rencontre avec le Pr. Vincent Garry

En parcourant les commentaires laissés sur mon Blog par les lobbyistes de l’industrie chimique   je constate , une fois de plus, qu’ils sont bien mal informés (comme « Wackes Seppi », qui n’a pas trouvé le Pr. Garry sur Internet ou « André » qui ne sait pas que Minneapolis est la capitale du Minnesota!!!)! Et c’est tant mieux, car cela me donne l’occasion de raconter ma rencontre avec le Pr. Vincent Garry, un biologiste réputé de l’Université de Minneapolis qui a conduit plusieurs études épidémiologiques dans la Red River Valley, dont les principales sont présentées ici:

http://www.labome.org/expert/usa/university/garry/vincent-f-garry-482738.html

Avant de transcrire les pages que j’ai consacrées à cette rencontre dans mon livre Notre poison quotidien, je voudrais raconter une anecdote tout à fait étonnante. J’avais donné rendez-vous au scientifique à Fargo (dans la Dakota du Nord), le 30 octobre 2009. Quand je suis arrivée à l’aéroport, j’ai constaté que le pied de ma caméra manquait. En fait, il avait été envoyé à … San Diego (en Californie)! J’étais vraiment désespérée, car je voyais mal comment j’allais pouvoir trouver un pied dans cette ville paumée et aussi lugubre que dans le film des frères Coen. Le matin du 1er novembre, j’ai raconté mes déboires au Pr. Garry, au moment où ne prenions le petit déjeuner à l’hôtel. C’est alors qu’est intervenu le serveur qui avait manifestement saisi mon dépit:

– Quel est votre problème, m’a-t-il gentiment demandé.

En quelques mots, je lui ai expliqué mes problèmes,  persuadée qu’il ne pourrait pas grand chose pour moi!

– C’est une réalisatrice très connue, a glissé Vincent Garry. Elle est l’auteure du film Le monde selon Monsanto…

– You are Ms. Robin? s’est exclamé le serveur, un étudiant en biologie qui avait passé le DVD de mon film « en boucle pendant des semaines ». Je peux vous aider à trouver un pied! Il y a ici une chaîne locale, dédiée à l’agriculture, je connais très bien le rédacteur en chef, s’il sait que vous êtes ici, il vous prêtera un pied, même si aujourd’hui c’est férié. je peux l’appeler sur son portable! »

Aussitôt dit, aussitôt fait… Vingt minutes plus tard, débarquait à l’hôtel Nick Kgar (dont j’ai parlé récemment sur ce blog) me proposant un pied contre une interview que j’ai évidemment acceptée!

Incroyable, mais vrai! C’est ainsi que nous avons pu filmer dans des conditions normales la visite du professeur Garry à une famille d’agriculteurs , ainsi que je l’ai raconté dans Notre poison quotidien:

Je n’oublierai jamais mon séjour à Fargo, la ville du Dakota du Nord qui donna son nom à l’un des films les plus sinistres des frères Coen. J’y suis arrivée la veille de la Toussaint 2009. Il faisait un froid glacial dans la Red River Valley toute proche, prête à accueillir la neige pendant de longs mois, avant que ne reprennent les cultures intensives de blé, de maïs, betteraves, pommes de terre ou de soja (transgénique). Dans cette région à cheval sur les États du Dakota et du Minnesota, les pesticides sont généralement épandus par avion, car la taille moyenne des exploitations agricoles dépasse plusieurs centaines d’hectares.

J’avais rendez-vous avec le professeur Vincent Garry, de l’université de Minneapolis (Minnesota), qui participa à la conférence de Wingspread sur les perturbateurs endocriniens (voir supra, chapitre 16) et dirigea trois études sur le lien entre l’exposition aux poisons agricoles et les malformations congénitales[i]. Celles-ci montraient un risque accru très significatif d’anomalies cardiovasculaires, respiratoires, urogénitales (hypospadias, cryptorchidie) et musculo-squelettiques (malformation des membres, nombre de doigts) dans les familles d’agriculteurs de la Red River Valley, mais aussi chez les riverains. Comparé avec celui des populations urbaines des États du Dakota du Nord ou du Minnesota, ce risque était multiplié de deux à quatre, selon le type d’anomalies. Lorsqu’il a étudié plus précisément les familles d’agriculteurs, Vincent Garry a constaté que les malformations congénitales et les fausses couches étaient plus fréquentes quand la conception des enfants avait lieu au printemps, c’est-à-dire au moment où sont appliqués les pesticides (notamment le Roundup de Monsanto, dont il démontra qu’il est un perturbateur endocrinien). Le chercheur a noté aussi un déficit du sexe mâle chez les enfants des utilisateurs de pesticides. Ensemble, nous avons rendu visite à David, un agriculteur d’une quarantaine d’années, dont les parents avaient participé à l’étude de 1996. Le professeur Garry avait conservé le dossier concernant la famille de David, où il apparaissait que son jeune frère était atteint de malformations congénitales graves et d’un retard mental. Je n’oublierai jamais l’attention émue et le silence embarrassé de la famille réunie autour de la table de la cuisine, quand Vincent Garry a présenté les résultats de l’étude, dont elle n’avait jamais été informée…


[i] Vincent Garry et alii, « Pesticide appliers, biocides, and birth defects in rural Minnesota », Environmental Health Perspectives, vol. 104, n° 4, 1996, p. 394-399 ; Vincent Garry et alii, « Birth defects, season of conception, and sex of children born to pesticide applicators living in the Red River valley of Minnesota, USA », Environmental Health Perspectives, vol. 110, sup. 3, 2002, p. 441-449 ; Vincent Garry et alii, « Male reproductive hormones and thyroid function in pesticide applicators in the Red River Valley of Minnesota », Journal of Toxicology and Environmental Health, vol. 66, 2003, p. 965-986.

Je mets maintenant en ligne l’interview que j’avais pré-montée pour mon film, mais que je n’ai pu garder , faute de temps. Au moment où la rencontre a lieu dans la salle à manger de la famille d’agriculteurs, visiblement très émue, l’un de leur fils, handicapé mental, dort sur une banquette de la cuisine…

Diane Forsythe ou comment l’industrie des pesticides fabrique le doute

Sur ce blog (le 15 mars 2012), j’ai déjà retranscrit les pages que j’ai consacrées à Dawn Forsythe dans mon livre Notre poison quotidien .  Celle-ci a dirigé jusqu’à la fin 1996 le département des affaires gouvernementales de la filiale américaine de Sandoz Agro, un fabricant suisse de pesticides (qui a fusionné en 1996 avec Ciba-Geigy, pour former Novartis). Comme elle le raconte dans cette interview, que j’avais montée pour mon film , mais que je n’ai pu garder pour cause de longueur, elle était chargée d »intoxiquer » l’opinion et les pouvoirs publics, en participant à ce que l’ épidémiologiste américain (et aujourd’hui secrétaire adjoint du travail dans le gouvernement Obama) David Michaels appelle « la fabrique du doute« .

J’ai longuement décrit dans mon livre les multiples techniques auxquelles les industriels de la chimie – avec en tête les fabricants de pesticides – ont recours pour maintenir sur le marché des produits hautement toxiques, en dépit de leurs effets sanitaires et environnementaux. Dans Le monde selon Monsanto, je racontais, par exemple, comment la firme avait payé un scientifique (le Dr. Suskind de l’Université du Cincinatti) pour manipuler les résultats de deux études clés qu’il avait conduites en suivant pendant plusieurs années des ouvriers qui avaient été exposés à des émanations toxiques lors d’un accident survenu dans l’usine de Nitro, où ils produisaient l’herbicide 2,4,5-T, l’un des composants de l’agent orange, comprenant de la dioxine. Il avait suffi à  cette « prostituée de la science« , pour reprendre les termes de Peter Infante, un autre épidémiologiste américain, de mélanger des ouvriers non exposés au groupe des ouvriers exposés (le groupe expérimental), puis d’ajouter des ouvriers exposés dans celui des non exposés (groupe contrôle), et le tour était joué! Après cette manipulation, qu’on appelle sobrement « l’effet dilution« , il avait pu conclure qu’il y avait autant de cancers dans les deux groupes, et, donc, que la dioxine n’était pas cancérigène! Résultat: publiées dans des revues scientifiques de renom, qui n’y ont vu que du feu, ces études ont retardé la réglementation de la dioxine pendant plus de dix ans, empêchant notamment les vétérans de la guerre du Vietnam d’obtenir des réparations pour les cancers qu’ils avaient déclarés après leur exposition à l’agent orange.

Le témoignage courageux de Dawn Forsythe, qui a fini par quitter « la grande famille » de  l’industrie des pesticides et a eu beaucoup de mal à retrouver du travail, m’a convaincue que le système de manipulations et de mensonges que j’avais décortiqué dans Le monde selon Monsanto n’était malheureusement pas une exception mais, au contraire,  la règle chez les industriels de la chimie, ainsi que le montrent les affaires de l’essence au plomb, du chlorure de vinyl ou PBC, du benzène, de l’amiante, des PCB ou de l’atrazine (cf: Notre poison quotidien). C’est pourquoi, connaissant les désastres sanitaires qu’ont provoqués et  continuent de provoquer ces produits (des dizaines de milliers de malades et de morts de par le monde), je dis que le comportement de ces entreprises est tout simplement criminel.

C’est ce que j’ai clairement dit à Hervé Kempf, journaliste du Monde, que j’ai rencontré lors des assises chrétiennes de l’écologie, qui se sont tenues en novembre à Saint Etienne. Vous pouvez entendre cette interview sur le site Reporterre que, par ailleurs, je vous recommande très vivement!

http://www.reporterre.net/spip.php?article2304

Le récent jugement du tribunal de Turin qui a condamné à de lourdes peines de prison deux anciens responsables de la société Eternit, l’un des principaux fournisseurs d’amiante (avec le français Everit, qui appartenait au groupe Saint Gobain), ainsi que la condamnation, en première instance de Monsanto dans l’affaire de Paul François (voir sur ce blog) prouvent que les choses sont en train de bouger.

Il sera bientôt fini le temps où les industriels pouvaient contaminer l’environnement – les hommes, l’air, l’eau et les aliments- en toute impunité, sans sans qu’on ne puisse jamais poursuivre les responsables au pénal.

C’est pourquoi, quand les organisateurs de la 4ème édition de « Faites sans OGM » m’ont demandé de témoigner dans le tribunal populaire qui allait juger « Monsanto pour crime contre l’humanité« , j’ai accepté sans aucune hésitation.

http://84sansogm.sosblog.fr/Foll-Avoine-II-b1/Du-10-au-12-Ferier-prochain-4eme-edition-de-la-Faites-sans-OGM-au-Thor-84-b1-p59448.htm

J’y ai notamment rapporté comment Monsanto était parvenu à infiltrer la Food and Drug Administration (FDA) pour imposer le fameux « principe d’équivalence en substance » qui prétend qu’un OGM est similaire à une plante conventionnelle, empêchant ainsi toute étude sérieuse sur la toxicité éventuelle des plantes transgéniques pesticides. J’ai rapporté aussi les pressions, campagnes de diffamation et tentatives de corruption exercées par la firme pour décourager ou faire enterrer toute étude scientifique indépendante. Après avoir rappelé, bien sûr, que des pratiques similaires avaient permis à la multinationale de maintenir sur le marché pendant des décennies des poisons comme les PCB, le 2,4,5-T, ou le Lasso qui a rendu Paul François malade.

Photos (Guillaume de Crop) : Mon témoignage lors du procès contre Monsanto, et le face à face qui m’a opposée à l’avocat de la firme ( Olivier Florent, un élu de EELV).

Le « phytothéâtre » ou les dangers des pesticides

Dans quelques jours, le tribunal de Lyon rendra publique sa décision concernant l’affaire qui oppose Paul François, l’agriculteur de Charente, victime d’une grave intoxication chimique au Lasso (un herbicide de Monsanto), ayant déclenché de sérieux troubles neurologiques chroniques, et la multinationale américaine. Avant de revenir longuement sur cette affaire, que je relate dans mon livre et film Notre poison quotidien :

http://www.arte.tv/fr/_C2_AB-Notre-poison-quotidien-_C2_BB-Une-enquete-de-Marie-Monique-Robin—Livre–DVD—VOD/3673748,CmC=3674010.html

je mets en ligne un tournage que j’ai réalisé au lycée Bonne-Terre de Pézenas, où la Mutualité sociale agricole (MSA) organisait un « phyto-théâtre » pour mettre en garde les futurs viticulteurs des dangers que leur font courir les poisons agricoles. Je copie aussi les deux pages de mon livre, que j’ai consacrées à cette session de « prévention », et que j’ai intitulées…  « l’impossible prévention »…

Le montage de la séquence est précédé d’une interview du Docteur Jean-Luc Dupupet, qui était le médecin en charge des risques chimiques à la MSA, au moment du tournage.

L’impossible prévention

« La principale difficulté que vous aurez en utilisant les phytosanitaires, c’est d’apprendre à percevoir l’invisible… C’est-à-dire apprendre à savoir que le “produit phyto” que vous aviez au départ dans le bidon s’est retrouvé progressivement dans votre environnement. Vous comprenez, ce n’est pas de la peinture rouge, il ne se voit pas[1]… C’est d’autant plus difficile que le matériel de pulvérisation n’est pas extraordinaire, que les formulations sont difficiles à utiliser et les produits dangereux. Malgré tout ça, il faudra apprendre à gérer votre propre prévention… »

Surréaliste, la scène se déroule le 9 février 2010, dans le lycée agricole catholique Bonne-Terre de Pézenas (Hérault). Médecin du travail à la Mutualité sociale agricole (MSA), Gérard Bernadac est venu animer une séance de « prévention des risques phytosanitaires » en compagnie d’Édith Cathonnet, conseillère en prévention à la MSA du Languedoc, et du docteur Jean-Luc Dupupet, médecin en charge du risque chimique, venu spécialement de Paris, où se trouve le siège de la mutuelle. La formation s’adresse à une trentaine d’élèves – tous des garçons – de la filière viticulture œnologie, des fils de vignerons qui se préparent à rejoindre l’exploitation familiale[2]. Elle fait partie d’un module qui permettra à ces futurs agriculteurs d’obtenir le « certiphyto », un diplôme autorisant l’usage professionnel des « produits phytopharmaceutiques » et qui sera obligatoire à compter de 2015, en vertu d’une directive européenne d’octobre 2009 « pour une utilisation durable des pesticides ». D’ici là, la MSA a du pain sur la planche, car c’est à elle que le ministère de l’Agriculture a confié la mission de former les utilisateurs, magasiniers et négociants, soit environ un million de personnes. Jusqu’alors, n’importe qui pouvait utiliser les poisons sans aucune formation préliminaire…

En observant les jeunes lycéens assis bien sagement dans la jolie chapelle de l’établissement privé, je ne peux m’empêcher de penser aux multiples dangers auxquels ils seront immanquablement confrontés au cours de leur activité professionnelle. Chaque année, en effet, quelque 220 000 tonnes de pesticides sont épandues dans l’environnement européen : 108 000 tonnes de fongicides, 84 000 tonnes d’herbicides et 21 000 tonnes d’insecticides[i]. Si on y ajoute les 7 000 tonnes de « régulateurs de croissance » – des hormones destinées notamment à raccourcir la paille du blé –, cela fait environ un demi-kilo de substances actives pour chaque citoyen européen. La France se taille la part du lion, car avec ses 80 000 tonnes annuelles, elle est le premier consommateur européen de pesticides et le quatrième consommateur mondial, derrière les États-Unis, le Brésil et le Japon. 80 % des substances pulvérisées concernent quatre types de cultures, qui ne représentent pourtant que 40 % des surfaces cultivées : les céréales à paille, le maïs, le colza et la vigne justement, l’un des secteurs agricoles où l’on utilise le plus de « produits phyto ».

La formation au lycée Bonne-Terre a débuté par une séance de « Phyto théâtre », un sketch joué par le docteur Bernadac et sa collègue de la MSA pour sensibiliser les futurs agriculteurs aux « bonnes pratiques » permettant d’éviter le pire. Dans son introduction, Édith Cathonnet a d’ailleurs fait un drôle d’aveu : après avoir énuméré toutes les phases du travail qui comportait des « risques » – l’ouverture du bidon, la préparation de la « bouillie », le remplissage ou nettoyage de la cuve, l’épandage lui-même surtout si la cabine n’est pas étanche ou souillée, etc. –, elle a fini par lâcher, comme un cri du cœur : « La façon idéale de se protéger, c’est de ne pas traiter, parce qu’on n’est pas du tout en contact avec le produit ! »

Puis, au fur et à mesure que se déroulait le « Phyto théâtre » d’un réalisme absolu – j’ai vu ces gestes mille fois sur les fermes de ma commune natale –, j’ai senti le malaise m’envahir. Toute la démonstration reposait en effet sur l’usage de la combinaison de cosmonaute que les agriculteurs sont censés porter pour se protéger, avec les incontournables accessoires que sont les masques à gaz et lunettes de batraciens qui donnent aux paysans des allures d’extraterrestres. Or, trois semaines plus tôt, le 15 janvier 2010, l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Afsset) avait publié un rapport très inquiétant sur l’inefficacité de ces combinaisons[ii]. Dans leur étude, les experts y expliquaient en détail qu’ils avaient testé dix modèles de combinaison : « Seuls deux modèles sur les dix testés conformément à la norme atteignent le niveau de performance annoncée. Pour les autres combinaisons, le passage des produits chimiques a été quasi immédiat à travers le matériau de trois d’entre elles et à travers les coutures pour deux autres, ce qui constitue des non-conformités graves. Les trois dernières sont à déclasser pour au moins une substance. »

Enfonçant le clou, ils constataient que les tests réalisés par les fabricants « sont réalisés en laboratoire dans des conditions trop éloignées des conditions réelles d’exposition. Les facteurs essentiels, tels que la durée d’exposition, la température extérieure, le type d’activité, la durée de contact n’entrent pas en considération ». Et leur conclusion était sans appel : « Un contrôle de conformité de l’ensemble des combinaisons de protection contre les produits chimiques liquides présentes sur le marché doit être réalisé et les combinaisons non conformes retirées sans délai. »


[1] C’est moi qui souligne.

[2] La présence de mon équipe de tournage a été signalée sur le site du lycée : <www.bonne-terre.fr>.


[i] Pesticide Action Network Europe et MDRGF, « Message dans une bouteille ». Étude sur la présence de résidus de pesticides dans le vin, <www.mdrgf.org>, 26 mai 2008.

[ii] Afsset, « L’Afsset recommande de renforcer l’évaluation des combinaisons de protection des travailleurs contre les produits chimiques liquides », <www.afsset.fr>, 15 janvier 2010.

Le Bisphénol A a du plomb dans l’aile : à quand les sanctions contre les experts qui ont nié sa toxicité ?

Le 27 septembre dernier,   rompant avec l’incroyable déni et la surdité suspecte de son ancêtre l’AFSSA, l’ANSES (l’Agence française de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) a – enfin ! –   reconnu la toxicité du Bisphénol A, et notamment lors d’une exposition à de très faibles doses. La vénérable institution souligne  l’ existence d’effets « avérés chez l’animal et suspectés chez l’homme, même à de faibles niveaux d’exposition » au Bisphénol A. Puis, elle déclare « disposer de suffisamment d’éléments scientifiques » pour affirmer que «  l’objectif prioritaire consiste à réduire les expositions au bisphénol A des populations les plus sensibles ». A savoir : les femmes enceintes et les enfants en bas âge. Que de temps perdu ! Que d’irresponsabilité de tous ces « experts » à l’indécente langue de bois que j’ai côtoyés pendant deux ans et dont j’ai rapporté les arguments peu convaincants dans mon film et livre Notre poison quotidien.

Dans son rapport, l’ANSES explique qu’elle a épluché toute la littérature scientifique existante portant sur les effets éventuels du Bisphénol A – enfin ! -, reconnaissant ainsi que pendant des années l’AFSSA a sciemment ignoré des dizaines d’études montrant lesdits effets, en se bornant à « évaluer » les études truquées et manipulées de l’industrie, ainsi que je l’ai soigneusement relaté dans mon livre et film. C’est tout simplement honteux…

En couchant ces lignes, je repense aux déclarations fracassantes de Roselyne Bachelot devant l’assemblée nationale il y a un peu plus de deux ans.

Voici ce que j’écrivais dans mon livre :

« Je rappelle que le principe de précaution ne s’applique qu’en l’absence d’étude fiable. En l’occurrence, les études fiables existent ; elles concluent, en l’état actuel des connaissances scientifiques, à l’innocuité des biberons en bisphénol A. […] Ces études sont confirmées par l’ensemble des grandes agences sanitaires. » C’était le 31 mars 2009, au Parlement français : Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, répondait aux questions du député centriste de Seine-Saint-Denis Jean-Christophe Lagarde, qui demandait que, comme au Canada, le gouvernement applique le principe de précaution au moins pour les biberons contenant du bisphénol A. Affirmant avec force que « le principe de précaution est un principe de raison, il n’est en aucun cas un principe d’émotion », la ministre a asséné, imperturbable : « Les autorités canadiennes ont décidé son interdiction sous la pression de l’opinion publique, sans que cette décision repose toutefois sur aucune étude scientifique sérieuse. » Gageons que ces phrases malencontreuses entacheront à jamais l’image de celle qui, quelques mois plus tard, se lança à corps perdu dans la désastreuse affaire du vaccin contre la grippe H1N1[1].

Deux mois plus tard, c’était au tour de Marie Favrot, l’ « experte » en charge du dossier BPA à l’AFSSA, de nier publiquement les effets de l’hormone de synthèse sur les organismes en développement, ainsi que je l’ai rapporté dans mon livre:

« L’exposition du fœtus par contamination de la mère est négligeable, a ainsi déclaré Marie Favrot, directrice de l’évaluation des risques nutritionnels et sanitaires de l’(ex)-Afssa, lors d’un colloque organisé le 5 juin 2009 à l’Assemblée nationale par le RES et Gérard Bapt (président du Groupe santé environnementale à l’Assemblée nationale). Les études n’ont bien sûr pas pu être faites avec le BPA lui-même, mais on est parti des études faites sur le paracétamol, qui a des similitudes de structure et surtout utilise le même métabolisme de détoxification. »

Devant l’indignation manifestée par le chimiste et toxicologue André Cicollela, le porte-parole du Réseau Environnement Santé (RES), Pascale Briant , la directrice de l’AFSSA n’avait pas eu peur du ridicule en soutenant :

– Le problème, c’est qu’on ne peut pas protéger correctement nos concitoyens sur la base de l’émotion…

–          Mais comment pouvez-vous parler d’“émotion” ?, s’était énervé André Cicollela. Comment pouvez-vous parler d’émotion devant l’ensemble de ces données scientifiques ? »

Dans un deuxième rapport, l’ANSES a dressé la liste de tous les produits qui contiennent la dangereuse molécule. Et elle est « impressionnante » souligne Le Monde dans son édition du 28 septembre  . De fait, le poison chimique est utilisé dans  rien moins qu’une soixantaine de secteurs d’activités ! Les emballages alimentaires, bien sûr, mais aussi les « lunettes et lentilles de contact, CD et DVD, câbles, mastics, adhésifs, électroménager, articles de sport, appareils médicaux, revêtements de sol, vernis et peintures, encres d’imprimerie, etc »

Les experts ont retenu trois catégories d’effets « suspectés » sur la santé humaine: fertilité féminine, pathologies cardiovasculaires et diabète. Et sept effets « avérés » chez l’animal : «  l’avancement de l’âge de la puberté, l’augmentation de la survenue de kystes ovariens et de lésions de la glande mammaire, l’altération de la production spermatique ». Par « lésions de la glande mammaire », il faut entendre « cancer du sein », car, ainsi que me l’ont expliqué Ana Soto et Carlos Sonnenschein, chercheurs à l’université Tufts (Boston) , les « lésions observées chez les jeunes rattes exposées à de très faibles doses de Bisphénol A in utero, conduisent généralement à des cancers mammaires ».

Le rapport de l’ANSES conclut à l’existence de ces « effets à des doses notablement inférieures aux doses de référence utilisées à des fins réglementaires, et plus particulièrement lors de certaines périodes de la vie », comme la grossesse et la vie pré et postnatale. Diantre ! Exit la DJA de 0,05 mg / kilo de poids corporel à laquelle la pauvre Pascale Briant et ses petits camarades de l’EFSA s’accrochaient lamentablement il y a à peine deux ans.

En écrivant ces lignes, je repense aussi au pauvre Alexandre Feigenbaum, l’ « expert » de l’EFSA, l’agence européenne de la sécurité des aliments. Je retranscris ici ce que j’ai écrit dans mon livre à propos de cette rencontre affligeante :

Comment est-ce possible ? Alors que je roulais sur l’autoroute reliant Bologne à Parme (Italie), le 19 janvier 2010, cette question ne cessait de me poursuivre. Ce jour-là, j’avais rendez-vous avec quatre représentants de l’EFSA, dont Alexandre Feigenbaum, le chef de l’unité chargée de l’évaluation des matériaux au contact avec les aliments (groupe CEF).

« Pourquoi avez-vous rejeté les études d’Ana Soto ? », ai-je demandé à Alexandre Feigenbaum en ouverture de notre entretien – enregistré par mon équipe de tournage, comme les trois autres interviews que j’ai réalisées à l’EFSA, mais aussi par les trois représentants de l’Autorité européenne qui étaient assis dans mon dos… « Elles ne répondent tout simplement pas aux critères sur la qualité des études, m’a répondu l’expert. Il est possible que… Ce sont des effets isolés que l’on peut voir ; comment voulez-vous être certain que ce que vous pouvez voir, soit dans des tubes à essai, soit sur un nombre restreint d’animaux, ait une signification pour la santé humaine ? Nous, nous sommes obligés de prendre des études valides et acceptées par la communauté scientifique. Et vous savez bien que les études d’Ana Soto ne le sont pas…

– Et qu’en est-il des études de Frederick vom Saal de l’Université Cornell  ?, ai-je poursuivi, préférant ignorer l’énormité de ce que je venais d’entendre.

– Cela fait une quinzaine d’année que M. vom Saal essaie de convaincre la communauté scientifique de prendre en compte ses études. Et il n’a pas convaincu : toutes les agences nationales ou internationales en charge de l’évaluation du risque, que ce soit la FDA, que ce soit en Nouvelle-Zélande, au Japon, le BFR en Allemagne, ou la FSA en Angleterre, toutes sont d’accord avec notre démarche d’évaluation du risque et avec la DJA que nous avons établie…

– Comment expliquez-vous que l’EFSA ne prenne pas en compte les centaines d’études universitaires qui montrent des effets du bisphénol A à des doses largement inférieures à la DJA ?, ai-je insisté, de plus en plus découragée.

– C’est sûr qu’on voit des effets dans la plupart de ces études, mais on ne sait pas ce que signifient ces effets pour la santé humaine, m’a répondu l’expert européen, après un long monologue incompréhensible, que je préfère épargner au lecteur. Comment voulez-vous qu’une agence qui est responsable de donner un avis sur la sécurité des consommateurs puisse se fonder sur des études qui ne sont pas validées, ou pas répétables ?

En écrivant ces lignes, je pense aussi au  pauvre Jean-François Narbonne, dont j’ai révélé sur ce blog les liens avec … Total. Or, Total c’est … Arkema,   l’un des premiers fabricants français de … Bisphénol A. Le laboratoire du toxicologue de Bordeaux qui a manifestement été recruté par l’industrie pour discréditer  Notre poison quotidien (voir sur ce Blog) est entièrement financé par … Total, ainsi qu’il l’a lui-même indiqué sur la déclaration de conflit d’intérêt qu’il a remis à l’AFSSA (et que l’on peut consulter sur mon Blog). Cela explique (peut-être !) l’empressement de Narbonne à signer le dernier avis de l’AFSSA (octobre 2008) sur le Bisphénol A, où bien sûr l’agence concluait à l’innocuité du poison chimique, y compris pour les biberons !  Il faut dire que parmi les « experts » il y avait aussi Jean-François Régnier qui travaille justement pour … Arkema !

Pauvre Jean-François Narbonne qui lors d’une émission de France Culture (Le Grain à moudre, du 15 mars) à laquelle je participais avec Bruno Le Maire , le ministre de l’agriculture, déclara avec aplomb que si le parlement français a interdit l’usage du BPA dans les biberons, en juillet 2009, c’était pour « faire plaisir à une poignée d’écolos » !

Le même Narbonne , qui fit preuve d’une mauvaise foi stupéfiante tout au long de l’interview qu’il a accordée  à Gil Rivière-Weckstein , le journaliste du site Agriculture et environnement (financé par l’industrie agroalimentaire et chimique). Dans cet « entretien » le toxicologue de Bordeaux s’attaque au Réseau Environnement Santé d’ André Cicollela qui n’a cessé de tirer la sonnette d’alarme sur les effets à faibles doses du Bisphénol A :

En réalité, je me demande si l’objectif du reportage de Marie-Monique Robin – et la motivation des soutiens dont elle a bénéficié – n’est pas tout simplement la suppression des agences sanitaires et le transfert de l’évaluation des risques vers des lobbies associatifs privés (ce que certains appellent « l’expertise citoyenne  »). En effet, je constate que son reportage assène les mêmes contre-vérités scientifiques que celles véhiculées par certaines associations, notamment le Réseau environnement santé. Au sein de l’Anses, nous avons proposé plusieurs fois à ces leaders d’opinion de se porter candidats comme experts, puisqu’ils estiment que le travail effectué est tellement critiquable. Or, ils n’ont jamais répondu à ces appels. À croire qu’ils préfèrent manipuler l’opinion publique, et nos élus, plutôt que participer aux travaux – bien moins médiatiques – de l’évaluation scientifique des risques. Dans ces conditions, on peut se demander s’ils s’intéressent vraiment à la santé des citoyens.

Quel culot ! Quand on sait qu’André Cicollela a posé sa candidature à l’AFSSA, mais que celle-ci n’a jamais daigné lui répondre, ainsi qu’il l’a révélé lors de l’audition qu’il avait organisée au Parlement en juin 2009, en présence de Pascale Briant, laquelle s’est contentée de bafouiller…

Pour en finir avec le revirement à 180 degrés de l’ANSES, je voudrais citer ce bel aveu de Dominique Gombert, directeur de l’évaluation des risques, qui dans  Le Monde du 28 septembre ( « Même à faible dose , le bisphénol A constitue un danger pour l’homme ») se pose – enfin ! – la question qui est au cœur de mon film et livre : « A partir du moment où il existe des fenêtres de susceptibilité extrêmement fortes pour certaines populations sensibles, la notion de dose de référence a-t-elle encore un sens ? » Diantre !

En conclusion ,  « L’ANSES va transmettre immédiatement ses conclusions aux instances européennes en vue d’examiner la pertinence d’une révision des doses de référence » !

Rappelons qu’en septembre 2010 l’incorrigible EFSA « avait estimé qu’aucun élément scientifique ne rendait nécessaire d’abaisser la DJA pour le Bisphénol A », comme le souligne Le Monde

Et puis, mercredi 28 septembre, l’Assemblée nationale a voté à une large majorité une proposition de loi demandant l’interdiction du BPA dans tous les conditionnements alimentaires à  partir du 1er janvier 2004. « Un délai qui doit permettre aux industriels de mettre au point des substituts et aux autorités sanitaires de vérifier leur innocuité » a précisé la députée Michèle Delaunay.

Pauvre Jean-René Buisson,le patron de l’industrie agro-alimentaire , que j’ai eu l’insigne honneur de croiser sur un plateau de télévision de France 2 , puis à France Inter , et qui s’est dit « surpris » de tant de mauvaises nouvelles …

Quitte à énerver encore plus Jean-René Buisson et consorts, Notre poison quotidien continue de remplir les salles de France et de Navarre. Je mets ici en ligne deux photos prises lors d’une projection débat, organisée à Tours le 28 septembre avec François Veillerette du Mouvement pour les générations futures.

Enfin, je vous informe que le DVD Our Daily Poison vient de sortir aux Etats Unis. Je profite du tournage que j’effectue actuellement au Mexique et aux Etats Unis pour mon prochain film et livre « Comment on nourrit les gens » (voir sur mon site m2rfilms.com) pour participer au lancement du DVD le 18 octobre à l’Université californienne de Berkeley.


[1] Le 17 mai 2010, les députés français adopteront finalement une loi interdisant la commercialisation des biberons en polycarbonate contenant du bisphénol A…

Argentine : rien ne va plus !

Je signale un article publié dans  Le Monde du 9 août qui concerne le désastre sanitaire et écologique qu’a entraîné le développement des cultures de soja transgénique en Argentine, ainsi que la toxicité du roundup de Monsanto.

J’avais décrit très précisément cette catastrophe annoncée dans un reportage diffusé en … 2005 sur ARTE que l’on peut visionner sur mon site internet :

http://www.mariemoniquerobin.com/crbst_24.html

Dans mon livre Le monde selon Monsanto, je consacre deux chapitres à la « sojisation » dramatique de l’Argentine, en montrant comment  le soja transgénique conduit tout droit le pays de la vache et du lait à la malnutrition et à la faim.

Lors de mon voyage en Argentine, en mars 2009, où j’ai présenté mon film et mon livre (voir mon Blog « Le monde selon Monsanto »), l’association des avocats environnementalistes d’Argentine (AAAA) m’a expliqué qu’elle se basait sur mon enquête pour encourager les plaintes  en justice des riverains, intoxiqués par le roundup, et pour demander une révision de l’homologation du poison agricole. Apparemment, cela a marché, comme l’explique cet article de Christine Legrand , la correspondante du Monde en Argentine, dont je me réjouis qu’elle s’intéresse (enfin !) à ce sujet capital.

De plus, confirmant le désastre sanitaire, un collectif de médecins et de scientifiques s’est récemment réuni à l’Université de Médecine de Rosario, pour tirer la sonnette d’alarme. Dans leur (deuxième) déclaration, ils notent l’augmentation alarmante des « cancers, avortements spontanés, troubles de la fertilité et naissances d’enfants avec des malformations congénitales » dans « toutes les communautés soumises aux épandages systématiques dus au modèle actuel de production agro-industrielle ».

Vous pouvez lire leur déclaration en espagnol ou en anglais :

http://www.reduas.fcm.unc.edu.ar/declaracion-del-2-encuentro-de-medicos-de-pueblos-fumigados/

Voici le papier du Monde :

En Argentine, les habitants exposés à l’herbicide se plaignent de multiples affections

Cancers, leucémies, malformations foetales, avortements spontanés, infertilité, problèmes respiratoires, oculaires et dermatologiques : la liste des maladies dont se disent victimes les habitants de San Jorge est interminable.

Article paru dans l’édition du 09.08.11A 600 km de Buenos Aires, avec ses 25 000 habitants, San Jorge est une coquette bourgade de Sante Fe, une des plus riches provinces agricoles de l’Argentine. Dans le quartier pauvre d’Urquiza, seule une rue en terre sépare la maison de Viviana Peralta des champs de soja où l’épandage de pesticides se fait par avion. C’est quand elle s’est rendu compte qu’Ailen, sa fille d’un an et demi, avait des crises aiguës d’asthme à chaque fois que l’avion survolait sa maison que Mme Peralta a fait le rapprochement. A l’hôpital, une pédiatre a confirmé la présence de glyphosate dans le sang d’Ailen.

Le glyphosate est le principe actif du Roundup, l’herbicide conçu et commercialisé par la compagnie américaine Monsanto, dont l’usage s’est généralisé à partir de 1997 en Argentine, pionnière en Amérique du Sud. Au contact de l’herbicide, toutes les mauvaises herbes meurent, sauf le soja RR (Roundup Ready), c’est-à-dire le soja transgénique tolérant au Roundup créé par Monsanto.

A San Jorge, les cancers ont augmenté de 30 % en dix ans. Après un épandage, les habitants racontent que leurs lèvres bleuissent, leur langue s’épaissit. Des poules meurent. Chats et chiens perdent leurs poils. Les abeilles disparaissent et les oiseaux se font rares.

Après avoir été éconduite par le maire, Viviana Peralta a pris le chemin du tribunal. Un juge l’a écoutée. Il a accepté de recevoir sa plainte ainsi que celles de 23 familles du quartier contre le gouvernement argentin, les autorités provinciales et les producteurs de soja.

Le 17 mars 2009, la justice a rendu un verdict historique en interdisant toute pulvérisation à moins de 800 m des habitations, si l’épandage se fait à l’aide de mosquitos (« moustiques »), ces tracteurs qui déploient des ailes de plusieurs mètres de long, et à moins de 1 500 m, s’il se fait par avion.

« Le glyphosate n’est pas de l’eau bénite comme on a voulu nous le faire croire ! », s’exclame Carlos Manessi, agronome et coordinateur pour la province de Santa Fe de la campagne nationale contre les épandages. Il pointe que la commercialisation du Roundup a été autorisée en Argentine sans examen scientifique préalable du gouvernement et « seulement à partir d’un rapport de Monsanto en anglais, jamais traduit ».

Les producteurs locaux de soja sont convaincus que le Roundup est inoffensif. « L’interdire serait comme interdire l’aspirine », lance l’un d’eux. La fièvre de « l’or vert » a gagné la plupart des provinces argentines, dopée par la demande des pays émergents et la flambée des cours mondiaux. L’Argentine est le 3e producteur de soja et le premier exportateur de produits dérivés (huile et farine). Le soja RR occupe plus de la moitié des terres cultivées, soit 17 millions d’hectares.

Terres brûlées

Dans le froid de l’hiver austral, de chaque côté de la route nationale 10 qui relie Santa Fe à Cordoba, autre riche province agricole, s’étendent à perte de vue des terres grisâtres, brûlées par le Roundup avant l’époque des semences. Les vaches, traditionnelles habitantes de la pampa, ont été parquées. La moindre parcelle de terre, jusqu’en bordure de route, est réservée au soja. « Tous ceux qui parlent des dangers du glyphosate sont traités de fous, ils sont accusés de vouloir s’opposer à la prospérité du pays », s’indigne Viviana Peralta. On lui a proposé de l’argent pour déménager. Malgré les menaces, un mouvement de résistance est apparu dans plusieurs provinces.

A Cordoba, l’association des Mères du quartier d’Ituzaingo dénonce plus de 200 cas de cancer pour 5 000 habitants. Dans les rues, des femmes portent un foulard sur la tête, des enfants un masque sur le visage. Traitées de « folles », les Mères ont obtenu en 2009 qu’un juge interdise l’épandage par avion à moins de 1 500 m des habitations. Mais ces interdictions ne sont pas toujours respectées. Et le Roundup peut longtemps rester en suspension dans l’atmosphère et voyager sur plusieurs kilomètres, porté par le vent et l’eau.

Nombre de notables de province et de parlementaires sont eux-mêmes producteurs de soja ou ont investi dans les semenciers. La majorité des ingénieurs agronomes travaillent pour des fabricants de pesticides. En revanche, les médecins ruraux sont de plus en plus nombreux à témoigner du « cauchemar sanitaire » : « Il affecte douze millions de personnes en Argentine », affirme Medardo Avila Vazquez, coordinateur du mouvement des Médecins des peuples victimes de l’épandage.

Dans la province de Chaco, à la frontière avec le Paraguay, dans la localité de La Leonesa, une étude a révélé qu’au cours des dix dernières années, le nombre des cancers a triplé et celui des malformations quadruplé. Une bataille juridique oppose les habitants aux producteurs de riz, la principale richesse de la région, qui utilisent du glyphosate et pratiquent l’épandage par avion. La population réclame une distance raisonnable entre les habitations, les écoles, les cours d’eau et les rizières. Mais aussi un contrôle officiel de la santé des habitants et de l’environnement.

L’embryologue Andres Carrasco, de l’université de Buenos Aires, a publié, fin 2010, une étude montrant l’effet toxique du glyphosate sur des embryons de batracien. Ce travail lui vaut des haines tenaces. Il a été agressé quand il s’est rendu à La Leonesa, et la conférence qu’il devait donner au Salon du livre a été annulée. « Je n’ai rien découvert de nouveau. J’ai seulement confirmé ce que d’autres scientifiques avaient découvert, explique-t-il. Il existe des preuves scientifiques, et surtout, des centaines de personnes qui sont la preuve vivante de l’urgence sanitaire. »

Le chercheur rappelle qu’en France et aux Etats-Unis, Monsanto a été condamné pour publicité mensongère après avoir présenté son herbicide comme « 100 % biodégradable ». En Argentine, on utilise de plus en plus de Roundup, car les mauvaises herbes développent des résistances. En 1991, le pays consommait un million de litres de glyphosate. Il est passé à 200 millions de litres en 2009.

« Torture made in USA » : rendez-vous sur ARTE + 7!

Mon film « Torture made in USA » (voir sur ce Blog) a été diffusé sur ARTE mardi 21 juin, le jour de la fête de la musique…

Malgré une presse aussi abondante qu’élogieuse, nombreux sont ceux qui n’ont pas pu le voir, car ils sont sortis dans les rues glaner les musiciens et l’arrivée de l’été. Je rappelle qu’il est toujours possible de voir le film (jusqu’au 29 juin) sur ARTE + 7:

http://videos.arte.tv/fr/videos/torture_made_in_usa-3977874.html

Faites circuler l’information!

Voici une sélection d’articles ( Télérama, Le Nouvel Observateur, Le Monde) consacrés à ce film:

Je vous informe, enfin, qu’ ARTE a sorti une édition DVD de « Torture made in USA » ainsi que de mon film « Escadrons de la mort: l’école française » (voir sur ce Blog).