J’ai reçu un certain nombre d’ e-mail me demandant si je serai présente à la projection organisée mardi 27 mai par Nature et Découverte au cinéma l’Entrepôt (Paris, XIVème). La réponse est oui! A dire vrai je serai rentrée quelques heures plus tôt du Canada!
Je suis actuellement à Toronto où je vais donner six interviews avant de lancer la sortie salle de mon film, puis de prendre l’avion pour Paris!
Mois : mai 2008
Une critique du film sur cinema.ca
Avant de foncer vers mes dernières interviews canadiennes, je ne peux m’empêcher de donner ce lien qui explique notamment l’énorme succès du film dans les salles canadiennes.
Gros succès au Canada
Le lancement du film et livre au Canada dépasse mes espoirs les plus fous…
Grâce au travail enthousiaste de Marie-Claude Lamoureux (ONF) et de Nathalie Dion (Stanké), j’ai donné … 26 interviews à la presse de Montréal et de Québec (journaux, radio et télévision) en deux jours! Résultat: une énorme couverture médiatique qui , à l’unanimité, souligne la qualité de l’enquête. Il m’en reste encore six , lundi, à Toronto.
Le film et livre suscitent d’autant plus d’intérêt que le 7 mai dernier, les conservateurs, majoritaires au parlement d’Ottawa, ont fait rejeter un projet de loi (C-517) visant à instaurer l’étiquetage des OGM, ainsi que le réclame la grande majorité des consommateurs canadiens. Le projet a été rejeté par 101 voix contre 156 lors d’un vote en Chambre.
Le projet de loi avait été déposé par Gilles-A Perron, député du Bloc Québécois, dont j’ai rencontré , ce matin, l’un des leaders, Gilles Duceppe, à l’initiative de Louise Vandelac, professeur de sociologie à l’université de Montréal, qui a écrit la post-face de l’édition canadienne de mon livre (voir sur mon blog) . Celui-ci m’a proposé de projeter le film au parlement d’Ottawa à la mi septembre et m’a demandé d’y participer. J’ai accepté…
Le film a été présenté en avant première, mercredi soir, à l’ONF, en présence de Yves Bisaillon et Christian Medawar, ainsi qu’un représentant de Thalie Production, en ouverture du festival « caméra verte ».
Une projection avait été organisée, quelques semaines plus tôt, pour le personnel de l’ONF, qui, de l’avis général, fut « complètement retourné » par mon enquête.
Par ailleurs, j’ai dîné hier soir avec les dirigeants de Stanké, mon éditeur canadien, qui m’ont informée que dès sa sortie, le livre s’affichait parmi les meilleures ventes de la Belle province.
Enfin, le film sort aujourd’hui dans deux cinémas de Montréal (un anglophone et un anglophone) et dans un cinéma de Québec. Aux dernières nouvelles, on se rue pour réserver les places!
Il faut dire que la critique cinéma est excellente.
Canada: les « super mauvaises herbes »
Voici le deuxième extrait de mon livre concernant le Canada que je mets en ligne. Je rappelle que toutes les références citées sont dans mon livre.
DÉBUT DE L’EXTRAIT:
Quand la contamination des OGM produit de « super mauvaises herbes »
Je dois dire que je suis très impressionnée par la capacité de la firme de Saint-Louis à dire une chose et à faire exactement l’inverse. Au moment où elle harcelait Percy Schmeiser, son service de communication écrivait en effet dans son Pledge :
« Dans le cas où apparaîtraient de manière non intentionnelle des variétés qui nous appartiennent dans les champs d’un agriculteur, bien évidemment nous travaillerons avec l’agriculteur pour résoudre ce problème d’une manière qui satisfasse aussi bien l’agriculteur que Monsanto . »
Voilà donc pour l’habillage destiné à rassurer les actionnaires et d’éventuels clients. Sur le terrain, la réalité est tout autre, tant la contamination des OGM est devenue un problème majeur dans les prairies d’Amérique du Nord.
« En vérité, le colza transgénique s’est disséminé beaucoup plus rapidement que nous ne l’avions pensé, déclare ainsi en 2001 le professeur Martin Entz, de l’université de Manitoba (Canada). Ce fut un coup de semonce sur les effets secondaires de la biotechnologie . »
La même année, le professeur Martin Phillipson constate : « Dans notre province, les agriculteurs dépensent des dizaines de milliers de dollars pour essayer de se débarrasser du colza qu’ils n’ont pas planté. Ils doivent utiliser toujours plus d’herbicides pour venir à bout de cette technologie . »
Ces deux témoignages sont cités dans Seeds of Doubt (les semences du doute), un rapport publié en septembre 2002 par la Soil Association (une association britannique de promotion de l’agriculture biologique, fondée en 1946), qui dresse un bilan très détaillé des cultures transgéniques en Amérique du Nord :
« La contamination massive des OGM a sévèrement affecté l’agriculture non transgénique, y compris biologique, elle a détruit le marché et sapé la compétitivité de l’agriculture nord-américaine, peut-on lire dans son introduction. Les cultures transgéniques ont aussi augmenté la dépendance des agriculteurs par rapport aux herbicides et conduit à de nombreux problèmes juridiques . »
Une étude commanditée par le ministère de l’Agriculture du Saskatchewan a ainsi révélé en 2001 que le pollen de colza Roundup ready peut se déplacer sur au moins 800 mètres, soit huit fois la distance recommandée par les autorités entre les cultures OGM et conventionnelles .
Le résultat c’est que, dès 2001, l’organisme de certification biologique des États-Unis reconnaissait dans The Western Producer qu’il était quasiment impossible de trouver des semences de colza, mais aussi de maïs et de soja, qui ne soient pas contaminées par des OGM.
Dans le même article, la Canadian Seed Trade Association admettait que toutes les variétés conventionnelles étaient déjà contaminées par les OGM à hauteur d’au moins 1 % . On se demande ce qu’il en est six ans plus tard…
En tout cas, anticipant sur les effets incontrôlables de la contamination transgénique, les principales compagnies d’assurance agricoles du Royaume-Uni ont annoncé en 2003 qu’elles refusaient de couvrir les producteurs de cultures OGM contre ce fléau, qu’elles comparent au problème de l’amiante ou aux actes de terrorisme, en raison des charges financières imprévisibles qu’il peut induire.
Dans un sondage publié par The Guardian, les assureurs comme la National Farm Union Mutual, Rural Insurance Group (Lloyds) ou BIB Underwriters Ltd (Axa) soulignaient que « l’on en sait trop peu sur les effets à long terme des cultures [transgéniques] pour la santé humaine et l’environnement pour pouvoir proposer une quelconque protection ».
Mais une chose est sûre : en Amérique du Nord, la contamination des OGM a provoqué un véritable « bourbier de contentieux », pour reprendre les mots de la Soil Association, qui précise que celui-ci « concerne tous les niveaux de l’activité : les agriculteurs, les transformateurs, les distributeurs, les consommateurs et les entreprises de biotechnologie », les uns se retournant contre les autres, dès qu’un OGM non désiré apparaît quelque part.
Pour illustrer l’absurdité insoluble de la situation, le rapport Seeds of Doubt donne l’exemple de la contamination d’un chargement de colza conventionnel canadien, arraisonné en Europe en mai 2000, parce que la présence d’un transgène de Monsanto y avait été détectée. La société Adventa a dû procéder à la destruction de milliers d’hectares, indemniser ses agriculteurs, puis déplacer sa production de semences de l’ouest vers l’est du Canada, où elle estimait pouvoir mieux se protéger de la pollinisation croisée, avec à la clé une cascade de procès …
Les problèmes que pose la contamination transgénique ne sont pas que juridiques, ils sont aussi environnementaux. En effet, lorsqu’une graine de colza transgénique atterrit dans un champ, par exemple de blé, par la grâce du vent, il est considéré comme une mauvaise herbe par l’agriculteur, qui a beaucoup de mal à en venir à bout, car « comme ce colza résiste au Roundup, un herbicide total, la seule façon de s’en débarrasser est de l’arracher à la main ou d’utiliser du 2-4 D, un herbicide extrêmement toxique »…
De même, un producteur d’OGM soucieux de maintenir une rotation de ses cultures, en alternant par exemple du colza Roundup ready avec du maïs Roundup ready, peut être aussi confronté à ce problème, renforcé par la spécificité du colza : ses cosses mûrissant de manière inégale, les producteurs ont pris l’habitude de couper les plants et de les faire sécher dans les champs, avant d’en récolter les grains. Immanquablement, des milliers de graines restent sur le sol et germeront l’année suivante, voire cinq années plus tard. C’est ce qu’on appelle du « colza volontaire » ou « rebelle », qui représente en fait une « super mauvaise herbe » (en anglais « superweed »)…
Grâce aux OGM, toujours plus d’herbicides
L’ironie de l’histoire, c’est que Monsanto a compris très tôt l’intérêt financier que pouvaient représenter ces plantes « rebelles » : le 29 mai 2001, la firme a obtenu un brevet (n° 6 239 072) portant sur une « mixture d’herbicides » qui permet à la fois de « contrôler les mauvaises herbes sensibles au glyphosate et des spécimens volontaires tolérants au glyphosate ». Comme le souligne le rapport de la Soil Association, « ce brevet permettra à la firme de profiter d’un problème que ses produits ont eux-mêmes créé »…
Et à voir l’évolution dans les prairies d’Amérique du Nord, on peut s’attendre à ce que la fameuse « mixture d’herbicides » représente la nouvelle vache à lait de la firme de Saint-Louis.
De fait, le développement des superweeds est devenu l’un des principaux casse-tête des agronomes nord-américains, qui notent que celles-ci peuvent émerger de trois manières.
Dans le premier cas, comme nous venons de le voir, ce sont des « volontaires » (résistants au Roundup), dont la destruction nécessite le recours à des herbicides plus puissants.
Dans le deuxième cas, les OGM se croisent avec des adventices — le mot savant qui désigne les « mauvaises herbes » — qui leur sont génétiquement proches, en leur transférant le fameux gène de résistance au Roundup. C’est le cas notamment du colza, qui est un hybride naturel entre le navet et le chou, capable d’échanger des gènes avec des espèces sauvages apparentées comme la rave-nelle, la moutarde ou la roquette, que les agriculteurs considèrent comme des mauvaises herbes. Ainsi une étude conduite par le Britannique Mike Wilkinson, de l’université Reading, a confirmé en 2003 que le flux de gènes entre le colza et la navette (Brassica rapa), l’une des adventices les plus répandues, était très courant, ce qui indique que « la pollinisation croisée entre des plantes OGM et leurs parents sauvages est inévitable et peut créer des super mauvaises herbes résistantes à l’herbicide le plus puissant », ainsi que le souligne The Independant .
Enfin, troisième cas, si des superweeds apparaissent, c’est tout simplement parce qu’à force d’être arrosées exclusivement de Roundup, plusieurs fois par an et d’une année sur l’autre, les mauvaises herbes développent une résistance à l’herbicide qui finit par les rendre aussi efficaces en la matière que les OGM qui les ont engendrées. Curieusement, la firme, qui a pourtant une longue expérience des herbicides, a toujours nié ce phénomène :
« Après vingt ans d’utilisation, on n’a jamais entendu parler d’espèces d’adventices qui soient devenues résistantes au Roundup », affirme ainsi un document publicitaire vantant les mérites du soja RR .
De même, dans son Pledge de 2005, la multinationale continue d’affirmer que les cultures transgéniques « permettent aux agriculteurs d’utiliser moins d’herbicides ».
« C’est faux ! », rétorque l’agronome américain Charles Benbrook, dans une étude publiée en 2004 et intitulée : « Les cultures OGM et l’usage des pesticides aux États-Unis : les neuf premières années . »
Selon lui, l’argument de la « réduction de l’usage des pesticides » a été valide durant les trois premières années qui ont suivi la mise en culture des OGM en 1995, mais « depuis 1999, ce n’est plus le cas ».
« Ce n’est pas une surprise, explique-t-il : cela fait dix ans que les scientifiques spécialistes des adventices mettent en garde contre le fait que l’usage intensif des cultures résistantes à un herbicide allait déclencher des changements dans les populations de mauvaises herbes ainsi que leur résistance, forçant les paysans à appliquer d’autres herbicides et/ou à augmenter leurs doses. […] Un peu partout dans le Midwest, les agriculteurs évoquent avec nostalgie l’efficacité et la simplicité initiales de la technique Roundup Ready, en regrettant ce “bon vieux temps”. »
Charles Benbrook connaît son sujet : après avoir travaillé comme expert agricole à la Maison-Blanche sous l’administration Carter, puis au Capitole, il fut directeur de la division agricole de l’Académie nationale des sciences pendant sept ans, avant de créer son cabinet de consultant indépendant à Sandpoint, dans l’Idaho.
Depuis 1996, il épluche minutieusement les données de consommation d’herbicides enregistrées par le Service national des statistiques agricoles (NASS) qui dépend de l’USDA, en les comparant avec celles fournies par Monsanto, qu’il juge « trompeuses, à la limite de la malhonnêteté ».
Dans un article de 2001, il notait déjà que la « consommation totale d’herbicides utilisée pour le soja RR en 1998 était au moins 30 % supérieure en moyenne à celle du soja conventionnel dans six États, dont l’Iowa, où est cultivé un sixième du soja de la nation ».
Dans son étude de 2004, il constate que la quantité d’herbicides épandus sur les trois principales cultures des États-Unis (soja, maïs et coton) a augmenté de 5 % entre 1996 et 2004, ce qui représente 138 millions de livres supplémentaires. Alors que la quantité d’herbicides utilisés pour les cultures conventionnelles n’a cessé de baisser, celle de Roundup a connu une évolution inverse, ainsi que s’en félicite d’ailleurs Monsanto dans son « 10K Form » de 2006 : après avoir souligné que les ventes de glyphosate ont représenté un chiffre d’affaires de 2,2 milliards de dollars en 2006, contre 2,05 en 2005, la firme note que « toute expansion des cultures qui présentent la caractéristique Roundup ready accroît considérablement les ventes des produits Roundup ».
Ces résultats sont le fruit d’une stratégie planifiée de longue date :
« Un facteur clé pour l’augmentation du volume de Roundup est une stratégie basée sur l’élasticité et des réductions sélectives des prix suivies par une importante augmentation des volumes », écrivait la multinationale dans son rapport annuel de 1998 (p. 7).
Quand on lui fait remarquer que cette évolution est bien la preuve que les OGM ne réduisent pas la consommation d’herbicides, la multinationale réplique qu’il est normal que les ventes de Roundup augmentent, puisque la surface des cultures Roundup ready ne cesse de progresser. Certes, neuf ans après leur mise sur le marché, les cultures transgéniques couvraient près de 50 millions d’hectares aux États-Unis et 73 % étaient Roundup ready (23 % Bt), mais ces surfaces étaient déjà cultivées avant l’arrivée des OGM (et donc arrosées de pesticides )…
De plus, ajoute Charles Benbrook, la fin du monopole de Monsanto sur le glyphosate, en 2000, a entraîné une guerre des prix qui a fait chuter celui du Roundup d’au moins 40 %, et pourtant le chiffre d’affaires de la firme n’a pas été affecté, bien au contraire.
Enfin, écrit-il, « la dépendance vis-à-vis d’un seul herbicide, comme méthode unique de gestion des mauvaises herbes sur des millions d’hectares, est la principale raison qui explique la nécessité d’appliquer des doses d’herbicides plus élevées pour atteindre le même niveau de contrôle ».
Il rappelle qu’avant l’introduction des OGM, les scientifiques n’avaient identifié que deux adventices résistantes au glyphosate : l’ivraie (en Australie, Afrique du Sud et États-Unis) et le gaillet (en Malaisie), mais qu’aujourd’hui on en compte six sur le seul territoire américain, avec en tête la prèle, devenue un véritable fléau dans les prairies, mais aussi les amarantes, comme l’« herbe au cochon » ou l’ambroisie.
Ainsi, une étude réalisée à l’université de Delaware a montré que des plants de prèle prélevés dans des champs de soja RR survivaient à dix fois la dose de Roundup recommandée .
À ces mauvaises herbes déjà identifiées comme résistantes au Roundup, s’ajoute une liste d’adventices dites « tolérantes au glyphosate », c’est-à-dire pas encore résistantes, mais pour lesquelles il faut multiplier les doses par trois ou quatre pour en venir à bout…
FIN DE L’EXTRAIT
Lancement du film au Canada
Me voici donc au Canada où j’ai été chaleureusement reçue par Elise Labbé et Marie-Claude Lamoureux de l’ Office national du film canadien (ONF) ainsi que par Nathalie Dion de Stanké. Marie-Claude et Nathalie, qui sont attachées de presse, m’ont organisé un programme marathon avec, à la clé, une vingtaine d’ « entrevues » avec les journalistes. Manifestement, le film et le livre s’annoncent comme un événement.
Le film sort d’abord au cinéma dans deux salles à Montréal et Québec où sont organisées le même jour (vendredi 23 mai) à la même heure, la sortie nord-américaine du documentaire.
Le film et le livre ont déjà été commentés à plusieurs reprises sur Radio Canada.
Par ailleurs, j’invite les visiteurs à consulter le site de l’ONF qui permet de visionner gratuitement sa collection de films relatifs aux problématiques de l’environnement.
Canada: l’affaire de Percy Schmeiser
Je profite de ma présence au Canada pour mettre en ligne plusieurs extraits de mon livre qui concernent directement ce pays. Je précise que toutes les références des documents que je cite peuvent être consultées dans mon livre, mais que je n’arrive pas à couper-coller les notes de bas de page..
DÉBUT DE L’EXTRAIT
Percy Schmeiser, un rebelle au « pays des ciels vivants »
Né en 1931 à Bruno, une bourgade de 700 âmes située au cœur de la province canadienne du Saskatchewan (le « pays des ciels vivants »), Percy Schmeiser représente la « bête noire de Monsanto, le caillou dans sa chaussure », pour reprendre les termes du journaliste du Monde Hervé Kempf .
Descendant de pionniers européens venus s’installer dans les prairies nord-américaines à la fin du XIXe siècle, l’homme est un battant, un « survivant » se plaît-il à dire, qui a l’énergie de celui que la vie a failli faucher précocement à plusieurs reprises. Il a survécu notamment à un grave accident du travail qui l’a laissé invalide pendant des années, ainsi qu’à une hépatite virulente contractée en Afrique. Car, en marge de ses activités de fermier, le rebelle des prairies est aussi un homme d’action et de convictions (catholiques) : il a été maire de sa commune pendant un quart de siècle, puis député à l’assemblée provinciale, et il a multiplié les voyages humanitaires, n’hésitant pas, avec sa femme, à confier leurs cinq enfants à leurs grands-parents, pour « aider les gens » en Afrique ou en Asie. Percy Schmeiser, enfin, est un sportif qui, pendant la longue froidure hivernale, partait gravir le Kilimandjaro ou tenter l’Everest (trois fois, sans succès).
Malheureusement, je n’ai pas pu le rencontrer, car lorsque je me suis rendue en Saskatchewan, en septembre 2004, il était, si je me souviens bien, à Bangkok, où il avait répondu à l’une des nombreuses invitations internationales qu’il reçoit depuis qu’il est devenu l’« homme qui s’est rebellé contre Monsanto ».
Pour cet agriculteur, qui cultive une exploitation familiale de 600 hectares depuis cinquante ans, l’affaire commence pendant l’été 1997. Alors qu’il vient de désherber avec du Roundup les fossés qui bordent ses champs de colza, il se rend compte que son travail ne sert pratiquement à rien : de nombreux plants qui avaient germé hors de son aire de culture résistent à l’épandage. Intrigué, il contacte un représentant de Monsanto, qui l’informe qu’il s’agit de colza Roundup ready, mis sur le marché deux ans plus tôt.
Les mois passent et au printemps 1998, Percy, qui est réputé dans toute la région pour être un sélectionneur chevronné des semences de colza, ressème les graines de sa récolte antérieure. Au mois d’août, alors qu’il s’apprête à moissonner, il est contacté par un représentant de Monsanto Canada, qui l’informe que des inspecteurs ont détecté du colza transgénique dans ses champs et lui propose un arrangement à l’amiable, sous peine de porter l’affaire en justice.
Mais Percy Schmeiser refuse de s’incliner. À son avocat, il transmet des documents prouvant qu’il a racheté, en 1997, un champ qui avait été cultivé avec du colza Roundup ready. Il explique aussi que l’oléagineuse a la vivacité d’une mauvaise herbe, capable d’envahir les prairies à la vitesse du vent et que ses graines, très légères, peuvent dormir dans le sol pendant plus de cinq ans, avant d’être transportées par un oiseau sur des kilomètres. Constatant que la présence du colza transgénique est surtout effective aux abords de ses champs, il en conclut que ceux-ci ont dû être contaminés par les cultures de ses voisins convertis aux OGM ou par des camions de grains qui sont pas-sés sur la route.
Il faut dire que la résistance de Schmeiser est encouragée par la révélation des pratiques musclées de la firme de Saint-Louis, qui n’hésiterait pas à répandre du Roundup par hélicoptère sur les champs des paysans soupçonnés de « piraterie », selon les dires, en août 1998, d’Edy et Elisabeth Kram, un couple d’agriculteurs de la province. Un acte pour le moins « étrange », relève Hervé Kempf, et que Monsanto n’a jamais démenti, « reconnaissant par ailleurs, dans une déclaration à la gendarmerie, que ses agents avaient prélevé des échantillons du colza d’Edy Kram pour l’analyser en laboratoire ».
Monsanto Canada, en tout cas, ne veut rien savoir. Brandissant devant la presse les analyses des échantillons qu’elle prétend avoir prélevés (à son insu, donc illégalement) sur la ferme de Percy Schmeiser, qui révèlent un taux de « contamination » de plus de 90 % , la multinationale décide d’engager une action en justice, tout en maintenant la pression sur lui pour qu’il accepte de transiger.
« 1999 a vraiment été l’année terrible, raconte Percy à Hervé Kempf. On était souvent surveillés par des hommes dans une voiture, qui ne disaient rien, ne faisaient rien, ils étaient là, à regarder. Une fois, ils sont restés trois jours d’affilée. Quand on allait vers eux, ils partaient en trombe. On recevait aussi des coups de fil anonymes, des gens qui disaient : “On va vous avoir.” On avait si peur que j’ai acheté une carabine, que je gardais dans le tracteur quand je travaillais au champ . »
Finalement, l’affaire est jugée à Saskatoon, la capitale de la province, en juin 2000. Le juge Andrew McKay rend sa décision, le 29 mars 2001, provoquant la stupéfaction chez tous ceux qui soutiennent l’agriculteur de Bruno. En effet, le magistrat estime qu’en emblavant ses champs avec des graines récoltées en 1997 « qu’il savait ou aurait dû savoir résistantes au Roundup », Percy Schmeiser a enfreint le brevet de Monsanto. Il précise que la « source du colza résistant au Roundup ne change rien au fond de l’affaire » et qu’« un fermier dont le champ contient des semences ou des plantes pro-venant de semences versées dedans, ou apportées par le vent du champ d’un voisin ou même germant par du pollen apporté par des insectes, des oiseaux ou par le vent, peut posséder ces semences ou plantes même s’il n’avait pas l’intention de les planter. Il ne possède pas, cependant, le droit d’utiliser le gène breveté, ou la semence ou la plante contenant ce gène ou cette cellule brevetée », car cela « revient à s’emparer de l’essence de l’invention des plaignants en l’utilisant sans sa permission ».
Le juge écarte ainsi d’un revers de main l’argument de la défense selon lequel l’intérêt d’utiliser l’« essence » des OGM de Monsanto est de pouvoir appliquer du Roundup sur les cultures, ce que Percy Schmeiser n’a pas fait, ainsi que le révèlent ses factures d’herbicides… Il ne tient pas compte non plus du fait que pour prélever ses échantillons, Monsanto a dû rentrer illégalement sur la propriété de l’agriculteur, ni que les tests effectués par les experts que ce dernier a consultés ont révélé une contamination nettement inférieure.
Comme le relève justement Hervé Kempf, « le jugement est extraordinaire : il signifie qu’un agriculteur enfreint le brevet de toute compagnie produisant des semences OGM dès lors que son champ est contaminé par des plantes transgéniques ».
La décision, on s’en doute, remplit d’aise Monsanto : « C’est une très bonne nouvelle pour nous, triomphe Trish Jordan, la représentante de la firme au Canada. Le juge a déclaré M. Schmeiser coupable d’avoir violé notre brevet et l’a condamné à nous verser des dommages et intérêts . »
Ceux-ci s’élèvent à 15 450 dollars canadiens, soit 15 dollars par acre récoltée en 1998, alors que seule une partie de la récolte était contaminée… S’y ajoutent les frais de justice engagés par Monsanto.
Percy Schmeiser fait appel, mais le 4 septembre 2002, la décision du juge McKay est confirmée. Pourtant, l’agriculteur, qui a déjà sacrifié son épargne-retraite et une partie de ses terres pour assurer sa défense (200 000 dollars canadiens), ne renonce pas :
« Ce n’est plus l’affaire Schmeiser, affirme-t-il, c’est l’affaire de tous les paysans à travers le monde . »
Il se tourne donc vers la Cour suprême du Canada, qui, le 21 mai 2004, rend un jugement très attendu par tous ceux qu’inquiète la progression des OGM : par cinq voix contre quatre, les juges confirment les deux décisions antérieures mais, curieusement, exemptent le fermier de payer des dommages et intérêts ainsi que les frais de justice engagés par le groupe américain.
Dramatique sur le fond, puisqu’il confirme que les paysans sont responsables de la contamination transgénique de leurs champs, le jugement prouve aussi que les magistrats sont gênés aux entournures :
« Ils donnent d’une main ce qu’ils enlèvent de l’autre », note Richard Gold, un spécialiste de la propriété intellectuelle de l’université McGill de Montréal.
Mais pour la firme de Saint-Louis, c’est une victoire dont elle ne manquera pas de se prévaloir à l’avenir : « La décision conforte notre manière de faire des affaires », commente Trish Jordan, sa représentante au Canada…
FIN DE L’EXTRAIT