J’ai écouté hier attentivement le 7/9 de France Inter où Patrick Cohen recevait Corinne Lepage, eurodéputée et présidente du CRIIGEN (qui a financé l’étude du professeur Séralini) et Louis-Marie Houdebine, directeur honoraire à l’INRA et président de l’Association française pour l’information scientifique (AFIS), dont j’ai rappelé les liens avec Monsanto dans mon dernier texte (voir sur ce Blog).
Vous pouvez réécouter cet « échange » sur le site de France Inter :
Je voulais commenter ce « débat » dès hier, mais je n’ai pas pu, faute de temps : j’ai passé une partie de la journée à signer des exemplaires de mon livre Les moissons du futur, qui sortira en librairie le 11 octobre.
Par ailleurs, j’ai été débordée par des demandes d’interview venant du Japon, où mon film Le monde selon Monsanto est sorti , début septembre, en salle.
Le même jour, les journalistes argentins me demandaient de réagir à une actualité qui défraye la chronique : le gouvernement français a demandé de retirer une plaque commémorative , qui avait été apposée sur l’Ecole mécanique de la marine, la sinistre ESMA, où ont été torturés, puis jetés dans la mer, plusieurs milliers de disparus de la dictature argentine( 1976-1982). Cette plaque soulignait le rôle de « l’école française » dans la formation des officiers argentins pour l’utilisation des techniques de « séquestration, torture et disparition ». Ce qui est la vérité la plus stricte, ainsi que je l’ai rapporté dans mon film et livre « Escadrons de la mort : l’école française » :
Je suis en train de préparer un communiqué sur cette triste affaire (le gouvernement français est toujours dans le déni..) qui a été révélée par le quotidienClarin, qui cite mon enquête :
Mais revenons au 7/9 de France Inter. Je ne suis pas sûre que les auditeurs aient tout compris de ce qui s’est dit, car ce « débat » ressemblait plutôt à un dialogue de sourds, où malheureusement personne n’a pu répondre aux contre-vérités et approximations de Mr. Houdebine. Je vais donc reprendre point par point ses affirmations qui révèlent au mieux une grande méconnaissance du dossier, et au pire, sa grande mauvaise foi.
Pour défendre les OGM, Louis-Marie Houdebine ( LMH) a évoqué un »manioc transgénique » qui ferait, dit-il, des miracles dans les champs africains. Malheureusement ce manioc miraculeux n’est qu’à l’état expérimental dans un laboratoire suisse, et comme l’écrit Le Matin (Suisse) , le 28 septembre, « il ne reste plus qu’à tester la nouvelle variété de manioc en Afrique, en plein champ » :
Espérons que le manioc OGM , censé lutter contre un virus dévastateur (et d’autant plus dévastateur qu’on a utilisé des pesticides…), aura plus de chance que le fameux « riz doré », dont j’avais raconté les mésaventures dans mon livre Le monde selon Monsanto. Celes-ci sont très bien résumées dans les deux articles ci-dessous :
Avec cette digression, LMH voulait faire oublier que les seuls OGM cultivés aujourd’hui dans les champs sont des plantes pesticides, destinées à être arrosées par des pesticides puissants (comme le roundup) ou à fabriquer un insecticide qu’on appelle BT.
Comme ce sont des plantes pesticides, les OGM devraient donc être testés comme des pesticides, c’est-à-dire avec des études toxicologiques de deux ans, qui permettraient d’évaluer les risques sanitaires qu’elles font courir à ceux qui les ingurgitent (les animaux et les hommes).
Il voulait aussi contourner le problème des résidus de roundup que l’on retrouve immanquablement sur le soja, le colza ou le maïs OGM (dits « roundup ready »).
Quelle mauvaise foi que d’affirmer que le roundup n’est appliqué qu’au moment des semis, mais jamais après !
Dans mon film Les Moissons du futur (sur ARTE, le 16 octobre), j’ai rencontré un grand céréalier du Midwest (voir extrait exclusif ci-dessous) qui m’a raconté qu’il avait dû passer deux fois du roundup par avion sur son maïs, six semaines et quatre semaines avant la récolte, car ses champs étaient infestés par la sétaire géante.
Bien sûr que son maïs était imbibé de roundup !
Et Monsanto le sait très bien, c’est pourquoi, au moment de lancer sur le marché le soja Roundupready, en 1997, la firme a fait changer le taux de résidus de roundup autorisé sur les produits agricoles.
C’est ce que j’ai révélé dans Le monde selon Monsanto.
Je reproduis ici l’extrait de mon livre, où je raconte les découvertes faites par deux scientifiques californiens, quand ils ont répété une étude très controversée, publiée par Monsanto, pour montrer que le soja transgénique était équivalent en substance au soja conventionnel :
EXTRAIT
C’est précisément pour en avoir le cœur net que Marc Lappé (décédé en 2005) et sa collègue Britt Bailey ont décidé de répéter l’expérience menée par Stephen Padgette. « Pour notre étude, m’explique Britt Bailey, que j’ai rencontrée à San Francisco en octobre 2006, nous avons planté des graines de soja Roundup ready, ainsi que des graines issues des lignées conventionnelles d’origine, la seule différence étant la présence du gène Roundup ready dans les graines de Monsanto. Je précise que nous avons réalisé les cultures dans des sols strictement identiques, avec les mêmes conditions climatiques pour les deux groupes. Les pousses de soja transgénique ont été aspergées de Roundup, en respectant les recommandations de Monsanto. En fin de saison, nous avons récolté les grains issus des deux groupes et nous avons comparé leur composition organique.
– Quels furent les résultats ?
– Nos analyses ont montré des différences importantes entre le soja Roundup ready et le soja conventionnel, et notamment un niveau d’isoflavones, et donc de phytœstrogènes, de 12 % à 14 % moins élevé, ce qui prouve clairement que la composition du soja Roundup ready n’est pas équivalente au soja conventionnel. Nous avons envoyé nos données à la FDA, mais elle ne nous a jamais répondu…
– Comment a réagi Monsanto ?
– Nous avons proposé notre étude au Journal of Medicinal Food, qui l’a donc soumise à des relecteurs. Elle a été acceptée et sa publication a été fixée au 1er juillet 1999[i]. Curieusement, une semaine avant la publication, alors que selon l’usage l’article était encore sous embargo, l’Association américaine du soja (American Soybean Association, ASA), connue pour ses liens avec Monsanto, a publié un communiqué de presse affirmant que notre étude n’était pas rigoureuse. Nous n’avons jamais su d’où venait la fuite… »
J’ai retrouvé le communiqué de l’association (dont je rencontrerai bientôt le vice-président) sur le site britannique de… Monsanto, qui en présente une version française ! « L’ASA a foi dans les analyses de soja Roundup ready menées par les services de tutelle aux États-Unis et dans le monde et aux études scientifiques qui les étayent et qui montrent une équivalence entre le soja Roundup ready et le soja classique… », y est-il écrit dans une langue de bois qui égratigne un peu la langue de Voltaire[ii]…
« Comment expliquez-vous que Monsanto ait conclu que les deux sojas étaient équivalents ?, ai-je demandé à Britt Bailey.
– Je pense que la faille principale de leur étude, c’est qu’ils n’ont pas arrosé les grains avec du Roundup, ce qui invalide complètement l’étude, car le soja Roundup ready est fait pour être arrosé d’herbicide.
– Comment le savez-vous ?
– Grâce à une étourderie du service juridique de Monsanto ! »
Et Britt Bailey de me montrer une lettre adressée par Tom Carrato, l’un des avocats de Monsanto, à Vital Health Publishing, un éditeur qui était alors sur le point de publier un livre qu’elle avait écrit avec Marc Lappé sur les OGM. Ce courrier, daté du 26 mars 1998, en dit long, encore une fois, sur les pratiques de la firme. Après avoir expliqué qu’il avait été informé de l’imminence de la publication dans un article du Winter Coast Magazine, le conseil écrit, avec une assurance déconcertante : « Les auteurs du livre prétendent que le Roundup est toxique. Que veulent-ils dire par “toxique” ? Chacun sait que toute substance, qu’elle soit synthétique ou naturelle, peut être toxique à une certaine dose. […] Quiconque a bu plusieurs tasses de café ou observé une personne boire de l’alcool sait que tout est affaire de dose et de seuil à ne pas dépasser. […] Ces erreurs doivent être corrigées avant la publication, parce qu’elles […] dénigrent et diffament potentiellement le produit. » Un peu plus loin, Tom Carrato défend l’étude réalisée par Stephen Padgette et fait, en effet, un bel aveu : « Les tests menés sur du soja Roundup ready non pulvérisé [c’est moi qui souligne] ne montrent aucune différence dans les niveaux d’œstrogène. Les résultats ont été publiés dans un article relu par des pairs dans le Journal of Nutrition en janvier 1996… »
« En tout cas, la lettre a été efficace, soupire Britt Bailey, car notre éditeur a renoncé à publier notre livre, et nous avons dû en chercher un autre[iii]…
– Savez-vous si les résidus de Roundup que l’on trouve immanquablement sur le soja transgénique ont été évalués, d’un point de vue sanitaire ?
– Jamais ! En écrivant notre livre, nous avons découvert qu’en 1987 le niveau de résidus de glyphosate autorisé sur les grains de soja était de six ppm. Et puis bizarrement, en 1995, un an avant la mise sur le marché du soja Roundup ready, le niveau permis par la FDA est passé à 20 ppm. J’ai parlé avec Phil Errico, le directeur du département glyphosate à l’EPA, et il m’a dit : “Monsanto nous a fourni des études qui montraient que 20 ppm ne posaient pas de risque pour la santé et le niveau autorisé a été changé.” Bienvenue aux États-Unis ! »
Pour être honnête, l’Europe ne vaut guère mieux : d’après une information publiée par Pesticides News en septembre 1999, en réponse à l’importation du soja transgénique américain, la Commission européenne a multiplié par deux cents le taux de résidu de glyphosate autorisé, en le portant de 0,1 à 20 mg/kg…
FIN DE L’EXTRAIT
Je reviendrai dans un prochain article sur les autres affirmations hasardeuses de LMH !
Voici l’extrait de mon film Les moissons du futur qui oppose deux modes de culture du maïs : l’un, agroécologique, pratiqué au Mexique (c’est le début de mon film), et l’autre transgénique….
[i] Marc Lappé, Britt Bayley, Chandra Childress, Kenneth Setchell, « Alterations in clinically important phytoestrogens in genetically modified, herbicide-tolerant soybeans », Journal of Medicinal Food, vol. 1, n° 4, 1erjuillet 1999.
[ii] <www.monsanto.co.uk/news/ukshowlib.phtml?uid=1612>. À noter que le communiqué est daté du 23 juin 1999.
[iii] Marc Lappé et Britt Bailey, Against the Grain. Biotechnology and the Corporate Takeover of your Food, Common Courage Press, Monroe, 1998.
Lundi 17 septembre s’est tenue à ARTE la projection à la presse de mon film « Les moissons du futur », qui, je le rappelle, sera diffusé le 16 octobre prochain à 20 heures 50 (voir la bande annonce sur ce blog).
Une soixantaine de journalistes étaient présents (je mettrai bientôt en ligne une vidéo retraçant les grands moments du débat qui a suivi la projection).
Mardi 18 septembre, j’étais à Bruxelles pour les mêmes raisons. Le film a reçu un excellent accueil, ainsi que le montrent les deux articles publiés par Les Echos et La Belgique Libre (ci-dessous). Le film sera diffusé sur la RTBF, le 26 septembre. Ce soir là, je participerai à un Chat en direct, depuis mon domicile francilien.
Mercredi 19 septembre, j’étais à Venise pour filmer un colloque international sur la décroissance, car dès le mois de novembre je vais travailler à ma prochaine enquête, intitulée provisoirement « Sacrée croissance ! ». Mais pour l’heure, je n’en dis pas plus !
Alors que j’assistais aux conférences, mon portable n’a cessé de sonner. Ce jour-là, en effet, le professeur Gilles-Eric Séralini rendait publics les résultats de l’étude qu’il a conduite sur des rats nourris avec le maïs NK 603, un maïs transgénique produit par Monsanto : ITV, Le Nouvel Observateur, Elle, Sud-Ouest, etc.
Samedi matin , j’étais à France Inter dans le 7/9 de Fabrice Drouelle et Patricia Martin, où j’ai commenté l’incroyable polémique qu’a suscitée l’étude du professeur Séralini :
C’est sans étonnement que j’ai constaté la rapidité avec laquelle un certain nombre de scientifiques sont montés au créneau pour discréditer les travaux du chercheur de l’Université de Caen.
J’ai bien écouté leurs « arguments », et je dois dire qu’ils me laissent perplexes:
– l’espèce de rats utilisée par Séralini – en l’occurrence des Sprague Dawley – est particulièrement sensible aux tumeurs. Certes, mais c’est l’espèce utilisée généralement pour ce genre de test toxicologique par toutes les firmes, y compris Monsanto, lorsqu’elle a conduit son « étude » en 1996 pour prouver l’innocuité du soja Roundup Ready, qui allait bientôt envahir les élevages intensifs de porcs, poules et cochons européens. Cette étude, qualifiée de « mauvaise science » par le professeur Pryme (voir ci-dessous) – vingt-huit jours sur moins de quatre-vingt rats ADULTES -, le nombre n’étant même pas communiqué ! – n’a suscité, à l’époque, aucun émoi chez les scientifiques qui hurlent, aujourd’hui, avec les loups… De plus, que l’espèce Srague Dawley soit plus sensible aux tumeurs, n’est pas un problème : la question est de savoir s’il y a plus de tumeurs dans le groupe expérimental que dans le groupe contrôle, ce qu’indiquent apparemment les résultats de l’étude du professeur Séralini.
– Le nombre de rats utilisés par Séralini est trop faible. L’argument fait carrément sourire : Séralini a utilisé 200 rats, ce qui est beaucoup plus que BASF pour la pomme de terre transgénique Amflora (30 rats) ou qu’une étude, considérée comme très sérieuse dans une méta-analyse publiée par Chelsea Snell, Agnès Ricroch, Marcel Kuntz, et Pascal Girard, où les groupes (témoin et expérimental) ne comptaient que trois rats ! Cette méta-analyse, citée ici et là, a été considérée par Marc Lavielle, membre du Haut conseil des biotechnologies, comme « biaisée » et « extrêmement orientée », ainsi qu’il l’a expliqué au Monde (édition du 16 décembre 2011) :
Cette méta-analyse, qui se fonde sur 24 études menées notamment aux Etats-Unis, au Brésil, au Japon ou en Norvège, conclut à l’absence de conséquences sanitaires, chez les animaux, d’une alimentation à base de maïs, riz, soja ou pommes de terre transgéniques. « Maintenant, le débat sur les OGM, d’un point de vue sanitaire, est clos », estime Agnès Ricroch. Ce n’est peut-être pas aussi simple que cela. Selon Marc Lavielle, statisticien à l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria) et membre du conseil scientifique du Haut Conseil aux biotechnologies (HCB), cette étude serait « biaisée » et « extrêmement orientée ».
« Ce qui est terriblement gênant, c’est qu’elle conclut à l’absence de différence [entre animaux ayant consommé des OGM et animaux n’en ayant pas consommé] sur la base d’une méthodologie ne correspondant pas aux lignes directrices publiées aussi bien par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation [ANSES] que par l’Autorité européenne de sécurité des aliments [EFSA] », estime-t-il.
« Les études passées en revue démontrent que les plantes transgéniques sont nutritionnellement équivalentes à leurs contreparties non transgéniques et peuvent être utilisées en toute sécurité », conclut l’étude, dont les auteurs estiment qu’il n’est donc pas nécessaire de procéder à des essais sur des durées supérieures à quatre-vingt-dix jours avant d’autoriser de nouvelles variétés d’aliments transgéniques destinées aux animaux.
Ils reconnaissent cependant avoir repéré des différences entre animaux nourris ou non aux OGM. « Mais quand ils trouvent des différences, ils considèrent soit que la comparaison n’est pas valable, soit que la différence n’est pas biologiquement significative, note Marc Lavielle. En revanche, ils tiennent compte sans la critiquer d’une étude portant sur des groupes de trois animaux, un échantillon bien trop faible pour permettre de conclure quoi que ce soit. »
Il est intéressant de noter que les scientifiques qui ont signé cette méta-analyse controversée sont aussi ceux qui attaquent Gille-Eric Séralini. Or, ils sont connus pour leur grande proximité avec … Monsanto et consorts. Sur mon Blog, j’ai déjà révélé les liens entre le Dr. Kuntz, qui dirige l’AFIS, et Monsanto :
Ces informations ont été reprises il y a deux jours dans un article du Monde.fr :
Le rationalisme, au risque du biais anti-écolo
LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 20.09.2012 à 15h30 • Mis à jour le 20.09.2012 à 17h05
Par Stéphane Foucart
En France, le courant rationaliste – opposé au relativisme incarné par le sociologue Bruno Latour – est principalement représenté par deux associations : l’Union rationaliste (UR) et l’Association française pour l’information scientifique (AFIS). Très proches, les deux structures ont longtemps partagé la même adresse, rue de l’Ecole-Polytechnique à Paris, et ont en commun bon nombre de membres.
Présidée par le physicien Edouard Brézin, la première va au-delà de son credo – « faire connaître dans le grand public l’esprit et les méthodes de la science » – en s’engageant en faveur de la laïcité, considérée comme une conséquence naturelle du rationalisme. L’AFIS, de son côté, présidée par le biologiste Louis-Marie Houdebine, édite sa propre revue, Science & pseudo-sciences, et s’engage spécifiquement à mettre en lumière l’irrationalisme des médecines parallèles, de l’astrologie, de la numérologie, de l’archéologie fantastique, des multiples manifestations dites paranormales, etc.
L’AFIS n’hésite pas à critiquer vertement les médias ou les personnalités qui diffusent des informations en flagrant décalage avec l’état des connaissances scientifiques, sur les sujets à l’interface entre la science et la société. Ce qui ne va pas sans heurts.
L’association a ainsi été, à plusieurs reprises, au centre de vives polémiques au cours de ces dernières années. Y compris en son sein. Le médecin Marcel-Francis Kahn a ainsi quitté en 2008, avec fracas, le comité scientifique de l’association, peu après que celle-ci eut organisé un colloque sur les biotechnologies au Sénat. « Ce qui m’intéressait à l’AFIS, c’était de lutter contre les paramédecines, raconte-t-il. Mais l’association est devenue une sorte de lobby pro-OGM. J’ai demandé à Louis-Marie Houdebine et Marcel Kuntz [biologiste, directeur de recherche au CNRS et membre du comité de parrainage de l’AFIS] de déclarer leurs liens d’intérêts avec Monsanto et ses filiales. Cela a été refusé, de même qu’a été refusée la publication dans Science & pseudo-sciences de mon courrier demandant officiellement que soient déclarés ces possibles conflits d’intérêts. » Selon Jean-Paul Krivine, rédacteur en chef de la revue, « les accusations portées contre certains des animateurs de l’association sur leurs liens avec Monsanto sont fausses et n’ont jamais été étayées de la part de ceux qui les propagent ».
VIVES CRITIQUES
Le biologiste Pierre-Henri Gouyon (Muséum national d’histoire naturelle) critique lui aussi la posture de l’association, « systématiquement favorable aux OGM et systématiquement opposée à l’écologie ». « Il suffit de se rendre sur le site Internet de l’Office américain des brevets pour se rendre compte que certains des membres de l’AFIS les plus engagés à défendre les OGM ont déposé des brevets avec des entreprises de biotechnologies », ajoute M. Gouyon.
La posture antiécologie de l’AFIS a été également critiquée, en 2010, par des climatologues qui reprochaient à l’association d’avoir renvoyé dos à dos les sciences du climat et les arguments climatosceptiques, dans la foulée de la parution de plusieurs livres remettant en cause la réalité ou les causes du réchauffement. Fait rare, la présidence de l’association soeur, l’Union rationaliste, a protesté officiellement contre le numéro de juillet 2010 de Science & pseudo-sciences consacré au climat.
M. Krivine, de son côté, rappelle que les vues divergentes exprimées sur la question climatique ne sont pas exceptionnelles et que des détracteurs des OGM ont également vu s’ouvrir à eux les colonnes de Science & pseudo-sciences…
Reste que les entorses faites à la science sont plus férocement dénoncées quand elles sont le fait des écologistes. « Je n’ai jamais compris pourquoi l’AFIS s’intéressait si peu à l’affaire de l’amiante, par exemple », confie ainsi M. Kahn. A quoi M. Krivine répond que les manipulations de la science sont tout autant traitées lorsqu’elles sont le fait de l’industrie. Il faudrait tenter de le mesurer… scientifiquement.
Concernant Gérard Pascal, qui fut patron de l’INRA, et qui a violemment mis en doute l’étude de Séralini sur France Inter, j’avais révélé dans mon livre Le monde selon Monsanto, un document confidentiel de Monsanto, que j’ai toujours en ma possession, où était cité son nom.
Lisez :
Pour preuve : un document interne de Monsanto classé « confidentiel », parvenu mystérieusement (très certainement par la grâce d’un lanceur d’alerte) au bureau de GeneWatch, une association britannique qui, comme son nom l’indique, suit de très près le dossier OGM[i]. Ce « rapport mensuel » de dix pages, rendu public le 6 septembre 2000, égrène l’activité de la cellule « Affaires réglementaires et enjeux scientifiques » (Regulatory Affairs and Scientific Outreach) de la firme pendant les seuls mois de mai et juin de la même année. « Ce document montre comment Monsanto tente de manipuler la réglementation des aliments transgéniques à travers le monde pour favoriser ses intérêts, explique le docteur Sue Mayer, la directrice de GeneWatch, dans un communiqué de presse. Apparemment, ils essaient d’acheter l’influence d’individus clés, de noyauter les comités avec des experts qui les soutiennent et de subvertir l’agenda scientifique. »
On y découvre, en effet, que la « cellule » est félicitée pour son « efficacité à assurer que des experts scientifiques clés reconnus au niveau international ont été nommés pour la consultation organisée par la FAO et l’OMS à Genève le mois dernier. Le rapport final a été très favorable à la biotechnologie végétale, en donnant son soutien y compris au rôle crucial de l’équivalence en substance dans les évaluations de la sécurité alimentaire. […] Des informations sur les avantages et la sécurité de la biotechnologie végétale ont été fournies à des experts médicaux clés et des étudiants de Havard. […] Un éditorial a été rédigé par le docteur John Thomas (professeur émérite de l’école médicale de l’université du Texas à San Antonio), qui sera placé dans un journal médical comme le premier d’une série planifiée pour toucher les médecins. […] Une réunion s’est tenue avec le professeur David Khayat, un spécialiste du cancer de renommée internationale pour qu’il collabore à un article qui démontre l’absence de liens entre les aliments transgéniques et le cancer. […] Les représentants de Monsanto ont obtenu que l’examen de deux propositions d’étiquetage soit repoussé par le comité du Codex [alimentarius]. Etc. »
Parmi les scientifiques qui ont généreusement prêté leur concours aux initiatives de la cellule, le rapport cite aussi l’Espagnol Domingo Chamorro, les Français Gérard Pascal (INRA), Claudine Junien (INSERM) ou le prix Nobel Jean Daucet, qui ont participé au « Forum des biotechnologies » (en français dans le texte) « organisé » par la « cellule ».
Au vu de toutes ces informations, que peut-on dire aujourd’hui ?
Il est très important que le professeur Séralini ait pu conduire cette étude toxicologique de deux ans, car , contrairement à ce que Monsanto voudrait nous faire croire, toutes les études conduites par la firme et ses collègues n’ont JAMAIS dépassé les trois mois. Ce qui, bien sûr, est insuffisant, pour mesurer les effets toxiques à long terme des OGM.
Pour être précise, l’étude de Séralini n’est pas la première du genre, mais la seconde, la première ayant été conduite par le laboratoire de l’Italienne Manuela Malatesta (voir ci-dessous).
Or, comme je j’avais révélé dans Le monde selon Monsanto, la multinationale a déployé une énergie considérable pour bloquer toute étude de longue durée conduite par des laboratoires indépendants.
Voici ce que j’écrivais dans mon livre :
EXTRAIT DU MONDE SELON MONSANTO
« C’est de la mauvaise science »
« Ce n’est pas à Monsanto de garantir la sécurité des aliments transgéniques, a déclaré en octobre 1998 Phil Angell, le directeur de la communication de la multinationale. Notre intérêt, c’est d’en vendre le plus possible. Assurer leur sécurité, c’est le job de la FDA[ii]. » La citation ne fait même pas sourire James Maryanski, qui assure manger du soja transgénique tous les jours, « parce qu’aux États-Unis, 70 % des aliments disponibles dans les magasins contiennent des OGM. La FDA est confiante que ce soja présente la même sécurité alimentaire que les autres variétés, m’affirme-t-il lors de notre rencontre en juillet 2006.
– Comment la FDA peut-elle en être sûre ?
– C’est fondé sur les données que la compagnie a fournies à la FDA et qui ont été évaluées par les scientifiques de l’agence. Et ce n’est pas dans l’intérêt d’une entreprise de conduire une étude pour ensuite en masquer les résultats », me répond l’ancien « coordinateur de la biotechnologie » de la FDA.
On aimerait bien partager l’optimisme de James Maryanski. Mais, pour être franche, tous les doutes sont permis. C’est en tout cas l’impression que j’ai eue après mon long entretien avec le professeur Ian Pryme — que j’ai rencontré le 22 novembre 2006 dans son laboratoire du département de biochimie et de biologie moléculaire de l’université de Bergen, en Norvège. En 2003, ce scientifique d’origine britannique et un collègue danois, le professeur Rolf Lembcke (aujourd’hui décédé), ont eu la bonne idée d’analyser les (rares) études toxicologiques conduites sur les aliments transgéniques[iii]. Parmi elles, il y avait la seconde étude publiée en 1996 par des chercheurs de Monsanto, qui visait cette fois-ci à évaluer l’éventuelle toxicité du soja Roundup ready[iv].
« Nous avons été très surpris de découvrir qu’il n’y avait que dix études recensées dans la littérature scientifique, m’explique Ian Pryme, c’est vraiment très peu au regard de l’enjeu.
– Comment l’expliquez-vous ?
– D’abord, il faut savoir qu’il est très difficile de se procurer des échantillons des matériaux transgéniques parce que les firmes en contrôlent l’accès. Elles exigent une description détaillée du projet de recherche, et elles sont très réticentes à fournir leurs OGM à des scientifiques indépendants pour qu’ils les testent. Quand on insiste, elles évoquent le “secret commercial”. Par ailleurs, il est très difficile d’obtenir des financements pour conduire des études sur les effets à long terme des aliments transgéniques. Avec des collègues provenant de six pays européens, nous avons demandé des fonds à l’Union européenne, qui a refusé sous prétexte que les compagnies avaient déjà conduit elles-mêmes ce genre d’études…
– Que dire de l’étude conduite par Monsanto sur les rats, poulets, poissons-chats et vaches laitières ?
– Elle est très importante, parce qu’elle a servi de base au principe d’équivalence en substance et elle explique, en partie, l’absence d’études complémentaires. Mais je dois dire qu’elle est très décevante d’un point de vue scientifique. Si on m’avait demandé de la relire avant publication, je l’aurais rejetée, car les données fournies sont trop insuffisantes. Je dirais même que c’est de la mauvaise science…
– Avez-vous essayé de vous procurer les données brutes de l’étude ?
– Oui, mais malheureusement, Monsanto a refusé de les communiquer au motif qu’elles étaient couvertes par le secret commercial… C’est la première fois que j’entendais un tel argument concernant les données d’une recherche… Normalement, dès qu’une étude est publiée, n’importe quel chercheur peut demander à consulter les données brutes, pour répéter l’expérience et contribuer au progrès scientifique. Le refus de Monsanto donne immanquablement l’impression que la firme a quelque chose à cacher : soit que les résultats ne sont pas suffisamment convaincants, soit qu’ils sont mauvais, soit que la méthodologie et le protocole utilisés ne sont pas suffisants pour résister à une analyse scientifique rigoureuse. Pour faire notre étude, nous avons donc dû nous contenter du résumé fourni par la firme aux agences de réglementation. Et il y a des choses très troublantes.
Par exemple, à propos de l’étude sur les rats, les auteurs écrivent : “À part leur couleur marron foncée, les foies paraissaient normaux lors de la nécropsie. […] Cette couleur n’est pas considérée comme étant liée à la modification génétique.” Comment peuvent-ils prétendre cela sans faire des sections des foies et les observer au microscope pour être sûr que cette couleur marron foncée est normale ? Manifestement, ils se sont contentés d’une évaluation oculaire des organes, ce qui n’est pas une manière scientifique de conduire une étude post mortem. De même, les auteurs indiquent que “les foies, les testicules et les reins ont été pesés” et que “plusieurs différences ont été observées”, mais qu’elles ne furent “pas considérées comme étant liées à la manipulation génétique”… Encore une fois, comment peuvent-ils affirmer cela ? Manifestement, ils n’ont pas analysé les intestins ni les estomacs, ce qui constitue une faute très grave dans une étude toxicologique. Ils disent aussi que quarante tissus ont été prélevés, mais on ne sait pas lesquels ! D’ailleurs, je ne connais que vingt-trois tissus répertoriés, comme la peau, les os, la rate, la thyroïde… Quels sont les autres ?
De plus, les rats utilisés pour l’expérience avaient huit semaines : ils étaient trop vieux ! D’habitude, pour une étude toxicologique, on utilise de jeunes cobayes, pour voir si la substance testée a un impact sur le développement de leur organisme qui est en pleine croissance. Le meilleur moyen de cacher des effets nocifs éventuels, c’est d’utiliser des cobayes âgés, d’autant plus que, malgré les anomalies constatées, l’étude n’a duré que vingt-huit jours, ce qui n’est pas suffisant… Le dernier paragraphe du texte résume bien l’impression générale : “Les études toxicologiques fournissent une certaineassurance qu’aucun changement majeur ne s’est produit avec le soja modifié génétiquement…” Je ne veux pas une “certaine assurance”, mais une assurance à 100 % ! En fait, quand on sait que cette étude a justifié l’introduction des OGM dans la chaîne alimentaire, on ne peut qu’être inquiets… Mais que faire ? Regardez ce qui est arrivé récemment à ma collègue Manuela Malatesta… »
La peur de Monsanto
J’ai rencontré Manuela Malatesta le 17 novembre 2006, à l’université de Pavie en Italie. Elle était encore traumatisée par l’expérience qu’elle venait de vivre et qui l’avait contrainte à quitter l’université d’Urbino, où elle avait travaillé pendant plus de dix ans. « Tout ça à cause d’une étude sur les effets du soja transgénique[v] », me dit-elle avec un soupir. En effet, la jeune chercheuse a fait ce que personne n’avait fait : répéter l’étude toxicologique conduite en 1996 par Monsanto. Avec son équipe, elle a nourri un groupe de rats avec une diète habituelle (groupe contrôle) et un autre groupe avec la même diète à laquelle avait été ajouté du soja Roundup ready (groupe expérimental). Pris dès le sevrage, les cobayes ont été suivis jusqu’à leur mort (en moyenne deux ans plus tard). « Nous avons étudié les organes des rats au microscope électronique, m’explique Manuela Malatesta, et nous avons constaté des différences statistiquement significatives, notamment dans les noyaux des cellules du foie des rats nourris avec du soja transgénique. Tout semble indiquer que les foies avaient une activité physiologique plus élevée. Nous avons trouvé des modifications similaires dans les cellules du pancréas et des testicules.
– Comment expliquez-vous ces différences ?
– Malheureusement, nous aurions aimé poursuivre ces études préliminaires, mais nous n’avons pas pu, car les financements se sont arrêtés… Nous n’avons donc que des hypothèses : les différences peuvent être dues à la composition du soja ou aux résidus de Roundup. Je précise que les différences que nous avons constatées ne sont pas des lésions, mais la question est de savoir quel rôle biologique elles peuvent avoir à long terme, et pour cela il faudrait développer une autre étude…
– Pourquoi ne le faites-vous pas ?
– Ah !, murmure Manuela Malatesta, en cherchant ses mots. Actuellement, la recherche sur les OGM est un sujet tabou… On ne trouve pas d’argent pour cela. Nous avons tout fait pour trouver un complément de financement, mais on nous a répondu que, comme dans la littérature scientifique il n’y avait pas de données qui prouvent que les OGM provoquent des problèmes, il était donc totalement inutile de travailler là-dessus. On ne veut pas trouver de réponses aux questions qui gênent… C’est le résultat de la peur diffuse qu’il y a de Monsanto et des OGM en général… D’ailleurs, quand j’ai parlé des résultats de l’étude à certains de mes collègues, ils m’ont vivement déconseillé de les publier, et ils avaient raison, car j’ai tout perdu, mon laboratoire, mon équipe… J’ai dû recommencer à zéro dans une autre université, grâce à un collègue qui m’a soutenue…
– Est-ce que les OGM vous inquiètent ?
– Aujourd’hui, oui ! Pourtant, au début, j’étais persuadée qu’ils ne posaient pas de problèmes, mais maintenant les secrets, les pressions et la peur qui les entourent me font douter… »
Un sentiment qui, nous allons le voir, est partagé par d’autres scientifiques comme le « dissident » Arpad Pusztai, victime de la toile tissée par Monsanto un peu partout dans le monde…
[iii] Ian Pryme et Rolf Lembcke, « In vivo studies on possible health consequences of genetically modified food and feed-with particular regard to ingredients consisting of genetically modified plant materials », Nutrition and Health, vol. 17, 2003.
[iv] Bruce Hammond, John Vicini, Gary Hartnell, Mark Naylor, Christopher Knight, Edwin Robinson, Roy Fuchs, Stephen Padgette, « The feeding value of soybeans fed to rats, chickens, catfish and dairy cattle is not altered by genetic incorporation of glyphosate tolerance », The Journal of Nutrition, avril 1996, vol. 126, n° 3, p. 717-727.
[v] Manuela Malatesta et alii, « Ultrastructural analysis of pancreatic acinar cells from mice fed on genetically modified soybean », Journal of Anatomy, vol. 201, novembre 2002, p. 409-415 ; Manuela Malastesta et alii, « Fine structural analyses of pancreatic acinar cell nuclei from mice fed on genetically modified soybean », European Journal of Histochemistry, octobre-décembre 2003, p. 385-388. Voir aussi, « Nouveaux soupçons sur les OGM », Le Monde, 9 février 2006.
Je mets en ligne la suite de mon livre Notre poison quotidien, concernant l’« affaire Richard Doll » qui anéantit à jamais la crédibilité de l’épidémiologue britannique et de sa fameuse étude sur les causes du cancer.
Richard Doll travaillait pour Monsanto
« Quand vous prépariez votre étude sur les causes du cancer, saviez-vous que Richard Doll travaillait secrètement comme consultant pour Monsanto ? » La question a fait littéralement bondir de son siège Sir Richard Peto, qui s’est mis à arpenter son bureau, avant de se rasseoir pour déclarer sur un ton presque inaudible : « Ce n’était pas un secret… Ce n’était pas un secret… Il a accepté de conseiller Monsanto et les jours où il travaillait pour la firme, il gagnait initialement 1 000 dollars par jour, puis cette somme fut portée à 1 600 dollars. En fait, il aidait l’entreprise à organiser et évaluer ses données toxicologiques pour qu’elle puisse plus facilement identifier les produits qui présentaient quelques dangers… Quand nous avons fait notre étude, le gouvernement américain nous a proposé de l’argent, mais nous n’avons pas voulu le prendre. J’ai suggéré de faire une donation à Amnesty International, mais le gouvernement a refusé en disant que c’était une association communiste. Alors, Richard Doll a décidé de donner tout l’argent qu’il gagnait au Green College d’Oxford[1]. Il n’a jamais rien gardé pour lui…
– Les enquêtes montrent que les rémunérations que Sir Doll a touchées de Monsanto, mais aussi de Dow Chemical et des industries du chlorure de vinyle ou de l’amiante n’ont jamais été rendues publiques. Quelles preuves avez-vous de ces donations ?
– À cette époque, ce n’était pas courant de déclarer ce genre de rémunérations, mais par exemple, dans le cas du tabac, il a déclaré sous serment qu’il n’avait rien touché de l’industrie du tabac. »
Et pour cause : on imagine mal en effet que les fabricants de cigarettes aient payé Richard Doll pour confirmer le lien entre le tabagisme et le cancer du poumon… Dans un article de 2007 intitulé « Héros ou scélérat ? », l’historien américain Geoffrey Tweedale note à juste titre qu’il « est évidemment inconcevable que Doll ait perçu de l’argent de l’industrie du tabac, mais pourquoi a-t-il adopté une double morale en acceptant de l’argent non déclaré d’autres fabricants de produits cancérigènes[i] ».
« Le fait qu’il ait été rémunéré pour ses services a été utilisé pour salir sa légitimité, a déploré Richard Peto, qui n’avait pas l’air de mesurer l’énormité de ses propos.
– Cela se comprend, rétorquai-je, d’autant plus qu’il a été payé par Monsanto pour affirmer que la dioxine n’était pas cancérigène, ce qui s’est révélé une erreur grossière…
– Ce n’était pas une erreur. Je pense qu’il n’y a pas de preuves convaincantes que la dioxine induise des cancers chez les humains », m’a répondu Sir Peto, avec un tel aplomb que je me suis demandé s’il croyait vraiment ce qu’il disait ou si tout simplement il a préféré mentir, pour défendre l’honneur perdu de son mentor…
On se souvient en effet que la dioxine a été classée « cancérigène pour les humains » en 1994 par le CIRC. Une décision très tardive, qui s’explique précisément par l’intervention de Richard Doll dans ce dossier. Cette incroyable histoire, que j’ai déjà partiellement évoquée dans Le Monde selon Monsanto, en dit long sur l’influence que peuvent exercer quelques sommités scientifiques quand elles décident de servir les intérêts de grandes firmes, fût-ce au détriment de l’intérêt général. Tout commence en 1973, lorsqu’un jeune chercheur suédois du nom de Lennart Hardell découvre que l’exposition aux herbicides 2,4-D et 2,4,5-T, les deux composants de l’agent orange fabriqués notamment par Monsanto, provoque des cancers. En effet, il a reçu en consultation un homme de soixante-trois ans, atteint d’un cancer du foie et du pancréas, qui lui raconte que, pendant vingt ans, son travail a consisté à pulvériser un mélange des deux désherbants sur les forêts du nord de la Suède. En collaboration avec trois autres scientifiques, Lennart Hardell conduit alors une longue recherche qui sera publiée en 1979 dans The British Journal of Cancer, montrant le lien entre plusieurs cancers, dont le sarcome des tissus mous et les lymphomes hodgkiniens ou non hodgkiniens, et l’exposition à la dioxine, un polluant du 2,4,5-T[ii].
En 1984, Lennart Hardell est invité à témoigner dans le cadre d’une commission d’enquête mise en place par le gouvernement australien, dans le but de statuer sur les demandes de réparations revendiquées par les vétérans de la guerre du Viêt-nam. Un an plus tard, la commission royale sur « l’usage et les effets des produits chimiques sur le personnel australien au Viêt-nam » rend son rapport, lequel provoque une vive polémique[iii]. Dans un article publié en 1986 dans la revue Australian Society, le professeur Brian Martin, qui enseigne au Département de science et technologie à l’université de Wollongong, dénonce les manipulations qui ont conduit à ce qu’il appelle l’« acquittement de l’agent orange[iv] ».
« Aucun vétéran n’a souffert de l’exposition aux produits chimiques utilisés au Viêt-nam, conclut en effet le rapport, avec un optimisme surprenant. C’est une bonne nouvelle et la commission émet le vœu fervent qu’elle soit criée sur tous les toits ! » Dans son article, le professeur Martin raconte comment les experts cités par l’association des vétérans du Viêt-nam ont été « vivement attaqués » par l’avocat de la filiale de Monsanto en Australie. Plus grave encore : les auteurs du rapport recopièrent presque in extenso deux cents pages fournies par Monsanto pour invalider les études publiées par Lennart Hardell et son collègue Olav Axelson[v]. « L’effet de ce plagiat [a été] de présenter le point de vue de Monsanto comme étant celui de la Commission », a commenté Brian Martin. Par exemple, dans le volume capital concernant les effets cancérigènes du 2,4-D et du 2,4,5-T, « quand le texte de Monsanto dit “il est suggéré”, le rapport écrit “la commission a conclu” ; mais pour le reste, tout a été tout simplement copié. »
Très durement mis en cause par le rapport, qui insinue qu’il a manipulé les données de ses études, Lennart Hardell épluche à son tour le fameux opus. Et il découvre « avec surprise que le point de vue de la commission est soutenu par le professeur Richard Doll dans une lettre qu’il a adressée le 4 décembre 1985 à Justice Phillip Evatt, le président de la commission », ainsi qu’il l’a révélé dans un article paru au printemps 1994. « Les conclusions du docteur Hardell ne peuvent pas être soutenues et, à mon avis, son travail ne devrait plus être cité comme une preuve scientifique, tranchait l’éminent épidémiologiste britannique. Il est clair […] qu’il n’y a aucune raison de penser que le 2,4-D et le 2,4,5-T sont cancérigènes pour les animaux de laboratoire et que même la TCDD (dioxine) qui a été présentée comme un polluant dangereux contenu dans les herbicides est, au plus, faiblement cancérigène pour les animaux[vi]. »
Jusqu’à ce jour de 2006, où Lennart Hardell fait une incroyable découverte. Informé que son célèbre détracteur (décédé en 2005) a déposé ses archives personnelles dans la bibliothèque de la fondation Wellcome Trust de Londres, qui se présente comme une « fondation de bienfaisance dédiée à l’accomplissement d’améliorations extraordinaires pour la santé des hommes et des animaux », il décide de les consulter. En effet, ainsi que l’annonçait en 2002 un article de Chris Beckett, le responsable de la bibliothèque, « les papiers personnels de Sir Richard Doll ont été classés et sont disponibles. Illustrant l’engagement de toute une vie au service de la recherche épidémiologique, ils mettent en évidence un sens profond de la continuité historique et de la responsabilité publique et montrent parfaitement les liens sociaux et éthiques dans lesquels s’enracine l’épidémiologie[vii] ». Dans son éloge, le bibliothécaire de Wellcome Trust ne souffle mot de la présence dans ces archives de plusieurs documents compromettants attestant des liens financiers qui unissaient le « distingué épidémiologiste » et les fabricants de poisons, et que Hardell a découverts. Parmi eux : une lettre à en-tête de Monsanto, datée du 29 avril 1986. Rédigée par un certain William Gaffey, l’un des scientifiques de la firme qui avait signé avec le docteur Raymond Suskind plusieurs études biaisées sur la dioxine (voir supra, chapitres 8 et 9), elle confirmait le renouvellement d’un contrat financier prévoyant une rémunération de 1 500 dollars par jour. « J’apprécie grandement votre offre de prolonger mon contrat de consultant et d’en augmenter le montant », répondit Richard Doll, qui garda une copie de son courrier dans ses archives.
Ainsi, au moment où Sir Doll publiait sa célèbre étude sur les « causes du cancer », qui minimisait le rôle des polluants chimiques dans l’étiologie de la maladie, il était grassement payé par l’un « des plus grands pollueurs de l’histoire industrielle[viii] » !
L’embarras de l’establishment scientifique face aux compromissions de Doll avec l’industrie
Révélée en décembre 2006 par le quotidien britannique The Guardian, qui montra que la collaboration entre Doll et la firme de Saint Louis dura vingt ans, de 1970 à 1990[i], l’affaire fit grand bruit au pays de Sa Majesté, où elle opposa les défenseurs du scientifique anobli par la reine et ceux qui considéraient que ses conflits d’intérêts entamaient sérieusement la crédibilité de son travail. L’historien américain Geoffrey Tweedale a analysé tous les journaux qui ont alors fait leurs choux gras de l’encombrante révélation. C’est ainsi que The Observer écrivit que « Doll était un héros, pas un scélérat », qui « vivait dans une maison modeste au nord d’Oxford », en précisant que « chaque époque a ses mœurs et qu’on ne peut pas demander aux géants du passé de vivre selon les nôtres[ii] ». « En fait, souligne Geoffrey Tweedale, Doll vivait à l’une des meilleures adresses de la ville[iii]. »
L’historien américain rapporte que l’épidémiologiste reçut le soutien de tout l’establishment scientifique, qui invoquait cinq arguments : « 1) Sir Richard Doll a sauvé des millions de vie grâce à sa recherche sur le tabagisme et le cancer du poumon ; 2) à son époque, on ne déclarait pas les conflits d’intérêts ; 3) il a fait don de ses rémunérations à des œuvres de bienfaisance ; 4) il est indécent d’attaquer quelqu’un qui ne peut pas se défendre ; 5) les attaques contre sa réputation sont lancées par des “défenseurs de l’environnement” ou des personnes qui servent une cause. »
Dans une lettre adressée au Times, Richard Peto souligna avec emphase que « mondialement, le travail de Doll a probablement évité des millions de morts et qu’il va encore permettre d’en éviter des dizaines de millions[iv] ». « Personne ne le nie, rétorque Geoffrey Tweedale, mais cela n’a aucun rapport avec le débat sur les conflits d’intérêts de Doll. » Cet avis est partagé par TheSunday Mirror, qui estime que son « image strictement neutre et objective est discréditée à jamais[v] ». D’autant plus que l’épidémiologiste britannique n’hésitait pas à donner des leçons d’éthique professionnelle : « Les scientifiques qui sont tentés d’accepter un quelconque soutien de l’industrie devraient en conséquence reconnaître que leurs résultats peuvent être utilisés par l’industrie pour servir ses intérêts », déclarait-il en 1986, un an après avoir dénigré secrètement les travaux de Lennart Hardell[vi].
Bien des années plus tard, les compromissions de Sir Doll avec l’industrie chimique continuent d’embarrasser tous ceux qui se réclament de son héritage, en se référant à sa fameuse étude de 1981 sur les causes du cancer. C’est le cas par exemple des responsables de l’American Cancer Society (ACS), une institution qui constitue une référence dans le domaine de la cancérologie et dont les liens avec l’industrie pharmaceutique ont souvent été dénoncés. En octobre 2009, j’ai pu rencontrer le docteur Michael Thun, qui fut vice-président de l’ACS de 1998 à 2008, en charge de la recherche épidémiologique sur le cancer, et qui y garde un poste honorifique. Peu de temps avant ma visite dans le luxueux bâtiment de la vénérable société à Atlanta, l’épidémiologiste avait cosigné un article dans le Cancer Journal for Clinicians, où les auteurs dissertaient de manière quelque peu contradictoire sur les « facteurs environnementaux et le cancer[vii] » : « Les données expérimentales de cancérogénicité ne sont pas disponibles pour de nombreux produits industriels et commerciaux, déploraient-ils d’un côté ; et, idéalement, ces études devraient être réalisées avant que les produits soient mis sur le marché, plutôt qu’après que les humains ont été largement exposés » ; tandis que, de l’autre, ils resservaient la sempiternelle étude : « Bien que la contribution des polluants environnementaux et professionnels aux causes du cancer soit significative, celle-ci est beaucoup moins importante que l’impact du tabagisme. […] En 1981, on a estimé en effet qu’environ 4 % des morts par cancer étaient dus à des expositions professionnelles. »
« Comment pouvez-vous continuer à citer l’étude de Doll et Peto, alors qu’on sait aujourd’hui que Richard Doll était payé comme consultant par Monsanto, ai-je demandé à Michael Thun, qui ne s’attendait manifestement pas à cette question.
– Je ne pense pas que Doll ait eu besoin de cet argent pour vivre, m’a-t-il répondu, visiblement embarrassé, car il était un homme très fortuné, grâce à sa femme qui possédait une entreprise. De plus, il a toujours dit que l’argent que lui versaient les firmes chimiques servait à financer le Green College d’Oxford.
– Comment le savez-vous ?
– C’est toujours ce que j’ai entendu dire, a concédé l’épidémiologiste de l’American Cancer Society.
– Est-il courant que d’éminents scientifiques impliqués dans la santé publique travaillent aussi pour l’industrie ?
– Malheureusement, c’est très courant en médecine et cela ne devrait pas se produire, a lâché Michael Thun. Ce serait une bonne idée que les chercheurs qui étudient les médicaments ne reçoivent pas d’argent des firmes pharmaceutiques ou que ceux qui émettent leur avis sur les effets des polluants chimiques ne soient pas payés par l’industrie qui les fabrique.
Un « regret » que partage Devra Davis, mais sur un mode autrement tranchant : « J’ai été vraiment très déçue d’apprendre que le grand Richard Doll, qui avait été un modèle pour toute une génération d’épidémiologistes, avait œuvré secrètement pour l’industrie chimique, m’a-t-elle affirmé. Certes, il n’était pas le seul : il y eut aussi Hans-Olav Adami, de l’Institut Karolinska à Stockholm, ou Dimitri Trichopoulos, de l’université de Harvard[1], mais le cas de Doll est particulièrement grave, car sa renommée était telle que tout le monde prenait ce qu’il disait pour parole d’Évangile. Ses expertises contribuèrent à retarder l’intérêt des politiques pour les causes environnementales des maladies chroniques, ainsi que pour la réglementation de toxiques très dangereux comme la dioxine et, surtout, le chlorure de vinyle. »
[1] Ouvert en 1979, le Green College est l’une des facultés les plus récentes de l’université d’Oxford. Fondé par Richard Doll, qui voulait développer les liens entre la médecine et le monde des affaires, il doit son nom à Cecil Green, un industriel américain, patron de Texas Instruments, qui finança sa création. En 2008, le Green College a fusionné avec le Templeton College.
[i] Geoffrey Tweedale, « Hero or Villain ? Sir Richard Doll and occupational cancer », The International Journal of Occupational and Environmental Health, vol. 13, 2007, p. 233-235.
[ii] Lennart Hardell et Anita Sandstrom, « Case-control study : soft tissue sarcomas and exposure to phenoxyacetic acids or chlorophenols », The British Journal of Cancer, vol. 39, 1979, p. 711-717 ; Mikael Eriksson, Lennart Hardell et alii, « Soft tissue sarcoma and exposure to chemical substances : a case referent study », British Journal of Industrial Medicine, vol. 38, 1981, p. 27-33 ; Lennart Hardell, Mikael Eriksson et alii, « Malignant lymphoma and exposure to chemicals, especially organic solvents, chlorophenols and phenoxy acids », British Journal of Cancer, vol. 43, 1981, p. 169-176 ; Lennart Hardell et Mikael Erikson, « The association between soft-tissue sarcomas and exposure to phenoxyacetic acids : a new case referent study », Cancer, vol. 62, 1988, p. 652-656.
[iii]Royal Commission on the Use and Effects of Chemical Agents on Australian Personnel in Viêt-nam, Final Report, vol. 1-9, Australian Government Publishing Service, Canberra, 1985.
[iv] « Agent Orange : the new controversy. Brian Martin looks at the Royal Commission that acquitted Agent Orange », Australian Society, vol. 5, n° 11, novembre 1986, p. 25-26.
[v] Monsanto Australia Ltd, « Axelson and Hardell. The odd men out. Submission to the Royal Commission on the use and effects on chemical agents on Australian personnel in Vietnam », 1985.
[vi] Cité in Lennart Hardell, Mikael Eriksson et Olav Axelson, « On the misinterpretation of epidemiological evidence, relating to dioxin-containing phenoxyacetic acids, chlorophenols and cancer effects », New Solutions, printemps 1994.
[vii] Chris Beckett, « Illustrations from the Wellcome Library. An epidemiologist at work : the personal papers of Sir Richard Doll », Medical History, vol. 46, 2002, p. 403-421.
[viii] Marie-Monique Robin, Le Monde selon Monsanto, op. cit., p. xxx.
[1] Hans-Olav Adami a été recruté par le fameux Dennis Paustenbach d’Exponent (voir supra, chapitre 9) pour minimiser la toxicité de la dioxine, au moment où l’Agence de protection de l’environnement revoyait sa réglementation (voir Lennart Hardell, Martin Walker et alii, « Secret ties to industry and conflicting interests in cancer research », American Journal of Industrial Medicine, 13 novembre 2006).
[i] Sarah Boseley, « Renowned cancer scientist was paid by chemical firm for 20 years », The Guardian, 8 décembre 2006.
[ii] Cristina Odone, « Richard Doll was a hero, not a villain », The Observer, 10 décembre 2006.
[v] Richard Stott, « Cloud over Sir Richard », The Sunday Mirror, 10 décembre 2006.
[vi] Julian Peto et Richard Doll, « Passive smoking », British Journal of Cancer, vol. 54, 1986, p. 381-383. Julian Peto est le frère de Richard Peto.
[vii] Elizabeth Fontham, Michael J. Thun et alii, on behalf of ACS Cancer and the Environment Subcommittee, « American Cancer Society perspectives on environmental factors and cancer », Cancer Journal for Clinicians, vol. 59, 2009, p. 343-351.
[viii] Entretien de l’auteure avec Michael Thun, Atlanta, 25 octobre 2009.
Je constate avec plaisir que le débat est vif sur mon Blog à la suite de la publication de mes papiers sur l’ « effet cocktail ».
Les arguments avancés par les lobbyistes de l’industrie pour minimiser la responsabilité des produits chimiques dans ce que l’ OMS appelle « l’épidémie de maladies chroniques évitables » (source : Bureau régional de l’OMS pour l’Europe, Communiqué de presse EURO/05/06, Copenhague, 11 septembre 2006) sont , pour le moins, très éculés !
Il en est ainsi de l’étude de Richard Doll et Richard Peto, brandie depuis trente ans par tous ceux qui défendent les intérêts de l’industrie chimique. Je me suis intéressée de très près à la fameuse « étude », considérée, aujourd’hui, comme biaisée, voire malhonnête, dont l’auteur principal – Richard Doll – a été grassement payé par Monsanto pendant plus de deux décennies.
J’ai ainsi rencontré son acolyte, Richard Peto, à l’Université d’Oxford, et je dois dire que j’ai été atterrée par l’indigence du personnage…
Je mets ici en ligne l’extrait de mon livre Notre poison quotidien, où je raconte cette incroyable rencontre, ainsi qu’une vidéo de son interview, suivie de celle de Devra Davis, une épidémiologue américaine, auteure du livre The War on Cancer, qui a révélé (mais ce n’est pas la seule) les nombreux biais de l’étude de Doll et Peto.
Devra Davis met aussi en pièces (mais là aussi ce n’est pas la seule) l’argument selon lequel l’augmentation des cancers, notamment du sein, serait due aux campagnes de dépistage. Toute personne ayant un brin de logique comprend aisément que les campagnes de dépistage ont, au plus, une incidence sur le taux de mortalité (on détecte les tumeurs plus tôt, donc on peut éventuellement les soigner plus tôt)), mais pas sur le taux d’incidence qui, je le rappelle (mais apparemment ce sont des subtilités qu’ignore « Bob le silencieux ») désigne l’évolution du nombre de cas d’une maladie dans une population donnée (généralement 100 000 personnes). Or là, on constate, sans ambiguïtés, une augmentation constante dans toutes les tranches d’âge et pour tous les sites de cancer (organes ou sang) depuis trois décennies.
Dans un rapport publié en 2008, l’INSERM écrit :
« On constate une augmentation de l’incidence des cancers depuis une vingtaine d’années. Si l’on tient compte des changements démographiques (augmentation et vieillissement de la population française), l’augmentation du taux d’incidence depuis 1980 est estimée à + 35 % chez l’homme et + 43 % chez la femme[i]. »
[i] Afsset/Inserm, Cancers et Environnement. Expertise collective, octobre 2008.
EXTRAIT DE NOTRE POISON QUOTIDIEN
Ce mercredi 13 janvier 2010, dans son bureau de l’université d’Oxford où je suis venue l’interviewer, Sir Richard Peto a l’air particulièrement agité. Au cours de ma longue enquête, je n’ai jamais rencontré un scientifique qui manifeste autant de nervosité. Pourtant, l’épidémiologiste britannique n’est pas n’importe qui : il dirige la chaire de statistiques médicales et d’épidémiologie de la prestigieuse université d’Oxford, il est membre de la Société royale de Londres et a été anobli par la reine en 1999 pour sa « contribution à la prévention du cancer ». Cette distinction très prisée au pays de Sa Majesté était notamment due à une étude qu’il a publiée en 1981 avec son mentor, Sir Richard Doll, qui devint la « bible de l’épidémiologie du cancer », pour reprendre les termes de Devra Davis[ii]. On se souvient que Richard Doll avait lui-même été anobli pour ses travaux confirmant le lien entre le tabagisme et le cancer du poumon, qui avaient fait de lui « l’une des autorités prééminentes dans le domaine de la santé publique[iii] » (voir supra, chapitre 8).
L’étude de Doll et Peto en 1981 sur les causes du cancer : une « référence fondamentale »
En 1978, Joseph Califano, le secrétaire à la Santé de Jimmy Carter, lequel menait alors une campagne musclée contre le tabagisme qu’il avait déclaré « ennemi public numéro un », fit une allocution devant le Congrès où il annonça que, dans un futur proche, 20 % des cancers seraient dus à l’exposition professionnelle à des agents toxiques. « Ce pourcentage choquant mit aussitôt les services de relations publiques de l’industrie en ordre de bataille », raconte Devra Davis, qui s’était alors réjouie de voir un haut responsable gouvernemental tenir cet inhabituel langage de vérité[iv]. C’est ainsi que la commission d’évaluation des choix technologiques du Congrès demanda à Richard Doll, réputé pour son opposition sans concessions au lobby des fabricants de tabac, de conduire une étude sur l’origine des cancers professionnels.
Assisté d’un « jeune épidémiologiste brillant » du nom de Richard Peto, Sir Doll remit en 1981 un document d’une centaine de pages, intitulé « Les causes du cancer : estimations quantitatives des risques de cancer évitables aujourd’hui aux États-Unis[v] », qui n’avait en réalité pas grand-chose à voir avec la commande d’origine. Pour rédiger leur étude, en effet, les deux épidémiologistes ont épluché les registres des morts par cancer des hommes blancs, âgés de moins soixante-cinq ans, survenues entre 1950 et 1977. Ils en ont conclu que 70 % des cancers étaient dus à des conduites individuelles, au premier rang desquelles les habitudes alimentaires, auxquelles ils attribuaient 35 % des décès, suivies du tabagisme (22 %) et de l’alcool (12 %). Dans leur tableau des causes de la maladie, les expositions professionnelles à des agents chimiques ne représentaient que 4 % des décès et la pollution 2 %, beaucoup moins que les infections (virus ou parasites) estimées, elles, à 10 %.
Ainsi que le soulignent le docteur Geneviève Barbier et Armand Farrachi dans leur livre La Société cancérigène, « depuis plus de trente ans, la messe est dite. Les travaux de Doll et Peto reviennent dans tous les ouvrages sur le sujet comme la référence et leur tableau fait jurisprudence : il continue à orienter les jugements[vi] ». De fait, aucun texte officiel ne manque d’invoquer l’« étude de Doll et Peto » comme preuve que la cause principale du cancer est le tabac et que le rôle de la pollution chimique n’est qu’extrêmement marginal. C’est ainsi que, en France, le rapport de la Commission d’orientation sur le cancer de 2003, qui présida au « plan de mobilisation nationale contre le cancer » largement promu par le président Jacques Chirac, ne cite pas moins de sept fois l’étude des deux Britanniques[vii]. Plus de vingt ans après la publication originale, comme si la recherche sur le cancer s’était arrêtée cette année-là… De son côté, le rapport Les Causes du cancer en France s’appuie, bien sûr, sur cette « référence fondamentale[viii] », tandis que l’Union des industries de la protection végétale, la fameuse UIPP, qui, on l’a vu, regroupe dix-neuf fabricants de pesticides, affiche sur son site ses incontournables résultats. Et la France ne fait pas figure d’exception, car il en est de même dans la plupart des pays occidentaux, comme par exemple au Royaume-Uni, où le Health and Safety Executive, un organisme gouvernemental chargé de la santé et de la sécurité, ne manquait pas de citer en 2007 l’étude de ses deux concitoyens anoblis comme la « meilleure estimation disponible » concernant les cancers d’origine chimique[ix].
Une rencontre surprenante avec Richard Peto
Avant de voir pourquoi la célèbre étude de 1981 a été sévèrement critiquée, en raison de ses biais méthodologiques mais aussi des conflits d’intérêts dans lesquels était plongé Richard Doll, il convient de donner la parole à son collègue Richard Peto. Je l’ai donc rencontré en janvier 2010 dans son bureau de l’université d’Oxford, situé dans un bâtiment baptisé « Richard Doll », en hommage au grand homme décédé en 2005. Âgé de soixante-sept ans, l’épidémiologiste britannique avait incontestablement de l’allure sous sa chevelure grisonnante qu’il ne cessait de rejeter en arrière à grands coups de tête qui ponctuaient ses longs monologues où il répétait en boucle les mêmes arguments. À plusieurs reprises, alors que manifestement mes questions le gênaient, il s’est carrément levé de son bureau pour faire les cent pas dans la pièce, sous l’œil abasourdi de mon caméraman qui ne savait plus comment le filmer. En revoyant les images de l’interview, je me suis demandé si cette agitation physique et mentale était habituelle ou si elle était l’expression d’un embarras face aux critiques circonstanciées qui ont fait tomber Richard Doll de son piédestal et du même coup la fameuse étude, alors que celle-ci a longtemps été considérée comme « parole d’Évangile », comme l’écrit André Cicolella dans Le Défi des épidémies modernes[x].
« Il existe une croyance largement répandue qu’il y a plus de cancers aujourd’hui qu’autrefois et que cela est dû aux nombreux produits chimiques présents dans le monde, a commencé Sir Peto. À entendre certains, nous aurions même de la chance de sortir vivants de cet univers chimique, mais tout cela est faux. C’est vrai que nous sommes exposés quotidiennement à de nombreuses molécules chimiques. Les plantes, par exemple, produisent des toxines très nocives, comme le font les pommes de terre dans leur peau, ou le céleri, car c’est le seul moyen qu’elles ont de se protéger contre les insectes. Comme les plantes ne peuvent pas s’enfuir, elles fabriquent des toxines défensives, en permanence. C’est ce que fait aussi le kiwi, un fruit que nous ne connaissions pas il y a quelques décennies. Aujourd’hui, nous mangeons beaucoup de kiwis, or ceux-ci contiennent beaucoup de substances chimiques qui se sont révélées toxiques lors de tests réalisés en laboratoire. Les plantes font cela en permanence et pourtant, on a observé que les gens qui consomment beaucoup de végétaux ont moins de cancer que les autres. Vous voyez donc qu’il est très difficile de prédire quel sera l’effet des produits chimiques. Mais de toute façon, les principales sources chimiques auxquelles nous sommes exposés sont les substances naturelles contenues dans les plantes que nous mangeons. »
Après cette première tirade, où il regardait fixement son bureau, Richard Peto a marqué une pause et relevé la tête, comme pour s’assurer que j’avais bien compris ce qu’il venait de dire. J’étais tellement sidérée par ses arguments que je suis restée silencieuse, préférant le laisser poursuivre son incroyable démonstration. « Évidemment, a-t-il enchaîné, après avoir de nouveau incliné la tête vers son bureau, il y a quelques grandes exceptions et la première d’entre elles, c’est bien sûr le tabac qui entraîne d’énormes risques. Dès qu’il y a quelque part une forte augmentation du tabagisme, il y a aussitôt une forte augmentation du taux de mortalité. En revanche, dès qu’il y a une forte diminution du tabagisme, il y a aussitôt une forte diminution du taux de mortalité. Donc, à part les effets considérables du tabac, qui véritablement irriguent toute la problématique, est-ce qu’on peut dire qu’il y a une hausse des causes du cancer ? Si on examine bien les données, la réponse est non.
– J’imagine que vous connaissez les documents du CIRC de Lyon, où vous êtes allé souvent, dis-je prudemment. D’après une étude publiée par l’agence, en Europe, le taux d’incidence du cancer infantile a augmenté de 1 % à 3 % par an au cours des trois dernières décennies, et cela concerne principalement les leucémies et les tumeurs au cerveau[xi]. Est-ce que c’est aussi le tabagisme qui est à l’origine de cette hausse spectaculaire ?
– Je ne suis pas forcément d’accord avec tout ce que dit le CIRC, m’a répondu Richard Peto, en s’agitant sur son siège, cela dépend de la qualité des données qu’il fournit… Mais, le tabac a très peu de lien, ou même pas de lien du tout, avec le cancer des enfants ou avec les cancers qui se déclarent au tout début de l’âge adulte. Ces cancers sont plutôt dus à des dysfonctionnements du développement pendant la vie fœtale.
– Et comment expliquez-vous ces dysfonctionnements ? », lui ai-je demandé, persuadée que l’épidémiologiste allait enfin sortir de sa langue de bois.
Eh bien non ! Il a botté en touche pour se raccrocher à son discours tout prêt, en ressortant les bons vieux arguments qui, nous le verrons bientôt, ne résistent pas un instant à un examen sérieux. « Je pense que les changements apparents sont dus à une meilleure capacité de détection et d’enregistrement des cancers », m’a-t-il répondu, tout en griffonnant des mots sur une feuille et en « oubliant » au passage que ma question concernait les causes des « dysfonctionnements du développement pendant la vie fœtale » qu’il venait d’évoquer. « Par exemple, dans les années 1950 et 1960, on ne savait pas bien diagnostiquer les leucémies, alors quand les gens mouraient, on disait que c’était d’une infection, mais pas d’une leucémie. Aujourd’hui, on sait mieux diagnostiquer les cancers, alors on a l’impression qu’il y en a plus. Et puis, il y a des artefacts qui font qu’on détecte des choses dans la petite enfance qui ressemblent à un cancer, puis qui disparaissent. »
À ce stade de l’entretien, je me suis vraiment demandé si Richard Peto savait véritablement de quoi il parlait, tant ses propos étaient aussi inconsistants que décousus. J’ai même failli jeter l’éponge, car j’avais l’impression de perdre mon temps. Mais, relevant la tête, l’épidémiologiste a poursuivi son monologue : « D’une manière générale, le taux des décès par cancer a tendance à baisser, a-t-il dit, bien que le taux des décès liés à certains cancers augmente. Certains taux baissent, d’autres augmentent, donc il est difficile de conclure définitivement.
– C’est vrai que dans les pays développés, la mortalité globale due au cancer a tendance à baisser, ai-je rétorqué. C’est dû à une plus grande efficacité des traitements. En revanche, le taux d’incidence, lui, ne cesse d’augmenter. Comment l’expliquez-vous ?
– L’incidence est très difficile à mesurer, m’a répondu Sir Peto, qui subitement s’est levé de son siège, pour me tendre la feuille où il avait griffonné le mot “diagnostic”. Nous vivons dans une époque où l’intérêt pour le cancer ne cesse de croître et, du coup, les journaux et les télévisions en parlent plus. De plus, les gens vivent de plus en plus vieux et il est donc normal qu’il y ait plus de cancers et que la maladie attire davantage l’attention. Quand on rassemble tous ces éléments, on se rend compte que l’image d’une mer de produits cancérigènes qui entraînerait une augmentation du taux de cancer est complètement fausse et qu’elle ne sert qu’à détourner l’attention du sujet principal, qui est la mortalité due au tabac.
– Vous pensez donc que votre étude de 1981 est toujours valide, trente ans plus tard ?
– Tout à fait ! Ce que nous avons dit au moment où notre étude est sortie est encore vrai aujourd’hui[xii]. »
L’« argument à l’emporte-pièce » de Sir Richard Doll
« Comment peut-on prétendre qu’une étude réalisée il y a trois décennies puisse nous aider à prendre les bonnes décisions aujourd’hui ? », s’était pourtant étonnée l’épidémiologiste américaine Devra Davis, avec qui je m’étais longuement entretenue des travaux de Doll et Peto quand je l’avais rencontrée trois mois plus tôt, en octobre 2009[xiii]. « D’autant plus, m’avait-t-elle précisé, que la méthodologie qu’ils ont utilisée est biaisée, car elle est tellement restrictive qu’elle réduit considérablement la portée de leurs résultats. En effet, ils ont épluché les registres des décès survenus entre 1950 et 1977 et concernant les seuls hommes blancs, âgés de moins de soixante-cinq ans au moment de leur mort. Ils ont donc exclu les hommes afro-américains, qui en général sont les plus exposés aux agents chimiques, par leur travail ou par leur lieu d’habitation. Ils ont exclu les hommes ayant un cancer mais toujours vivants. Ils ont ignoré le taux d’incidence et ne se sont intéressés qu’à la mortalité. Or, vu le temps de latence de la maladie, les hommes qui sont morts d’un cancer entre 1950 et 1977 sont des personnes qui ont été exposées à des produits cancérigènes dans les années 1930 et 1940, c’est-à-dire à une époque où l’invasion massive des produits chimiques dans notre environnement quotidien n’avait pas encore commencé. C’est pourquoi il eût mieux valu examiner l’évolution du taux d’incidence, si l’on voulait vraiment mesurer la progression de la maladie et déterminer ses causes possibles. »
Alors qu’elle travaillait à l’université Johns Hopkins, Devra Davis s’est penchée précisément sur l’évolution de l’incidence des cancers, notamment des myélomes multiples et des tumeurs cérébrales chez les hommes âgés de quarante-cinq à quatre-vingt-quatre ans. Avec son collègue Joel Schwartz, un statisticien qui deviendra un épidémiologiste réputé de l’université de Harvard, elle a constaté que le taux d’incidence de ces deux cancers mortels a augmenté de 30 % au cours des années 1960-1980. Publiés en 1988 dans The Lancet[xiv], puis deux ans plus tard dans un volume entier des Annals of the New York Academy of Sciences[xv], ces travaux ont attiré l’attention de Sir Richard Doll. Dans son livre The Secret History of the War on Cancer, Devra Davis raconte son émotion, lorsque, dans les années 1980, elle eut l’insigne privilège de « boire un pot » avec l’illustre scientifique, à l’issue d’un symposium organisé par le CIRC. « Sa fiche dans le Who’s Who rapporte que la conversation était l’un de ses hobbies préférés, écrit-elle, et il est un fait que c’était un plaisir d’échanger avec cet homme captivant, avenant et brillant[xvi]. »
Ce soir-là, Richard Doll joue les grands seigneurs en expliquant à son admiratrice « subjuguée » que, pour son étude, elle s’est laissée abuser par une « erreur fondamentale » : l’augmentation du taux d’incidence des cancers qu’elle pense avoir constatée est due à un simple effet d’optique, lié la meilleure capacité des médecins à diagnostiquer les cancers. Avant, lui a-t-il expliqué, quand une personne âgée décédait, les praticiens signaient l’acte de décès en portant la mention « sénilité », quand ils ignoraient la cause exacte de la mort ; et parfois, ils indiquaient comme cause du décès : « Cancer d’un organe non identifié. » L’épidémiologiste suggère donc à sa jeune collègue de vérifier l’évolution des morts classées « sénilité » ou « cancer d’un organe non identifié », en assurant que ces mentions ont fortement diminué. C’est ce que fit Devra Davis, mais elle constata que cette allégation était fausse ! Pendant quatre ans, en effet, elle éplucha notamment les registres de l’Institut national du cancer, qui a commencé à recenser systématiquement les cancers depuis le 1er janvier 1973. Avec l’aide de son mentor Abe Lilienfeld, professeur à l’université Johns Hopkins et doyen de l’épidémiologie américaine, et Allen Gittelsohn, un biostatisticien, elle démontra qu’il n’y avait pas de baisse des certificats de décès pour « sénilité » ni par « cancer d’un organe non identifié » chez les hommes blancs âgés. C’était même le contraire ! Dans le même temps, en revanche, elle nota une forte augmentation du taux d’incidence des cancers ainsi que de la mortalité due à des cancers spécifiques[xvii].
« Que pensez-vous de l’argument selon lequel l’augmentation des cancers serait en fait un artefact dû à l’amélioration des méthodes de diagnostic ?, ai-je donc demandé à Devra Davis.
– Cet argument ne résiste pas à l’analyse, m’a-t-elle répondu. J’ai même montré dans mon livre qu’il est utilisé systématiquement depuis plus d’un siècle ! Si l’on prend l’exemple des leucémies ou des tumeurs cérébrales infantiles, leur augmentation constante ne peut en aucun cas être expliquée par l’amélioration des méthodes de détection, car il n’y a pas, comme pour les cancers du colon, du sein ou de la prostate, de programmes de dépistage systématique : quand on détecte un cancer chez un enfant, c’est qu’il est malade et qu’on cherche à comprendre pourquoi, et cette pratique n’a pas changé au cours des trente dernières années ! »
Cet avis est aussi celui des auteurs américains du rapport du President’s Cancer Pannel (voir supra, chapitre 10), qui ont soigneusement examiné la validité de ce que d’aucuns appellent un « argument à l’emporte-pièce ». Leur démonstration fait bien la distinction entre les taux de mortalité et d’incidence, deux notions très différentes comme on l’a vu, bien que certains experts, comme Sir Richard Peto, aient souvent tendance à l’oublier. « Le taux de la mortalité liée aux cancers infantiles a considérément baissé depuis 1975, écrivent-ils en effet. C’est principalement dû à l’amélioration des traitements qu’a permise la forte participation des enfants aux essais cliniques de nouveaux traitements. Cependant, au cours de la même période (1975-2006), l’incidence du cancer chez les jeunes Américains de moins de vingt ans n’a cessé d’augmenter. Les causes de cette augmentation ne sont pas connues, mais les changements sont trop rapides pour qu’ils soient d’origine génétique. On ne peut pas non plus expliquer cette augmentation par l’avènement de techniques de diagnostic plus performantes comme la tomographie ou l’imagerie par résonance magnétique nucléaire (IRM). En effet, l’arrivée de ces techniques a pu, au mieux, entraîner un pic ponctuel et unique dans l’incidence des cancers, mais pas cette progression stable que l’on peut observer sur un laps de trente ans[xviii]. »
L’argument du « meilleur diagnostic » a été aussi réduit à néant en 2007 dans un article de la revue Biomedicine & Pharmacotherapy publié dans le cadre d’un dossier de cent pages intitulé « Cancer : l’influence de l’environnement »[xix]. Les auteurs, dont Richard Clapp et les Français Dominique Belpomme et Luc Montagnier, prennent l’exemple du cancer du sein, pour lequel des programmes de dépistage ont été mis en place dans seize pays européens[xx]. Or, notent-ils, la détection précoce d’un cancer du sein peut avoir une influence sur la mortalité, mais pas sur l’incidence, car le même cancer aurait été détecté il y a trente ans, même si c’est à un stade plus avancé. Ils citent l’expérience de la Norvège, qui possède l’un des plus anciens registres des cancers d’Europe (1955)[1] et qui a introduit les mesures de dépistage du cancer du sein (mammographie) et de la prostate (dosage de la PSA, l’antigène prostatique spécifique) dès 1992. Un examen de l’évolution du taux d’incidence du cancer du sein et de la prostate montre que ceux-ci n’ont cessé de progresser entre 1955 et 2006, avec un léger pic en 1993, au moment de l’introduction des techniques de dépistage. Le même constat peut être fait pour le cancer de la thyroïde, dont l’incidence a été multipliée par six sur la même période, un phénomène qui a commencé bien avant l’introduction de l’imagerie par ultrason.
[1] En France, le premier registre des cancers a été créé en… 1975. En 2010, il existait treize registres mesurant l’incidence de tous les cancers dans onze départements (sur quatre-vingt-seize !), soit une couverture de 13 % de la population…
[i] Afsset/Inserm, Cancers et Environnement. Expertise collective, octobre 2008.
[ii] Devra Davis, The Secret History of the War on Cancer, op. cit., p. 262.
[v] Richard Doll et Richard Peto, « The causes of cancer : quantitative estimates of avoidable risks of cancer in the United States today », The Journal of the National Cancer Institute, vol. 66, n° 6, juin 1981, p. 1191-1308.
[vi] Geneviève Barbier et Armand Farrachi, La Société cancérigène, op. cit., p. 49.
[vii] Lucien Abenhaim, Rapport de la Commission d’orientation sur le cancer, La Documentation française, Paris, 2003.
[viii]Les Causes du cancer en France, op. cit., p. 7.
[ix] Rory O’Neill, Simon Pickvance et Andrew Watterson, « Burying the evidence : how Great Britain is prolonging the occupational cancer epidemic », The International Journal of Occupational and Environmental Health, vol. 13, 2007, p. 432-440.
[x] André Cicolella, Le Défi des épidémies modernes. Comment sauver la Sécu en changeant le système de santé, La Découverte, Paris, 2007, p. 48.
[xi] Eva Steliarova-Foucher et alii, « Geographical patterns and time trends of cancer incidence and survival among children and adolescents in Europe since the 1970s (The ACCIS project) : an epidemiological study », The Lancet, vol. 364, n° 9451, 11 décembre 2004, p. 2097-2105.
[xii] Cette interview a été filmée le 13 janvier 2010. Et la traduction est du mot à mot…
[xiii] Entretien de l’auteure avec Devra Davis, Pittsburgh, 15 octobre 2009.
[xiv] Devra Davis et Joel Schwartz, « Trends in cancer mortality : US white males and females, 1968-1983 », The Lancet, vol. 331, n° 8586, 1988, p. 633-636.
[xv] Devra Davis et David Hoel, « Trends in cancer in industrial countries », Annals of the New York Academy of Sciences, vol. 609, 1990.
[xvi] Devra Davis, The Secret History of the War on Cancer, op. cit., p. 257.
[xvii] Devra Davis, Abraham Lilienfeld et Allen Gittelsohn, « Increasing trends in some cancers in older Americans : fact or artifact ? », Toxicology and Industrial Health, vol. 2, n° 1, 1986, p. 127-144.
[xviii] President’s Cancer Panel, Reducing Environmental Cancer Risk, op. cit., p. 4.
[xix] Philippe Irigaray, John Newby, Richard Clapp, Lennart Hardell, Vyvyan Howard, Luc Montagnier, Samuel Epstein, Dominique Belpomme, « Lifestyle-related factors and environmental agents causing cancer : an overview », Biomedicine & Pharmacotherapy, vol. 61, 2007, p. 640-658.
[xx] Voir Johannes Botha et alii, « Breast cancer incidence and mortality trends in 16 European countries », European Journal of Cancer, vol. 39, 2003, p. 1718-1729.
Je suis heureuse de mettre en ligne sur mon Blog la bande annonce de mon nouveau film Les moissons du futur, qui sera diffusé sur ARTE, le 16 octobre, à 20 heures 40.
Faites circulez l’information et la vidéo!
Par ailleurs, je publie le texte qui constitue la 4ème de couverture de mon livre Les moissons du futur. Comment l’agroécologie peut nourrir le monde, qui sera en librairie le 8 octobre (Une coédition La Découverte/Arte-Éditions)
« Si on supprime les pesticides, la production agricole chutera de 40 % et on ne pourra pas nourrir le monde. » Prononcée par le patron de l’industrie agroalimentaire française, cette affirmation est répétée à l’envi par les promoteurs de l’agriculture industrielle. De son côté, Olivier de Schutter, le rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation des Nations unies, affirme qu’il faut « changer de paradigme », car « l’agriculture est en train de créer les conditions de sa propre perte ». Pour lui, « seule l’agroécologie peut relever le défi de la faim et répondre aux besoins d’une population croissante ». D’après la FAO, il faudra augmenter la production agricole de 70 % pour nourrir 9 milliards de Terriens en 2050. Comment y parvenir ?
C’est à cette question que répond ici Marie-Monique Robin, en menant l’enquête sur quatre continents. S’appuyant sur les témoignages d’experts mais aussi de nombreux agriculteurs, elle dresse le bilan du modèle agro-industriel : non seulement il n’est pas parvenu à nourrir le monde, mais il participe largement au réchauffement climatique, épuise les sols, les ressources en eau et la biodiversité, et pousse vers les bidonvilles des millions de paysans. Et elle explique que, pratiquée sur des exploitations à hauteur d’homme, l’agroécologie peut être hautement efficace et qu’elle représente un modèle d’avenir productif et durable.
Du Mexique au Japon, en passant par le Malawi, le Kénya, le Sénégal, les États-Unis ou l’Allemagne, son enquête étonnante montre que l’on peut « faire autrement » pour résoudre la question alimentaire en respectant l’environnement et les ressources naturelles, à condition de revoir drastiquement le système de distribution des aliments et de redonner aux paysans un rôle clé dans cette évolution.
For the no frenchspeaking public, I put the english trailer of Crops of the Future.
For more informations about this documentary contact:
Comme promis, je publie un nouvel extrait de mon livre Notre poison quotidien, concernant l « ’effet cocktail » et les effets sanitaires des très nombreux pesticides qui agissent à des doses infinitésimales notamment sur les embryons et fœtus. Il s’agit notamment des poisons agricoles qui sont des hormones de synthèse et de ce fait perturbent le système endocrinien, d’où leur nom de « perturbateur endocrinien ».
Je constate avec amusement que les lobbyistes ne savent plus à quelle branche se raccrocher, n’hésitant pas comme « Bob le silencieux » à qualifier les scientifiques qui révèlent ces effets terribles de « marchands de peur» ! Je dois reconnaître que venant d’un défenseur des « marchands de mort » (les pesticides, je le rappelle, sont fabriqués pour tuer , au minimum, des végétaux ou des insectes…), l’argument ne manque pas de panache !!
Je profite de l’occasion pour signaler une étude réalisée par le Pr Virginia Rauh de l’université de Columbia (New York), publiée dans les Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) en avril dernier.
Intitulée « Les anomalies cérébrales des enfants exposés in utero à un pesticide organophosphoré très commun », celle-ci a révélé que des enfants exposés dans le ventre de leur mère à du chlorpyriphos-éthyl, un insecticide que j’ai largement évoqué dans Notre poison quotidien, souffraient d’un « amincissement du cortex cérébral », caractéristique d’affections neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer, ainsi que l’a expliqué le Pr Rauh au Monde (édition du 19 mai). Et le journal de préciser : «
« Les anomalies cérébrales trouvées chez ces enfants pourraient être associées à des troubles neurocognitifs ou neuropsychologiques durables. Les niveaux d’exposition qui montrent ces effets neurotoxiques correspondant à des usages courants ».
Avant de conclure :
« En attendant une prise de conscience élargie, que faire ? « Laver fruits et légumes, d’autant plus s’ils sont consommés par une femme enceinte ou allaitante, ou par de jeunes enfants », conseille Virginia Rauh. Et éviter d’utiliser, en cas de grossesse, des produits phytosanitaires contenant ces produits. En France, au moins un produit contenant du CPF est autorisé dans les jardins : Dursban 5G Jardin (Dow Agrosciences SAS) ».
N’en déplaise aux petits soldats de l’industrie des pesticides, la meilleure solution pour protéger les femmes enceintes et les enfants de ces troubles gravissimes, c’est bien sûr de MANGER BIO !
Voici maintenant la suite de ma rencontre avec le Dr Ulla Hass :
L’explosion des cancers du sein est due aux cocktails des hormones de synthèse
Et bien sûr, j’ai pris le chemin du Royaume-Uni pour rencontrer Andreas Kortenkamp, qui dirige le centre de toxicologie de l’université de Londres. Dans l’étude qu’il a publiée en 2009 avec Ulla Hass et leurs collègues, les auteurs concluaient : « Les évaluations qui ignorent la possibilité d’une combinaison des effets peuvent conduire à une sous-estimation considérable des risques associés à l’exposition aux produits chimiques[i]. » Dans son livre La Société du risque, Ulrich Beck dit la même chose, mais en des termes beaucoup plus radicaux, que je n’étais pas loin de faire miens au moment de terminer mon voyage sur la planète chimique : « À quoi me sert-il de savoir que tel ou tel polluant est nocif à partir de telle ou telle concentration, si je ne sais pas dans le même temps quelles réactions entraîne l’action conjuguée de toutes ces substances toxiques résiduelles ? […] Car quand les hommes sont confrontés à des situations de danger, ce ne sont pas des substances toxiques isolées qui les menacent, mais une situation globale. Répondre à leurs questions sur la menace globale par des tableaux de taux limites portant sur des substances isolées, c’est faire preuve d’un cynisme collectif dont les conséquences meurtrières ont cessé d’être latentes. Il est compréhensible que l’on ait commis une telle erreur aux temps où tout le monde avait une croyance aveugle dans le progrès. Continuer à le faire aujourd’hui, en dépit des protestations, des statistiques de morbidité et de mortalité – en s’abritant derrière la “rationalité” scientifique des “taux limites” –, c’est s’exposer à bien plus qu’une crise de confiance, et c’est une attitude qui relève des tribunaux[ii] ».
Le 11 janvier 2010, mon « coup de blues » passé, j’ai donc rencontré Andreas Kortenkamp, un scientifique d’origine allemande auteur notamment d’un rapport sur le cancer du sein qu’il a présenté aux députés européens, le 2 avril 2008[iii]. Pour lui, en effet, l’augmentation permanente du taux d’incidence de ce cancer, qui frappe aujourd’hui une femme sur huit dans les pays industrialisés et représente la première cause de mort par cancer des femmes de 34-54 ans, est due principalement à la pollution chimique[1]. « La progression fulgurante du cancer du sein dans les pays du Nord est très choquante, m’a-t-il expliqué. Elle est due à un faisceau de facteurs concordants qui concernent tous le rôle de l’œstrogène dans le corps des femmes : il y a d’abord la décision d’avoir des enfants plus tard et, pour certaines, de ne pas allaiter ; il y a aussi, pour une faible part, l’utilisation de pilules anticontraceptives et, de manière évidente, l’usage de traitements hormonaux à la ménopause. On estime qu’au Royaume-Uni, l’usage des traitements hormonaux de substitution a provoqué un excès de 10 000 cas de cancer du sein. S’y ajoute un facteur génétique, mais qu’il ne faut pas surévaluer : on estime qu’il ne représente qu’une tumeur mammaire sur vingt. Tout indique que le facteur principal est environnemental et qu’il est lié à la présence d’agents chimiques capables d’imiter l’hormone sexuelle féminine, dont les effets s’additionnent à des doses infinitésimales.
– Quels sont les produits que vous mettez en cause ?, ai-je demandé, en pensant à toutes les femmes, dont plusieurs amies proches, qui souffrent ou sont décédées d’un cancer du sein.
– Malheureusement, la liste est longue, m’a répondu Andreas Kortenkamp, avec une moue de réprobation. Il y a certains additifs alimentaires comme les conservateurs, les produits anti-UV des crèmes solaires, les parabens et phtalates que l’on trouve dans de nombreux produits cosmétiques (shampoings, parfums, déodorants), les alkylphénols utilisés dans les détergents, peintures ou plastiques, les PCB qui continuent de polluer la chaîne alimentaire ; et puis de nombreux pesticides, comme le DDT qui s’est accumulé dans l’environnement, des fongicides, herbicides, insecticides qui ont tous une activité œstrogénique et qui se retrouvent sous forme de résidus dans nos aliments[iv] ; bref, le corps des femmes est exposé en permanence à un cocktail d’hormones qui peuvent agir de concert, ainsi que l’a révélé une étude espagnole[v]. De plus, on sait que ces mélanges d’hormones sont particulièrement redoutables pendant les phases du développement fœtal et la puberté. C’est ce qu’a révélé le drame du distilbène (voir supra, chapitre 17), ou la terrible expérience de la bombe atomique à Hiroshima : la majorité des femmes qui ont développé un cancer étaient adolescentes au moment de l’explosion.
– Quelles études menez-vous dans votre laboratoire ?
– Nous testons l’effet synergétique des hormones de synthèse – qu’elles soient œstrogéniques ou anti-androgéniques – sur des lignées de cellules, c’est-à-dire in vitro, et non pas in vivo, comme le fait ma collègue Ulla Hass. Et nos résultats confirment ce qu’elle a observé sur des rats : les xéno-œstrogènes, ou œstrogènes environnementaux, voient leurs effets décupler quand ils sont mélangés et interagissent de surcroît avec l’œstrogène naturel. On parle beaucoup de charge chimique corporelle, mais il serait intéressant de mesurer la charge hormonale globale des femmes qui devrait être un bon indicateur du risque d’avoir un cancer du sein…
– Pensez-vous que les agences de réglementation devraient revoir leur système d’évaluation des produits chimiques ?
– Certainement !, m’a répondu sans hésiter le scientifique germano-britannique. Il faut qu’elles changent de paradigme pour intégrer l’effet cocktail, qui est pour l’heure complètement ignoré. L’évaluation produit par produit n’a pas de sens et je constate que les autorités européennes ont commencé à en prendre conscience. En 2004, le Comité scientifique européen de la toxicologie, l’écotoxicologie et l’environnement a clairement recommandé de prendre en compte l’effet cocktail des molécules qui ont un mode d’action identique, comme les hormones environnementales[vi]. De même, en décembre 2009, les vingt-sept ministres de l’Environnement européens ont publié une déclaration commune demandant que l’effet des mélanges, notamment de perturbateurs endocriniens, soit intégré dans le système d’évaluation des produits chimiques. Cela dit, la tâche est immense. D’après les estimations, il y a actuellement entre 30 000 et 50 000 produits chimiques sur le marché en Europe, dont 1 % seulement a été testé. S’il y a parmi eux quelque 500 perturbateurs endocriniens, cela fait des millions de combinaisons possibles…
– Autant dire que la tâche est impossible…
– Je crois qu’il faut procéder de manière pragmatique. Les poissons des rivières représentent un bon indicateur des effets cocktail. Il faudrait déterminer quelles sont les substances qui les affectent le plus et peut-être va-t-on découvrir que vingt molécules sont responsables de 90 % des effets. Il convient alors de les retirer du marché, comme le prévoit le règlement Reach, qui va dans la bonne direction[2]. Mais pour cela, il faut une volonté politique forte, car la résistance des industriels est redoutable…
– Est-ce que l’effet cocktail existe aussi pour les molécules cancérigènes ?
– Tout indique que oui ! C’est ce qu’ont montré des études japonaises dans lesquelles ont été mélangés des pesticides qui individuellement n’avaient pas d’effet cancérigène à la dose utilisée dans le mélange, mais dont l’effet a été décuplé une fois qu’ils ont été mélangés.
– Cela veut-il dire que le principe de Paracelse qui veut que la “dose fait le poison” est à mettre à la poubelle, y compris pour les produits autres que les perturbateurs endocriniens ?
– Malheureusement, ce principe est utilisé à toutes les sauces, mais personne ne comprend vraiment ce qu’il signifie. Fondamentalement, bien sûr qu’il y a une relation entre la toxicité d’un produit et la dose, mais ce n’est pas cela le problème. La faille du système d’évaluation repose sur la notion de NOAEL, la dose sans effet nocif observé. En fait, il faut bien comprendre qu’autour de cette fameuse NOAEL, il y a ce que les statisticiens appellent un “fog” ou une zone grise, c’est-à-dire que nous sommes incapables de savoir ce qui se passe à + ou – 25 % de la NOAEL. Il n’y a aucune étude expérimentale qui peut résoudre ce problème fondamental. Bien sûr, on peut augmenter le nombre d’animaux testés pour réduire la taille du “fog”, mais on ne le fera jamais disparaître complètement. Le discours officiel, c’est que ce problème est résolu par l’application de facteurs d’incertitude ou de sécurité, mais là encore c’est complètement arbitraire, car, encore une fois, nous ne le savons pas. Et c’est particulièrement vrai pour la toxicologie des mélanges, où l’effet conjugué de très petites doses de produits apparemment inoffensifs, quand ils sont pris isolément, est impossible à prédire avec certitude, sauf à appliquer des facteurs de sécurité très élevés, ce qui limiterait considérablement l’usage des produits.
– Pensez-vous que le système actuel met particulièrement la vie des enfants en danger ?
– Il est clair que les fœtus et jeunes enfants sont particulièrement sensibles aux cocktails de produits chimiques et, notamment, des perturbateurs endocriniens. C’est ce que montre l’évolution des pathologies enfantines… »
[1] Le taux d’incidence de cancer du sein en Amérique du Nord, Europe et Australie est de 75 à 92 pour 100 000 (après ajustement de l’âge), contre moins de 20 pour 100 000 en Asie et en Afrique.
[2] Entré en vigueur le 1er juin 2007, Reach est l’acronyme anglais du « Règlement européen sur l’enregistrement, l’évaluation, l’autorisation et les restrictions des substances chimiques ».
[i] Sofie Christiansen, Ulla Hass et alii, « Synergistic disruption of external male sex organ development by a mixture of four antiandrogens », Environmental Health Perspectives, vol. 117, n° 12, décembre 2009, p. 1839-1846.
[ii] Ulrich Beck, La Société du risque, op. cit., p. 121-123.
[iii] Andreas Kortenkamp, « Breast cancer and exposure to hormonally active chemicals : an appraisal of the scientific evidence », Health & nvironment Alliance, <www.env-health.org>, avril 2008.
[iv] Voir notamment : Warren Porter, James Jaeger et Ian Carlson., « Endocrine, immune and behavioral effects of aldicarb (carbamate), atrazine (triazine) and nitrate (fertilizer) mixtures at groundwater concentrations », Toxicology and Industrial Health, vol. 15, n° 1-2, 1999, p. 133-150.
[v] Jesus Ibarluzea et alii, « Breast cancer risk and the combined effect of environmental oestrogens », Cancer Causes and Control, vol. 15, 2004, p. 591-600.
[vi] Andreas Kortenkamp et alii, « Low-level exposure to multiple chemicals : reason for human health concerns ? », Environmental Health Perspectives, vol. 115, Suppl. 1, décembre 2007, p. 106-114.