Les membres de Phyto Victimes au salon de l’agriculture

Au moment où j’écris ces lignes, j’apprends que les membres de l’association Phyto Victimes, dont j’ai raconté la naissance dans mon livre Notre poison quotidien, ont obtenu un rendez-vous avec … Bruno Lemaire au salon de l’agriculture. Campagne électorale oblige : je sais , pour avoir croisé le ministre de l’agriculture sur le plateau de France 2 (Mots croisés) et dans une émission de France Culture (Le grain à moudre) que celui-ci n’a que peu d’intérêt pour ces paysans qui se « prétendent malades des pesticides ». De plus, il a toujours manifesté un soutien sans faille aux positions de la FNSEA, qui continue de nier, avec en tête Xavier Beulin, son patron, le lien entre l’exposition aux pesticides et certains cancers ou maladies neurodégénératives. Le déni de la FNSEA est tel que le syndicat agricole a voté contre la création d’un nouveau tableau de maladie professionnelle, associant l’utilisation de poisons agricoles (encore appelés « produits phytosanitaires ») et la maladie de Parkinson ! La commission supérieure des maladies professionnelles en agriculture (COSMAP), lors de sa réunion du 1er juin 2011, a, cependant, adopté la proposition  par 19 voix contre 4 (FNSEA et Coop de France !) et une abstention  !

http://www.fnafcgt.fr/IMG/pdf/07-11_PARKINSON.pdf

Comment expliquer ce déni ? Je ne vois qu’une explication : les liens intimes (et notamment financiers) qui unissent certains dirigeants de la FNSEA et des coopératives agricoles aux fabricants d’ « élixirs de mort », pour reprendre l’expression de Rachel Carson dans Le printemps silencieux. Comme je l’ai déjà écrit sur ce Blog, il serait pourtant temps qu’ils se réveillent, car la roue tourne, et continuer dans le déni pourrait leur coûter très cher…

Hier matin, en tout cas, les membres de Phyto Victimes, qui ont désormais un site internet (http://www.phyto-victimes.fr/) ont mené une série d’actions au salon de l’agriculture. Les connaissant personnellement, car j’ai raconté leur histoire dans Notre poison quotidien, je reproduis ici les pages que j’ai consacrées à chacun d’entre eux dans mon livre, avec des photos prises par Olivier Picard au salon de l’agriculture.

Photo : Gilbert Vendé,atteint de la maladie de Parkinson, et reconnu en maladie professionnelle

Extrait de Notre poison quotidien

« Qu’on n’aille pas me dire que la maladie de Parkinson est une maladie de vieux : moi, je l’ai eue à quarante-six ans ! » Aujourd’hui âgé de cinquante-cinq ans, Gilbert Vendé est un ancien salarié agricole qui a participé en janvier 2010 à l’appel de Ruffec. Avec une grande difficulté d’élocution, caractéristique des parkinsoniens, il a raconté son histoire, provoquant l’attention émue de l’auditoire. Il travaillait comme chef de cultures sur une grande exploitation (1 000 hectares) de la « Champagne berrichonne », lorsqu’en 1998, il a été victime d’une intoxication aiguë au Gaucho.

Maladie de Parkinson et Gaucho : le cas exemplaire de Gilbert Vendé

Les amateurs de miel ont sans doute entendu parler de ce produit à base d’imidaclopride fabriqué par la firme Bayer, qui a fait des « milliards de victimes », pour reprendre les mots de Fabrice Nicolino et François Veillerette, évoquant bien sûr les indispensables butineuses[i]. De fait, mis sur le marché en France en 1991, cet insecticide dit « systémique » est un redoutable tueur : appliqué sur les semences, il pénètre dans la plante par la sève pour empoisonner les ravageurs de la betterave, du tournesol ou du maïs, mais aussi tout ce qui ressemble de près ou de loin à un insecte piqueur-suceur, y compris les abeilles. On estime qu’entre 1996 et 2000, quelque 450 000 ruches ont purement et simplement disparu en France notamment du fait de son utilisation et de celle d’autres produits insecticides[ii].

Il faudra la ténacité des syndicats d’apiculteurs, qui saisiront la justice, et les travaux courageux de deux scientifiques – Jean-Marc Bonmatin, du CNRS, et Marc-Édouard Colin, de l’INRA – pour qu’un avis du Conseil d’État parvienne à faire plier le ministère français de l’Agriculture[1]. Celui-ci finira par interdire le Gaucho en 2005, malgré les manœuvres de certains de ses hauts fonctionnaires pour soutenir jusqu’au bout son fabricant. Parmi eux, ou plutôt parmi « elles » : Marie Guillou, directrice de la très puissante Direction générale de l’alimentation (DGAL) de 1996 à 2000 (que nous avons déjà croisée dans l’affaire de Dominique Marchal, quand elle dirigeait en 2005 l’Institut national de la recherche agronomique – voir supra, chapitre 4) ; et Catherine Geslain-Lanéelle, qui lui a succédé à la DGAL de 2000 à 2003, en y faisant preuve d’un zèle tout à fait remarquable : elle refusa de communiquer le dossier d’autorisation de mise sur le marché du Gaucho au juge Louis Ripoll, alors qu’il perquisitionnait au siège de la DGAL après l’ouverture d’une instruction ! En juillet 2006, cette haute fonctionnaire sera nommée à la tête de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) à Parme, où je la rencontrerai en janvier 2010 (voir infra, chapitre 15)[iii].

Ce bref rappel historique était nécessaire pour comprendre à quel point les décisions – ou non-décisions – de ceux qui nous gouvernent ont des répercussions directes sur la vie des citoyens qu’ils sont censés servir : en l’occurrence, les manœuvres dilatoires pour maintenir le Gaucho sur le marché, en niant sa toxicité malgré les preuves accablantes, ont contribué à mettre quelque 10 000 apiculteurs sur le carreau[2] et ont rendu malades un certain nombre d’agriculteurs, comme Gilbert Vendé.

En effet, après avoir « inhalé toute une journée du Gaucho » en octobre 1998, le salarié agricole souffre de violents maux de tête, accompagnés de vomissements. Il consulte son médecin, qui confirme l’intoxication ; puis il reprend peu après le travail, « comme si de rien n’était ». « Pendant des années, j’ai pulvérisé des dizaines de produits, a-t-il expliqué à Ruffec. J’étais certes enfermé dans une cabine, mais je refusais de mettre le masque à gaz, parce que c’est insupportable de passer des heures comme cela, on a l’impression d’étouffer. » Un an après son intoxication, Gilbert Vendé ressent régulièrement d’insoutenables douleurs à l’épaule : « C’était si fort que je descendais du tracteur pour me rouler par terre », a-t-il expliqué. En 2002, il décide de consulter une neurologue à Tours, qui l’informe qu’il a la maladie de Parkinson. « Je n’oublierai jamais ce rendez-vous, a raconté l’agriculteur, la voix voilée par l’émotion, car la spécialiste a carrément dit que ma maladie pouvait être due aux pesticides que j’avais utilisés. »

Il y a fort à parier que cette neurologue connaissait la « littérature scientifique abondante suggérant que l’exposition aux pesticides augmente le risque d’avoir la maladie de Parkinson », ainsi que l’écrit Michael Alavanja[iv]. Dans sa revue systématique de 2004, l’épidémiologiste de l’Institut du cancer de Bethesda cite une trentaine d’études de cas-témoins qui montrent un lien statistiquement significatif entre cette affection neurodégénérative et l’exposition chronique aux « produits phytos » (organochlorés, organophosphorés, carbamates), notamment à des molécules très utilisées, comme le paraquat, le maneb, la dieldrine ou la roténone. Deux ans plus tard, lorsqu’avec son collègue Aaron Blair, le chercheur a analysé une première série de données provenant de l’Agricultural Health Study, il est parvenu à des conclusions similaires.

En effet, cinq ans après leur inclusion dans la méga-cohorte, 68 % des participants (57 251) ont été interrogés. Entre-temps, soixante-dix-huit nouveaux cas de maladie de Parkinson (cinquante-six applicateurs de pesticides et vingt-deux conjoints) avaient été diagnostiqués, s’ajoutant aux quatre-vingt-trois cas enregistrés lors de l’« enrôlement » (soixante applicateurs et vingt-trois conjoints). Les résultats de l’étude montrent que la probabilité de développer la maladie de Parkinson augmente avec la fréquence d’utilisation (le nombre de jours par an) de neuf pesticides spécifiques, le risque pouvant être multiplié par 2,3. Dans leurs conclusions, les auteurs notent que « le fait d’avoir consulté un médecin à cause des pesticides ou d’avoir vécu un incident provoqué par une forte exposition personnelle est associé à un risque accru[v] ». En lisant cela, j’ai bien sûr pensé à Gilbert Vendé, car tout indique que son intoxication aiguë au Gaucho fut une circonstance aggravante qui a accéléré le processus pathologique, initié par l’exposition chronique aux pesticides.

Quant à la suite de son histoire, elle ressemble étrangement à celles que j’ai déjà racontées. Devant le refus de la MSA de lui accorder le statut de maladie professionnelle, au motif que la maladie de Parkinson ne figure pas dans les fameux tableaux professionnels, l’agriculteur s’est tourné vers le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles d’Orléans, qui a émis un avis défavorable. Il saisit alors le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bourges, qui finalement lui donne raison en mai 2006. Pour fonder sa décision, le TASS s’appuie sur un avis favorable émis par le CRRMP de Clermont-Ferrand, qui n’a manifestement pas fait la même lecture de la littérature scientifique disponible que son homologue d’Orléans.

À l’époque, Gilbert Vendé est le deuxième agriculteur atteint de la maladie de Parkinson à être reconnu en maladie professionnelle. Quatre ans plus tard, ils étaient « une dizaine », d’après les statistiques de la MSA fournies par le docteur Jean-Luc Dupupet. L’agriculteur berrichon a alors quitté son « pays d’origine » pour s’installer à Paris, où il travaille comme bénévole à l’association France Parkinson. « Pourquoi ?, a-t-il interrogé lors de la réunion de Ruffec. Tout simplement parce que dans la capitale je vis incognito, je suis libre ! Je serais dans ma campagne, on me montrerait du doigt. Je ne pourrais pas vivre… »


[1]Il faut noter que la couleur politique n’a rien changé à l’affaire : l’immobilisme des deux ministres de l’Agriculture concernés, le socialiste Jean Glavany (octobre 1998-février 2002) et le RPR Hervé Gaymard (mai 2002-novembre 2004), fut strictement identique.

[2] On estime qu’entre 1995 et 2003, la production française de miel est passée de 32 000 à 16 500 tonnes. Au même moment, un autre insecticide tout aussi toxique, le Régent de BASF, décimait également les abeilles. Il a été aussi interdit en 2005.


Notes du chapitre 6

[i] Fabrice Nicolino et François Veillerette, Pesticides, révélations sur un scandale français, op. cit., p. 56.

[ii] « Le gaucho retenu tueur officiel des abeilles. 450 000 ruches ont disparu depuis 1996 », Libération, 9 octobre 2000.

[iii] Pour plus de détails sur la carrière de Catherine Geslain-Lanéelle, voir Fabrice Nicolino et François Veillerette, Pesticides, révélations sur un scandale français, op. cit., p. 60.

[iv] Michael Alavanja et alii, « Health effects of chronic pesticide exposure : cancer and neurotoxicity », loc. cit., p. 155-197.

[v] Freya Kamel, Caroline Tanner, Michael Alavanja, Aaron Blair et alii, « Pesticide exposure and self-reported Parkinson’s disease in the Agricultural Health Study », American Journal of Epidemiology, 2006, vol. 165, n° 4, p. 364-374.

Photo: Catherine Marchal, deuxième à gauche

Extrait de Notre poison quotidien

Seuls contre tous

« J’avais toujours entendu dire qu’il y avait du benzène dans les produits phytos, a raconté Dominique Marchal lors de la rencontre de Ruffec, et j’ai pensé que je n’aurais pas de mal à obtenir le statut de maladie professionnelle. Ce fut une grave erreur ! » À ses côtés, sa femme Catherine avait opiné du chef, d’un air entendu. En effet, en décembre 2002, le couple adresse une demande de reconnaissance à la Mutualité sociale agricole en invoquant le tableau 19 des maladies professionnelles du régime agricole. La MSA classe le dossier sans suite, au motif que le benzène n’apparaît pas dans les fiches de sécurité des pesticides utilisés par le céréalier entre 1986 et 2002, soit la bagatelle de deux cent cinquante produits, dont il avait eu la bonne idée de garder les factures. Inutile de préciser que s’il avait été un « agriculteur bordélique », pour reprendre ses termes, il n’aurait eu que ses « yeux pour pleurer ».

Comme on l’a vu avec l’affaire de Paul François, les fabricants ne sont pas tenus de déclarer les adjuvants qui interviennent dans la formulation à moins de 7 % et, quand ils le font, c’est au mieux sous la vague appellation de « solvant aromatique » ou de « dérivé de produits pétroliers ». De plus, pour justifier sa décision, la MSA invoque un rapport établi par le docteur François Testud, médecin du travail et toxicologue au centre antipoison de Lyon, qui affirme que « les hydrocarbures pétroliers utilisés pour mettre en solution certaines matières actives sont exempts de benzène depuis le milieu des années 1970 ». Interrogé plus tard sur sa grossière « erreur » par L’Express, l’expert, qui une fois de plus fait le jeu de l’industrie, bottera en touche : « Il s’agit d’une imprécision, argumentera-t-il. J’aurais dû indiquer que le benzène n’était pas présent dans des proportions comportant un risque pour la santé[v]. »

Enfin, enfonçant le clou, la mutuelle souligne que l’activité professionnelle invoquée par Dominique Marchal, à savoir l’épandage de pesticides, ne fait pas partie de la « liste indicative des travaux susceptibles de provoquer la maladie », ainsi que stipulée dans la colonne de droite du tableau 19 : « Préparation et emploi des vernis, peintures, émaux, mastics, colles, encres, produits d’entretien renfermant du benzène. »

Devant le refus de la MSA, le couple Marchal décide de saisir le tribunal des affaires de sécurité sociale d’Épinal, qui nomme un toxicologue incapable de faire avancer le dossier car il butte toujours sur le même problème : l’absence de données concernant la composition exacte des pesticides utilisés. « J’étais découragé et je voulais tout abandonner, a raconté l’agriculteur lorrain. Mais ma femme ne voulait pas lâcher ! » Et comment ! Le récit de Catherine a littéralement bouleversé l’audience de Ruffec, tant il est incroyable !

D’abord, persuadée que le benzène est bien la cause de la grave maladie de son mari, elle décide de solliciter Christian Poncelet, sénateur des Vosges et président du Sénat, lequel s’adresse à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA). Dans un courrier daté du 28 janvier 2005, sa présidente Marie Guillou refuse d’intervenir en arguant que « la composition intégrale des produits phytosanitaires est soumise au secret industriel[v] » ! Le lecteur a bien lu : la présidente d’un institut public, dont les liens avec les fabricants de pesticides sont un secret de polichinelle, refuse de venir en aide à un agriculteur malade en invoquant un « secret industriel » qui n’a d’autre justification que de protéger les intérêts privés de ces fabricants.

Mais Catherine effectivement ne lâche pas. Encouragée par l’avocate du couple, Me Marie-José Chaumont, elle décide de mener elle-même l’enquête. Munie des noms des molécules que son mari a utilisées et de… gants à vaisselle, elle fait le tour des fermes avoisinantes pour récupérer des échantillons qu’elle transvase minutieusement dans des pots à confiture. Elle parvient ainsi à récupérer seize « élixirs de mort ». Reste à les faire analyser. Plusieurs laboratoires refusent d’exécuter la délicate mission, mais la société Chem Tox d’Illkirch, dans la banlieue de Strasbourg, accepte[v]. « La moitié des pesticides analysés contenaient du benzène, a conclu Catherine Marchal, sous les applaudissements des participants de l’appel de Ruffec. À partir de là, nous savions que l’affaire était gagnée ! »

De fait, dans son jugement du 18 septembre 2006, le TASS des Vosges a classé le syndrome myéloprolifératif de Dominique Marchal en maladie professionnelle. Après Sylvain Médard, le technicien de la coopérative agricole picarde, il était le deuxième utilisateur de pesticides à obtenir ce statut. La décision courageuse du TASS lorrain a ouvert la voie pour d’autres paysans atteints de leucémies. D’après le docteur Jean-Luc Dupupet, quatre ans plus tard, quatre d’entre eux ont obtenu le statut de maladie professionnelle, comme Yannick Chenet, qui avait fait l’énorme effort de participer à la rencontre de Ruffec.

Photo : Caroline Chénet, veuve de Yannick Chénet, décédé en janvier 2011 d’une leucémie, reconnue comme une maladie professionnelle.

Extrait de Notre poison quotidien

Le témoignage de cet agriculteur qui exploite une ferme à Saujon (Charente-Maritime), comprenant soixante hectares de céréales et six hectares et demi de vignes pour la production de cognac, a une fois de plus bouleversé l’assistance. Après avoir développé une « leucémie myéloïde de type 4 » en octobre 2002, il subit « une greffe de moelle osseuse, qui n’était pas compatible à 100 % », a-t-il expliqué, avec une grande difficulté d’élocution. « Mon corps réagit contre le greffon et, aujourd’hui, je souffre d’une rétraction des tendons et de sclérodermie de la peau, sécheresse des yeux et plein d’autres problèmes… » Reconnu en maladie professionnelle en 2006, l’agriculteur touche certes une pension d’invalidité, mais doit continuer à faire tourner sa ferme et, pour cela, il a dû embaucher un salarié. « Toutes les économies que nous avions pu faire avant ma maladie ont été injectées dans l’entreprise pour tenter de la sauver, mais là, avec ma femme, nous sommes au bout du rouleau… J’aimerais savoir à quoi j’ai droit pour pouvoir m’en sortir[v]… »

« La seule chose que vous puissiez faire, a répondu en substance Me François Lafforgue, l’avocat de Paul François, c’est de porter plainte contre les fabricants pour obtenir une compensation financière qui vous permettrait de payer le salarié dont vous avez besoin. Ce n’est pas facile et l’issue est incertaine, mais plus vous serez nombreux à le faire, plus vous aurez la chance d’obtenir réparation du préjudice que vous avez subi. C’est ce qui s’est passé avec les victimes de l’amiante qui, en s’organisant et en portant systématiquement plainte, ont fini par être indemnisées… »

Photo: Jean-Marie Dion, atteint d’un myélome multiple (premier à droite)

Extrait de Notre poison quotidien

La première fois que j’ai entendu parler de cette pathologie, qui représente 1 % des cancers et dont les chances de survie sont très faibles, c’était à Ruffec, par la voix de Jean-Marie Desdion, un producteur de maïs venu spécialement du Cher. Accompagné de son épouse, il avait raconté son calvaire, qui a commencé en 2001 avec la rupture spontanée et brutale des deux humérus, suivie de la disparition de la moitié des côtes. Le diagnostic est sans appel : « Myélome multiple à chaînes légères. » Hospitalisé à l’hôpital parisien de l’Hôtel-Dieu, le céréalier subit deux autogreffes de moelle osseuse, puis des traitements très lourds – chimiothérapie, radiothérapie et corticothérapie – à l’hôpital Georges-Pompidou. « Pour finir, a-t-il expliqué, j’ai reçu un don de cellules souches, qui m’ont été injectées dans une chambre stérile, après destruction totale de ma moelle osseuse. Ce fut un long processus, très éprouvant… Aujourd’hui, je vais mieux, mais d’un point de vue professionnel, je me retrouve dans une situation inextricable : j’ai entrepris les démarches pour obtenir le statut de maladie professionnelle et, en attendant, c’est très dur. En effet, j’ai touché des indemnités journalières pendant trois ans, comme c’est prévu par mon contrat d’assurance. Et puis après, plus rien… Le paradoxe, c’est que je ne rentre dans aucune case : normalement, après trois ans d’arrêt-maladie, on est soit mort, soit guéri. Comme je ne suis ni l’un ni l’autre, je dois travailler et faire tourner mon exploitation, ce qui est vraiment très difficile. »

Encouragé par son avocat, Me François Lafforgue – qui est aussi celui de Paul François –, Jean-Marie Desdion a décidé de porter plainte contre Monsanto. « Paul et moi avons beaucoup de choses en commun, a expliqué l’agriculteur du Cher avec un sourire. Comme nous sommes tous les deux producteurs de maïs, nous avons beaucoup utilisé le Lasso. La différence, c’est que lui a été victime d’une intoxication aiguë et moi d’une intoxication chronique. Pourtant, je suivais toutes les recommandations de la MSA, qui préconisait d’échelonner les traitements le plus possible dans le temps. En général, mes applications de Lasso duraient deux à trois semaines, à raison de deux ou trois heures par jour. C’était une erreur fondamentale… »

Je me souviens du sentiment de colère sourde qui m’a envahie quand j’ai entendu Jean-Marie Desdion raconter son histoire. En relisant les notes que j’avais prises ce jour-là, j’ai retrouvé une question soulignée de deux traits rageurs : combien sont-ils, aujourd’hui, à mourir de cancer sur les fermes de France et de Navarre ? Le saura-t-on jamais ? « À ce jour, une trentaine d’études épidémiologiques ont exploré le risque de tumeur cérébrale en milieu agricole et la majorité d’entre elles met en évidence une élévation de risque, de l’ordre de 30 % », écrivent Isabelle Baldi et Pierre Lebailly, deux spécialistes français de médecine agricole, dans un article publié en 2007, « Cancer et pesticides[v] ». Ils confirmaient ainsi les conclusions de la revue systématique canadienne, qui notait que parmi les tumeurs dites « solides », celle qui frappait le plus les agriculteurs était le cancer du cerveau.

Isabelle Baldi, qui travaille au Laboratoire de Santé travail environnement de l’université de Bordeaux, et Pierre Lebailly, du Groupe régional d’études sur le cancer de l’université de Caen (GRECAN), connaissent particulièrement bien le sujet, puisqu’ils ont participé à l’étude CEREPHY (comme tumeurs CÉRÉbrales et produits PHYtosanitaires), publiée en 2007 dans la revue Occupational and Environmental Medicine[v]. Conduite en Gironde, cette étude de cas-témoins a examiné le lien entre l’exposition aux pesticides et les maladies du système nerveux central : 221 patients atteints de tumeurs bénignes ou malignes, diagnostiquées entre le 1er mai 1999 et le 1er avril 2001, ont été comparés à un groupe de 422 témoins ne présentant pas les pathologies étudiées et tirés au sort sur les listes électorales du département (l’âge et le sexe ont bien sûr été pris en considération). Parmi les patients, dont l’âge moyen était de cinquante-sept ans, 57 % étaient des femmes ; et 47,5 % souffraient d’un gliome, 30,3 % d’un méningiome, 14,9 % d’un neurinome de l’acoustique et 3,2 % d’un lymphome cérébral.

Lors d’entretiens réalisés au domicile des participants ou à l’hôpital, les psychologues enquêteurs ont soigneusement évalué les modalités de l’exposition aux pesticides, en les classant par catégories : activité de jardinage, traitement des plantes d’intérieur, pulvérisation sur les vignes ou, tout simplement, résidence près des cultures traitées. Ils ont aussi noté les autres facteurs qui pouvaient contribuer à l’apparition de la maladie, comme les antécédents familiaux, l’utilisation d’un téléphone portable ou de solvants, etc. Les résultats sont sans ambigüité : les viticulteurs, qui utilisent massivement les « produits phytopharmaceutiques »[v] – comme j’ai pu le vérifier lors de ma visite au lycée agricole de Pézenas –, présentent un risque deux fois plus élevé d’être atteints d’une tumeur cérébrale (OR : 2,16) et trois fois plus élevé d’avoir un gliome (OR : 3,21). De même, les personnes qui traitent régulièrement leurs plantes d’intérieur avec des pesticides ont deux fois plus de « chance » de contracter une tumeur cérébrale (OR : 2,21).

Photos: Paul François qui vient de gagner son procès contre Monsanto (lire sur ce blog)

Photo: Denis Camus, atteint d’un lymphome non hodgkinien, reconnu en maladie professionnelle

rencontre avec le Pr. Vincent Garry

En parcourant les commentaires laissés sur mon Blog par les lobbyistes de l’industrie chimique   je constate , une fois de plus, qu’ils sont bien mal informés (comme « Wackes Seppi », qui n’a pas trouvé le Pr. Garry sur Internet ou « André » qui ne sait pas que Minneapolis est la capitale du Minnesota!!!)! Et c’est tant mieux, car cela me donne l’occasion de raconter ma rencontre avec le Pr. Vincent Garry, un biologiste réputé de l’Université de Minneapolis qui a conduit plusieurs études épidémiologiques dans la Red River Valley, dont les principales sont présentées ici:

http://www.labome.org/expert/usa/university/garry/vincent-f-garry-482738.html

Avant de transcrire les pages que j’ai consacrées à cette rencontre dans mon livre Notre poison quotidien, je voudrais raconter une anecdote tout à fait étonnante. J’avais donné rendez-vous au scientifique à Fargo (dans la Dakota du Nord), le 30 octobre 2009. Quand je suis arrivée à l’aéroport, j’ai constaté que le pied de ma caméra manquait. En fait, il avait été envoyé à … San Diego (en Californie)! J’étais vraiment désespérée, car je voyais mal comment j’allais pouvoir trouver un pied dans cette ville paumée et aussi lugubre que dans le film des frères Coen. Le matin du 1er novembre, j’ai raconté mes déboires au Pr. Garry, au moment où ne prenions le petit déjeuner à l’hôtel. C’est alors qu’est intervenu le serveur qui avait manifestement saisi mon dépit:

– Quel est votre problème, m’a-t-il gentiment demandé.

En quelques mots, je lui ai expliqué mes problèmes,  persuadée qu’il ne pourrait pas grand chose pour moi!

– C’est une réalisatrice très connue, a glissé Vincent Garry. Elle est l’auteure du film Le monde selon Monsanto…

– You are Ms. Robin? s’est exclamé le serveur, un étudiant en biologie qui avait passé le DVD de mon film « en boucle pendant des semaines ». Je peux vous aider à trouver un pied! Il y a ici une chaîne locale, dédiée à l’agriculture, je connais très bien le rédacteur en chef, s’il sait que vous êtes ici, il vous prêtera un pied, même si aujourd’hui c’est férié. je peux l’appeler sur son portable! »

Aussitôt dit, aussitôt fait… Vingt minutes plus tard, débarquait à l’hôtel Nick Kgar (dont j’ai parlé récemment sur ce blog) me proposant un pied contre une interview que j’ai évidemment acceptée!

Incroyable, mais vrai! C’est ainsi que nous avons pu filmer dans des conditions normales la visite du professeur Garry à une famille d’agriculteurs , ainsi que je l’ai raconté dans Notre poison quotidien:

Je n’oublierai jamais mon séjour à Fargo, la ville du Dakota du Nord qui donna son nom à l’un des films les plus sinistres des frères Coen. J’y suis arrivée la veille de la Toussaint 2009. Il faisait un froid glacial dans la Red River Valley toute proche, prête à accueillir la neige pendant de longs mois, avant que ne reprennent les cultures intensives de blé, de maïs, betteraves, pommes de terre ou de soja (transgénique). Dans cette région à cheval sur les États du Dakota et du Minnesota, les pesticides sont généralement épandus par avion, car la taille moyenne des exploitations agricoles dépasse plusieurs centaines d’hectares.

J’avais rendez-vous avec le professeur Vincent Garry, de l’université de Minneapolis (Minnesota), qui participa à la conférence de Wingspread sur les perturbateurs endocriniens (voir supra, chapitre 16) et dirigea trois études sur le lien entre l’exposition aux poisons agricoles et les malformations congénitales[i]. Celles-ci montraient un risque accru très significatif d’anomalies cardiovasculaires, respiratoires, urogénitales (hypospadias, cryptorchidie) et musculo-squelettiques (malformation des membres, nombre de doigts) dans les familles d’agriculteurs de la Red River Valley, mais aussi chez les riverains. Comparé avec celui des populations urbaines des États du Dakota du Nord ou du Minnesota, ce risque était multiplié de deux à quatre, selon le type d’anomalies. Lorsqu’il a étudié plus précisément les familles d’agriculteurs, Vincent Garry a constaté que les malformations congénitales et les fausses couches étaient plus fréquentes quand la conception des enfants avait lieu au printemps, c’est-à-dire au moment où sont appliqués les pesticides (notamment le Roundup de Monsanto, dont il démontra qu’il est un perturbateur endocrinien). Le chercheur a noté aussi un déficit du sexe mâle chez les enfants des utilisateurs de pesticides. Ensemble, nous avons rendu visite à David, un agriculteur d’une quarantaine d’années, dont les parents avaient participé à l’étude de 1996. Le professeur Garry avait conservé le dossier concernant la famille de David, où il apparaissait que son jeune frère était atteint de malformations congénitales graves et d’un retard mental. Je n’oublierai jamais l’attention émue et le silence embarrassé de la famille réunie autour de la table de la cuisine, quand Vincent Garry a présenté les résultats de l’étude, dont elle n’avait jamais été informée…


[i] Vincent Garry et alii, « Pesticide appliers, biocides, and birth defects in rural Minnesota », Environmental Health Perspectives, vol. 104, n° 4, 1996, p. 394-399 ; Vincent Garry et alii, « Birth defects, season of conception, and sex of children born to pesticide applicators living in the Red River valley of Minnesota, USA », Environmental Health Perspectives, vol. 110, sup. 3, 2002, p. 441-449 ; Vincent Garry et alii, « Male reproductive hormones and thyroid function in pesticide applicators in the Red River Valley of Minnesota », Journal of Toxicology and Environmental Health, vol. 66, 2003, p. 965-986.

Je mets maintenant en ligne l’interview que j’avais pré-montée pour mon film, mais que je n’ai pu garder , faute de temps. Au moment où la rencontre a lieu dans la salle à manger de la famille d’agriculteurs, visiblement très émue, l’un de leur fils, handicapé mental, dort sur une banquette de la cuisine…

Diane Forsythe ou comment l’industrie des pesticides fabrique le doute

Sur ce blog (le 15 mars 2012), j’ai déjà retranscrit les pages que j’ai consacrées à Dawn Forsythe dans mon livre Notre poison quotidien .  Celle-ci a dirigé jusqu’à la fin 1996 le département des affaires gouvernementales de la filiale américaine de Sandoz Agro, un fabricant suisse de pesticides (qui a fusionné en 1996 avec Ciba-Geigy, pour former Novartis). Comme elle le raconte dans cette interview, que j’avais montée pour mon film , mais que je n’ai pu garder pour cause de longueur, elle était chargée d »intoxiquer » l’opinion et les pouvoirs publics, en participant à ce que l’ épidémiologiste américain (et aujourd’hui secrétaire adjoint du travail dans le gouvernement Obama) David Michaels appelle « la fabrique du doute« .

J’ai longuement décrit dans mon livre les multiples techniques auxquelles les industriels de la chimie – avec en tête les fabricants de pesticides – ont recours pour maintenir sur le marché des produits hautement toxiques, en dépit de leurs effets sanitaires et environnementaux. Dans Le monde selon Monsanto, je racontais, par exemple, comment la firme avait payé un scientifique (le Dr. Suskind de l’Université du Cincinatti) pour manipuler les résultats de deux études clés qu’il avait conduites en suivant pendant plusieurs années des ouvriers qui avaient été exposés à des émanations toxiques lors d’un accident survenu dans l’usine de Nitro, où ils produisaient l’herbicide 2,4,5-T, l’un des composants de l’agent orange, comprenant de la dioxine. Il avait suffi à  cette « prostituée de la science« , pour reprendre les termes de Peter Infante, un autre épidémiologiste américain, de mélanger des ouvriers non exposés au groupe des ouvriers exposés (le groupe expérimental), puis d’ajouter des ouvriers exposés dans celui des non exposés (groupe contrôle), et le tour était joué! Après cette manipulation, qu’on appelle sobrement « l’effet dilution« , il avait pu conclure qu’il y avait autant de cancers dans les deux groupes, et, donc, que la dioxine n’était pas cancérigène! Résultat: publiées dans des revues scientifiques de renom, qui n’y ont vu que du feu, ces études ont retardé la réglementation de la dioxine pendant plus de dix ans, empêchant notamment les vétérans de la guerre du Vietnam d’obtenir des réparations pour les cancers qu’ils avaient déclarés après leur exposition à l’agent orange.

Le témoignage courageux de Dawn Forsythe, qui a fini par quitter « la grande famille » de  l’industrie des pesticides et a eu beaucoup de mal à retrouver du travail, m’a convaincue que le système de manipulations et de mensonges que j’avais décortiqué dans Le monde selon Monsanto n’était malheureusement pas une exception mais, au contraire,  la règle chez les industriels de la chimie, ainsi que le montrent les affaires de l’essence au plomb, du chlorure de vinyl ou PBC, du benzène, de l’amiante, des PCB ou de l’atrazine (cf: Notre poison quotidien). C’est pourquoi, connaissant les désastres sanitaires qu’ont provoqués et  continuent de provoquer ces produits (des dizaines de milliers de malades et de morts de par le monde), je dis que le comportement de ces entreprises est tout simplement criminel.

C’est ce que j’ai clairement dit à Hervé Kempf, journaliste du Monde, que j’ai rencontré lors des assises chrétiennes de l’écologie, qui se sont tenues en novembre à Saint Etienne. Vous pouvez entendre cette interview sur le site Reporterre que, par ailleurs, je vous recommande très vivement!

http://www.reporterre.net/spip.php?article2304

Le récent jugement du tribunal de Turin qui a condamné à de lourdes peines de prison deux anciens responsables de la société Eternit, l’un des principaux fournisseurs d’amiante (avec le français Everit, qui appartenait au groupe Saint Gobain), ainsi que la condamnation, en première instance de Monsanto dans l’affaire de Paul François (voir sur ce blog) prouvent que les choses sont en train de bouger.

Il sera bientôt fini le temps où les industriels pouvaient contaminer l’environnement – les hommes, l’air, l’eau et les aliments- en toute impunité, sans sans qu’on ne puisse jamais poursuivre les responsables au pénal.

C’est pourquoi, quand les organisateurs de la 4ème édition de « Faites sans OGM » m’ont demandé de témoigner dans le tribunal populaire qui allait juger « Monsanto pour crime contre l’humanité« , j’ai accepté sans aucune hésitation.

http://84sansogm.sosblog.fr/Foll-Avoine-II-b1/Du-10-au-12-Ferier-prochain-4eme-edition-de-la-Faites-sans-OGM-au-Thor-84-b1-p59448.htm

J’y ai notamment rapporté comment Monsanto était parvenu à infiltrer la Food and Drug Administration (FDA) pour imposer le fameux « principe d’équivalence en substance » qui prétend qu’un OGM est similaire à une plante conventionnelle, empêchant ainsi toute étude sérieuse sur la toxicité éventuelle des plantes transgéniques pesticides. J’ai rapporté aussi les pressions, campagnes de diffamation et tentatives de corruption exercées par la firme pour décourager ou faire enterrer toute étude scientifique indépendante. Après avoir rappelé, bien sûr, que des pratiques similaires avaient permis à la multinationale de maintenir sur le marché pendant des décennies des poisons comme les PCB, le 2,4,5-T, ou le Lasso qui a rendu Paul François malade.

Photos (Guillaume de Crop) : Mon témoignage lors du procès contre Monsanto, et le face à face qui m’a opposée à l’avocat de la firme ( Olivier Florent, un élu de EELV).

Pesticides: rien n’arrêtera la prise de conscience!

Je rentre d’un court séjour au Brésil, où le festival du cinéma de Salvador de Bahia a présenté mon film « Notre poison quotidien », en avant première dans ce pays qui représente le premier consommateur de poisons agricoles d’Amérique latine. Au même moment une coalition d’une cinquantaine d’ONG lançait une campagne nationale de sensibilisation aux dégâts causés par les pesticides. J’ai participé à l’inauguration de la campagne à Salvador de Bahia :

Puis j’ai rejoint Rio de Janeiro où mon film a été projeté devant 3OO étudiants de l’école polytechnique de la FIOCRUZ (l’équivalent brésilien de l’INSERM) :

http://www.sinpaf.org.br/modules/smartsection/item.php?itemid=537

Bien évidemment, les futurs ingénieurs et médecins ont posé de nombreuses questions sur le roundup de Monsanto dont le pays est inondé, en raison des cultures de soja transgénique. Je leur ai commenté les différentes études montrant que l’herbicide est cancérigène et considéré comme un perturbateur endocrinien, au point de susciter des inquiétudes y compris au Canada :

http://www.gretess.uqam.ca/?p=185

Je leur ai cité l’article du Monde, publié le 9 août dernier, que je transcris ici  qui confirmait ce que j’ai écrit il y a … plus de trois ans ! Les responsables politiques – français et européens- qui continuent de pratiquer la politique de l’autruche en refusant de réexaminer l’autorisation de mise sur le marché du roundup, auront des comptes à rendre dans un avenir que j’espère très proche, car disons les choses clairement : leur inertie n’est pas seulement irresponsable, elle est aussi criminelle.

Voici l’article :

Nouvelles charges contre le Roundup de Monsanto

Des chercheurs reprochent à Bruxelles sa lenteur à réévaluer la toxicité de l’herbicide à la lumière d’études récentes

Le Roundup et son principe actif, le glyphosate, sont de nouveau au centre d’une controverse. Dans un rapport édité par Earth Open Source (EOS), une petite organisation non gouvernementale (ONG) britannique, une dizaine de chercheurs mettent en cause les autorités européennes pour leur peu d’empressement à réévaluer, à la lumière de nouvelles données, l’herbicide à large spectre le plus utilisé au monde. Le texte, qui circule sur Internet depuis juin, rassemble les indices selon lesquels le pesticide phare de Monsanto est potentiellement tératogène – c’est-à-dire responsable de malformations foetales.

Les auteurs du rapport citent notamment une étude publiée, fin 2010, dans Chemical Research in Toxicology, selon laquelle l’exposition directe d’embryons de batraciens (Xenopus laevis) à de très faibles doses d’herbicide à base de glyphosate entraîne des malformations. Menés par l’équipe de l’embryologue Andres Carrasco, de l’université de Buenos Aires, ces travaux identifient en outre le mécanisme biologique à la base du phénomène : exposés au phytosanitaire, les embryons de Xenopus laevis synthétisent plus de trétinoïne, dont l’effet tératogène est notoire chez les vertébrés.

Monsanto réfute ces conclusions, précisant qu’une exposition directe, « irréaliste », permettrait aussi de conclure à la tératogénicité de la caféine… « Le glyphosate n’a pas d’effets nocifs sur la reproduction des animaux adultes et ne cause pas de malformations chez la descendance des animaux exposés au glyphosate, même à très fortes doses », ajoute Monsanto sur son site Web.

Pourtant, le dernier rapport d’évaluation du glyphosate par la Commission européenne, daté de 2001, qui repose au moins en partie sur les études toxicologiques commanditées par l’agrochimiste lui-même, précise qu’à hautes doses toxiques, le glyphosate provoque chez le rat « un plus faible nombre de foetus viables et un poids foetal réduit, un retard d’ossification, une plus forte incidence d’anomalies du squelette et/ou des viscères ».

Selon EOS, les observations d’Andres Carrasco coïncident avec des effets suspectés sur les populations humaines les plus exposées au Roundup. C’est-à-dire dans les régions où les cultures génétiquement modifiées résistantes au glyphosate (dites « Roundup Ready ») se sont imposées et où l’herbicide est donc le plus massivement épandu. Un examen des registres de la province argentine du Chaco a montré, dans la localité de La Leonesa, que l’incidence des malformations néonatales, au cours de la décennie 2001-2010, avait quadruplé par rapport à la décennie 1990-2000. Selon M. Carrasco, la commission ayant mené ce décompte a recommandé aux autorités de lancer une étude épidémiologique en bonne et due forme. « Cette recommandation n’a pas été suivie », dit le chercheur.

« Qu’il y ait un problème en Amérique du Sud avec les produits phytosanitaires, c’est probable, mais il est très difficile d’affirmer qu’il est lié au glyphosate en particulier », estime un toxicologue qui travaille dans l’industrie et reproche au rapport d’EOS des « amalgames » et « des comparaisons de chiffres trompeuses ». « En outre, ajoute-t-il, la pulvérisation aérienne est la norme là-bas, alors qu’elle est globalement interdite en Europe. »

Pour la Commission européenne, les indices rassemblés par EOS ne constituent pas un motif suffisant pour changer le calendrier en cours. La dernière évaluation du Roundup remonte à 2002. La réévaluation était prévue en 2012, mais le retard accumulé par Bruxelles va repousser ce nouvel examen à 2015.

Ce retard n’est pas la principale raison des protestations de l’ONG. « De nouvelles règles d’évaluation des pesticides, potentiellement plus contraignantes, sont en train d’être finalisées, dit Claire Robinson, qui a coordonné la rédaction du rapport d’EOS. Mais la réévaluation qui sera rendue en 2015 reposera encore sur l’ancienne réglementation, pour laisser aux industriels le temps de s’adapter. » Ce que la Commission ne dément pas.

Les nouvelles règles – qui, de source industrielle, doivent être « finalisées à l’automne » – prévoient un examen obligatoire de la littérature scientifique, en plus des études présentées par les industriels. Les travaux publiés dans les revues savantes par les laboratoires publics devront donc être systématiquement pris en compte, même si « cela ne veut pas dire qu’ils sont aujourd’hui systématiquement ignorés, loin de là », tempère Thierry Mercier, de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).

Pour EOS, la différence est pourtant de taille. « Sous les anciennes règles, il est probable que le glyphosate obtiendra une nouvelle autorisation, dit Mme Robinson. Il faudra alors vraisemblablement attendre jusqu’en 2030 pour que ce produit subisse une réévaluation sérieuse, conforme au nouveau règlement. Alors que nous savons dès aujourd’hui qu’il pose problème. »

Les études commanditées par les industriels doivent répondre à certains critères concernant les espèces animales enrôlées dans les tests, la nature et la durée de l’exposition aux produits testés, etc. Les laboratoires universitaires – comme celui de M. Carrasco – disposent d’une plus grande latitude. Et les différences de conclusions sont parfois considérables.

Un exemple cité par EOS est celui du bisphénol A (BPA). Dans une revue de la littérature scientifique publiée en 2005 dans Environmental Health Perspectives, Frederick vom Saal (université du Missouri) estimait que 94 des 115 études académiques publiées sur le sujet concluaient à un effet significatif du BPA sur les organismes, même à très faible dose. Dans le même temps, aucune des dix-neuf études sur le même thème commanditées par les industriels ne mettait en lumière de tels effets. En France, le BPA a été interdit en 2010 dans les biberons.

Dans le cas du glyphosate et de son principal produit de dégradation, l’acide aminométhylphosphonique (AMPA), plusieurs études publiées ces dernières années mettent en lumière leur toxicité pour certains organismes aquatiques. « Le glyphosate ou l’AMPA ne sont pas des molécules très problématiques en elles-mêmes, en tout cas moins que d’autres, explique Laure Mamy, chercheuse à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et spécialiste du devenir de ces composés dans l’environnement. Le problème, c’est la quantité. C’est la dose qui fait le poison. »

Or, si le glyphosate se dégrade relativement rapidement, « l’AMPA peut persister plusieurs mois dans les sols ». En France, selon l’Institut français de l’environnement (IFEN), cette molécule est désormais le contaminant le plus fréquemment retrouvé dans les eaux de surface.

Son succès est donc le principal problème du Roundup. D’autant que des résistances sont apparues ces dernières années. Sur le continent américain en particulier, où les cultures génétiquement modifiées associées ont permis un usage massif du Roundup, des mauvaises herbes commencent à être de moins en moins sensibles – voire complètement résistantes – à l’herbicide phare de Monsanto. « Or, lorsque ces résistances commencent à survenir, on est parfois tenté d’augmenter les quantités épandues », dit Laure Mamy.

La bonne nouvelle, c’est bien sûr que la prise de conscience progresse partout dans le monde, et notamment en France, où je le constate à chaque présentation de mon film et livre « Notre poison quotidien » qui attire les foules.

Ainsi, le 2 septembre dernier, j’étais invitée aux Herbiers (Vendée) à l’initiative  de l’APABE, qui organisait la 8e édition du Festi bio énergies. Cette association a été créée par Emmanuel Pineau (photo), un jeune agriculteur qui pratiqua longtemps l’agriculture intensive ( maïs, élevage hors sol), avant d’être atteint d’un lymphome. Aujourd’hui, il exploite avec son père une ferme biologique qui est devenue un modèle dans toute la région.

Photos: Christophe Pitard

Même succès à Bouloire, le samedi 3 septembre, puis à Albencq, le dimanche 4 septembre.

Je remercie au passage les organisateurs du 15ème festival l’Avenir au Naturel qui ont largement fait circuler mon appel à souscriptions pour soutenir ma prochaine enquête ? » La sortie de ce film et livre est programmée sur ARTE à la fin 2012. Pour en savoir plus, allez sur mon site:

http://www.m2rfilms.com/

Par ailleurs, je signale cette chronique radio réalisée par Thierry Debeur, un gastronome réputé du Québec, qui a commenté mon livre « Notre poison quotidien » le 9 septembre . Pour l’écouter aller sur ce lien, en cliquant sur la partie 2 :

http://www.debeur.com/Radio1033FM.html

A signaler que la chronique comprend une petite erreur: le documentaire « Noter poison quotidien » existe déjà et il même été diffusé sur Télé Québec le 5 juin dernier, et sur Discovery Channel aux Etats Unis, le 19 décembre 2010!

Enfin, j’informe les internautes qu’ils peuvent aller voir une exposition de photos organisée par WWF sur les Champs Elysées. Intitulée « 50 ans d’engagement: succès d’hier et défis de demain« , elle présente une série de photos de personnalités qui oeuvrent pour la protection de l’environnement. L’exposition est visible jusqu’au 25 septembre. Je fais partie des gens photographiés. La photo a été prise par Michelle Pelletier dans mon jardin où je cultive fruits et légumes sans pesticides, bien sûr!

agenda et nouvelles

Pour ceux et celles qui n’auraient pas (encore !) lu mon livre Notre poison quotidien, je vous conseille cette petite critique fort informée :

http://www.cpolitic.com/cblog/2011/08/24/lecture-utile-dete-notre-poison-quotidien-de-marie-monique-robin/

J’ai reçu plusieurs messages me demandant de mettre à jour mon agenda. C’est vrai que , débordée par mes multiples déplacements et la préparation de mon prochain film et livre, j’ai eu tendance à négliger ledit agenda.

Voici donc mes activités au cours des prochains jours :

vendredi 2 septembre, Les Herbiers (Vendée). Conférence « Bon appétit, bonne chance ! » lors de la 8e édition du Festi bio énergies.

http://www.ouest-france.fr/ofdernmin_-La-sante-est-dans-notre-assiette-au-Festi-bio-energies_40771-1968756-pere-pdl_filDMA.Htm

samedi 3 septembre, à Bouloire (Sarthe), projection suivie d’un débat de « Notre poison quotidien » au Centre Culturel Epidaure, à 14 heures 30.

http://www.nouveauconsommateur.com/agenda/15eme-edition-festival-avenir-au-naturel-albenc

dimanche 4 septembre, à Albenc (Isère), projection suivie d’un débat de « Notre poison quotidien » au 15ème festival de l’avenir au naturel.

http://www.nouveauconsommateur.com/agenda/15eme-edition-festival-avenir-au-naturel-albenc

Par ailleurs, je signale que France Info a diffusé , aujourd’hui, un papier sur les documents de  la diplomatie américaine, révélés par Wikileaks, qui montrent que les représentants de l’administration de Washington ont organisé la riposte pour neutraliser l’impact de mon film et livre  Le monde selon Monsanto notamment en France (voir sur ce Blog).

Les éléments qui gênaient le plus les promoteurs institutionnels des OGM  étaient ma démonstration que le fameux « principe d’équivalence en substance » qui fonde la (non)réglementation des plantes transgéniques pesticides de Monsanto, ne reposait sur aucune étude scientifique et constituait une invention concoctée par la firme de Saint Louis, avec la complicité de la Food and Drug Administration (FDA), pour éviter que les OGM soient sérieusement testés.

Ces câbles diplomatiques confirment ce que j’ai longuement décrit dans mon livre, à savoir que les OGM et les brevets qui y sont liés, sont un outil utilisé par les Etats Unis et les multinationales américaines pour contrôler le marché mondial des semences, et donc la chaîne alimentaire. Ils sont la preuve de l’extrême « proximité » (pour ne pas dire « collusion »!) entre Monsanto et le gouvernement américain.

Le rapport Barbier sur les pertubateurs endocriniens

C’est ce qu’on appelle une « bonne nouvelle » ! Le sénateur Gilbert Barbier – un chirurgien de Franche Comté et vice-président de la commission des affaires sociales du Sénat –  qui m’avait auditionnée le 7 juin dernier, vient de rendre son rapport intitulé  « Les perturbateurs endocriniens, le temps de la précaution ».

http://www.senat.fr/notice-rapport/2010/r10-765-notice.html

 

Cela fait plaisir de lire sous la plume d’un élu de la nation les mêmes conclusions que celles auxquelles je suis parvenue dans mon livre (et film) Notre poison quotidien qu’il cite d’ailleurs à plusieurs reprises. Quand il m’avait auditionnée, avec son assistant parlementaire, j’avais constaté qu’il avait soigneusement épluché mon ouvrage, abondamment surligné et marqué de stickers.

Agissant à la demande de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, le sénateur commence son rapport en ces termes :

« La question d’une recrudescence voire d’une « épidémie » de maladies environnementales est clairement posée aujourd’hui. Votre rapporteur s’intéressera à deux groupes principaux de pathologies : les cancers et les problèmes de fertilité. Il cherchera à en mesurer les causes ».

Concernant les cancers hormono-dépendants, il confirme ce que j’ai écrit dans mon livre (c’est le sénateur qui surligne) :

« Le cancer de la prostate est le cancer le plus fréquent chez l’homme. Il représente, en France, 25 % des nouveaux cas, soit 40 000 en 2000.En France, on constate une très forte augmentation de 5,3 % par an entre 1975 et 2000, soit une quasi multiplication par quatre de leur nombre (…)

Le cancer du sein est le plus fréquent chez la femme au niveau mondial (22 %). Il s’agit d’un cancer des pays développés puisque le rapport est de 1 à 5 entre les pays occidentaux et les pays d’Afrique et d’Asie à l’exception du Japon. Des phénomènes de rattrapage existent dans certains pays. En outre, des études ont pu montrer que l’incidence s’accroissait sur une à deux générations du fait d’un changement de mode de vie lié, par exemple, à une immigration aux États-Unis.

En France, le nombre de cancers du sein a plus que doublé depuis 1980, passant de 21 000 à près de 50 000. Il représente 36 % des nouveaux cancers féminins. En éliminant l’effet de l’âge, l’incidence a doublé en France passant de 56,8 à 101,5 pour 100 000, soit une hausse de 2,4 % par an. Le risque de développer un cancer du sein est passé de 4,9 % pour une femme née en 1910 à 12,1 % pour une femme née en 1950″.

Le sénateur Barbier note aussi que contrairement à la doxa industrielle, l’épidémie d’obésité qui frappe les nations riches et émergentes, n’est pas due exclusivement à la malbouffe et au manque d’exercice, mais à la pollution chimique, ainsi que me l’avaient expliqué plusieurs scientifiques que j’avais rencontrés lors du colloque sur les perturbateurs de la Nouvelle Orléans (chapitre 17 de mon livre) :

« Beaucoup d’autres maladies sont aujourd’hui considérées comme pouvant avoir une composante environnementale et seraient liées au mode de vie moderne à l’occidentale. Depuis le début des années 1980, les données relatives à la fréquence de l’obésité paraissent littéralement s’envoler. Usuellement inférieur à 10 % de la population sauf aux États-Unis, le phénomène paraît devoir toucher 20, 30 ou 40 % des habitants d’ici à 2030 au Brésil, en Australie, au Royaume-Uni et aux États-Unis. Cette évolution très rapide et générale exclut les explications génétiques et paraît induire une causalité environnementale.

Les perturbateurs endocriniens paraissent jouer un rôle tout particulier car leur effet a été démontré pour plusieurs substances : le Distilbène (DES-Diethystilbestrol) sur les rongeurs et constat chez les femmes traitées, le Tributylétain (TBT) sur les mousses et les mollusques, certains phtalates avec des effets différents chez l’homme et la souris par action sur le foie et les adipocytes. Le Bisphénol A semble lui aussi impliqué dans une possible propension à l’obésité. Dans une étude datant de 20091, des rates gestantes ont été exposées à 70 μg/kg/j de BPA du 6e jour après la fécondation jusqu’à la fin de la lactation. A la naissance le poids des petits était supérieur de 7,3 %. A la fin de l’allaitement, seules les femelles présentaient un surpoids de l’ordre de 12 %. Cet effet persiste à l’âge adulte et sur leur descendance. Ces tissus adipeux se révèlent aussi être de véritables pièges pour les polluants organiques persistants présents dans l’environnement. Ils favorisent leur concentration dans l’organisme et constituent une réserve de toxicité à long terme mais, en même temps, ils protègent les organes sensibles d’une exposition aigüe ».

Puis, Gilbert Barbier dresse un constat similaire au mien sur les effets dévastateurs des perturbateurs endocriniens sur le système de la reproduction notamment des sujets mâles : baisse de la quantité et de la qualité des spermes, malformations congénitales (cryptorchidie, hypospadias) , cancer des testicules, etc. (lire le chapitre 16 de mon livre).

Citant Rachel Carson, puis Theo Colborn – les deux grandes pionnières à qui j’ai consacré deux chapitres – , il souligne :

« Dans l’environnement, on dispose donc de preuves indiscutables que certaines substances agissent comme des perturbateurs endocriniens et ont de graves effets sur le système reproducteur ».

Il illustre son propos avec ce tableau fourni par Jean-Pierre Cravedi , chercheur à l’INRA :

De même, cette diapositive communiquée par Rémy Slama de l’INSERM enfonce le clou :

Une longue partie du rapport sénatorial est consacrée à la genèse  du concept de perturbateurs endocriniens, ainsi que je l’ai longuement fait dans mon livre . Il remonte ainsi à la découverte fortuite  faite par Ana Soto et Carlos Sonnenschein un jour de 1987 en citant mon ouvrage  :

« Les données scientifiques collectées ces quarante dernières années montrant l’effet délétère de certaines substances chimiques a conduit à la création d’un nouveau concept scientifique fondé sur la description d’un mécanisme d’action : les perturbateurs endocriniens.

Ces résultats ont d’ores et déjà conduit à l’interdiction de nombreuses substances d’usage agricole, alimentaire ou industriel ou de certains usages pour protéger des publics cibles.

Aujourd’hui l’interrogation des scientifiques et du public s’est élargie à de nouvelles substances en se fondant sur un nombre croissant de publications.

Les décideurs publics doivent apporter une réponse. Il convient de définir quelle action entreprendre pour gérer ce risque nouveau. »

Puis, le sénateur s’interroge sur la nécessité d’une « révolution toxicologique », en retraçant l’histoire de la Dose Journalière Acceptable( DJA) , une interrogation qui constitue le cœur de mon enquête (chapitres 12 et 13) :

« Dans le véritable puzzle que sont les effets sur la santé des perturbateurs endocriniens sur la santé, on voit donc d’un côté des preuves de nocivité grave de certains produits, d’un autre côté une série de substance ayant ou susceptibles d’avoir des effets par des mécanismes extrêmement variés.

Dès lors se pose la question de savoir si ces substances et ces mécanismes sont bien pris en compte par la toxicologie « classique » qui fonde les réglementations en vigueur pour la protection des professionnels et des consommateurs ou si, au contraire, ils viennent bouleverser le champ traditionnel des savoirs et obligent à une remise en cause approfondie. »

Tout naturellement, Gilbert Barbier évoque longuement les problèmes des faibles doses et de l’effet cocktail qui nécessitent un « changement de paradigme » dans la conception toxicologique et la réglementation des produits chimiques.

C’est d’autant plus urgent que l’eau du robinet est contaminée par nombre de perturbateurs endocriniens (comme l’atrazine, l’herbicide de Syngenta auquel j’ai consacré un chapitre, mais aussi le glyphosate qui est la matière active du roundup de Monsanto) présents à des doses qui sont traditionnellement considérées comme « inoffensives », alors que les études scientifiques prouvent au contraire qu’elles peuvent être très dangereuses notamment pour les organismes en développement :

Si la lecture du rapport m’a remplie d’aise, tant j’étais heureuse de constater que les élus de ce pays allaient enfin prendre la mesure de l’urgence dans laquelle nous sommes, en revanche, les solutions préconisées par le sénateur Barbier me laissent perplexes .

Lisez plutôt :

C’est ce que j’appelle une « demi mesure » ou, pour être plus triviale, une « mesure de poule mouillée…

Lors de mon audition, j’avais fait remarquer que l’étiquetage mettant en garde les femmes enceintes contre des produits hautement toxiques pour leurs bébés, était une « mauvaise mesure » car celle-ci instituait une discrimination dans la protection. En effet, nombreuses sont les femmes en France qui savent à peine lire, ou qui du moins ne prennent pas la peine de lire les étiquettes, car leur seule et unique préoccupation est de nourrir leurs familles au moindre coût. Avec l’étiquetage des produits contenant des perturbateurs endocriniens on s’oriente inéluctablement vers la mise en place de deux filières : celle de produits « safe », sans produits chimiques toxiques, destinée à ceux et celles qui en ont les moyens et qui sont informés, et une autre concernant des produits au rabais destinée aux classes défavorisées.

J’estime que le devoir des élus est de prendre des mesures qui protègent toute la population, et que maintenir sur le marché des substances qui ont tous les effets terribles décrits dans le rapport est tout simplement irresponsable. À moins que l’objectif de cette « manœuvre » soit de laisser le temps aux industriels de s’organiser pour trouver des substances de substitution, applicables à tous. Mais que les élus le sachent : attendre c’est aussi courir le risque de devoir rendre des comptes, en creusant davantage la méfiance qui prévaut actuellement entre les citoyens et leurs représentants.