Prix de l’impact du FIGRA 2015: alerte sur le sable

J’étais dans le jury du « Prix de l’impact  » du Festival International du grand reportage d’actualité et du documentaire de société (FIGRA) qui s’est tenu au Touquet du  25 au 29 mars (voir le palmarès). Cette année encore, je n’ai pas pu y présenter de documentaires, car la règle ABSOLUE du FIGRA c’est que les films ne doivent pas dépasser les 90 minutes! Exit mes quatre derniers « opus »: Le monde selon Monsanto, Notre poison quotidien, Les moissons du futur et, bien sûr, Sacrée croissance!

L’an passé mon film Escadrons de la mort: l’école Française (Prix de l’investigation du FIGRA en 2004) avait reçu le premier « Prix de l’impact », créé à l’instigation de Paul Moreira (dont le film Bientôt dans vos assiettes a reçu le prix de l’investigation 2015) et d’Amnesty International. Chaque lauréat se retrouvant l’année d’après dans le jury de la catégorie, voilà comment j’ai rejoint Bertin Leblanc, directeur de la communication de Amnesty International et président du jury, et mes confrères Douglas Herbert, Michael Zumtein et Claude Guibal. Nous eûmes la tache difficile de choisir parmi cinq documentaires qui étaient tous d’une très grande valeur ce qui provoqua de longs débats passionnants autour de la question fondamentale: comment mesure-t-on l’impact d’un film? Nous avons retenu quatre critères:

– la dimension « lanceur d’alerte », à savoir que le sujet traité par le film aborde une problématique inconnue ou méconnue ayant de fortes conséquences pour les droits humains;

– la prise de conscience que suscite le film dans la presse , chez les autorités, les institutions , associations ou chez un large public;

– la dimension « pièce à conviction », à savoir que le film servira de plaidoyer pour les citoyens ou organisations qui promeuvent la cause qu’il défend;

– la durabilité, à savoir que l’impact du film se déroulera sur la longueur, idéalement jusqu’à la résolution du problème grave qu’il a soulevé.

C’est ainsi que nous avons décidé de primer Le sable: enquête sur une disparition, un film de Denis Delestrac que nous avons tous reçu comme un coup de poing. Il raconte comment le sable marin est en train de disparaître en raison de la folie des hommes qui en consomment chaque année des millions de tonnes pour construire des routes, autoroutes, trottoirs, et immeubles en béton armé (dont la majorité ne sont pas habités car ils alimentent la spéculation immobilière). Après avoir épuisé le sable des rivières, les bipèdes humains se sont attaqués aux plages, puis aux fonds marins (le sable du désert est inutilisable pour la construction), entraînant des bouleversements qui menacent la biodiversité marine (déjà en danger en raison de la surpêche et du réchauffement climatique), font disparaître des îles entières (par l’effet de vase communicant que provoque l’incessant pompage)  et , à terme, les plages elles-mêmes, comme on le voit déjà sur les côtes du Maroc ou aux Maldives. Cet énorme gaspillage d’une ressource rare et précieuse, contrôlée par la « mafia du sable » constitue un énorme enjeu écologique et social qui pousse à l’exil des millions de familles vivant près des côtes, déjà menacées par les effets du réchauffement climatique.

Avec ce film, nous avons compris que la défense de l’environnement n’était pas seulement un combat de « bobos » mais qu’elle conditionne celle de tous les autres droits humains : liberté de la presse et d’opinion, respect de la personne, etc. Quand les plages, la biodiversité et les ressources naturelles auront disparu, les autres combats (essentiels certes) seront définitivement vains. Et au fur et à mesure que progressera l’impitoyable destruction, due à la cupidité des intérêts privés mais aussi aux dégâts que celle-ci cause, la barbarie proliférera, comme c’est déjà le cas dans de nombreuses parties du monde (Moyen Orient, Afrique et même en Europe). Un exemple: l’atroce guerre qui se mène actuellement en Syrie ou en Irak n’aurait jamais eu lieu s’il n’y avait pas eu de pétrole dans ces territoires très convoités. C’est pourquoi je dis et je répète que la question écologique sous toutes ses formes (épuisement des ressources, de la biodiversité, pollutions, réchauffement climatique) représente l’urgence absolue et qu’elle devrait constituer la préoccupation N°1 de tous les journalistes car elle englobe désormais tous les autres problèmes (« classiques ») du monde…

Pour finir, je vous informe que la députée EELV Michèle Bonneton organise, le 2 avril, un colloque sur TAFTA, l’accord de « libre échange » que préparent l’Union européenne et les États Unis. Je participerai à une table ronde où je présenterai le bilan de l’ALENA (l’accord de libre échange nord-américain) fondé sur l’enquête que j’ai réalisé pour mes films (et livre) Les déportés du libre échange et Les moissons du futur. L’inscription préliminaire au colloque est obligatoire.

D’un film à l’autre: nouvelles en vrac

Le problème avec les investigations au long cours c’est qu’elles ne vous lâchent pas ! Jamais !

 Escadrons de la mort : l’école française

 C’est ainsi que j’ai témoigné pour la septième fois dans un procès contre les généraux de la dictature argentine, car depuis la sortie de mon film et livre Escadrons de la mort : l’école française, en 2003 et 2004, je suis considérée comme « témoin clé » dans les multiples procédures que mon enquête a permis (en partie) de ré-ouvrir. Après m’être rendue deux fois physiquement dans les tribunaux argentins (voir les articles de Télérama), j’ai demandé à témoigner désormais par vidéo-conférence.

argentine 2Mardi 3 mars, j’ai donc rejoint l’ambassade d’Argentine à Paris pour être auditionnée pendant … cinq heures dans le grand procès qui se tient actuellement à Buenos Aires sur l’opération Condor. De nouveau j’ai expliqué le rôle de la « doctrine française », développée par les militaires français pendant les guerres d’Indochine et d’Algérie, dans la genèse de cette opération criminelle lancée dans les années 1970 par les dictatures du cône Sud (Chili, Argentine, Paraguay, Brésil, Uruguay, Bolivie). J’invite ceux qui ne connaissent pas cette « face cachée de la France » , pour reprendre les mots de Bernard Stasi, lorsqu’il m’a remis le prix du « meilleur documentaire politique » au sénat, à voir mon documentaire Escadrons de la mort : l’école française ou à lire mon livre éponyme.

 Les pirates du vivant

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Le 5 mars, j’animais un colloque sur la biopiraterie organisé par la Fondation France Libertés à l’Assemblée Nationale. En 2009, c’est Danièle Mitterrand qui avait présidé un premier colloque sur le même thème et au même endroit. Dans mon introduction, j’ai repris l’histoire du haricot jaune qui commençait mon film Les pirates du vivant (2005). Le Mexique est le centre d’origine du haricot : on y trouve des haricots noirs, blancs, rouges et … jaunes, une variété qui n’était pas cultivée aux Etats Unis. Dans les années 1990, un fermier américain, dénommé Larry Proctor, a acheté un sac d’haricots jaunes sur un marché de Mexico , puis les a semés dans sa ferme du Colorado. Après deux ans d’ « essais », il a déposé une demande de brevet auprès de l’office des brevets de Washington et l’a obtenu. Résultat :  les paysans mexicains ne pouvaient plus vendre leurs haricots jaunes aux Etats Unis sans payer de royalties à Proctor….Finalement, après une longue bataille judiciaire, le Mexique a obtenu l’annulation du brevet peu de temps après la diffusion de mon film. Le colloque organisé par la Fondation France Libertés intervenait quelques jour avant la présentation d’un projet de loi , concocté par la ministre de l’Écologie Ségolène Royal, visant à protéger la biodiversité. C’est urgent, en effet ! D’après les scientifiques, la moitié des 1,8 million d’espèces animales et végétales identifiées pourraient disparaître avant la fin du XXIème siècle. L’hécatombe est telle qu’ils parlent de la « sixième extinction des espèces », la cinquième ayant eu lieu il y a 65 millions d’années avec la disparition des dinosaures. Le responsable ? L’homme ! Destruction d’habitats naturels, pollutions de toutes sortes, extermination physique (chasse, pêche, contrebande) et privatisation du vivant (à travers les brevets) font que nous sommes en train de « couper la branche sur laquelle nous sommes assis », comme l’a dit Hubert Reeves, le président de l’association Humanité et Biodiversité (Libération du 14 mars). En clair : nous sommes en train de créer les conditions de notre disparition, dans l’indifférence (quasi) générale…

Sacrée croissance !

Cela fait quelque temps que je n’ai pas donné de nouvelles de ma « tournée » pour Sacrée croissance ! Pour dire la vérité, il est impossible que je réponde à toutes les demandes qui continuent d’arriver au rythme de plusieurs par jour à l’adresse de m2rfilms. Il me faut donc choisir et c’est un vrai casse-tête !

La bonne nouvelle c’est que partout où je vais les salles sont pleines, preuve que le film remplit sa fonction : celle de susciter le débat, d’inspirer et de mobiliser citoyens et élus pour que soient lancées ou consolidées des initiatives de transition vers une société plus durable, décarbonée, plus juste et plus solidaire.

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A Pau, le 11 mars.

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A Die en Drôme, le 31 janvier et à Tours, le 12 février.

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A Lyon, le 20 février lors du Festival Primevère.

L’autre bonne nouvelle c’est que les monnaies locales ont le vent en poupe : Chambéry a lancé sa monnaie – l’Elef-, Strasbourg va lancer la sienne – le stück-, Angers a la « muse », Toulouse le « sol violette », le département d’Ile et Vilaine le « gallego », Montreuil la « pêche », le pays basque « l’eusko », etc.

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Actuellement une cinquantaine de monnaies locales ont été créées ou sont en cours de création en France ! Et partout où je vais on me remercie d’avoir présenté les exemples du Palmas et du Chiemgauer dans mon film, car, disent mes interlocuteurs, « cela nous a permis de comprendre l’intérêt et les vertus des monnaies locales ». C’est ainsi qu’après avoir somnolé pendant deux ans, la « muse » a subitement décollé à la suite de la projection de Sacrée croissance ! à Angers. Lorsqu’on me demande s’il y a un conseil que je peux donner pour préparer le lancement d’une monnaie locale, je réponds deux choses :

– La création d’une monnaie locale est un outil puissant pour rassembler les habitants d’un territoire autour d’un projet de transition écologique. En effet, ainsi que j’ai pu le constater, l’utilisation d’une monnaie complémentaire provoque le premier déclic indispensable à toute démarche de transition : s’interroger sur nos modes de consommation. Comme me l’a très bien expliqué l’économiste britannique Tim Jackson « la consommation est une véritable cage de fer » qui constitue le « moteur de la croissance ». Sans consommation, pas de croissance de la production et donc du PIB ! C’est tellement vrai qu’aujourd’hui la consommation représente en France près de 60% du PIB, et même 67% aux États Unis. C’est pour pousser à la consommation que les entreprises ont dépensé, en 2013, 400 milliards d’euros pour entretenir notre addiction à travers la publicité. C’est aussi pour pousser à la consommation que l’endettement des ménages a littéralement explosé (il représentait 61% du PIB en 2013 contre 38% en 2000).   C’est encore pour pousser à la consommation que le gouvernement « socialiste » de François Hollande vient d’autoriser l’ouverture des magasins douze dimanches par an. Gageons que cela ne suffira pas et que bientôt on ouvrira les magasins la nuit car la bête est insatiable ! C’est pourquoi l’adhésion à une monnaie locale permet de rompre avec cette course folle et destructrice en se posant les bonnes questions : de quoi ai-je vraiment besoin pour vivre ? Qu’est ce qui compte vraiment ?

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– Il est beaucoup plus facile de lancer une monnaie locale si on a le soutien des collectivités locales. C’est pourquoi je salue l’initiative du conseil général d’Ille et Vilaine qui a créé deux emplois pour accompagner le lancement du Gallego. Un soutien précieux qui permet de mener dans de bonnes conditions l’indispensable travail d’explication auprès des entreprises qui ne comprennent pas forcément l’intérêt d’avoir une « double comptabilité ». Ce fut le cas aussi à Toulouse où la précédente municipalité fut très active dans le lancement du Sol Violette.

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Femmes pour la planète

Le film sera rediffusé sur Ushuaïa TV demain, dimanche 15 mars, à 16 heures 5. Ne le ratez pas car c’est un bel hommage aux « lanceuses d’avenir » qui nous montrent la voie vers une société plus durable, plus juste et plus solidaire!

Pour ceux qui n’ont pas Canal Sat, il est possible de voir le film en clair à partir d’une box :

du 05 au 25 mars sur ORANGE (canal n°116)
du 10 au 20 mars sur SFR (canal 200)
du 2 au 31 mars sur FREE (canal 129)
du 3 au 31 mars sur NUMERICABLE (canal 131)

Sacrée croissance! à l’ONU et soirée spéciale sur Ushuaïa TV le 8 mars

Je vous informe que Sacrée croissance! sera présenté à l’ONU, à New York, le 15 avril, à l’instigation de l’ambassade de France qui m’organise une tournée dans plusieurs universités américaines à l’occasion de la sortie de la version américaine de mon livre Notre poison quotidien.

Par ailleurs,  mon film « Femmes pour la planète » sera diffusé le 8 mars à 20 heures 40 sur Ushuaïa TV. Vous pouvez consulter la bande annonce sur le site de m2rfilms.

Le soir même Ushuaïa TV rediffusera Le monde selon Monsanto. Ces deux diffusions font partie de l’opération menée par la chaîne pour fêter ses dix ans. Du 1er mars au 10 avril, dix personnalités , comme Nicolas Hulot, Jean-Lou Etienne ou Hubert Reeves (je suis la seule femme!), auront une soirée dédiée, avec une interview où elles expliqueront leur « engagement pour la planète« . La mienne est donc le 8 mars, le soir de la Journée de la Femme!

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Pour ceux et celles qui ne sont pas abonnés à Ushuaïa TV (il n’est pas trop tard pour le faire!), je vous informe qu’il sera possible de voir « Femmes pour la planète » grâce à un code et un lien  que recevront les souscripteurs du film (contribution d’au minimum 10 euros). L’opération de crowdfunding, sans laquelle je n’aurais pas pu monter ce documentaire de 52 minutes, très complémentaire de Sacrée croissance!, se termine le 7 mars au soir sur le site de financement participatif du Crédit Coopératif.

Faites circuler l’info!!

Enfin, l’exposition Sacrée croissance! est actuellement visible à la mairie du 2ème arrondissement, à l’Hôtel du département Créteil et à Melle.

Rediffusion de « Torture Made in USA » sur la chaîne Public Sénat

Mon film Torture made in USA sera rediffusé (dans une version de 59′)  sur la chaîne Public Sénat  le samedi 28 février à 22h,  puis le dimanche 1er mars à 18h, le lundi 2 mars à 17h15, le samedi 7 mars à 15h15 et le dimanche 8 mars à 10h.La diffusion sera suivie d’un débat, animé par Nora Hamadi, auquel je participe avec Pierre Conesa, Maître de conférences à Sciences Po et à l’ENA, ancien haut-fonctionnaire au ministère de la Défense, Jean-Pierre Chevènement, Ancien ministre, président de la Fondation Res Publica et François-Bernard Huyghe, Directeur de chercheur à l’IRIS, spécialiste du terrorisme et de la cyberstratégie.

Lors de cet échange de 45 minutes (préenregistré), nous avons parlé de la lutte contre le terrorisme en tirant le bilan de la « guerre contre la terreur » menée par le président Bush.  Nous avons aussi commenté les mesures prises par le gouvernement français après les tueries du 7 janvier. J’ai déjà évoqué cette question sur ce blog. Et , comme je l’avais déjà écrit le 31 juillet 2011, dans un long article où je synthétisais mes deux enquêtes « Escadrons de la mort:l’école française » et « Torture made in USA« , je répète que  » la solution au problème du terrorisme ne peut pas être militaire, mais politique« .

L’émission sera aussi consultable sur le site internet publicsenat.fr.

 

 

 

Valérie (France) : un jardin bio pour les tout petits

Citadine pure et dure, Valérie a découvert les vertus du jardinage à quarante ans. Aujourd’hui, elle  a intégré un jardin biologique, en permaculture, dans sa maison d’assistantes maternelles pour le plus grand bonheur des enfants !

[youtube width= »640″ height= »360″]http://youtu.be/tLS2Kuf4yTQ[/youtube]
Plus d’informations sur l’agriculture urbaine :

Les photos de ce portrait vidéo sont l’oeuvre d’Edith Roux
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Et si nous lancions la guerre contre le dérèglement climatique et la tragédie écologique?

Comme je l’ai écrit dans mon précédent papier, j’ai ressenti un grand malaise devant la posture du gouvernement qui voudrait nous embarquer dans une « guerre des civilisations » qui risque fort de nous détourner d’un combat bien plus urgent et essentiel: celui contre le dérèglement climatique et ce que Fabrice Nicolino appelle, à juste titre, la « tragédie écologique« . Mon malaise venait aussi probablement du fait que dans mon livre Sacrée croissance! (que je suis censée écrire en … 2034), j’avais imaginé que, encouragé par les médias, François Hollande avait décidé de lancer la « guerre contre le climat« , provoquant d’immenses manifestations de liesse dans toute la France et le reste du monde…

Voici un extrait de l’introduction de mon livre:

Tout avait commencé quatre mois plus tôt, très exactement le 14 avril 2014. Ce matin-là, il s’était passé un événement incroyable, inespéré, tellement énorme que j’en frissonne encore en écrivant ces lignes. À 7 heures, alors que je commençais ma séance de rameur dans le sous-sol de ma maison de Seine-Saint-Denis, j’avais allumé la radio pour écouter le journal de France Inter. Et là, stupeur, j’avais entendu le journaliste Patrick Cohen[1] déclarer sur un ton solennel : « La situation est très grave. Le dernier rapport du GIEC – le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat –, publié hier, n’exclut pas un réchauffement climatique de 4,8° C d’ici 2100 si les émissions de gaz à effet de serre continuent de progresser au rythme de la dernière décennie, soit 2,2 % par an. Si c’est le cas, il n’est pas sûr que l’humanité puisse survivre à la fin de ce siècle. Les rédactions de Radio France ont donc décidé de consacrer tous leurs programmes de la journée à ce rapport, capital pour l’avenir de la planète. »

Les bras m’en étaient tombés et j’avais arrêté de ramer… J’avais foncé devant la télé et là, rebelote : toutes les chaînes, privées comme publiques, ne parlaient que de cela ! En France, mais aussi dans le reste du monde : BBC, ARD, ABC, RAI… Bref, on se serait cru le 11 septembre 2001, lorsque toutes les télévisions de la planète avaient repassé en boucle les images des avions percutant les tours jumelles du World Trade Center. Le « 14 Avril » – c’est ainsi qu’on a ensuite appelé cette journée mémorable, surnommée aussi le « Grand Chambardement » – et les jours qui suivirent, les Terriens ont enfin compris les enjeux inouïs et uniques du réchauffement climatique. Et, pour la première fois, les scientifiques ont dit sans détour ce qui nous attendait si nous ne changions pas rapidement de cap (voir infra, chapitre 3). « La science nous transmet un message clair : nous devons abandonner le statu quo pour éviter toute interférence dangereuse avec le système climatique[2] », a martelé l’Allemand Ottmar Edenhofer, l’un des trois co-présidents du groupe de travail III, qui rédigea le rapport. Partout dans le monde, les quelque huit cents chercheurs qui avaient contribué à sa rédaction, rassemblant près de 20 000 études et projections scientifiques, sont – enfin ! – sortis de leur réserve pour dire clairement les choses.

Le pire scénario du GIEC

On n’avait jamais vu cela : du Nord au Sud de la planète, dans les usines, les bureaux, les foyers, les cafés, les écoles ou les commerces, les citoyens et citoyennes se sont rassemblés devant les postes de télévision ou de radio pour écouter, tétanisés, les terribles nouvelles. Avec un remarquable effort de pédagogie, les experts ont expliqué qu’avant l’ère industrielle (au milieu du xixe siècle), la concentration moyenne de l’atmosphère en dioxyde de carbone (CO2) était de 278 ppm, mais que, le 9 mai 2013, elle avait franchi le seuil de 400 ppm[3], le niveau le plus élevé depuis 800 000 ans. D’après leurs calculs, en 2012, plus de 365 milliards de tonnes de carbone avaient été émises dans l’atmosphère provenant de la combustion d’énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) et de la production de ciment. S’y ajoutaient 180 milliards de tonnes causées par le changement d’affectation des sols, comme la déforestation. Plus de la moitié de ces émissions avaient eu lieu après le milieu des années 1970, avec une accélération notable au cours des vingt dernières années, puisqu’entre 1992 et 2012, elles avaient augmenté de 38 %. Ces émissions anthropiques – c’est-à-dire issues de l’activité humaine – de gaz « à effet de serre » avaient entraîné un réchauffement de la Terre de 0,85 °C entre 1880 et 2012, les trois dernières décennies ayant été les plus chaudes qu’ait connues l’hémisphère Nord depuis au moins 1 400 ans.

Sur les plateaux de télévision, les climatologues ont commenté la carte du monde qui m’avait tant impressionnée quand j’avais lu un rapport intermédiaire du GIEC, publié deux semaines avant le 14 Avril et qui était passé inaperçu[4]. On y voyait les effets du changement climatique déjà constatés sur tous les continents : augmentation de la fréquence et de l’intensité des inondations, sécheresses, incendies, tempêtes et cyclones, provoquant des dégâts humains et matériels considérables et une baisse de la production alimentaire. Les experts ont aussi expliqué pourquoi le niveau de la mer augmentait inexorablement, pourquoi les océans s’acidifiaient, quelles étaient les conséquences de la fonte de la banquise, des glaciers et des calottes glaciaires, ou du dégel du permafrost de Sibérie. Et ils ont introduit une notion complètement inconnue du grand public, qui a provoqué quelques (rares) réactions d’hystérie collective : les « boucles de rétroaction positives ».

Les scientifiques ont expliqué que le processus du réchauffement climatique n’est pas linéaire, mais exponentiel. Et que certains facteurs agissent comme des turbocompresseurs qui accélèrent la tendance en cours dès que sont franchis des « seuils de basculement » (tipping points). On apprit ainsi que la fonte des glaces polaires, dont l’albédo (leur capacité à réfléchir une grande partie du rayonnement solaire) est très élevé, allait accélérer la désintégration du pergélisol des régions arctiques. Or, ces sols gelés couvrant un cinquième de la surface terrestre contiennent d’énormes quantités de carbone et de méthane (un gaz vingt-et-une fois plus réchauffant que le CO2) ; lesquelles, en se libérant, pourraient augmenter la température de la Terre d’un degré supplémentaire. Un réchauffement global de 3° provoquerait par ailleurs l’effondrement de l’Amazonie, dont les arbres et les sols cesseraient d’absorber du carbone, pour en libérer au contraire d’énormes quantités, ajoutant 250 ppm dans l’atmosphère. À ce stade de 4 ou 5 degrés de réchauffement, les humains pourraient assister impuissants au dégazage des hydrates de méthane[5], emprisonnés dans la glace des fonds marins polaires, comme cela s’est produit il y a 55 millions d’années lors du « maximum thermique » du passage paléocène-éocène (PETM), où la concentration de CO2 a atteint 1 000 ppm en 20 000 ans, provoquant un réchauffement de la planète de 6°. « La différence, expliqua Jim Zachos, un paléo-océanographe américain, c’est que le rythme des émissions actuelles de carbone est trente fois plus rapide qu’à l’époque du PETM[6]… »

Inutile de préciser que le « pire scénario du GIEC », comme nous continuons de l’appeler, aurait entraîné des conséquences funestes pour la vie sur Terre. À l’époque, les scientifiques évoquaient le commencement de la « sixième extinction des espèces » (voir infra, chapitre 6) et envisageaient des perspectives guère plus réjouissantes pour les humains : dans son rapport, le GIEC évoquait les centaines de millions de réfugiés climatiques, fuyant les zones rendues inhabitables par la désertification, la montée de la mer ou les ravages causés par les cyclones. Il mettait en garde contre le coût économique de l’inaction – lequel, d’après les Nations unies, pourrait s’élever à 300 milliards de dollars par an. Et il soulignait les risques de famines, de conflits autour des ressources devenues plus rares, comme l’eau, les énergies fossiles (voir infra, chapitre 4) ou les stocks de poissons. Mais aussi d’épidémies meurtrières (typhus, choléra, dengue, virus Ébola), sans parler de l’émergence de nouveaux agents pathogènes jusque-là inconnus.

Pour éviter ce scénario catastrophe, la conclusion des experts était sans appel : si l’on voulait limiter la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère à 450 ppm pour maintenir le réchauffement de la Terre au-dessous de 2°, il fallait impérativement réduire les émissions mondiales de 40 % à 70 % d’ici 2050 et les éliminer presque totalement d’ici la fin du siècle.

François Hollande monte au créneau

Ce n’était pas la première fois que le GIEC tirait la sonnette d’alarme, mais ses mises en garde n’avaient pas été suivies d’effet : en 2009, la conférence sur le climat de Copenhague s’était soldée par un échec lamentable, malgré l’importante mobilisation de milliers d’associations écologistes et humanitaires de par le monde. En juin 2012, le sommet « Rio + 20 » avait enterré l’immense espoir soulevé, vingt ans plus tôt, par le premier Sommet de la Terre. Enlisés dans la gestion de la crise économique et sociale qu’avaient aggravée, en 2008, les agissements criminels des grandes banques, les dirigeants avaient relégué la question du climat aux oubliettes.

Il a fallu le réveil courageux des journalistes qui, jusque-là, traitaient ce sujet plutôt mollement, comme une information parmi d’autres, pour que les politiques sortent de leur léthargie. Et le premier d’entre eux fut le président François Hollande, qui a surpris tout le monde, en convoquant dès le 15 avril 2014 le gouvernement sur le perron de l’Élysée pour annoncer que la « guerre contre le réchauffement climatique » était désormais l’objectif numéro un de sa politique. Retransmise en direct dans toute la France, sa déclaration a suscité de gigantesques manifestations de liesse populaire, similaires à celles qu’on avait connues, le 10 mai 1981, lors de l’élection du président François Mitterrand. Encore sous le choc des informations dramatiques que les médias leur avaient assénées depuis vingt-quatre heures, les Françaises et Français ont ressenti un énorme soulagement devant la fin du « Grand Déni » (voir infra, chapitre 5) qui obstruait insidieusement leur avenir, les angoissait et les empêchait d’agir.

Et puis les événements se sont enchaînés, avec une rapidité qu’aucun écologiste n’aurait pu imaginer, même dans ses rêves les plus fous. Faisant preuve d’un volontarisme insoupçonné, le président Hollande a contacté la chancelière allemande Angela Merkel et le Premier ministre britannique David Cameron – lesquels avoueront plus tard que l’initiative française les avait « libérés d’un poids insupportable ». Un conseil européen des chefs d’État et de gouvernement fut convoqué en toute urgence à Bruxelles, tandis qu’à New York, le président Barak Obama rencontrait le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon. Dès le lendemain, l’Assemblée générale de l’ONU votait à l’unanimité la création de la « convention-cadre pour la grande transition vers une société zéro carbone », tout simplement appelée « CGT ».

La première conférence de la CGT s’est ouverte à Thimphou, le 15 juin 2014…

(fin de l’extrait)

[1] Patrick Cohen est devenu ensuite le porte-parole de la commission sur la Grande Transition.

[2] Communiqué de presse du GIEC, 13 avril 2014, 2014/19/PR.

[3] Une concentration de 400 ppm (parties par million) signifie que le CO2 représente 0,04 % des molécules d’air sec ; la mesure a été relevée à l’observatoire de Mauna Loa (Hawaii).

[4] GIEC, Climate Change 2014. Impacts, Adaptation, and Vulnerability, Summary for Policymakers, 31 mars 2014, p. 7.

[5] Surnommés « glace qui brûle » ou « glace de méthane », les hydrates de méthane sont inflammables dès qu’ils fondent et entrent en contact avec l’oxygène.

[6] « Lesson from 55 million years ago says climate change could be faster than expected », Daily Telegraph, 17 février 2006.

Vous comprenez mon trouble?

Partout où je présente mon film Sacrée croissance!, comme la semaine dernière à Rennes, Redon et Fougères, devant des salles combles (voir photos), je rappelle qu’à la fin de l’année (décembre) la France recevra la COP 21, la grande conférence sur le climat et qu’il faut se mobiliser pour qu’elle ne soit pas un échec. C’est pourquoi je dis et je répète: Ne nous trompons pas d’ennemi!

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A Rennes, le 21 janvier, où on a refusé une centaine de personnes.

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A Redon, le 22 janvier où on  a refusé quelque 150 personnes.

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A Fougères, le 23 janvier, où le cinéma n’en est pas revenu: 300 personnes!

Cette semaine, je pars dans le Sud-est de la France, avec cinq projections débats: Salon de Provence, Correns, Toulon, Digne, Die en Drome. Pour les lieux et horaires, consultez ce lien.