Argentine: bilan du soja roundup ready

Les « SEMENCES MAGIQUES TOURNENT AU CAUCHEMAR »

Ce message constitue une réponse aux affirmations véhiculées dans l’article publié par un étudiant dans Libération du 22 mars ( cf: message précédent)

Il est constitué d’extraits du chapitre 13 de mon livre, où je raconte ce que j’ai découvert en Argentine, où , aujourd’hui, la moitié des terres cultivées sont recouvertes de soja roundup ready.Ces informations ont été réunies lors de mon enquête pour le film « Argentine: le soja de la faim »

EXTRAIT:

Les « semences magiques »

L’homme qui me reçoit, après cinq heures de route, est un vrai paysan, de père en fils, habité par cette vision nourricière de l’agriculture. Âgé d’une quarantaine d’années, Hector Barchetta exploite cent vingt-sept hectares à une soixantaine de kilomètres de Rosario, la capitale de l’empire transgénique. Membre de la Fédération agraire argentine, qui regroupe 70 000 petites et moyennes exploitations agricoles, il avoue être « complètement désemparé ».
Tandis qu’il arpente ses champs de soja roundup ready ( RR), qui couvre désormais 70 % de sa ferme, il me raconte l’histoire d’un miracle qui est en train de tourner au cauchemar.

Dans les années 1990, il est confronté à un problème qui concerne tous les paysans de la Pampa : l’érosion des sols due à leur exploitation trop intensive.
D’après l’INTA, l’institut agronomique national, les rendements ont chuté de 30 %.

« Nous ne savions plus à quel saint nous vouer, explique Hector, et c’est dans ce contexte qu’est arrivé le soja RR. Au début, c’était vraiment des semences magiques, parce que nous avons retrouvé des rendements élevés, en réduisant les coûts de production et en travaillant moins. »

De fait, comme aux États-Unis, la culture transgénique se développe avec la technique du semis direct (siembra directa), qui permet de semer, sans labour préalable, dans les résidus de la récolte précédente.

La promotion et l’encadrement technique sont assurés par l’AAPRESID, l’Association argentine des producteurs de soja, qui ressemble à s’y méprendre à l’American Soybean Association (ASA) , son homologue nord-américaine.

Regroupant 1 500 grands producteurs, l’AAPRESID représente le principal promoteur du soja Roundup ready et l’allié le plus dévoué de Monsanto en Argentine.

« La technique de la siembra directa fait partie intégrante du modèle de culture transgénique, commente l’agronome Walter Pengue. C’est vrai que, dans un premier temps, elle entraîne une restauration de la fertilité des sols, grâce à une augmentation de la matière organique, fournie par les résidus de surface qui retiennent l’eau. Cette technique est indissociable de ce que Monsanto appelle le “paquet technologique”, à savoir les semences transgéniques et le Roundup, vendus ensemble, et là la compagnie a fait preuve d’une grande habilité en lançant son “paquet” à un prix trois fois inférieur à celui pratiqué aux États-Unis. »

À un prix si bas, en effet, que les producteurs nord-américains, qui sont pourtant largement subventionnés, ont poussé des cris d’orfraie en dénonçant une « concurrence déloyale »…

Hector, en tout cas, mord à l’appât avec enthousiasme. « Avant, raconte-t-il, pour détruire les mauvaises herbes, je devais appliquer quatre ou cinq herbicides différents, mais avec le soja RR, deux applications de Roundup suffisaient. Et puis, comble de bonheur, la crise de la vache folle a fait flamber les cours du soja, et j’ai arrêté de produire du maïs, du blé, du tournesol, des lentilles, comme tous mes voisins. »

En effet, l’interdiction des farines animales en Europe entraîne une demande accrue de protéines végétales, et donc de tourteaux de soja. Le cours de l’oléagineuse atteint des records historiques, provoquant dans la Pampa une ruée sur le nouvel or vert.

« C’est grâce au boom du soja que j’ai pu survivre à la crise, poursuit Hector. Tout a été fait pour que les producteurs soient épargnés. Alors que les taux d’intérêt s’envolaient, nous pouvions nous procurer le paquet de Monsanto et ne le payer qu’après la récolte. »

En 2001, l’Argentine est au bord de la faillite. Sous la pression de la rue, le gouvernement de Fernando de la Rua est contraint de démissionner. Tandis que les piqueteros – les chômeurs – tiennent le pavé, la misère s’installe aux quatre coins du pays, où 45 % de la population vit désormais au-dessous du minimum vital.

Étranglés par une dette extérieure colossale, les gouvernements d’Eduardo Duhalde, puis de Nestor Kirchner, se servent du soja comme d’une bouée de secours.

« C’est le moteur de notre économie, m’ assure Miguel Campos, le secrétaire à l’agriculture. L’État prélève un impôt de 20 % sur les huiles et 23 % sur les grains, ce qui représente dix milliards de dollars [par an], soit 30 % des devises nationales. Sans le soja, le pays aurait tout simplement coulé… »

La « sojisation » du pays

Pour Monsanto, la crise argentine est une aubaine qui dépasse ses espoirs les plus fous.
Depuis la Pampa, le soja Roundup ready se répand comme une traînée de poudre, toujours plus vers le nord, dans les provinces du Chaco, de Santiago del Estero, Salta et Formosa. Alors qu’elles ne représentaient que 37 000 hectares en 1971, les cultures de l’oléagineux passent de 8,3 millions d’hectares en 2000 à 9,8 en 2001, 11,6 en 2002, pour atteindre les 16 millions d’hectares en 2007, soit 60 % des terres cultivées.

Le phénomène est tel que l’on parle de « sojisación » du pays, un néologisme qui désigne une restructuration profonde du monde agricole dont les effets funestes ne tarderont pas à se manifester.

(…)

Le « soja rebelle » : vers la stérilisation des sols

Ce jour-là, Walter Pengue a programmé une visite chez Jesus Bello, un paysan de la Pampa qui s’est lancé dans le soja RR dès 1997.

Depuis sept ans, l’agronome effectue un suivi de plusieurs fermes de la région, en épluchant scrupuleusement leurs comptes d’exploitation.

« Au début, explique-t-il, j’étais plutôt favorable au soja transgénique, car je pensais qu’avec une rotation des cultures et une utilisation raisonnable du glyphosate, il pouvait être bon pour l’environnement et pour le portefeuille des producteurs, le contrôle des mauvaises herbes représentant jusqu’à 40 % des coûts de production. Mais aujourd’hui, je suis très inquiet, car tous les postes sont au rouge… »

À ses côtés, Jésus Bello opine du chef :

« On va dans le mur, murmure-t-il. On dépense de plus en plus et les sols sont épuisés. »

De fait, Jésus, comme à 300 kilomètres de là Hector Barchetta, est confronté à un problème qui s’accentue d’année en année : la résistance des mauvaises herbes au roundup .

« D’un point de vue agronomique, c’était couru d’avance, soupire Walter. Avant l’arrivée du soja transgénique, les producteurs utilisaient quatre ou cinq herbicides différents, dont certains très toxiques comme le 2-4 D, l’atrazine ou le paraquat . Mais l’alternance entre les différents produits empêchait les mauvaises herbes de développer une résistance à l’un ou l’autre d’entre eux. Aujourd’hui, l’utilisation exclusive du Roundup, à n’importe quel moment de l’année, a entraîné l’apparition de biotypes qui furent d’abord “tolérants” au roundup : pour venir à bout de ces mauvaises herbes , il a fallu augmenter les doses de l’herbicide. Après la tolérance vint la résistance, que l’on peut déjà constater dans certains secteurs de la Pampa.

– L’argument commercial de Monsanto, qui dit que la technologie Roundup Ready permet de réduire la consommation d’herbicide, serait donc erroné ?

– Complètement !, me répond Jésus Bello. Je fais deux applications de roundup, l’une après les semis, l’autre deux mois avant la récolte. Au début, j’utilisais deux litres d’herbicide par hectare, aujourd’hui il m’en faut le double!

– Avant l’arrivée du soja RR, l’Argentine consommait une moyenne annuelle d’un million de litres de glyphosate, renchérit Walter Pengue. En 2005, nous sommes passés à 150 millions de litres ! Monsanto ne nie pas qu’il y ait un problème de résistance et annonce un nouvel herbicide plus puissant, avec une nouvelle génération d’OGM, mais on ne sort pas du cercle vicieux ! »

Pour les producteurs, la facture est salée. Finie l’époque où, pour amorcer la pompe, Monsanto consentait une ristourne des deux tiers sur le prix de son herbicide. Très vite, le prix a retrouvé un cours normal, ce qui a poussé les producteurs à se rabattre sur les génériques (principalement chinois), dès que le brevet de la compagnie a expiré en 2000.

Mais dans le même temps, apparaissait un nouveau problème, qui a alourdi encore la facture : ce qu’on appelle en Argentine le « soja rebelle » (ou « volontaire » au Canada), qui confirme que, du nord au sud de l’Amérique, les mêmes causes produisent les mêmes effets.
Et comme aux États-Unis, Syngenta, le concurrent suisse de Monsanto, qui produit le paraquat et l’atrazine (récemment interdite), ne s’y est pas trompé : en 2003, l’une de ses publicités phares clamait : « Le soja est une mauvaise herbe ! »

De plus, l’usage intensif du Roundup tend à rendre la terre stérile.

« Je consomme toujours plus d’engrais, reconnaît Jésus Bello, car sinon les rendements s’effondrent. »

On voit mal comment un « herbicide total », capable d’éliminer n’importe quelle plante, épargnerait la flore microbienne, essentielle pour la fertilité des sols.
« La disparition de certaines bactéries rend la terre inerte, explique Walter Pengue, ce qui empêche le processus de décomposition et attire les limaces et les champignons comme le fusarium »…

FIN DES EXTRAITS

Photo:
épandage de roundup au Paraguay

Lettre de Christian Vélot

Christian Vélot vient d’adresser cette lettre à tous ceux qui ont signé la pétition de soutien sur le site de la Fondation sciences citoyennes du Pr. Jacques Testart:

Bonjour à toutes et à tous,

Tout d’abord, je tiens à vous remercier infiniment pour votre soutien et pour les différents relais de cette pétition.
Toutefois, des messages circulent où il est dit que j’ai eu des ennuis supplémentaires suite à mon passage sur Arte le 10 mars auprès de José Bové après la diffusion du documentaire de Marie-Monique Robin « Le Monde selon
Monsanto », et que j’avais été aussitôt licencié.

Cette information est fausse et j’attire votre attention sur le fait de ne pas déformer les choses ! Ce n’est pas depuis mon passage sur Arte que j’ai des ennuis, et je n’ai d’ailleurs pas eu de pressions supplémentaires suite à
cette intervention.
Les pressions que je subis suite à mes prises de position publiques sur les OGM remontent à fin 2006.
Ce fut d’abord des remontrances qui sont devenues récurrentes et qui se sont suivies par des pressions matérielles allant jusqu’à mon éviction de l’institut dans lequel j’effectue ma recherche (par courrier officiel reçu en septembre 2007) à partir de fin 2009 (date de renouvellement du contrat qui lie mon institut au CNRS).

Etant fonctionnaire, je conserve mon poste d’enseignant universitaire et on ne peut pas vraiment parler de licenciement, mais plutôt de mise au placard. En effet, un enseignant-chercheur n’est évalué que sur son activité de recherche (et pas du tout sur celle de l’enseignement), et le priver d’affectation de
recherche, c’est bloquer sa carrière (rien de mieux pour le discréditer !).

Vous pouvez avoir plus de précisions sur ce site où vous trouverez notamment des texte récapitulatifs ainsi qu’une vidéo-interview où j’explique tout le contexte.
Soyons prudents car une déformation des faits peut se retourner contre moi et desservir plus généralement la cause des lanceurs d’alerte.

Merci de votre compréhension et merci encore de votre soutien.
Bien amicalement,
Christian Vélot

« De vous à moi », février 2007

Un internaute m’a fait parvenir un nouvel exemplaire de la lettre « De vous à moi », adressée par Monsanto à ses clients, et datée de février 2007.

Je laisse le soin aux lecteurs d’apprécier la teneur de ce courrier qui ressemble étrangement à ceux envoyés par des Organisations non gouvernementales (ONG) lorsqu’elles décident de mobiliser leurs militants pour une cause…

En raison du format, j’ai dû la scanner en trois parties. J’ai écourté la longue liste des destinataires (avec fax et E mail) à qui Laurent Martel, « le directeur de la région commerciale pour la France et le Maghreb » recommande d’adresser la pétition…

« Buridan » et les « pères fondateurs » (2)

En me baladant sur le forum , ouvert par ARTE sur mon film, je suis tombée sur un papier rédigé par un certain « Buridan » et mis en ligne par les « Pères fondateurs », qui se présentent comme des « Libéraux conservateurs européens ».

Je ne m’étendrai pas sur le profil politique des « pères fondateurs », estimant que le lecteur est assez grand pour vérifier lui-même, mais je répondrai point par point, comme pour l’AFIS, aux déformations et manipulations qui caractérisent cette analyse de mon documentaire, car je trouve qu’elles sont exemplaires des procédés de désinformation utilisés par ceux qui , ne sachant pas comment attaquer les révélations qui constituent le coeur de mon enquête, bottent en touche ou essaient de semer le doute « par la bande ».

Comme pour l’AFIS, je vais donc décliner mes réponses en plusieurs messages, en me basant sur des extraits de mon livre, qui, bien sûr, apporte de nombreuses informations complémentaires au film, car les téléspectateurs de bonne foi ont bien compris qu’on ne peut pas tout dire dans un film, sauf à faire trois heures, ce qui n’est malheureusement pas possible.

Cela étant posé, je ne dis pas que le livre est supérieur au film : ce sont deux outils complémentaires, le livre permettant au téléspectateur curieux, et particulièrement sensible aux sujets qu’abordent le film, d’en savoir plus.

Je dois dire que pour une journaliste, c’est un grand privilège de pouvoir décliner son travail sur deux supports aussi différents (et encore une fois complémentaires) que sont la télévision et l’édition.

Enfin, pour les visiteurs de mon blog, qui n’ont pas les moyens d’acheter mon livre, je suis ravie de pouvoir leur livrer des extraits de ce que j’ai écrit, en espérant que cela éclairera leur chandelle.

Je passe volontairement sur le ton ironique de la (longue) introduction où l’auteur semble se faire plaisir en ridiculisant ma méthode de travail, et notamment mon utilisation d’Internet comme source primaire d’informations.

Je rappelle que si j’ai choisi de mettre en scène mon enquête, c’est précisément pour que chaque téléspectateur puisse éventuellement consulter les documents que j’ai trouvés, comme les dossiers confidentiels internes de Monsanto.

Ce que d’ailleurs « Buridan » a manifestement fait, grâce à mon travail !

Sauf qu’il travestit le contenu de ces documents.

Je redonne (cf. mon message sur les PCB, dans la rubrique « Qui est Monsanto » ?) l’adresse du site où le lecteur anglophone pourra retrouver la plupart des documents déclassifiés de Monsanto concernant les PCB, mis en ligne par le Environmental Working Group de Washington, après l’arrangement à l’amiable où Monsanto a dû payer 70O millions de dollars de dommages et intérêts aux habitants d’Anniston.

Voici l’extrait 1 du papier de « Buridan »:

Si l’on avait pu examiner de près la note confidentielle du 2/10/69 on aurait pu lire : « In addition to the above, Monsanto has provided samples of the Aroclors to 30 to 40 other governemental and university laboratories or scientists », ce qui contredirait la thèse d’une entreprise refusant de communiquer la moindre information.
Le document du 16/02/70 qui contient la phrase « We cann’t afford to lose one dollar of business » est un document adressé aux commerciaux pour leur indiquer comment expliquer aux clients le retrait des composants Aroclor des produits Pydrauls. Replacée dans son contexte, la phrase «scandaleuse», signifie en fait : «Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre un seul client».

Quel amalgame !!
Pour atténuer l’effet dévastateur de la « pollution letter », « Buridan » croit bon d’exhiber un extrait d’un autre document, sorti d’un chapeau !

Je mets en pièce jointe la fameuse « pollution letter ».
Il faut bien comprendre le contexte : nous sommes au début des années 1970, des informations alarmantes sur la toxicité des PCB (commercialisés par Monsanto sous la marque Aroclor) circulent un peu partout (ils seront finalement interdits aux Etats Unis en 1977).

Or, ils sont partout, car ils sont utilisés, à des concentrations plus ou moins fortes, dans toute une gamme de produits fabriqués par Monsanto (dont PYDRAUL).

Le courrier est donc adressé aux commerciaux pour leur donner des consignes de communication, face aux inquiétudes de leurs clients :

« Vous trouverez ci-joint une liste de questions et réponses qui peuvent être posées par nos clients qui recevront notre lettre concernant l’Aroclor et les PCB. Vous pouvez répondre oralement, mais ne donnez jamais de réponse écrite »…

Poussée par l’administration américaine , qui commence enfin à réagir, la firme de Saint Louis a été contrainte de retirer ses PCB – l’Aroclor 1254 et l’Aroclor1260- de la gamme des produits PYDRAUL (des fluides hydrauliques) , car elle a trouvé des « produits de remplacement » …

Pour autant, la firme n’a pas décidé d’arrêter la commercialisation de l’Aroclor 1254 ni de l’Aroclor 1260 , hautement toxiques, car comme l’explique l’auteur :

« Nous n’avons pas de produits de remplacement pour Aroclor 1254 et Aroclor 1260 ; nous allons continuer à fabriquer ces produits. Cependant, nos clients devront juger par eux même s’ils en continuent l’usage.
Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre un dollar de ventes. Notre capacité à discuter de ce sujet avec nos clients constituera un facteur décisif dans notre succès ou notre échec à conserver notre niveau actuel de business. Bonne chance ».

En d’autres termes : « tant que nous n’aurons pas trouvé de produits de remplacement, nous continuerons à vendre nos PCB, même si nous savons qu’ils sont toxiques. Et surtout, ne laissez aucune trace écrite de ce que vous dites à vos clients, au cas où tout cela tournerait mal »…

En attendant, je serais ravie de rencontrer M. »Buridan » (ou Mme?) qui vole au secours de Monsanto de manière aussi grossière…
Chiche!

« Buridan » et les « pères fondateurs » (1)

Extrait 1:

Je retranscris ici un extrait de mon livre qui raconte, à partir des documents confidentiels aujourd’hui déclassifiés de Monsanto, comment la firme a « caché pendant des décennies » pour reprendre le titre d’un article du Washington Post paru au moment du procès d’Anniston.

EXTRAIT:

À dire vrai, il y a quelque chose que je comprends toujours mal et qui n’a cessé de me tarauder pendant toute mon enquête : comment des êtres humains comme moi peuvent-ils consciemment courir le risque d’empoisonner leurs clients et l’environnement, sans penser un instant qu’eux-mêmes, ou leurs enfants, seront peut-être victimes de leurs négligences (pour employer un terme mesuré) ?
Je ne parle même pas d’éthique ni de morale, concepts abstraits étrangers à la logique capitaliste. Je pense tout simplement à l’instinct de survie : les responsables de Monsanto en seraient-ils dépourvus ?
« Une entreprise comme Monsanto est une planète à part, m’explique Ken Cook, le président du Environmental Working Group de Washington qui avoue avoir été traversé par les mêmes questions. La recherche du profit à tout prix anesthésie les esprits tendus vers un seul objectif : faire de l’argent. »

Et d’exhiber un document qui résume à lui seul ce mode de fonctionnement. Intitulé « Pollution Letter », il est daté du 16 février 1970. Rédigée par un certain N.Y. Johnson, qui travaille au siège de Saint-Louis, cette note interne est adressée aux agents commerciaux de la firme pour leur expliquer comment répondre à leurs clients, alertés par les premières informations publiques sur la dangerosité potentielle des PCB :

« Vous trouverez ci-joint une liste de questions et réponses qui peuvent être posées par nos clients qui recevront notre lettre concernant l’Aroclor et les PCB. Vous pouvez répondre oralement, mais ne donnez jamais de réponse écrite. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre un dollar de business. »

Ce qui est absolument vertigineux, c’est que Monsanto savait que les PCB représentaient un risque grave pour la santé dès 1937. Mais la société a fait comme si de rien n’était, jusqu’à l’interdiction définitive des produits en 1977, date de fermeture de son usine de Krummrich, à Sauget, dans l’Illinois (le deuxième site de production de PCB de Monsanto, situé dans la banlieue est de Saint-Louis).
En effet, en 1937, le docteur Emett Kelly, qui dirige le service médical de Monsanto, est convié à une réunion à l’université de Harvard, à laquelle participent également des utilisateurs de PCB comme Halowax et General Electric, ainsi que des représentants du ministère de la Santé.
Au cours de cette rencontre, Cecil K. Drinker, un scientifique de la vénérable institution, présente les résultats d’une étude qu’il a menée à la demande de Halowax : un an plus tôt, trois ouvriers de cette entreprise étaient morts après avoir été exposés à des vapeurs de PCB, et plusieurs avaient développé une maladie de peau extrêmement défigurante alors inconnue, que l’on baptisera plus tard la « chloracné ».
Je reviendrai dans le chapitre suivant sur cette pathologie grave caractéristique d’une intoxication à la dioxine, qui se traduit par une éruption de pustules sur tout le corps et peut perdurer pendant plusieurs années, voire ne jamais disparaître.

Affolés, les dirigeants de Halowax avaient alors demandé à Cecil Drinker de tester les PCB sur des rats. Les résultats, publiés dans le Journal of Industrial Hygiene and Toxicoloy, furent sans appel : les cobayes avaient développé des lésions très sévères au foie.
Le 11 octobre 1937, un compte rendu interne de Monsanto constate, laconique :

« Des études expérimentales conduites sur des animaux montrent qu’une exposition prolongée aux vapeurs d’Aroclor provoque des effets toxiques sur tout l’organisme. Un contact physique répété avec le liquide Aroclor peut conduire à des éruptions cutanées de type acné. »

Dix-sept ans plus tard, le problème de la chloracné est l’objet d’un rapport interne d’une technicité qui fait froid dans le dos :

« Sept ouvriers travaillant dans une usine qui utilise l’Aroclor ont développé la chloracné », rapporte un cadre de Monsanto, lequel, sans s’émouvoir, précise : « Des tests mesurant la qualité de l’air avaient détecté des quantités négligeables de PCB : apparemment, une exposition faible mais continue n’est pas inoffensive. »

Le 14 février 1963, le responsable de fabrication de Hexagon Laboratories, un autre client de Monsanto, adresse un courrier au docteur Kelly à Saint-Louis :

« Suite à notre conversation téléphonique, je vous confirme que les deux ouvriers de notre usine qui avaient été exposés à des vapeurs d’Aroclor 1248 lors de la rupture d’un tuyau ont développé les symptômes d’une hépatite, comme vous l’aviez prédit et ils ont dû être hospitalisés. […] Il me semble qu’une description plus rigoureuse et claire des dangers que présente votre produit devrait figurer sur la notice d’emploi. »

Non seulement la compagnie de Saint-Louis ne suivra pas la recommandation de son client, mais elle fera même de la résistance, quand, en 1958, est votée une loi visant à renforcer les précautions d’emploi des produits toxiques :

« Notre désir est de respecter la nécessaire réglementation, mais en faisant juste le minimum et en ne donnant pas une information trop pointue qui pourrait causer un tort à notre position commerciale dans le domaine des fluides hydrauliques synthétiques. »

Voilà qui a le mérite de la clarté.

Parfois, face aux questions pressantes de leurs clients, les responsables de Monsanto se perdent en circonvolutions qui pourraient prêter à sourire si on en oubliait l’enjeu.

C’est ainsi qu’en août 1960, un certain M. Facini, fabricant de compresseurs à Chicago, s’inquiète des conséquences environnementales que pourrait entraîner le rejet de déchets contenant des PCB dans les rivières :

« Je dirais que si une petite quantité de ces matériaux sont déchargés accidentellement dans un cours d’eau, il n’y aura probablement pas d’effets graves, lui répond un cadre du département médical. En revanche, si une grande quantité était déversée, il s’ensuivrait probablement des dommages identifiables… »

Voilà qui n’est guère explicite…

Au fil des années, cependant, le ton change, sans doute parce que le spectre d’une action en justice intentée par ses propres clients plane de plus en plus sur la firme du Missouri : en 1965, une note interne rapporte une conversation téléphonique avec le responsable d’une entreprise électrique qui utilise l’Aroclor 1242 comme refroidisseur dans ses moteurs. Apparemment, l’industriel a raconté qu’il arrivait que des jets de PCB brûlants inondent le sol de son usine. Commentaire :

« J’ai été d’une franchise brutale en lui disant que cela devait cesser avant qu’il tue quelqu’un avec des dommages au foie ou aux reins… »

La suite dans le prochain message!

Photo:
La cloracné st la maladie typique d’une intoxication à la dioxine à laquelle s’apparentent certains PCB.

Le conseil d’Etat rejette le recours en urgence de Monsanto et consorts

La décision a été connue ce matin: le Conseil d’Etat a rejeté le recours en urgence déposé par les semenciers, dont Monsanto et l’Association générale des producteurs de maïs (AGPM), qui contestaient la légalité de l’interdiction de cultiver le maïs MON810 ( un maïs BT de Monsanto), décidée par le gouvernement français en janvier dernier.

Dans son arrêt, il estime qu »aucun des arguments soulevés par les opposants à cette mesure n’est de nature à mettre en doute la légalité des arrêtés ministériels ».

Le Conseil doit néanmoins se prononcer sur le fonds à la suite d’un autre recours déposé par les maïsiculteurs et Monsanto à une date inconnue.

Je rappelle que la prochaine actualité concernant les OGM c’est le débat qui s’ouvrira début avril à l’Assemblée nationale.

À chacun d’interpeler son député!