les exportations. Il régnait un consensus dans l’agroalimentaire et au sein du gouvernement des États-Unis : si on ne marchait pas tête baissée en faveur du développement rapide de la biotechnologie et des cultures OGM, alors on était considéré comme anti-science et anti-progrès.

– Pensez-vous que le soja de Monsanto aurait dû recevoir plus d’attention avant sa mise sur le marché ?

– Franchement, je pense qu’on aurait dû faire plus de tests, mais les entreprises agro-industrielles ne voulaient pas, parce qu’elles avaient fait d’énormes investissements pour développer ces produits. Et en tant que responsable du service qui réglementait l’agriculture, j’ai subi beaucoup de pressions, pour, disons, ne pas être trop exigeant… La seule fois où j’ai osé en parler pendant le mandat de Clinton, je me suis fait taper sur les doigts, non seulement par l’industrie, mais aussi par les gens du gouvernement. En fait, j’ai prononcé un discours où j’ai dit qu’il fallait qu’on étudie plus sérieusement la réglementation des OGM. Et il y avait des gens à l’intérieur du gouvernement Clinton, surtout dans le domaine du commerce extérieur, qui étaient fâchés contre moi. Ils m’ont dit : “Comment peux-tu, toi qui travailles dans l’agriculture, mettre en cause notre système de réglementation ?” »

Michael Kantor, le secrétaire d’État au Commerce et futur membre du conseil d’administration de Monsanto, n’était sans doute pas étranger à ces pressions.
Il est vrai que le discours dont parle Glickman avait de quoi surprendre, tant il rompait avec la ligne qu’il avait suivie jusque-là. S’exprimant devant le Club national de la presse de Washington, le 13 juillet 1999, le secrétaire à l’Agriculture avait commencé par un hommage vibrant aux « promesses de la biotechnologie », en parlant de « bananes » manipulées pour qu’elles « fournissent un jour des vaccins aux enfants des pays en voie de développement » — notons à ce propos que, huit ans plus tard, on attendait toujours la mise sur le marché de ces OGM magiques annoncés depuis les années 1980 (à part des plantes résistantes aux herbicides ou produisant des insecticides, on n’a rien vu venir)…

« Quoi que puisse nous promettre la biotechnologie, elle n’est rien si elle n’est pas acceptée », avait continué Dan Glickman, avant de prononcer les mots qui ont tant fait enrager ses collègues du Commerce extérieur, et très certainement Monsanto.
« C’est une question de confiance : confiance dans la science derrière le processus et tout particulièrement confiance dans le processus réglementaire qui doit […] être maintenu à distance de toute entité ayant un intérêt particulier dans son résultat. Au bout du compte, certains observateurs, dont je fais partie, pensent qu’on en viendra probablement à une forme d’étiquetage . »

Les termes sont prudents, mais ce sont ceux que la presse retiendra dans les journaux du lendemain, alors que la conclusion constitue un véritable pavé dans la mare de Monsanto :
« L’industrie a besoin d’être guidée par un projet plus large qui ne soit pas uniquement le profit. Les entreprises doivent continuer à suivre les produits après leur mise sur le marché pour mesurer le danger éventuel qu’ils représentent pour l’environnement et elles doivent aussi rendre public et compréhensible tout ce qu’elles découvriront. […] Nous ne savons pas ce que la biotechnologie a en magasin pour nous, si c’est bon ou mauvais, mais nous allons tout faire pour assurer qu’elle serve la société et pas le contraire. »

Aujourd’hui, Dan Glickman assure qu’il ne retirerait pas un mot de son discours de 1999 :
« Le problème, dit-il, c’est que le Congrès ne s’est jamais vraiment mêlé de ce sujet…

– Pourquoi ?

– D’abord parce que c’est un sujet difficile : tout sujet technique et compliqué est fui par le corps législatif, dont la plupart des représentants, en Europe comme aux États-Unis, ne sont pas des scientifiques… »

Scientifiques sous influence

L’argument peut paraître court. Mais je suis persuadée qu’il explique en partie le désintérêt des politiques pour les enjeux que représente la biotechnologie. Pour ma part, je dois dire qu’il m’a fallu des mois de travail intense avant que je puisse prétendre m’être fait une opinion raisonnée et raisonnable sur la manipulation génétique.
Je dirais même que si Monsanto a pu imposer ses produits avec tant de facilité, c’est précisément parce qu’elle a su tirer profit du fait que c’était un « sujet compliqué », que seuls les scientifiques semblaient pouvoir dominer. Pour assurer son emprise, la firme a compris qu’il lui fallait contrôler les scientifiques s’exprimant sur la question et faire en sorte qu’ils s’expriment aux bons endroits, comme par exemple dans le cadre de forums internationaux parrainés par les organisations onusiennes, ou dans les revues et universités de renom. Et je dois admettre qu’elle a très efficacement atteint son but.

Pour preuve : un document interne de Monsanto classé « confidentiel », parvenu mystérieusement (très certainement par la grâce d’un lanceur d’alerte) au bureau de GeneWatch, une association britannique qui, comme son nom l’indique, suit de très près le dossier OGM .
Ce « rapport mensuel » de dix pages, rendu public le 6 septembre 2000, égrène l’activité de la cellule « Affaires réglementaires et enjeux scientifiques » (Regulatory Affairs and Scientific Outreach) de la firme pendant les seuls mois de mai et juin de la même année.
« Ce document montre comment Monsanto tente de manipuler la réglementation des aliments transgéniques à travers le monde pour favoriser ses intérêts, explique le docteur Sue Mayer, la directrice de GeneWatch, dans un communiqué de presse. Apparemment, ils essaient d’acheter l’influence d’individus clés, de noyauter les comités avec des experts qui les soutiennent et de subvertir l’agenda scientifique. »

On y découvre, en effet, que la « cellule » est félicitée pour son « efficacité à assurer que des experts scientifiques clés reconnus au niveau international ont été nommés pour la consultation organisée par la FAO et l’OMS à Genève le mois dernier. Le rapport final a été très favorable à la biotechnologie végétale, en donnant son soutien y compris au rôle crucial de l’équivalence en substance dans les évaluations de la sécurité alimentaire. […] Des informations sur les avantages et la sécurité de la biotechnologie végétale ont été fournies à des experts médicaux clés et des étudiants de Havard. […] Un éditorial a été rédigé par le docteur John Thomas (professeur émérite de l’école médicale de l’université du Texas à San Antonio), qui sera placé dans un journal médical comme le premier d’une série planifiée pour toucher les médecins. […] Une réunion s’est tenue avec le professeur David Khayat, un spécialiste du cancer de renommée internationale pour qu’il collabore à un article qui démontre l’absence de liens entre les aliments transgéniques et le cancer. […] Les représentants de Monsanto ont obtenu que l’examen de deux propositions d’étiquetage soit repoussé par le comité du Codex [alimentarius]. Etc. »

Parmi les scientifiques qui ont généreusement prêté leur concours aux initiatives de la cellule, le rapport cite aussi l’Espagnol Domingo Chamorro, les Français Gérard Pascal (INRA), Claudine Junien (INSERM) ou le prix Nobel Jean Dausset, qui ont participé au « Forum des biotechnologies » (en français dans le texte) « organisé » par la « cellule ».

À lire ce document, on comprend mieux comment, dès 1990, l’OMS et la FAO ont organisé une « consultation » (similaire à celle décrite dans le rapport) à Genève, du 5 au 10 novembre. Intitulée « Stratégies pour évaluer la sécurité des aliments produits par la biotechnologie », elle a réuni des représentants des autorités sanitaires internationales ainsi que des « experts », dont James Maryanski, qui en a assuré le secrétariat .
Et curieusement, alors qu’aucun OGM n’avait encore vu le jour, cette « consultation » a débouché sur ce diagnostic péremptoire : « L’ADN de tous les organismes vivants est structurellement similaire. C’est pourquoi, la présence d’ADN transféré dans un produit ne pose en soi aucun risque pour les consommateurs. »
En annexe était cité comme « référence » l’article publié peu de temps avant dans Nature par des scientifiques de Monsanto sur l’hormone de croissance transgénique, qui avait été, je le rappelle, très contesté …
Dès lors, il apparaît très clairement que la firme de Saint-Louis joue un rôle capital pour imposer au niveau international et hors de toute donnée scientifique le principe d’« équivalence en substance ».
Celui-ci apparaît ainsi dès 1993 dans un texte de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), intitulé « Évaluation de la sécurité des aliments dérivés de la biotechnologie moderne : concepts et principes ».
Ce document de soixante et onze pages fait d’abord une longue démonstration pour établir que la « biotechnologie » existe depuis que l’homme a appris à sélectionner les plantes et, donc, que les techniques de manipulation génétique ne constituent que la prolongation « moderne » d’un savoir faire ancestral.

À partir de là, l’« approche la plus pratique » pour
« déterminer la sécurité des aliments développés par l’application de la biotechnologie moderne est d’évaluer s’ils sont équivalents en substance aux aliments conventionnels analogues, si ceux-ci existent».

Pour étayer ce nouveau concept tombé du ciel, le rapport se fonde sur l’exemple d’OGM comme la tomate au mûrissement ralenti de Calgene (qui sera, comme on l’a vu, retirée du marché) ou la tomate résistante au Roundup de Monsanto (qui est restée au stade expérimental)…

Parmi les auteurs de ce texte fondateur, on trouve l’éternel James Maryanski, ainsi qu’un représentant du Conseil de la compétitivité créé par George Bush. Enfin, le document fournit en annexe une liste de dix publications à consulter, dont une de l’International Life Science Institute (ILSI) (créé je le rappelle par des industriels de l’agroalimentaire), le fameux document de l’International Food Biotechnology Council (IFBC), rédigé notamment par Michael Taylor, et le rapport de la « consultation » organisée en 1990 par l’OMS et la FAO…
À l’instar des autres documents cités comme « références », aucune de ces « publications » ne concerne des études scientifiques menées pour évaluer l’innocuité des OGM, pour une raison bien simple : à l’époque, il n’en existe aucune…

Un an plus tard, c’est à l’OMS de reprendre le flambeau de cette opération de propagande rondement menée : du 31 octobre au 4 novembre 1994, l’organisation onusienne parraine un « workshop » au titre sans ambiguïtés : « Application du principe d’équivalence en substance pour l’évaluation de la sécurité des aliments ou composants alimentaires issus de plantes dérivées de la nouvelle biotechnologie. »
Cette fois-ci, le fameux « principe d’équivalence en substance » est bel et bien inscrit dans le marbre, même s’il n’y a toujours rien de nouveau sous le soleil de la science. Et pour prouver que tout cela est bien sérieux, les participants au workshop, dont un certain docteur Roy Fuchs de… « Monsanto Company », rappellent que « l’approche comparative a été d’abord proposée par l’OMS et la FAO, puis développée par l’OCDE »…
La boucle est définitivement bouclée, deux ans plus tard, lorsque la FAO et l’OMS enfoncent le clou — deux organismes onusiens, ce n’est pas rien — en organisant une deuxième consultation conjointe, du 30 septembre au 4 octobre 1996 (où l’on retrouve James Maryanski et Roy Fuchs).
Il faut dire que le moment est crucial : les premières cargaisons de soja Roundup ready sont déjà en marche vers l’Europe. Le rapport final, qui curieusement n’est pas disponible en ligne, mais dont j’ai réussi à me procurer une copie, est régulièrement cité comme le texte international de référence du principe d’équivalence en substance.
On peut notamment y lire cette information hautement scientifique : « Quand l’équivalence en substance est établie pour un organisme ou un produit alimentaire, l’aliment est considéré comme aussi sûr que son homologue conventionnel et aucune autre évaluation n’est nécessaire. […] Quand l’équivalence en substance n’est pas établie, cela ne signifie pas obligatoirement que le produit alimentaire n’est pas sûr et il n’est pas forcément nécessaire d’exiger des tests sanitaires poussés… »

FIN DE L’EXTRAIT

Rappel: la condamnation de Monsanto

En réponse à la question que m’a posée « Pat », je reproduis ici un extrait du chapitre de mon livre consacré au roundup.
Les références des documents cités sont toutes disponibles dans les vingt pages de notes de mon livre.

DÉBUT EXTRAIT

« Messages publicitaires trompeurs »

Pourtant, en 1996, des plaintes déposées auprès du Bureau de la répression des fraudes et de la protection du consommateur de New York avaient contraint la firme à négocier un arrangement à l’amiable avec le ministère de la Justice de l’État, qui avait ouvert une enquête pour « publicité mensongère concernant la sécurité de l’herbicide Roundup (glyphosate) ».

Dans un jugement très détaillé , le ministère, sous la plume de Dennis C. Vacco, passait en revue les nombreuses publicités payées par Monsanto dans les journaux ou à la télévision.
Certaines sont édifiantes : « Le glyphosate est moins toxique pour les rats que du sel de table ingéré en grande quantité » ; « Le Roundup peut être utilisé dans des endroits où jouent des enfants et des animaux de compagnie, car il se décompose en matières naturelles.»

Ce sont des « messages trompeurs », tranche Dennis Vacco, qui interdit à Monsanto, sous peine d’amende, de proclamer que son herbicide est « biodégradable, bon pour l’environnement, non toxique, inoffensif et connu pour ses caractéristiques environnementales».

Deux ans plus tard, la firme est condamnée à payer
75 000 dollars pour avoir suggéré dans une nouvelle publicité mettant en scène un horticulteur californien que l’herbicide pouvait être pulvérisé près des ressources en eau .

Curieusement, ces décisions judiciaires américaines n’ont jamais inquiété la Commission européenne et encore moins les autorités françaises, lesquelles ont toléré sans broncher la campagne publicitaire lancée au printemps 2000 par Monsanto. Mais l’image du sympathique Rex, prêt à déguster un os imbibé de Roundup, a fait bondir l’association Eau et Rivières de Bretagne, qui a assigné en janvier 2001 la filiale française du géant américain pour publicité mensongère.

« Des études scientifiques ont montré qu’on retrouvait dans les eaux des rivières bretonnes une présence massive de glyphosate », m’explique Gilles Huet, le délégué de l’association bretonne, lors d’une conversation téléphonique au printemps 2006, en citant un rapport publié en janvier 2001 par l’Observatoire régional de santé de Bretagne .
De fait, des prélèvements effectués en 1998 dans les eaux bretonnes ont révélé que 95 % des échantillons présentaient un taux de glyphosate supérieur au seuil légal de 0,1 microgramme/litre, avec des pointes à 3,4 microgramme/litre dans la Seiche, un affluent de la Vilaine.
« Or, précise Gilles Huet, en 2001, la Commission européenne, qui a rehomologué le glyphosate, l’a classé “toxique pour les organismes aquatiques” et “pouvant entraîner des effets néfastes à long terme pour l’environnement”. Nous demandons un minimum de cohérence : un produit “biodégradable” et “respectueux de l’environnement” ne peut pas finir “toxique et néfaste” dans les eaux bretonnes ! »

En effet… Le 4 novembre 2004, le tribunal correctionnel de Lyon, où siège la filiale française de Monsanto, ouvre le procès pour « publicité mensongère ou de nature à induire en erreur ».

Jusqu’en 2003, profitant de la lenteur de l’instruction de la plainte de l’association bretonne, l’entreprise agrochimique avait pu continuer à diffuser sa campagne publicitaire. Et à l’occasion du procès de Lyon, elle va même gagner deux ans de sursis, en optant tout simplement pour la politique de la chaise vide… À l’audience, en effet, les représentants de l’entreprise brillent par leur absence : ils prétendront n’avoir jamais reçu le courrier « faute d’une adresse dans l’Hexagone», pour reprendre les termes du parquet, qui décide de repousser le procès à juin 2005.

« Erreur administrative ou manœuvre de la firme pour échapper à une condamnation infamante en termes d’image de marque ? », s’interroge alors l’association de consommateurs UFC-Que Choisir, qui s’était jointe en 2001 à la plainte d’Eau et Rivières de Bretagne.
Les mauvaises langues susurrent que le renvoi permettait à l’entreprise de sauver la campagne de désherbage de printemps, capitale pour son chiffre d’affaires : en 2004, Monsanto France détenait 60 % du marché du glyphosate, ce qui représentait une vente annuelle de 3 200 tonnes de Roundup, la consommation de l’herbicide ayant été multipliée par deux entre 1997 et 2002.
Finalement, l’audience du tribunal correctionnel de Lyon s’est tenue le 26 janvier 2007, exactement six ans après le dépôt des plaintes… Les dirigeants des sociétés Scotts France et de Monsanto ont été condamnés à 15 000 euros d’amende, ce qui somme toute valait bien quelques manœuvres dilatoires.

Dans son jugement, le tribunal a estimé que « l’utilisation combinée sur les étiquettes et emballages [des herbicides de la gamme Roundup] des termes et expressions “biodégradable” et “laisse le sol propre” […] pouvait laisser faussement croire au consommateur à l’innocuité totale et immédiate desdits produits par suite d’une dégradation biologique rapide après usage, […] alors qu’ils peuvent au contraire demeurer durablement dans le sol, voire se répandre dans les eaux souterraines ».

Plus gênant encore pour Monsanto, qui a fait appel, la justice française a considéré que l’industriel savait, « préalablement à la diffusion des messages publicitaires litigieux, que les produits visés présentaient un caractère écotoxique », puisque « selon les études effectuées par le groupe Monsanto lui-même, un niveau de dégradation bio-logique de 2 % seulement peut être obtenu après vingt-huit jours ».
Une fois de plus, la firme disposait de données contraires à ce qu’elle affirmait publiquement, mais elle s’est bien gardée de les communiquer. Pourquoi l’aurait-elle fait, d’ailleurs ? Comme me l’a dit Ken Cook, le directeur de l’Environmental Working Group de Washington, à propos des PCB (voir supra, chapitre 1), « c’est donc rentable de garder le secret, puisqu’au bout du compte les sanctions sont très légères »…

FIN DE L’EXTRAIT

Roundup: Monsanto condamné

Bonne nouvelle! La condamnation de Monsanto pour publicité mensongère (cf. mon film, livre et Blog!) a été confirmée par la cour d’appel de Lyon.
En relisant le montant de l’amende – 15 000 Euros! -, je ne peux m’empêcher de me dire qu’il y a deux poids, deux mesures: je rappelle que la totalité des amendes réclamées aux faucheurs s’élève actuellement à quelque deux millions d’Euros…
Il faut diffuser l’information le plus possible pour éviter que les jardiniers, paysans et consommateurs continuent d’être intoxiqués par un produit qui n’est pas « biodégradable » ni « bon pour l’environnement ».
Prenons acte: un jour, le roundup sera interdit comme d’autres herbicides et insecticides qui ont inondé nos champs et espaces verts pendant des décennies: le DDT, le 2,4,5 T et le 2,4-D (composants de l’agent orange), l’atrazine, le lasso, etc.
La seule solution pour échapper à ces substances toxiques qui contaminent nos aliments, c’est de soutenir l’agriculture bio…

LYON, 29 oct 2008 (AFP)

La Cour d’appel de Lyon a condamné à 15.000 euros d’amende pour « publicité mensongère » sur le désherbant « Round Up » un ancien responsable de la branche française du géant américain de l’agrochimie Monsanto, et un ancien dirigeant de l’entreprise distribuant le produit.

La cour d’appel a ainsi confirmé mercredi le jugement de première instance et suivi l’avocat général, qui le 1er octobre, avait estimé qu’il n’était pas nécessaire d’augmenter le montant de l’amende infligée le 26 janvier 2007 par le tribunal correctionnel de Lyon à l’encontre de l’ancien président de Monsanto Agriculture France, dont le siège est à Bron (Rhône).

L’ancien dirigeant est condamné pour avoir notamment présenté l’herbicide comme « biodégradable » et laissant « le sol propre ».

Le second prévenu, à l’époque président du conseil d’administration de Scotts France, basé à Ecully (Rhône) et qui distribue en France le Round Up, premier désherbant vendu au monde, a également vu la confirmation de sa condamnation à 15.000 euros d’amende.

Le tribunal correctionnel de Lyon avait été saisi en 2001 à la suite d’un rapport de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et d’une plainte des associations Eau et rivières de Bretagne et Consommation, logement et cadre de vie (CLCV), parties civiles dans ce procès.

Le glyphosate, principale matière active du Round Up, a été classé en 1991 « dangereux pour l’environnement », notamment aquatique, par les autorités européennes, selon Eau et rivières de Bretagne.

« Nous sommes satisfaits, cela confirme que ce produit est toxique et qu’il n’est pas sans effet sur la santé humaine, la nature et l’environnement », a déclaré Alain Chabrolle, porte-parole de la FRAPNA (Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature).

Selon M. Chabrolle, pour qui « le +Round Up+ n’est pas un produit écologiquement acceptable », « la cour est allée dans le sens d’un principe de précaution ».

« Cet arrêt s’inscrit dans le cadre du Grenelle de l’environnement, qui doit amener à une réduction de l’usage des pesticides, et donc des herbicides » d’ici 2012, a-t-il conclu.

Agenda fin octobre/ début novembre

Lundi 27 octobre, 19 heures: nouvelle projection débat au cinéma ‘Images d’ailleurs, dans le quartier latin (21 rue de la Clef) . Lundi dernier la salle était pleine (150 places) et le cinéma a dû refuser du monde.

http://www.cafedebat-autrementdit.fr/

Lundi 3 novembre, projection-débat à Chemillé dans le Maine et Loire (voir affiche).

Le vendredi 7 novembre, je suis annoncée aux « Entretiens d’Auxerre » organisés par le sociologue Michel Wieviorka et Edgar Pisani, ministre de l’agriculture de 1961 à 1976, sur le thème « Se nourrir: l’alimentation en question », mais je ne suis pas sûre de pouvoir y participer, car je suis en pleine finition de mon prochain film « Torture made in USA » et en attente d’un dernier tournage aux Etats Unis, sans cesse repoussé pour cause d’élections et de crise financière.

Voici le programme de cet événement qui promet d’être passionnant:

SE NOURRIR
L’alimentation en question

6, 7 et 8 NOVEMBRE 2008
THEATRE AUXERRE

JEUDI 6 NOVEMBRE 2008
18 h 30 – 20 h 30
Soirée Ouverture
Président de séance : Michel MORINEAU
Michel WIEVIORKA
Président du Comité Scientifique des Entretiens d’Auxerre
Edgard PISANI
Ministre de l’agriculture 1961-1967
« Le monde pourra nourrir le monde seulement si… »
Philippe FREMEAUX
Directeur de la rédaction du magazine Alternatives Economiques
« Existe-t-il un marché mondial de l’alimentation ? «

VENDREDI 7 NOVEMBRE 2008
9 h – 13 h
Manger, hier et aujourd’hui
Président de séance : Jean-Pierre DOZON
Anne FLOUEST
Docteur en paléoclimatologie, adjointe au directeur du Musée de Bibracte
« Du pot-au-feu néolithique au chaudron gaulois, les apports de la cuisine expérimentale à l’archéologie »
Danielle ALEXANDRE-BIDON
Historienne et archéologue médiéviste, ingénieur d’étude à l’EHESS
« Les racines médiévales de l’obésité. Diététique et gastronomie entre XIIIe et XVe siècle »
Olivier ASSOULY
Professeur de philosophie, auteur
« Alimentation et espace critique »
Anne MUXEL
Directrice de recherches au Centre de recherches politiques de Sciences PO
« La famille à table »

15 h – 17 h 30
Cuisine, saveurs et altérité
Président de séance : Jean-François DORTIER
Claude FISCHLER
Directeur de recherche au CNRS, Directeur du Centre Edgar Morin (EHESS)
« Commensalité et socialité »
Nobutaka MIURA
Professeur d’études françaises à l’Université Chûô (Tokyo)
« La cuisine japonaise du dedans et du dehors »
Boniface MONGO M’BOUSSA
Ecrivain, enseignant à Sarah Lawrence College (Antenne parisienne)
« Les saveurs de l’autre : nourriture et multiculturalisme »

17 h 30 – 19 h
Les épreuves de la mondialisation
Président de séance : Philippe LAZAR
Pierre GUEZ
Président de Vitagora® pôle de compétitivité Goût-Nutrition-Santé, Directeur Général Dijon Céréales
«Produire plus et mieux pour nourrir 9 milliards d’habitants en 2050»
Sylvie BRUNEL
Professeur des Universités à Paris-Sorbonne, ancienne présidente d’Action contre la faim
« Famines et Mondialisation »
Marie-Monique ROBIN
Journaliste, réalisatrice, écrivain
« A l’heure de la mondialisation et de la marchandisation du vivant »

SAMEDI 8 NOVEMBRE
9 h – 11 h 30
Les comportements alimentaires
Président de séance : Philippe BATAILLE
Arnaud BASDEVANT
Professeur de nutrition Université Pierre et Marie Curie Paris 6/ Inserm U 872
Responsable du pôle d’endocrinologie de la Pitié Salpêtrière
« La malnutrition dans une société de pléthore »
Hervé LE BRAS
Démographe et historien, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), directeur du Laboratoire de démographie historique (EHESS/CNRS)
« Végétarien ou carnivore : la lutte mondiale pour les subsistances »

11 h 30 – 13 h
Manger, penser
Président de séance : Jean BAUBEROT
Daniel SAUVAGET
Chargé d’enseignement à paris3 Sorbonne Nouvelle et critique de cinéma
« Les gestes du repas : le cinéma et les rituels de la table »
Pascal PERRINEAU
Professeur des Universités à Sciences Po
Directeur du Centre de recherches politiques de Sciences Po
« Mange-t-on comme on pense politiquement ? »

15 h – 18 h
Géopolitiques de l’alimentation
Président de séance : Michel WIEVIORKA
Alain BOINET
Directeur général fondateur de l’association Solidarités
« L’action de Solidarités face à la crise alimentaire mondiale »
Michel FOUCHER
Géographe et diplomate, professeur à l’Ecole normale supérieure (Ulm), membre du Conseil des affaires étrangères
« Une nouvelle géopolitique de la faim ? »
Bruno PARMENTIER
Directeur général du Groupe ESA (école supérieure d’Agriculture d’Angers)
« Comment nourrir demain neuf milliards d’habitants ? »

18 h 30
Conclusions
Michel WIEVIORKA
Président du Comité scientifique des Entretiens d’Auxerre

RENSEIGNEMENTS PRATIQUES INSCRIPTIONS
Tous renseignements pratiques peuvent être obtenus :
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Par télécopie au : 02 38 87 18 90
Par e-mail : collographe@aol.com

Le festival international du documentaire écologique de Bourges

J’ai donc participé aux entretiens de Bourges, dans le cadre du festival international du film écologique, qui s’est tenu le week-end dernier. 6OO personnes ont assisté à la projection de mon film, puis ce fut la ruée dans la salle de conférence qui ne comptait que … 2OO places.
Le débat, auquel avait été invité Christian Vélot,enseignant-chercheur en génétique et microbiologie, était animé par Nicolas Chateauneuf, journaliste scientifique à France 2, et s’est déroulé en présence de Serge Lepeltier, maire de Bourges et ancien ministre de l’environnement d’Alain Juppé.
C’est lui qui m’avait remis, l’an dernier, l’Arbre d’or, le prix du meilleur documentaire et le prix Ushuaïa Télé pour mon film « Les pirates du vivant » que je vais bientôt mettre en ligne par tranches de dix minutes, ainsi que mes films « Blé: chronique d’une mort annoncée? » et « Argentine: le soja de la faim ».
Ce sont ces trois documentaires , diffusés sur ARTE, qui m’ont conduite à enquêter sur Monsanto, après avoir fait le tour du monde.

Pendant le débat, Serge Lepeltier a expliqué que « Le monde selon Monsanto » lui avait permis de comprendre le véritable enjeu des OGM: à savoir les brevets, qui verrouillent la production agricole et la recherche, et permettent à Monsanto de s’emparer des semences, et donc de la chaîne alimentaire.

Quand on sait que les plantes transgéniques, à l’instar des variétés dites à « haut rendement » de la « première révolution verte » s’accompagneront immanquablement d ‘une réduction draconienne de la biodiversité (je rappelle qu’au Canada le colza roundup ready a fait disparaître par contamination le colza biologique et est en passe de faire disparaître le colza conventionnel), on comprend mieux pourquoi Monsanto et Syngenta se sont empressés de sponsoriser la banque de semences de Spitzberg en Norvège (voir mes commentaires précédents).
Une fois que leurs OGM auront anéanti la biodiversité des plantes nourricières, seule garante de la sécurité alimentaire du monde, les champions des biotechnologies seront les mieux placés pour nous refourguer les semences conservées dans le grand froid nordique, avec en prime, un brevet, qui transformera les paysans en des « serfs » , pour reprendre l’expression de Dan Glickman, l’ancien ministre de l’agriculture de Clinton (cf: mon livre).

Je reviendrai sur la question des brevets très prochainement, pour terminer l’éclairage promis sur les dessous de la banque de Spitzberg…

Photos:
– Serge Lepeltier (à droite) pendant le débat
– Nicolas Chateauneuf (au centre) et Christian Vélot
– le débat a duré deux heures

le MON 863

Dans le communiqué du CRIIGEN que j’ai mis en ligne hier, il est fait référence à l’EFSA, l’European Food Satety Authority, un comité de scientifiques censé conseiller la Commission européenne, avant l’autorisation de mise sur le marché de produits issus de l’agro-business, dont les OGM. Je trancris ici ce que j’ai écrit dans mon livre à propos du maïs MON 863 de Monsanto, dont la mise en culture dans les champs européens a été retoquée, grâce à la pugnacité du CRIIGEN, mais aussi de Greenpeace et du gouvernement allemand…
L’exemple de ce maïs BT illustre parfaitement l’opacité et le manque de sérieux des procédures d’homologation des produits alimentaires issus des biotechnologies.

DÉBUT EXTRAIT

« Les failles du système réglementaire » : l’exemple du maïs MON 863

Alors que le gouvernement français a annoncé en janvier 2008 qu’il activait la « clause de sauvegarde » pour le maïs MON 810, suspendant la culture de ce maïs Bt de Monsanto jusqu’à ce que l’Union européenne ait examiné à nouveau son autorisation, je voudrais rappeler l’histoire du MON 863, un cousin très proche du MON 810 : le premier (MON 863) contient une toxine (Cry3Bb1) censée le protéger contre la chrysomèle des racines du maïs , tandis que le second (MON 810) a été manipulé (Cry1Ab) pour résister aux attaques de la pyrale.

L’affaire du MON 863 constitue une illustration parfaite de la manière pour le moins préoccupante dont sont réglementés les OGM en Europe.

Tout commence en août 2002, lorsque la firme de Saint-Louis dépose une demande d’autorisation de mise sur le marché auprès des autorités allemandes, à qui elle remet un dossier technique comprenant une étude toxicologique conduite pendant quatre-vingt-dix jours sur des rats.
Conformément à la réglementation européenne (voir supra, chapitre 9), celles-ci examinent alors les données fournies par Monsanto, puis transmettent un avis… négatif à la Commission de Bruxelles, au motif que l’OGM contient un marqueur de résistance à un antibiotique qui enfreint la directive 2001/18 déconseillant fortement son utilisation.
La Commission est alors tenue de distribuer le dossier aux États membres pour recueillir leurs avis, lesquels seront ensuite examinés par l’European Food Safety Authority (EFSA), le comité scientifique européen, chargé d’évaluer la sécurité alimentaire des OGM.

En France, c’est la Commission du génie biomoléculaire (CGB) qui récupère le dossier, en juin 2003. Cinq mois plus tard, le 28 octobre 2003, la CGB émet à son tour un avis défavorable, non pas à cause de la présence du marqueur antibiotique, mais parce que, comme l’expliquera Hervé Kempf dans Le Monde, elle a été « très troublée par les malformations observées sur un échantillon de rats nourris au maïs 863 ».
« Ce qui m’a frappé dans ce dossier, c’est le nombre d’anomalies, explique Gérard Pascal, directeur de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et membre de la CGB depuis sa création en 1986. Il y a ici trop d’éléments où l’on observe des variations significatives. Je n’ai jamais vu cela dans un autre dossier. Il faudrait le reprendre . »

Les « variations » incluent une « augmentation significative des globules blancs et des lymphocytes chez les mâles du lot nourri au MON 863 ; une baisse des réticulocytes (les jeunes globules rouges) chez les femelles ; une augmentation significative de la glycémie chez les femelles ; et une fréquence plus élevée d’anomalies (inflammation, régénération…) des reins chez les mâles », ainsi qu’une réduction du poids des cobayes.
Or, comme le note mon confrère du Monde, « personne n’en aurait rien su » si l’avocate Corinne Lepage, ancienne ministre de l’Environnement d’Alain Juppé et présidente du CRII-GEN , « n’avait forcé la porte de la CGB » pour obtenir, « grâce à la commission d’accès aux documents administratifs (CADA) » les procès-verbaux des débats qui ont conduit à l’avis négatif de la CGB, « exceptionnel chez une commission qui a toujours été plutôt favorable à l’autorisation des OGM ».

En effet, les délibérations des comités scientifiques des pays membres de l’Union européenne, tout comme d’ailleurs ceux de l’European Food Safety Authority (EFSA), sont confidentielles, ce qui donne une idée de la transparence du processus d’évaluation des OGM…
Toujours est-il que l’affaire rebondit, le 19 avril 2004, lorsque l’EFSA, justement, émet un avis… favorable à la mise sur le marché du MON 863. D’après le Comité scientifique européen, les anomalies observées par la CGB « rentrent dans la variation normale des populations de contrôle » ; quant aux malformations rénales, elles sont « d’une importance minimale » .

Comment deux comités scientifiques peuvent-ils émettre des avis aussi différents sur un même dossier ? La réponse à cette question est fournie par la section européenne des Amis de la terre, qui a publié en novembre 2004 un rapport très détaillé (et très inquiétant) sur le fonctionnement de l’EFSA .
Créée en 2002, dans le cadre de la directive européenne 178/2002 sur la sécurité des produits alimentaires, cette institution compte huit comités scientifiques, dont un est chargé exclusivement de l’évaluation des OGM.
C’est précisément ce dernier, que nous appellerons « comité OGM », qui est l’objet du rapport.
Premier constat des Amis de la terre : « Après un an d’activité, le comité a émis dix avis scientifiques, tous favorables à l’industrie des biotechnologies. Ces avis ont été utilisés par la Commission européenne, qui subit une pression croissante de la part des industriels et des États-Unis, pour pousser les nouveaux produits transgéniques sur le marché. Ils ont aussi servi à créer la fausse impression qu’il y avait un consensus scientifique, alors que la réalité est qu’il existe [au sein du Comité] un débat intense et continu et beaucoup d’incertitudes. Des inquiétudes quant à l’utilisation politique de leurs avis ont été exprimées par des membres de l’EFSA eux-mêmes. »

D’après le rapport, cette situation serait due aux liens étroits qui unissent « certains membres » du comité OGM avec les géants des biotechnologies, avec en tête son président, le professeur Harry Kuiper. Celui-ci est en effet le coordinateur d’Entransfood, un projet soutenu par l’Union européenne pour « favoriser l’introduction des OGM sur le marché européen et rendre l’industrie européenne compétitive » ; à ce titre, il fait partie d’un groupe de travail comprenant Monsanto et Syngenta.
De même, Mike Gasson travaille pour Danisco, un partenaire de Monsanto ; Pere Puigdomenech est le co-président du septième congrès international sur la biologie moléculaire végétale, sponsorisé par Monsanto, Bayer et Dupont ; Hans-Yorg Buhk et Detlef Bartsch sont « connus pour leur engagement en faveur des OGM, au point d’apparaître sur des vidéos promotionnelles, financées par l’industrie des biotechnologies » ; parmi les (rares) experts extérieurs sollicités par le comité, il y a notamment le docteur Richard Phipps, qui a signé une pétition en faveur des biotechnologies pour AgBioWorld (voir supra, chapitre 12) et apparaît sur le site de Monsanto pour soutenir l’hormone de croissance laitière …

Les Amis de la terre examinent alors plusieurs cas, dont celui du MON 863. Il apparaît que les réticences émises par le gouvernement allemand sur la présence d’un marqueur de résistance à un antibiotique ont été évacuées d’un revers de main par le comité OGM, qui s’est fondé sur un avis qu’il a publié, le 19 avril 2004, dans un communiqué de presse : « Le comité confirme que les marqueurs de résistance aux antibiotiques sont, dans la majeure partie des cas, nécessaires pour permettre une sélection efficace des OGM », y déclarait son président, Harry Kuiper.
Commentaire des Amis de la terre : « La directive européenne ne demande pas de confirmer si les marqueurs de résistance aux antibiotiques sont un outil efficace pour l’industrie de la biotechnologie, mais s’ils peuvent avoir des effets nocifs sur l’environnement et la santé humaine. »
La fin de l’histoire est tout aussi exemplaire : après la publication de l’avis positif de l’EFSA, Greenpeace demande au ministère de l’Agriculture allemand de rendre public le dossier technique fourni par Monsanto (1 139 pages), pour qu’il soit soumis à une contre-expertise. Réponse du ministère : impossible, Monsanto refuse que les données soient communiquées, parce qu’elles sont couvertes par le « secret commercial ».

Après une bataille judiciaire de plusieurs mois, la firme de Saint-Louis sera finalement contrainte de les rendre publiques par une décision du tribunal de Munich, le 9 juin 2005.

« Il est tout de même incroyable que s’agissant de vérifier l’innocuité d’une plante pesticide destinée à intégrer la chaîne alimentaire, Monsanto invoque, d’abord le « secret commercial, puis intente deux actions en justice pour empêcher l’ accès aux données brutes de son étude », dénonce le professeur Gilles-Éric Séralini qui a suivi toute l’affaire de très près. D’abord, le scientifique de l’Université de Caen a réalisé, à la demande de Greenpeace, et en même temps que le docteur Arpad Pusztai , le « dissident » de l’Institut Rowett, une évaluation du dossier toxicologique arraché à la firme de Saint Louis qui a confirmé les « anomalies » constatées par la Commission française du génie génétique .
Et puis, dans le cadre du CRIIGEN, il a conduit une contre-expertise des données brutes de l’étude en appliquant une méthodologie statistique plus fine, tenant compte notamment des organes, de la dose et du temps d’exposition aux OGM. Celle-ci a révélé que les effets du maïs 863 sur les rats étaient bien plus importants que ceux constatés initialement, « ce qui indique la nécessité de poursuivre les tests ».

« En fait, commente le professeur Séralini, l’histoire du maïs MON 863 souligne l’insuffisance du processus d’homologation des OGM, qui devraient être évalués de la même manière que n’importe quel pesticide ou médicament, à savoir sur trois espèces mammifères et pendant deux ans, ce qui permettrait de mesurer leur toxicité à long terme, et pas seulement leurs éventuels effets toxiques aigus. »
En attendant, face à ces révélations encombrantes, la Communauté européenne a mis discrètement le maïs MON 863 sous le boisseau, en en interdisant la culture, mais pas l’importation, ni donc la consommation…

FIN DE L’EXTRAIT

Références: Gilles-Éric Séralini, Dominique Sellier, Joël Spiroux de Vendomois, « New Analysis of a Rat Feeding Study with a Genetically Modified Maize Reveals Signs of Hepatorenal Toxicity « , Archives of environmental contamination and toxicology, 2007, 52, pp.596-602)

Par ailleurs, il est intéressant de noter que six scientifiques, sponsorisés par Monsanto (ainsi qu’il est clairement stipulé dans l’article: « the authors gratefully acknowledge the financial and technical support provided by Monsanto Company ») ont jugé bon de réaliser un nouvel article, où fait suffisamment rare pour être souligné, apparaît dans le titre de leur communication le nom de Séralini (preuve que l’étude du chercheur du CRIIGEN représente un enjeu capital…):

« Report of an Expert Panel on the reanalysis by Séralini et al. (2007) of a 90-day study conducted by Monsanto in support of the safety of a genetically modified corn variety (MON 863) ».
Ce « rapport » a été publié dans Food and Chemical Toxicology en 2007 et peut être téléchargé sur PubMed.

Parmi les arguments avancés par les auteurs pour conclure que les anomalies constatées par le professeur Séralini chez les rats ayant mangé du mais MON 863 sont sans « importance biologique ou clinique », en figure un qui laisse rêveur: les effets ne sont pas les mêmes selon les sexes des cobayes (« occurrence in both sexes »)!

Comme le dit très justement Séralini, si on teste une pillule anticontraceptive ou n’importe quelle molécule affectant le système endocrinien ou l’appareil de reproduction, chez des hommes et des femmes, les « effets ne seront pas les mêmes » ni corrélés…

Pour tous ceux qui désirent en savoir plus, j’invite à consulter le site du CRIIGEN.

ou à regarder le reportage réalisé par France 3 sur ce sujet exemplaire.