En juin dernier, j’ai été auditionnée par la mission d’information du Sénat sur les pesticides et leur impact sur la santé, dont l’initiative revient à Nicole Bonnefoy, députée PS de Charente. J’avais rencontré la sénatrice lors de la projection de mon film Notre poison quotidien sur ses terres, en Charente. Y participait aussi Paul François, l’agriculteur victime d’une grave intoxication au lasso, qui a gagné son procès contre Monsanto et préside, aujourd’hui, l’association PhytoVictimes, dont j’ai filmé l’acte de naissance en janvier 2010, à Ruffec (voir sur ce Blog ou lire Notre poison quotidien).
La mission sénatoriale, présidée par Sophie Primas (UMP), et où le sénateur du Morbihan EELV Joël Labbé joua un rôle très actif, vient de rendre son rapport public, et je dois dire que celui-ci est d’une grande qualité. Pour le rédiger, les sénateurs ont procédé à 95 auditions et entendu 205 personnes. Consultable sur le site du Sénat,
http://www.senat.fr/rap/r12-042-1/r12-042-1.html
le rapport fait quatre constats dûment étayés, qui confirment ce que j’ai écrit et montré dans Notre poison quotidien :
– « les dangers et les risques des pesticides pour la santé sont sous-évalués ;
– le suivi des produits après leur mise sur le marché n’est qu’imparfaitement assuré au regard de leurs impacts sanitaires réels et les effets des perturbateurs endocriniens sont mal pris en compte ;
– les protections contre les pesticides ne sont pas à la hauteur des dangers et des risques ;
– les pratiques industrielles, agricoles et commerciales actuelles n’intègrent pas toujours suffisamment la préoccupation de l’innocuité pour la santé lors du recours aux pesticides ».
Je suis évidemment satisfaite que des élu(e)s de la nation reconnaissent – le rapport a été approuvé à l’unanimité-, les dangers que représentent les pesticides pour la santé des agriculteurs, des riverains et des consommateurs. Mais, j’aimerais maintenant qu’ils lisent ce que j’ai écrit dans mon livre Les moissons du futur. J’y présente un ouvrage, rédigé par un agronome de l’INRA (aujourd’hui décédé) qui a conduit de nombreuses études et consulté des dizaines de rapports scientifiques montrant que les pesticides rendent les plantes malades.
Mais lisez plutôt cet extrait de mon livre !
DÉBUT EXTRAIT
Les pesticides rendent les plantes malades
Les plantes malades des pesticides[i] : c’est précisément le titre d’un ouvrage que devraient lire de toute urgence tous les agronomes, agriculteurs et ministres de l’Agriculture de la planète, dont Bruno Le Maire, l’ancien ministre de Nicolas Sarkozy, et son successeur Stéphane Le Foll. Il a été écrit par l’agronome français Francis Chaboussou, qui est entré à l’INRA en 1933, très précisément à la station de zoologie du centre de recherches agronomiques de Bordeaux, où il fit toute sa carrière (il en a fini directeur). Édité une première fois en 1980, son livre est passé totalement inaperçu – mais ce n’est sans doute pas un hasard… –, alors qu’il fournit un éclairage scientifique capital pour comprendre la pullulation des ravageurs, maladies et autres fléaux qui ont plongé les agriculteurs adeptes de l’agriculture chimique dans un puits sans fond. Comme l’écrit Paul Besson, professeur honoraire de l’Institut national agronomique de Paris-Grignon, qui a rédigé la préface à la première édition de l’ouvrage, celui-ci est le fruit « d’une mûre réflexion basée tant sur les recherches personnelles de l’auteur que sur de multiples données expérimentales de provenance internationale, acquises en laboratoire ou en condition de culture[ii] ». Autant dire que c’est un livre très technique, truffé de références scientifiques, car il ne s’adresse pas au grand public mais à tous ceux qui travaillent dans le domaine de la « protection des plantes », ou, dit plus prosaïquement, qui fabriquent, commercialisent ou utilisent des biocides chimiques. Son objet : « Les effets délétères des pesticides sur la physiologie des plantes », ainsi que le résume Paul Besson.
Dans les années 1960, explique ce dernier, Francis Chaboussou, qui travaillait alors sur les ravageurs des cultures fruitières, du maïs et du vignoble bordelais, fait le constat suivant : « [L’usage du DDT[1]], en particulier dans les traitements des vergers et vignobles, avait eu rapidement pour conséquence l’apparition aux États-Unis et en Europe d’un nouveau fléau, les acariens phytophages, jusqu’ici relativement peu nuisibles : ces microscopiques piqueurs et suceurs de feuilles provoquent par leurs pullulations des dégâts importants au vignoble et aux vergers. La première explication générale proposée fut que le DDT et autres insecticides de contact polyvalents éliminaient les prédateurs ou parasites naturels de ces acariens phytophages. Mais ces prédateurs sont essentiellement d’autres acariens de divers genres et l’hypothèse ne put être confirmée. […] C’est en décortiquant expérimentalement ces phénomènes que l’auteur parvient à montrer que l’action des pesticides utilisés (en particulier insecticides contre les vers de la grappe ou même fongicides) se répercutait sur les acariens par l’intermédiaire de la plante. Ces produits entraînaient en effet des modifications du métabolisme de la plante, aboutissant à un enrichissement des liquides cellulaires ou circulant en sucres solubles et en acides animés libres. Les acariens phytophages piqueurs et suceurs des tissus végétaux se trouvent ainsi favorisés dans leur alimentation, ce qui se traduit, selon les espèces, par un accroissement de leur fécondité et de leur fertilité, de la vitesse du développement et du nombre de générations, voire de la longévité. Cette dépendance étroite entre les qualités nutritionnelles de la plante et son parasite, Francis Chaboussou l’a baptisée trophobiose. »
Selon ce « concept, que des recherches ultérieures ont confirmé et élargi », « tout parasite ne devient virulent que s’il rencontre dans la plante les éléments nutritionnels qui lui sont nécessaires ». Or, ces « éléments nutritionnels » sont produits en grande quantité par l’action des pesticides, qui entraîne un « désordre ou déséquilibre métabolique de la plante qui se révèle favorable aux parasites[iii] ». Et Paul Besson de poursuivre : « Cherchant à analyser selon les principes de sa théorie de la trophobiose tous les cas “inexpliqués” de pullulations de parasites, d’éclosions de mycoses, d’apparitions de viroses, d’inefficacité de certains traitements, cherchant à expliquer les effets indirects ou inattendus de divers types de pesticides, Francis Chaboussou souligne que l’on retombe toujours sur l’existence des déséquilibres entre deux processus fondamentaux de la physiologie végétale : protéosynthèse et protéolyse[2]. […] Bref, l’auteur, préoccupé de la protection des cultures contre leurs parasites ou leurs maladies, se penche plus sur la plante malade que sur le parasite ou l’agent infectieux[iv]. »
Dans l’introduction au livre de Francis Chaboussou, Paul Besson fait une description ironique des pratiques agroindustrielles, qui pourrait être carrément hilarante si on faisait abstraction des terribles conséquences qu’entraîne cette folie chimique : « Les plantes cultivées industrielles sont mises en compétition permanente, pour une croissance plus rapide, une production plus abondante, une qualité plus attirante. À ces jeux Olympiques de l’agriculture industrielle, les plantes cultivées sont suralimentées, subissant même parfois un gavage d’azote : elles sont bichonnées comme des champions avant l’épreuve (la récolte !), pulvérisées, douchées à grande fréquence, avec des mixtures fongicides, insecticides, acaricides, à titre préventif : leurs conditions de vie sont artificialisées à l’extrême. […] Mais parfois, le champion craque avant l’épreuve ; […] apparemment en bonne santé, il contracte, malgré tant de mesures préventives, des maladies subites et désastreuses (mycoses, viroses), il subit les attaques massives de la vermine parasitaire (acariens, pucerons). Alors on appelle au chevet de ces plantes-champions les spécialistes les plus réputés : phytopatologiste, virologiste, entomologiste, immunologiste, chacun dans sa partie donnant son diagnostic et son ordonnance phytopharmaceutique. […] Comme le fait remarquer Francis Chaboussou, on étudie trop la maladie et pas assez le malade. Lui, médecin du vignoble bordelais, il s’effraie de cet excès thérapeutique et de cette insuffisance d’hygiène de la plante et de son milieu. […] Nos cultures industrielles, dit-il, souffrent de maladies dont les causes mêmes ont leur origine dans un excès de soins phytosanitaires, il parle alors de maladies iatrogènes[v]. »
En effet, après avoir constaté que « les tissus végétaux se laissent pénétrer par de nombreux produits dits “phytosanitaires”[vi] » – par la feuille, la racine, les tissus, la graine, le tronc et la charpente des arbres –, ce qui agit sur leur métabolisme au travers de leur nutrition, Francis Chaboussou précise ce qu’il entend par « maladies iatrogènes » : « Tout comme en pathologie humaine ou animale, nous entendons par “maladie iatrogène” toute affection déclenchée par l’usage – qu’il soit modéré ou abusif – d’un médicament quelconque. En pathologie végétale, il s’agit donc des pesticides[vii]. » Et l’agronome de l’INRA de préciser : « Tout se passe comme si, par leur action néfaste sur le métabolisme de la plante, les pesticides brisaient sa résistance naturelle […] vis-à-vis de ses agresseurs, qu’ils soient champignons, bactéries, insectes ou même virus[viii]. » Mais ce n’est pas tout ! Non seulement les biocides favorisent le pullulement de ravageurs et maladies, mais leurs « incidences néfastes et incontrôlables » affectent également « la fertilité du sol, par la voie de la nutrition de la plante[ix] ». Et là, l’agronome met directement en cause l’irresponsabilité, et somme toute l’amateurisme, des fabricants de poisons agricoles : « C’est aux phytopharmaciens de faire leur autocritique et leur mea culpa », car ils ne se sont jamais intéressés aux « répercussions de ces produits sur les microorganismes et la vie du sol. […] C’est comme si la médecine tenait pour négligeables les éventuelles répercussions d’un antibiotique ou d’une cortisone vis-à-vis de l’organisme du patient[x] ! »
Après avoir livré sur près de trois cents pages toute la littérature scientifique alors disponible, qui étaye largement ses conclusions, Francis Chaboussou lance un « cri d’alarme », « destiné en premier lieu à aider les agriculteurs à se libérer de l’aliénation dans laquelle ils se trouvent et qui réside dans un absurde et ruineux enchaînement d’interventions pesticides, résultant lui-même d’un enchaînement de maladies artificiellement provoqué[xi] ». Et pour lui, la « solution » est pourtant simple : « Chercher à stimuler la résistance de la plante, au lieu de se proposer le but – combien incertain – de la destruction du parasite[xii]. »
FIN EXTRAIT
Concernant ma dernière enquête Les moissons du futur, j’ai entamé une tournée nationale de trois mois dont vous pouvez consulter le programme sur le site de ma maison de production m2rfilms :
http://www.m2rfilms.com/crbst_13.html
J’étais hier soir à l’École normale supérieure (ENS) où le film a été présenté devant 150 étudiants (dont la majorité était des biologistes) de la prestigieuse maison. Ce fut un réel plaisir de voir l’enthousiasme qu’a suscité mon film auprès de ceux et celles qui occuperont des responsabilités importantes dans la recherche et l’administration dans la prochaine décennie. Je remercie tout particulièrement Hermine Durand, de l’association EcoCampus, que j’avais rencontrée lors de la Green Pride organisée par l’Appel de La Jeunesse (voit sur ce blog).
http://www.ens.fr/spip.php?article1532
[1] Le DDT est un insecticide organochloré qui a inondé la planète pendant des décennies, avant d’être interdit pour les usages agricoles dans les années 1970, en raison de son extrême toxicité et de sa persistance dans l’environnement. Pour plus d’informations sur cet « insecticide miracle », voir Marie-Monique Robin, Notre poison quotidien, op. cit. [NdA].
[2] La protéosynthèse désigne le processus de synthèse de protéines à partir d’acides aminés. Quant à la protéolyse, elle désigne le processus de fragmentation d’une protéine en plusieurs morceaux sous l’action d’enzymes, qui constitue la principale source d’acides aminés pour les organismes vivants [NdA].
[i] Francis Chaboussou, Les Plantes malades des pesticides, op. cit.
[ii] Ibid., p. 11.
[iii] Ibid., p. 13.
[iv] Ibid., p. 14. C’est moi qui souligne.
[v] Ibid., p. 15.
[vi] Ibid., p. 83.
[vii] Ibid., p. 25.
[viii] Ibid., p. 20.
[ix] Ibid., p. 107.
[x] Ibid., p. 271.
[xi] Ibid., p. 19. C’est moi qui souligne.
[xii] Ibid., p. 271.