Perturbateurs endocriniens: l’étau se resserre (2)

Je poursuis la transcription d’extraits de mon livre Notre poison quotidien et notamment du chapitre 16 que je consacre aux perturbateurs endocriniens. Dans mon commentaire précédent, je racontais ma rencontre avec Theo Colborn, une zoologue américaine, qui a découvert l’activité funeste des perturbateurs endocriniens. Elle est l’auteur d’un livre Our Stolen Future, publié en 1996 ( et traduit en français:L’homme en voie de disparition?) qui fit  l’effet d’une bombe car c’était la première fois qu’un(e) scientifique révélait les effets des hormones de synthèse utilisés massivement dans l’industrie pour des raisons diverses et variées – par exemple rigidifier (Bisphénol A) ou au contraire rendre mou le plastique (phtalates)- sur la faune et les humains.

Aux Etats Unis l’émotion fut telle que le Congrès vota une loi exigeant de l’Agence de Protection de l’Environnement (EPA) qu’elle mette sur pied un programme capable de tester rigoureusement les substances chimiques susceptibles d’être des perturbateurs endocriniens. Malheureusement, comme je le raconte dans mon livre, ce programme a été enterré avec l’arrivée de Georges Bush à la Maison Blanche. L’administration Obama vient de demander sa réactivation.

Théo Colborn dirge, aujourd’hui, un centre d’information sur les perturbateurs endocriniens où elle s’intéresse tout particulièrement aux effets de ces poisons chimiques sur les enfants exposés in utero. De nombreuses études ont , en effet, établi un lien entre l’exposition foetale à de faibles doses de perturbateurs endocriniens et les troubles du comportement de l’enfant (comme l’hyperactivité), la baisse des capacités cognitives (Quotient intellectuel réduit)  mais aussi l’autisme.Au moment où j’écris ces lignes, j’apprends dans Le Monde du 23 avril 2011 que l' »exposition prénatale aux pesticides fait baisser le QI » d’après trois études  publiées dans le journal Environmental Health Perspectives:

Deux études menées à New York et une étude menée dans une communauté agricole de Californie révèlent qu’un fœtus exposé aux pesticides pendant son développement peut avoir un quotient intellectuel sensiblement moins élevé.

L’étude menée en Californie par l’université Berkeley a établi qu’un enfant de 7 ans, qui a été 10 fois plus exposé aux pesticides organophosphorés (très utilisés dans l’agriculture), possède un QI inférieur de 5,5 points en comparaison avec des enfants du même âge non exposés. Pour obtenir ces résultats, l’université de Berkeley et le Centre médical Mount Sinaï de New York, ont analysé les résidus de pesticides dans l’urine maternelle, et l’université de Columbia, à New-York, a testé le niveau de chlorpyrifos dans les cordons ombilicaux. Le chlorpyrifos est un pesticide organophosphoré dont la toxicité pour le cerveau a été démontrée.
En France, l’étude Elfe lancée sur 20.000 enfants prendra en compte le contact des enfants avec les pesticides. Chaque année, 65.000 tonnes de pesticides sont rejetés dans notre environnement et 90% des Français en seraient imprégnés.

Source: Le monde.fr et Terra Femina

Dans  mon enquête, je me suis particulièrement attachée au chlorpyrifos , un insecticide fabriqué par Dow AgroSciences, largement utilisé dans le monde et suspecté d’être un perturbateur endocrinien.

Pour plus d’informations sur les perturbateurs endocriniens, j’invite les internautes anglophones à consulter le site de Théo Colborn:

http://www.endocrinedisruption.com/home.php

Parmi les perturbateurs endocriniens, il y a les fameux PCB de Monsnato… Voici la suite de ce que j’écris dans mon livre:

Les PCB sont partout

J’ai déjà présenté brièvement les polluants organiques persistants, les fameux « POP » (voir supra, chapitre 2) qui sont bannis par la convention de Stockholm de 2001. Parmi ceux que l’on surnomme la « sale douzaine », il y a le DDT, l’« herbicide miracle » de l’après-guerre, la dioxine, mais aussi les PCB, auxquels j’ai consacré un chapitre dans mon livre Le Monde selon Monsanto. J’y racontais comment la firme de Saint Louis avait caché pendant cinq décennies la haute toxicité de cette molécule chlorée qui présente une stabilité thermique et une résistance au feu remarquables, et fut utilisée comme liquide réfrigérant dans les transformateurs électriques et les appareils hydrauliques industriels, mais aussi comme lubrifiant dans des applications aussi variées que les plastiques, les peintures, l’encre ou le papier. « Les PCB sont partout », écrivais-je alors et c’est en lisant Our Stolen Future que j’ai véritablement compris comment ils avaient pu coloniser la planète et menacer la survie de nombreuses espèces animales, y compris l’espèce humaine.

Dans son livre, Theo Colborn imagine le voyage d’une molécule de polychlorobiphényle (PCB), fabriquée au printemps 1947 dans l’usine de Monsanto à Anniston. Baptisé « Arochlor 1254 », le PCB est chargé dans un train qui le transporte vers une usine de transformateurs électriques de General Electric à Pittsfield, dans le Massachusetts. Mélangé à une huile – pour former du « pyralor » (États-Unis) ou du « pyralène (France) –, il remplit un transformateur électrique, installé dans une raffinerie de pétrole au Texas. En juillet 1947, un violent orage fait griller l’installation électrique et le transformateur est abandonné dans une décharge publique, après qu’un ouvrier consciencieux eut déversé son contenu liquide sur le parking de la raffinerie où le PCB a imbibé les poussières rouges du sol[1]. Quatre mois plus tard, un vent puissant soulève les poussières du parking et le PCB entame un long périple qui le conduira… jusqu’à l’Arctique. En effet, exposée à la chaleur du soleil, la molécule se met à flotter comme une vapeur qui peut monter très haut et se déplacer au gré des vents sur de grandes distances. Dès qu’elle croise de l’air froid, elle retombe brutalement au petit bonheur la chance : sur l’herbe d’un champ, broutée par les vaches, où elle s’incrustera dans la graisse du lait, car elle est très lipophile ; elle peut aussi atterrir sur la surface d’un lac où elle s’accrochera à une algue, avant d’être happée par une mouche aquatique, dévorée ensuite par un crustacé, qui sera mangé par une truite, laquelle finira dans l’assiette d’un pêcheur du dimanche.

À noter qu’à la fin de sa courte vie de dix jours, la concentration de PCB dans la mouche aquatique est quatre cents fois plus élevée que celle de l’eau, car la molécule de Monsanto n’est pas biodégradable et a la faculté de s’accumuler dans les tissus adipeux (et en bout de course dans nos graisses à nous, les consommateurs). Si le pêcheur a raté sa prise, la truite blessée finit dans le bec d’une mouette (dont la concentration en PCB est 25 millions de fois supérieure à celle de l’eau du lac), qui s’envole vers le lac d’Ontario pour convoler. Elle y pond deux œufs. L’un éclot six semaines plus tard, mais l’oisillon est mort, car le PCB (comme le DDT ou la dioxine) a pénétré le jaune de l’œuf et tué l’embryon. L’autre œuf ne donne rien, mais il est repéré par une mouette qui le casse ; le jaune tombe dans le lac et est happé par une écrevisse, mangée par une anguille, qui remonte vers l’océan Atlantique, pour frayer, pondre et mourir. Sa carcasse se désintègre dans les eaux chaudes tropicales des Bahamas et, libéré, le PCB reprend son voyage aérien, poussé pour les vents, toujours plus vers le nord. L’incroyable cycle de la vie lui fera terminer sa course dans la graisse d’un ours polaire, dont la concentration en PCB est 3 milliards de fois supérieure à celle de son milieu environnant, car il est le « prédateur suprême et le plus grand carnivore de la région ».

Or, souligne Theo Colborn dans Our Stolen Future, « à l’instar des ours polaires, les hommes partagent les risques de se nourrir en haut de la chaîne alimentaire. Les produits chimiques synthétiques persistants qui ont envahi l’univers du grand ours ont également envahi le nôtre[i] ». Et de conclure : « C’est ainsi que, un demi-siècle plus tard, la molécule fabriquée un jour de printemps peut se retrouver absolument n’importe où : dans le sperme d’un homme infertile testé dans une clinique dans le nord de l’État de New York, dans le caviar le plus fin ou les tissus adipeux d’un nouveau-né du Michigan, dans les pingouins de l’Antarctique, le thon d’un sushi servi dans un bar de Tokyo ou les pluies de la mousson tombant sur Calcutta, dans le lait d’une mère allaitant son bébé en France ou dans la jolie perche à rayures pêchée lors d’un week-end estival[ii]. »

« Alors que je reconstituais les effets sur la faune des PCB et autres POP, je découvrais aussi les premières études réalisées sur des humains fortement exposés, m’a expliqué l’experte en santé environnementale. Elles montraient que les enfants inuits présentaient un taux de PCB sept fois supérieur à celui des enfants du Sud du Canada ou des États-Unis et que le lait maternel était hautement contaminé[iii]. Elles montraient aussi que ces enfants souffraient de déficiences immunitaires, comme les bélugas de la baie du Saint-Laurent, conduisant à des otites chroniques ou à une production affaiblie d’anticorps lors des vaccinations. Une autre étude réalisée auprès de mères ayant consommé des poissons du lac Michigan révélait que les enfants exposés in utero aux PCB souffraient de troubles neurologiques ou de déficiences motrices[iv]. Dix ans plus tard, les chercheurs ont constaté que ces mêmes enfants avaient des problèmes auditifs et visuels, ainsi qu’un quotient intellectuel inférieur de 6,2 points par rapport à la moyenne de leur âge[v].

« Aujourd’hui, tout cela a été largement confirmé, mais à l’époque c’était nouveau. Et pour comprendre ce qui se passait, j’ai réalisé d’immenses tableaux avec, d’un côté, les espèces animales ou humaine concernées et, de l’autre, les troubles observés. Finalement, après des semaines à tourner en rond dans mon bureau, j’ai compris le lien qu’avaient toutes ces histoires : c’était le système endocrinien des organismes vivants qui était affecté dès la vie intra-utérine, ce qui entraînait des malformations congénitales, des troubles de la reproduction, des désordres neurologiques et un affaiblissement du système immunitaire chez les descendants. Voilà comment j’ai proposé d’organiser une rencontre entre tous les chercheurs qui avaient été confrontés à ce genre de problèmes. Et ce fut un moment inoubliable[vi]. »

Juillet 1991 : la déclaration historique de Wingspread

Sans doute aucun, la « rencontre » restera marquée d’une croix dans l’histoire médicale, même si, aujourd’hui, nombre de sommités de la médecine officielle n’en ont jamais entendu parler ou du moins le prétendent. Mais pour les vingt et un pionniers qui se réunirent, du 26 au 28 juillet 1991, dans le centre de conférences de Wingspread (Wisconsin), ce fut une « expérience fondamentale », selon les mots d’Ana Soto, l’une des participantes. Pour organiser ce meeting inédit, Theo Colborn avait sollicité l’aide de John Peterson Myers – dit « Pete Myers » –, un jeune biologiste qui avait travaillé sur le déclin des populations d’oiseaux marins migrant de l’Arctique à l’Amérique du Sud et qui cosignera Our Stolen Future. Intitulé « Les altérations du développement sexuel induites par la chimie : la connexion faune/humains », le colloque a permis de confronter les travaux de scientifiques venus de quinze disciplines, dont l’anthropologie, l’écologie, l’endocrinologie, l’histopathologie, l’immunologie, la psychiatrie, la toxicologie, la zoologie et même le droit.

« Cette rencontre a constitué un tournant dans ma carrière, m’a raconté Louis Guillette, un zoologue de l’université de Floride que j’ai rencontré le 22 octobre 2009, lors d’un colloque à la Nouvelle-Orléans. En effet, je me débattais tout seul dans mon coin pour essayer de décrypter les troubles que je constatais sur les alligators de Floride et, tout d’un coup, tout s’est éclairé, grâce à ce formidable échange interdisciplinaire et à l’énorme travail de Theo. » Et le scientifique de me raconter son histoire : en 1988, le gouvernement de Floride lui demande de récolter des œufs d’alligators dans le but de créer des fermes d’élevage. Il ratisse une dizaine de lacs de l’État d’où il rapporte plus de 50 000 œufs. Il les met en couveuse et constate que seuls 20 % des œufs prélevés dans l’immense lac d’Apopka (12 500 hectares, situés non loin d’Orlando et de Disney World) ont éclos, contre 70 % pour les œufs issus des autres lacs. De plus, 50 % des bébés alligators sont morts dans les jours qui ont suivi leur naissance.

« Je me suis souvenu que, quelques années plus tôt, le lac avait été fortement contaminé par le déversement accidentel de dicofol, un insecticide proche du DDT, a précisé Louis Guillette. Curieusement, on ne trouvait plus de trace du pesticide dans les eaux du lac, mais tout indiquait qu’il était stocké dans les sédiments, la faune aquatique et la graisse des crocodiles. Quand j’ai commencé à étudier la population des alligators, je m’attendais à trouver des cancers, mais ce que j’ai observé n’avait rien à voir avec des tumeurs : les femelles présentaient des malformations des ovaires et des niveaux anormalement élevés d’œstrogène ; quant aux mâles, ils avaient souvent des micro-pénis et des taux de testostérone extrêmement bas. La seule hypothèse qui me paraissait plausible, bien qu’elle fût difficile à expliquer, c’est que ces malformations étaient dues à un dérèglement survenu pendant la formation de l’embryon, car les œufs étaient contaminés par des résidus de pesticides.

– Est-ce que vous aviez déjà vu des anormalités similaires ?

– Jamais !, m’a répondu sans hésiter le spécialiste des sauriens. À l’époque, la littérature scientifique était complètement muette sur ce genre de malformations, qui n’avaient jamais été rapportées chez les alligators ni chez aucune autre espèce sauvage. En revanche, j’avais lu des études sur des animaux expérimentaux exposés in utero au distilbène, le médicament prescrit aux femmes enceintes pendant les années 1950 et 1960 [voir infra, chapitre 17]. Elles faisaient état de malformations des ovaires ou du pénis. Mais cela ne faisait que renforcer mon trouble, car je me disais : ces alligators n’ont pas reçu de médicaments, ni été exposés volontairement à une forte dose d’une molécule de synthèse, alors comment se fait-il que les faibles doses de pesticide présentes dans leurs organismes provoquent de tels effets ?

– Quelles étaient les doses de pesticides que vous avez mesurées ?

– Elles étaient de l’ordre de 1 ppm, c’est-à-dire des doses que l’on considère généralement comme biologiquement inactives et que l’on trouve tous les jours dans notre environnement ou nos aliments…

– En quoi cette expérience avec les alligators peut-elle être utile aux humains ?

– Il faut bien comprendre que la faune constitue une sentinelle pour la santé humaine, m’a répondu Louis Guillette. Les animaux sauvages nous alertent sur les dangers environnementaux qui nous menacent et spécialement nos enfants. Tous les mammifères, qu’ils soient humains ou sauriens, partagent les mêmes hormones, la même structure des ovaires ou des testicules. D’ailleurs, ce que j’ai constaté dans les années 1980 et 1990 sur les crocodiles se voit aujourd’hui chez de nombreux enfants un peu partout dans le monde.

– Notamment chez les fils de paysans ?

– Exact. Il y a des études qui montrent que les fils d’agriculteurs qui utilisent des pesticides ont un taux plus élevé de micro-pénis ou d’anomalies des testicules.

– Est-ce qu’aujourd’hui le lac Apopka a été nettoyé ?

– Il est en cours de restauration. Les autorités essaient d’extraire les pesticides, qui sont nombreux, mais malheureusement ce n’est pas facile, car certains d’entre eux, comme le dicofol ou le DDT, se sont fixés dans la chaîne alimentaire du lac. Ils sont enfermés dans les graisses des organismes vivants et nous n’en viendrons à bout que dans plusieurs générations.

– Et est-ce que les alligators sont guéris ?

– Non ! Les femelles sont comme nous, elles se reproduisent sur plusieurs décennies et nous continuons d’observer les mêmes dysfonctionnements qu’il y a vingt ans.

– En quoi la conférence de Wingspread vous a-t-elle éclairé ?

– Grâce à l’échange avec mes collègues, qui avaient fait des constats similaires sur d’autres espèces sauvages, j’ai compris que certains produits chimiques se comportaient comme des hormones et ce fut une vraie révélation », conclut Louis Guillette[vii].

Au terme de la conférence, les participants ont signé un manifeste, baptisé « Déclaration de Wingspread », où, dès 1991, ils attiraient l’attention sur les méfaits causés par des molécules, qui, vingt ans plus tard, continuent d’être ignorés par les pouvoirs publics : « De nombreux composés chimiques introduits dans l’environnement par l’activité humaine sont capables de perturber le système endocrinien des animaux, y compris des poissons, de la faune et des humains. Les conséquences de cette perturbation peuvent être profondes en raison du rôle crucial joué par les hormones dans le contrôle du développement, écrivaient-ils. De nombreuses espèces sauvages sont déjà affectées par ces substances. […] Les types d’effets varient selon les espèces et les produits chimiques, mais quatre points communs peuvent être cependant soulignés : 1) les molécules peuvent avoir des effets totalement différents sur l’embryon, le fœtus ou l’organisme périnatal et sur les adultes ; 2) les effets s’expriment plus souvent chez les descendants que sur les parents exposés ; 3) le moment de l’exposition de l’organisme en développement est crucial pour déterminer son caractère et son potentiel futur ; 4) bien que l’exposition critique ait lieu pendant le développement embryonnaire, il est possible que ses signes manifestes ne s’expriment pas avant l’âge adulte. »

Enfin, les auteurs tiraient la sonnette d’alarme : « Si l’on n’élimine pas les perturbateurs synthétiques hormonaux de l’environnement, on peut s’attendre à des dysfonctionnements de grande envergure à l’échelle de la population générale. L’étendue du risque potentiel pour la faune et les humains est grande, en raison de la probabilité d’une exposition répétée et constante à de nombreux produits chimiques synthétiques connus pour être des perturbateurs endocriniens. »


[1] Combien de transformateurs ont-ils ainsi été vidés dans des décharges publiques ou dans des lieux à ciel ouvert, partout dans le monde ? Rappelons qu’en France, 545 610 appareils (dont 450 000 appartenant à EDF) contenant plus de cinq litres de PCB étaient inventoriés à la date du 30 juin 2002, cinq ans après l’interdiction de ces produits, représentant 33 462 tonnes de PCB à éliminer.


[i] Ibid., p. 106.[ii] Ibid., p. 91.

[iii] Eric Dewailly et alii, « High levels of PCBs in breast milk of Inuit women from arctic Quebec », Bulletin of Environmental Contamination and Toxicology, vol. 43, n° 5, novembre 1989, p. 641-646.

[iv] Joseph Jacobson et alii, « Prenatal exposure to an environmental toxin : a test of the multiple effects model », Developmental Psychology, vol. 20, n° 4, juillet 1984, p. 523-532.

[v] Joseph Jacobson et Sandra Jacobson, « Intellectual impairment in children exposed to polychlorinated biphenyls in utero », New England Journal of Medicine, vol. 335, 12 septembre 1996, p. 783-789.

[vi] Entretien de l’auteur avec Theo Colborn, Paonia, 10 décembre 2009.

[vii] Parmi les nombreuses études publiées par Louis Guillette, je recommande celle-ci : Louis Guillette et alii, « Developmental abnormalities of the gonad and abnormal sex hormone concentrations in juvenile alligators from contaminated and control lakes in Florida », Environmental Health Perspectives, vol. 102, n° 8, août 1994, p. 680-688.

La suite bientôt!

Photo (Marc Duployer): ma rencontre avec Louis Guillette, lors du colloque sur les perturbateurs endocriniens qui s’est tenu en octobre 2009 à La Nouvelle Orléans.

Perturbateurs endocriniens : L’étau se resserre (1)

L’INSERM a rendu public, le 14 avril dernier, un rapport  intitulé « Reproduction en environnement » qui analyse la littérature scientifique  concernant les « perturbateurs endocriniens ». Je rappelle que ces molécules chimiques, qui sont des hormones de synthèse, sont au cœur de mon enquête « Notre poison quotidien ». J’y consacre quatre chapitres dans mon livre et une longue partie dans mon documentaire et parviens aux mêmes conclusions que cette expertise collective de l’INSERM.

http://www.inserm.fr/espace-journalistes/reproduction-et-environnement-une-expertise-collective-de-l-inserm

Voici ce qu’écrivent les experts dans leur introduction :

« Au cours des dernières décennies, de nombreuses études indiquent une augmentation de la prévalence des troubles de la reproduction de l’homme adulte dans plusieurs pays occidentaux. L’incidence du cancer du testicule a augmenté régulièrement depuis une cinquantaine d’années ; deux types de malformations relativement fréquentes chez le petit garçon, l’hypospadias et la cryptorchidie, semblent également en augmentation même si d’importantes variations géographiques sont observées ; une détérioration des caractéristiques spermatiques chez l’homme adulte (concentration, mobilité des spermatozoïdes) est constatée avec, là encore, des différences régionales. Par ailleurs, le cancer de la prostate et le cancer du sein, deux cancers hormono-dépendants sont en augmentation . L’impact de l’environnement sur ces évolutions temporelles suscite de nombreux débats de société. L’exposition aux substances chimiques et en particulier aux « perturbateurs endocriniens » est actuellement au coeur de ces débats. Pour répondre à cette demande, l’Inserm a réuni un groupe pluridisciplinaire d’experts composé d’épidémiologistes, de toxicologues, de chimistes, d’endocrinologues, de biologistes spécialistes de la reproduction, du développement et de la génétique moléculaire, afin de mener une analyse critique de la littérature scientifique internationale publiée sur 5 grandes familles de substances chimiques : le Bisphénol (1), les phtalates, les composés polybromés (retardateurs de flamme), les composés perfluorés et les parabènes. A partir de quelque 1200 articles, le groupe a rédigé un rapport dont la synthèse est consultable sur le site de l’Inserm, ainsi qu’un tableau récapitulatif des principales conclusions.».

Concernant le Bisphénol A, auquel je me suis particulièrement intéressée dans mon film et livre, et pour lequel le professeur Narbonne a un peu vite conclu qu’il n’y avait pas de problème (lire sur ce Blog), les experts de l’INSERM confirment ce que j’écris à propos de l’imprégnation générale de la population :

Les mesures de bisphénol A effectuées dans le sang, l’urine, le lait maternel et d’autres tissus indiquent que plus de 90 % des personnes vivant dans les pays occidentaux sont exposées à des niveaux détectables de bisphénol A. Des taux supérieurs à la limite de détection de 0,5 µg/l ont été retrouvés dans le placenta, le liquide amniotique et le fœtus chez les rongeurs et dans l’espèce humaine. Le bisphénol A est donc capable de passer la barrière placentaire et d’atteindre le fœtus.

De plus, le rapport de l’INSERM dresse un constat similaire au mien (il faut dire que nous avons consulté les mêmes études !) sur les « Organes et tissus cibles » du Bisphénol A qui je le rappelle est utilisé comme plastifiant dans les récipients en polycarbonate (comme les biberons ou les bonbonnes ‘eau) ou dans les résines en époxy que l’on trouve dans les canettes de boissons, les boîtes de conserve ou les ciments dentaires.

L’exposition au bisphénol A pendant la phase de constitution des organes au cours de la gestation semble particulièrement critique.

Pour l’appareil reproducteur femelle, l’exposition au BPA pendant la phase de constitution du tissu mammaire in utero peut modifier le développement de cet organe (à des doses de 0,25 µg/kg/j), augmenter sa sensibilité aux œstrogènes durant la puberté et conduire à l’apparition de lésions précancéreuses (à des doses de 25 ou 250 µg/kg/j).

De même, la période fœtale ou néonatale semble constituer une période critique au cours de laquelle une exposition au bisphénol A pourrait altérer le développement de la prostate et favoriser l’apparition de lésions précancéreuses (avec des doses de 10 à 20 µg/kg/j).

La survenue de cancers hormonodépendants (sein ou prostate), de type carcinome semble être favorisée par une altération, due au BPA, dans le développement de l’organe.

Le risque tumoral serait ensuite accru par une exposition à l’âge adulte aux hormones ou à des cancérogènes environnementaux.

Un lien entre une exposition au bisphénol A in utero et des lésions de l’endomètre (de type endométriose) est suspecté.

 

 

Pour mon enquête, j’ai eu le privilège de pouvoir interviewer celle qui découvrit l’existence des perturbateurs endocriniens : Theo Colborn, à qui j’ai consacré un long développement dans mon livre Notre poison quotidien.

Voici un extrait du chapitre 16 « Mâles en péril : l’espèce humaine en danger ? »

Rencontrer Theo Colborn se mérite. D’abord, parce qu’à quatre-vingt-trois ans, celle que l’on a souvent comparée à Rachel Carson (supra chapitre 3) en raison de l’impact de son œuvre a dû limiter son activité en filtrant soigneusement les multiples demandes d’interviews ou de conférences. Et puis, parce qu’elle habite au fin fond de l’État du Colorado, à une centaine de kilomètres du petit aéroport de Grand Junction. Quand j’ai atterri le 10 décembre 2009, plus d’un mètre de neige recouvrait la mythique Grand Valley étincelante sous le soleil éblouissant. La température était de – 25° C, un changement brutal après les + 23° de Houston où j’étais la veille. Dans la voiture qui me conduisait à Paonia, la ville où Theo Colborn est venue s’installer avec sa famille en 1962, je relisais mes notes sur son parcours hors du commun : pharmacienne de formation, elle décide d’élever ses quatre enfants dans un ranch du Colorado ; puis s’engage dans un mouvement local pour la défense de la qualité de l’eau de la vallée, menacée par la pollution minière et agricole ; alors qu’elle est déjà grand-mère, elle décroche une maîtrise de gestion de l’eau, puis se lance dans un doctorat de zoologie à l’université du Wisconsin qu’elle obtient en 1985, à cinquante-huit ans révolus ! « J’avais besoin de ces diplômes pour mieux faire entendre ma voix », a-t-elle déclaré dans une interview.

Au milieu de mes notes, il y avait aussi le dernier courriel qu’elle m’avait adressé où elle faisait référence au « prix Rachel Carson qui nous unit ». En effet, en juin 2009, j’avais eu l’incroyable honneur de recevoir le dixième « prix Rachel Carson », remis par un jury de Stavanger (Norvège) à une « femme internationale qui contribue à la protection de l’environnement ». Theo Colborn avait obtenu le cinquième prix, dix ans plus tôt. Alors bien sûr, dès que j’eus franchi la porte de sa maison, l’« experte en santé environnementale », ainsi que le stipule sa carte de visite, commença par évoquer longuement l’auteure de The Silent Spring (voir supra, chapitre 3). « Son livre m’a accompagnée tout au long de ma carrière, m’a-t-elle expliqué. D’abord, parce qu’il m’a ouvert les yeux sur les dangers des pesticides, mais aussi parce qu’il dessinait une vision globale, en recréant du lien entre les différents organismes vivants et en se projetant dans le futur. Pour moi, la partie la plus étonnante est le questionnement sur les conséquences funestes qu’un tel déluge de produits chimiques pourrait avoir sur les générations exposées dès la vie fœtale et sur la reproduction, ce qui était complètement visionnaire. »

De fait, dans son chapitre « Through a narrow window » (« à travers une fenêtre étroite »), Rachel Carson cite des « rapports médicaux » qui font état « d’oligospermie, c’est-à-dire la production réduite de spermatozoïdes chez les applicateurs de DDT par avion », ou d’« atrophie des testicules observée chez des mammifères de laboratoire », ou encore de la métamorphose d’insectes exposés au DDT sur plusieurs générations en d’« étranges créatures appelées gynandromorphes qui présentent une partie mâle et une partie femelle[i] ». Dans la seule et unique interview télévisée qu’elle a donnée peu avant sa mort, elle s’inquiétait déjà des effets transgénérationnels que pourraient avoir les produits chimiques. « Nous ne devons pas oublier que les enfants qui naissent aujourd’hui sont exposés à ces substances depuis la naissance, et même peut-être avant la naissance, soulignait-elle. Quelle conséquence cette exposition peut-elle avoir dans leur vie d’adulte ? Nous n’en savons absolument rien, car nous n’avons jamais connu ce genre d’expérience auparavant[ii]. »

« Rachel Carson pensait surtout au cancer, m’a commenté Theo Colborn, une maladie dont elle est elle-même décédée et qui représentait la grande préoccupation de l’époque. Il m’a fallu moi-même beaucoup de temps pour que je sorte de cette conception toxicologique issue de l’après-guerre où l’on mesure la toxicité d’un produit chimique au nombre de morts qu’il provoque à court ou moyen terme. Si j’ai pu la dépasser, c’est aussi parce que j’ai suivi l’enseignement de Rachel Carson qui disait que “notre destin est lié à celui des animaux”.

– Comment votre vision a-t-elle changé ?

– Ce fut un long processus, m’a répondu la zoologue. En 1987, j’ai été recrutée par une commission mixte du Canada et des États-Unis pour dresser un bilan de l’état écologique des Grands Lacs. J’ai contacté tous les biologistes qui travaillaient sur la région. Je n’oublierai jamais mes rencontres avec ces scientifiques qui, chacun de leur côté, observaient des phénomènes similaires, à savoir une réduction draconienne des populations de certaines espèces animales, des dysfonctionnements du système de la reproduction tels que les adultes avaient du mal à faire des petits et, quand ils y parvenaient, les petits naissaient avec des malformations congénitales et ne survivaient pas ; ils observaient aussi des troubles du comportement inhabituels, avec des femelles qui se mettaient en couple, des mâles qui ne défendaient plus leur territoire… »

Dans le best-seller qu’elle a publié en 1996, Our Stolen Future[iii], Theo Colborn raconte les travaux de ses collègues qui, petit à petit, lui ont permis de « reconstituer le puzzle du mécanisme à l’œuvre ». Parmi eux, il y a Pierre Béland, un océanographe qui dès 1982 tient un « livre de la mort » où il consigne les multiples cadavres de bélugas qu’il a trouvés dans le golfe du Saint-Laurent. Les autopsies révèlent des cancers mammaires, de la vessie, de l’estomac, de l’œsophage ou des intestins, des ulcères de la bouche, des pneumonies, des infections virales, des kystes sur la tyroïde, mais aussi des malformations de l’appareil génital, jusque-là inconnues. Ainsi, « Booly », un béluga mâle présente deux testicules, un vagin et deux ovaires, un « phénomène d’hermaphrodisme très rare dans la faune, qui n’avait jamais été rapporté chez un cétacé[iv] ». Tous les cadavres sont chargés de résidus de pesticides, dont le DDT, mais aussi de PCB et de métaux lourds. Dans le même temps, Pierre Béland constate que la population locale des dauphins, qui était estimée à 5 000 au début du xxe siècle, est tombée à 2 000 au début des années 1960 et à 500 en 1990.

Theo Colborn a aussi rencontré Glen Fox, un ornithologue qui a observé un étrange phénomène dans les colonies de goélands argentés des lacs Ontario et Michigan : à partir des années 1970, les nids comptent deux fois plus d’œufs que ce que l’on trouve normalement, car ils sont occupés par deux femelles plutôt que par un couple mâle-femelle. « Fox les surnommait les “goélands homosexuels”, m’a raconté Theo, car il a découvert un problème d’identité sexuelle chez les mâles et femelles dû à leur contamination par le DDT, qui comme les PCB, agit comme une hormone œstrogénique. » Au même moment, les biologistes Richard Aulerich et Robert Ringer constatent la quasi-extinction des visons qui se nourrissent essentiellement de poissons, lesquels sont bourrés de PCB.

« Devant la gravité des dégâts constatés, j’ai élargi ma recherche au-delà des Grands Lacs, m’a expliqué Theo Colborn. J’ai découvert les travaux de Charles Facemire, qui avait constaté une féminisation des panthères mâles dans les parcs du sud de la Floride, avec de nombreux cas de cryptorchidie (c’est-à-dire des testicules non descendus), une baisse de la concentration des spermatozoïdes ou un taux anormalement élevé d’œstradiol, une hormone féminine au détriment de la testostérone, l’hormone mâle. Les autopsies révélaient de fortes concentrations de DDE, un métabolite du DDT, et de PCB, accumulées dans les graisses des félins qui constituaient une espèce protégée. Au même moment, Charles Broley faisait des constats similaires dans la population des pygargues à tête blanche, l’oiseau emblème des États-Unis, qui avaient pratiquement disparu des côtes de Floride. Au final, j’ai consulté plus de mille études réalisées en Amérique du Nord, mais aussi en Europe, et j’ai compris qu’il n’y avait aucun endroit dans le monde qui ne soit à l’abri de cette pollution insidieuse perpétrée par des milliers de molécules chimiques, avec en tête ce que l’on appelle aujourd’hui les polluants organiques persistants. »

Suite dans mon prochain commentaire !

Photos (Marc Duployer) : ma rencontre avec Theo Colborn dans sa maison de Paonia dans le Colorado, le 10 décembre 2009.



[i] Rachel Carson, Silent Spring, op. cit., p. 207.

[ii] « Rachel Carson talks about effects of pesticides on children and future generations », BBC Motion Gallery, 1er janvier 1963.

[iii] Theo Colborn, Dianne Dumanoski et John Peterson Myers, Our Stolen Future. Are we Threatening our Fertility, Intelligence and Survival ? A Scientific Detective Story, Plume, New York, 1996 (traduction française : L’Homme en voie de disparition ?, Terre vivante, Mens, 1998).

[iv] Ibid., p. 145.

Atrazine: le poison de Syngenta. Interview inédite du professeur Tyrone Hayes

Dans Usine NouvelleGérard Thomas qui travaille pour Syngenta déclare: « Notre poison quotidien contient beaucoup d’éléments fallacieux. Il n’est pas honnête du point de vue de l’investigation scientifique » …

C’est un comble quand on connaît les multiples manoeuvres utilisées par la firme suisse pour maintenir sur le marché cet herbicide hautement toxique, cancérigène et perturbateur endocrinien, qui a empoisonné les champs européens pendant plus de trois décennies. Il est, par ailleurs, fort dommage que Gérard Thomas n’explique pas davantage quels sont les « éléments fallacieux » de mon documentaire (j’imagine qu’il n’a pas lu mon livre…), mais il est vrai que c’est une habitude des représentants de l’industrie: ils disent des généralités très vagues sur mon enquête, dénonçant , qui, les « contre-vérités », qui, les « imprécisions » ou « éléments fallacieux », sans ne donner aucun exemple ni argument étayé!

Je publie ici un extrait d’un excellent papier que les internautes peuvent trouver à cette adresse:

http://www.eauxglacees.com/Pesticides-partout-sante-nulle

L’Inserm souligne l’impact de l’atrazine sur le développement du fœtus

C’était l’herbicide le plus utilisé, aux Etats-unis comme en Europe, pour maîtriser les mauvaises herbes dans les champs de maïs. Il a été interdit en Europe, et en France, depuis 2003.

Mais des traces d’atrazine et d’un de ses métabolites (atrazine mercapturate) étaient pourtant présentes dans les urines de 5,5% de 579 femmes enceintes ayant participé à l’étude Pélagie, pilotée par de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), publiée le 2 mars 2011 dans la revue Environmental Health Perspectives

Cette étude a été réalisée entre 2002 et 2006 auprès de plus 3400 femmes enceintes en début de grossesse en Bretagne.

Elle visait à étudier l’impact de l’atrazine ou d’un de ses métabolites (atrazine mercapturate, desethylatrazine, hydroxyatrazine, ou hydroxydesethylatrazine) sur le déroulement de la croissance intra-utérine.

Résultats : des traces de métabolites de desethylatrazine et d’hydroxyatrazine auraient également été respectivement retrouvés dans 20% et 40% des échantillons.

L’étude épidémiologique a permis d’établir qu’une présence marquée d’atrazine dans les urines était accompagnée d’une diminution du poids de naissance et de périmètre crânien.

Une quantité élevée de pesticides dans l’air peut également avoir un impact sur la croissance intra-utérine.

Selon l’enquête, les femmes ayant des traces d’atrazine ou d’un de ses métabolites dans les urines ’’avaient 50% de risque supplémentaire d’avoir un enfant ayant un faible poids à la naissance et 70% de risque supplémentaire d’avoir un enfant ayant une faible circonférence crânienne à la naissance’’, s’inquiète l’association Générations Futures (ex MDRGF) suite à la publication de l’étude.

D’autant que malgré son interdiction, l’atrazine « reste le pesticide le plus présent dans les eaux en France’’, souligne l’ONG.

Si les concentrations restent assez faibles, elles ont malgré tout un impact sur le développement intra-utérin. Il n’existe toutefois « pas d’association évidente entre la présence d’atrazine et le développement d’anomalies congénitales majeures », précisent les chercheurs de l’Inserm.

Pour François Veillerette, porte-parole de Générations Futures, ’’cette étude nous montre clairement que des doses très faibles d’un herbicide perturbateur endocrinien peuvent avoir des effets dommageables sur le développement du fœtus et donc sur le futur état de santé de l’enfant’’.

L’ONG demande ’’que tous les pesticides pour lesquels un effet perturbateur endocrinien aura été caractérisé soient retirés du marché’’.

L’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) a également lancé en octobre 2009 une étude pour déterminer les effets sur la santé de l’atrazine (cancer, malformation des bébés naissants, insuffisance de poids des nouveau-nés et des prématurés).

Par ailleurs, je mets en ligne un extrait du chapitre que je consacre à l’atrazine dans mon livre Notre poison quotidien.

EXTRAIT du chapitre 19

Il est arrivé au colloque de la Nouvelle-Orléans avec une chemise colorée et ses dreadlocks, tirés en queue de cheval. « Je vais vous parler de l’impact des perturbateurs endocriniens sur la vie réelle et, bien sûr, de l’atrazine et des grenouilles », a-t-il dit avec sa bonne humeur légendaire qui a fait sourire toute l’assistance. La cinquantaine bien enveloppée, Tyrone Hayes est l’un des biologistes les plus célèbres de l’université de Berkeley (Californie), mais aussi la bête noire de Syngenta, le géant suisse de la chimie, de l’agroalimentaire et des pesticides[1]. Avec un chiffre d’affaires annuel de 11 milliards de dollars (en 2009) et une implantation dans quatre-vingt-dix pays, la firme produit notamment l’insecticide Cruiser, suspecté d’être coresponsable de la surmortalité des abeilles[2] (voir supra, chapitre 6), mais aussi l’atrazine, l’herbicide qui a débarqué sur la ferme de mes parents au moment où je naissais (voir supra, chapitre 1).

L’atrazine, un « castrateur chimique puissant »

Lors du colloque de la Nouvelle-Orléans, Tyrone Hayes a évoqué l’une des dernières études qu’il a publiée montrant que ce poison agricole induisait des mécanismes caractéristiques des cancers du sein et de la prostate dans des cellules humaines exposées à des doses similaires à celles que l’on trouve dans l’environnement[i]. « Vous avez tous appris la bonne nouvelle, s’est-il réjoui : l’Agence de protection de l’environnement a annoncé qu’elle allait réexaminer le dossier scientifique de l’atrazine ! Espérons qu’elle finira par le bannir comme l’a fait l’Europe il y a déjà cinq ans ! » En effet, si l’herbicide a été interdit par l’Union européenne en 2004[ii], il continue d’être utilisé massivement aux États-Unis, où quelque 40 000 tonnes sont épandues chaque année sur de nombreuses cultures, comme le maïs, le sorgho, la canne à sucre et le blé[iii]. Chanté comme le « DDT des mauvaises herbes[iv] », lors de sa mise sur le marché en 1958, il représente aujourd’hui le principal contaminant des eaux de surface et souterraines américaines, un privilège qui, malgré l’interdiction, continue de caractériser la plupart des pays européens, avec en tête la France[v].

Deux semaines avant le colloque de la Nouvelle-Orléans, Lisa Jackson, la directrice de l’EPA, nommée par le président Barack Obama en janvier 2009, avait effectivement annoncé que l’agence allait « conduire une nouvelle évaluation sur les liens possibles entre l’atrazine et le cancer, ainsi que d’autres problèmes de santé, comme les naissances prématurées[vi] ». « C’est un changement capital, avait commenté Linda Birnbaum, la directrice du NIEHS (voir supra, chapitre 18). Il y a de plus en plus de preuves que l’atrazine représente un danger pour la santé humaine. C’est un signal fort que le monde est en train de changer pour l’un des herbicides le plus largement utilisé. »

S’il y a un scientifique qui s’est battu pour que l’atrazine soit interdite aux États-Unis, c’est bien Tyrone Hayes, même si, comme il me l’a expliqué lorsqu’il m’a reçue dans son laboratoire de Berkeley, le 12 décembre 2009, « ce combat ne fut pas une décision personnelle, mais fut imposé par les événements ». En 1998, en effet, il fut contacté par Novartis (devenue Syngenta deux ans plus tard, après sa fusion avec AstraZeneca), qui lui proposa un contrat « grassement payé » pour « vérifier si l’atrazine est un perturbateur endocrinien », ainsi que l’avait suggéré Theo Colborn dans Our Stolen future (voir supra, chapitre 16). Pour l’industriel, l’affaire était grave, car sept ans plus tôt, un rapport du US Geological Survey avait révélé que dans les fleuves du Missouri, Mississipi et de l’Ohio ainsi que dans leurs affluents, « l’atrazine dépassait le taux de résidus autorisé dans l’eau dans 27 % des points de mesure[vii][3] ». De plus, dès les années 1980, deux études conduites sur des souris[viii] et des rats[ix] avaient montré que l’exposition à l’herbicide provoquait des cancers mammaires, utérins, des lymphomes et des leucémies. Les résultats avaient été jugés suffisamment convaincants pour que le CIRC ait décidé de classer l’atrazine comme un « cancérogène possible pour les humains » (groupe 2B) en 1991[x]. En conséquence, s’appuyant sur le Safe Drinking Water Act, l’EPA avait baissé la norme de l’atrazine à un maximum de 3 μg/l d’eau, ou 3 ppb (parties par milliard). En 1994, trois études établissaient un lien entre l’exposition à l’atrazine de rongeurs et les tumeurs mammaires[xi]. Et en 1997, un an après la sortie de Our Stolen Future, une étude épidémiologique conduite dans plusieurs comtés ruraux du Kentucky concluait à un excès significatif de cancers du sein chez les femmes les plus exposées (en corrélation avec le niveau de contamination de l’eau et la proximité du domicile avec les cultures de maïs)[xii].

Commença alors pour Novartis (future Syngenta) l’ère des grandes manœuvres. La première fut d’une redoutable efficacité, car elle conduisit, en 1999, au déclassement de l’atrazine par le CIRC du groupe 2B (cancérogène possible pour les humains) au groupe 3 (inclassable). Pour justifier cette incroyable décision, les « experts » de l’agence onusienne eurent recours à l’argutie que j’ai décrite dans le chapitre 10 : « Le mécanisme par lequel l’atrazine induit des cancers mammaires chez les rats n’est pas transposable à l’homme[xiii]. »

Pour la deuxième manœuvre, la pièce centrale était… Tyrone Hayes, un brillant biologiste (le plus jeune professeur promu à Berkeley) et un passionné des… batraciens, au point qu’il a appelé sa fille Kassina, du nom d’une grenouille africaine. « Les grenouilles sont toute ma vie, m’a-t-il expliqué dans son laboratoire où il a entreposé des milliers de bocaux remplis d’amphibiens. J’ai grandi à la campagne, en Caroline du Sud, et j’ai toujours été fasciné par leur capacité de métamorphose, de l’œuf vers le têtard puis la grenouille adulte.

– En quoi les grenouilles constituent-elles un modèle intéressant pour étudier les effets des perturbateurs endocriniens ?, lui ai-je demandé.

– C’est un modèle parfait !, m’a répondu le biologiste. D’abord, parce qu’elles sont très sensibles à l’action des hormones qui permettent d’activer les gènes nécessaires à leurs multiples métamorphoses ; et puis, parce qu’elles possèdent exactement les mêmes hormones que les humains, comme la testostérone, l’œstrogène ou l’hormone thyroïdienne.

– Comment avez-vous procédé pour votre étude ?

– Il faut préciser que tout le processus a été étroitement surveillé par Novartis, puis Syngenta. Dans un premier temps, nous avons élevé des grenouilles de la famille des Xenopus laevis dans des réservoirs d’eau où nous avons ajouté différentes doses d’atrazine, proches de ce que l’on trouve dans les bas-côtés des champs et jusqu’à trente fois inférieures à la norme en vigueur aux États-Unis (3 ppb) – c’est-à-dire des niveaux qu’un être humain peut trouver dans l’eau du robinet. Pour donner une image, c’est l’équivalent d’un grain de sel dans un réservoir d’eau. Nous avons constaté que l’atrazine diminue le larynx, qui est la boîte vocale des mâles ; or, pour séduire les femelles, les mâles chantent, ce qui fait qu’ils sont sexuellement handicapés. Nous avons constaté aussi chez les mâles adultes des niveaux très bas de testostérone ; certains d’entre eux étaient hermaphrodites, c’est-à-dire qu’ils avaient à la fois des ovaires et des testicules. Dans certains cas, les mâles devenaient homosexuels, en s’accouplant avec d’autres mâles et en ayant un comportement féminisé ; parfois, ils avaient des œufs dans leurs testicules, au lieu de sperme. En fait, l’atrazine agit comme un castrateur chimique très puissant, qui est biologiquement actif à 1 ppb, et même à 0,1 ppb.

– Savez-vous si les grenouilles sauvages présentent les mêmes troubles ?

– Ce fut précisément la deuxième étape de notre étude : nous sommes partis avec un camion frigorifique dans l’Utah et l’Iowa où nous avons ramassé huit cents jeunes grenouilles léopard (Rana pipiens) dans les fossés bordant les champs, près des terrains de golf ou au bord des rivières. Nous les avons disséquées et avons constaté exactement les mêmes dysfonctionnements que chez les grenouilles de laboratoire. C’était très impressionnant et c’est là que j’ai compris que le déclin des populations de grenouilles en Amérique du Nord et en Europe était dû à la contamination par les pesticides qui affectent leur système de reproduction.

– Comment expliquez-vous ce phénomène ?

– L’atrazine stimule une enzyme appelée “aromatase”, qui transforme l’hormone masculine, la testostérone, en hormone femelle, l’œstrogène. C’est ainsi que l’œstrogène produite par l’aromatase entraîne le développement d’organes féminins, comme les ovaires ou les ovules dans les testicules. Or, le niveau d’aromatase est aussi lié au développement des cancers du sein ou de la prostate. Une étude épidémiologique conduite dans une usine d’atrazine de Syngenta en Louisiane, publiée en 2002, a d’ailleurs montré un excès significatif de cancer de la prostate chez les ouvriers[xiv].

– Comment a réagi Syngenta ?

– Ah !, a soupiré Tyrone Hayes, j’étais très naïf à l’époque ! La firme m’a d’abord demandé de répéter l’étude, pour vérifier que j’obtenais bien les mêmes résultats. Elle m’a proposé 2 millions de dollars pour cela et, au début, j’ai accepté… Puis, j’ai compris que leur stratégie, c’était de faire traîner les choses, pour gagner du temps et m’empêcher de publier. J’ai finalement rompu mon contrat et j’ai publié mes résultats en 2002[xv][4]. À partir de là, ce fut la guerre ! Et je dois dire que je n’avais jamais imaginé qu’elle puisse être d’une telle violence : Syngenta a écrit au doyen de l’université de Berkeley, s’est répandu dans la presse pour me discréditer[xvi], a mis un lien sur son site Web vers <junkscience.com>, le site de Steven Milloy, et je me suis retrouvé sur la liste des junk scientists (voir supra, chapitre 8). Aujourd’hui, cela me fait rire, car je sais que le fait d’avoir l’honneur de figurer sur cette liste est la preuve que j’ai fait du bon travail ! Puis, la firme a payé des scientifiques pour conduire de nouvelles études qui, bien sûr, n’ont pas pu répéter mes résultats. Leur but, c’était de créer le doute, et ça a marché, du moins aux États-Unis, où finalement l’EPA a renouvelé l’homologation de l’atrazine en 2007. »

De fait, en octobre 2007, l’Agence de protection de l’environnement rendait un rapport où elle concluait : « L’atrazine n’est pas nocive pour le développement des gonades des amphibiens ; aucune étude additionnelle n’a été requise[xvii]. » Circulez, il n’y a rien à voir ! L’implacable machine à broyer les vérités qui dérangent a, une fois de plus, fonctionné à merveille… Alors qu’il était au plus fort de la tourmente, en 2004, Tyrone Hayes a publié dans BioScience un article où il décrypte les immuables rouages que j’ai aussi décrits tout au long de ce livre : manipulations de la science, funding effect, campagnes de diffamation, complaisance des autorités publiques, intoxication de la presse, etc.[xviii].

Le mélange des pesticides décuple leurs effets

« L’industrie a multiplié ses efforts pour discréditer mon travail, mais mon laboratoire continue d’étudier les impacts de l’atrazine et d’autres pesticides sur l’environnement et la santé publique », écrit Tyrone Hayes sur son site Web, qu’il a ironiquement baptisé <Atrazinelovers.com>. « Ma décision de me lever et d’affronter le géant industriel n’était pas héroïque. J’ai suivi l’enseignement de mes parents qui me disaient : “N’agis pas parce que tu cherches une récompense ni parce que tu crains une punition. Fais ce que tu penses devoir faire, parce que cela te semble juste”. »

« Mes démêlés avec Syngenta ont marqué un tournant dans ma carrière, m’a expliqué le chercheur de Berkeley, car je me suis alors spécialisé sur un domaine encore peu exploré : les effets des mélanges de pesticides. En effet, les grenouilles Léopard que j’avais rapportées des champs du Midwest n’avaient pas été exposées à la seule atrazine, mais à une mixture de plusieurs substances. Or, la littérature scientifique s’intéresse en général aux effets toxicologiques des pesticides à des doses relativement élevées (de l’ordre de parties par million), mais rarement aux faibles doses et encore moins aux mélanges des faibles doses, tels qu’ils existent dans notre environnement quotidien, notamment dans l’eau du robinet ou les fruits et légumes que nous mangeons. »

Cet « oubli » somme toute étonnant, qui caractérise aussi le système de réglementation des produits chimiques, a également été souligné par le US Geological Survey dans un rapport de 2006, très remarqué parce qu’il décrivait sans fard la pollution des eaux souterraines et de surface américaines : « La présence courante de mélanges de pesticides, particulièrement dans les cours d’eau, signifie que la toxicité totale combinée des pesticides dans les ressources aquatiques, les sédiments et les poissons doit être plus élevée que celle de chaque pesticide pris isolément, écrivait ainsi Robert Gilliom, l’auteur principal du rapport. Nos résultats indiquent que l’étude des mélanges doit être une priorité absolue[xix]. »

C’est ainsi que Tyrone Hayes a repris son camion frigorifique pour parcourir les routes du Nebraska et recueillir des milliers de litres de la « soupe chimique » (chemical brew) qui ruisselle des champs de maïs industriels. De retour à Berkeley, il a identifié neuf molécules récurrentes : quatre herbicides, dont l’atrazine et l’alachlore (le Lasso, qui provoqua l’intoxication de Paul François ; voir supra, chapitre 1), trois insecticides et deux fongicides[xx]. Au moment où je l’ai rencontré, il travaillait sur un autre mélange, comprenant cinq pesticides, dont le Roundup et le chlorpyriphos. Pour chaque étude, le scientifique procède de deux manières : il élève des grenouilles dans des réservoirs contenant la « soupe » qu’il a rapportée des champs, mais aussi dans le mélange qu’il a reconstitué dans son laboratoire afin de pouvoir comparer les effets. Et, dans les deux cas, le résultat est très inquiétant.

« Quand on mélange les substances, on observe des effets que l’on ne voit pas avec les produits pris séparément, m’a-t-il expliqué. D’abord, on constate un affaiblissement du système immunitaire des grenouilles dû à un dysfonctionnement du thymus qui fait qu’elles sont plus sensibles, par exemple, à la méningite, et qu’elles meurent plus souvent de maladies que les grenouilles du groupe contrôle. Cette fragilité immunitaire peut, en partie, expliquer le déclin des populations. À cela, s’ajoute une perturbation de la fonction reproductive similaire à celle que j’avais constatée avec l’atrazine seule. Enfin, les mélanges ont un effet sur le temps de métamorphose et la taille des larves. Or, les doses que nous utilisons sont jusqu’à cent fois inférieures au taux de résidus autorisés dans l’eau.

– Que peut-on en conclure pour les humains ?

– Nous n’en savons rien !, m’a répondu Tyrone Hayes. Mais ce qui est incroyable, c’est que le système d’évaluation des pesticides n’a jamais pris en compte le fait que les substances pouvaient interagir ou s’additionner, voire créer de nouvelles molécules. C’est d’autant plus surprenant que les pharmaciens savent depuis des siècles qu’il y a certains médicaments qu’il faut impérativement éviter de prendre ensemble, au risque de s’exposer à de graves effets secondaires. D’ailleurs, quand la FDA autorise un nouveau médicament, elle exige toujours que soient précisées sur la notice d’emploi les contre-indications médicamenteuses. Évidemment, ce genre de précaution est difficile à mettre en place pour les pesticides. Imaginez l’EPA expliquer aux paysans : vous pouvez appliquer ce pesticide A, à condition que votre voisin n’applique pas le pesticide B ou C sur la culture d’à côté ! C’est impossible ! Et si c’est impossible, cela veut dire que ces produits n’ont rien à faire dans les champs. En attendant, quand on connaît la “charge chimique corporelle” qui caractérise chaque citoyen des pays industrialisés, on peut effectivement craindre le pire… »


[1] Syngenta est née en 2000 de la fusion de AstraZeneca et Novartis. Je rappelle que Novartis était elle-même née, en 1996, de la fusion de Sandoz Agro et de Ciba-Geigy (voir supra, chapitre 16).

[2] En février 2011, le Conseil d’État français a annulé l’autorisation de mise sur le marché du Cruiser ; s’appuyant sur la directive européenne 91/214, il a demandé que soient fournies des données qui prouvent son innocuité sur le long terme.

[3] Le US Geological Survey est un organisme public créé en 1879, chargé de surveiller l’évolution des écosystèmes et de l’environnement (état des eaux, tremblements de terre, ouragans, etc.). Dans l’Illinois, quinze fournisseurs d’eau se sont réunis en xxxDATE dans une class action (action judiciaire collective) et ont porté plainte contre Syngenta, à qui ils réclament 350 millions de dollars pour nettoyer les ressources en eau, hautement contaminées par l’atrazine. Une autre class action était en cours de constitution en 2010, réunissant dix-sept fournisseurs en eau de six États du Midwest (Rex Dalton, « E-mails spark ethics row. Spat over health effects of atrazine escalates », Nature, vol. 446, n° 918, 18 août 2010).

[4] Cette même année 2002, Tyrone Hayes a reçu le Berkeley’s Distinguished Teaching Award, qui récompense les professeurs de la célèbre université pour la qualité de leur enseignement.


Notes du chapitre 19

[i] WuQiang Fan, Tyrone Hayes et alii, « Atrazine-induced aromatase expression is SF-1 dependent : implications for endocrine disruption in wildlife and reproductive cancers in humans », Environmental Health Perspectives, vol. 115, mai 2007, p. 720-727.

[ii] Décision 2004/141/CE du 12 février 2004.

[iii] « Pesticide atrazine can turn male frogs into females », Science Daily, 1er mars 2010.

[iv] Nena Baker, The Body Toxic. How the Hazardous Chemistry of Everyday Things Threatens our Health and Well-being, North Point Press, New York, 2008, p. 67.

[v] WWF, Gestion des eaux en France et politique agricole : un long scandale d’État, 15 juin 2010. Les deux départements français les plus contaminés par l’atrazine (et les nitrates) sont l’Eure-et-Loir et la Seine-et-Marne.

[vi] « Regulators plan to study risks of atrazine », New York Times, 7 octobre 2009.

[vii] Nena Baker, The Body Toxic, op. cit., p. 67.

[viii] A. Donna et alii, « Carcinogenicity testing of atrazine : preliminary report on a 13-month study on male Swiss albino mice treated by intraperitoneal administration », Giornale italiano di medicina del lavoro, vol. 8, n° 3-4, mai-juillet 1986, p. 119-121 ; A. Donna et alii, « Preliminary experimental contribution to the study of possible carcinogenic activity of two herbicides containing atrazine-simazine and trifuralin as active principles », Pathologica, vol. 73, n° 1027, septembre-octobre 1981, p. 707-721.

[ix] A. Pinter et alii, « Long-term carcinogenicity bioassay of the herbicide atrazine in F344 rats », Neoplasma, vol. 37, n° 5, 1990, p. 533-544.

[x] « Occupational exposures in insecticide application and some pesticides », IARC Monographs on the Evaluation of Carcinogenic Risks to Humans, vol. 53, WHO/IARC, 1991.

[xi] Lawrence Wetzel, « Chronic effects of atrazine on estrus and mammary tumor formation in female Sprague-Dawley and Fischer 344 rats », Journal of Toxicology and Environmental Health, vol. 43, n° 2, 1994, p. 169-182 ; James Stevens, « Hypothesis for mammary tumorigenesis in Sprague-Dawley rats exposed to certain triazine herbicides », Journal of Toxicology and Environmental Health, vol. 43, no 2, 1994, p. 139-153 ; J. Charles Eldridge, « Factors affecting mammary tumor incidence in chlorotriazine-treated female rats : hormonal properties, dosage, and animal strain », Environmental Health Perspectives, vol. 102, suppl. 1, décembre 1994, p. 29-36.

[xii] M. Kettles et alii, « Triazine exposure and breast cancer incidence : an ecologic study of Kentucky counties », Environmental Health Perspectives, vol. 105, n° 11, 1997, p. 1222-1227.

[xiii] « Some chemicals that cause tumours of the kidney or urinary bladder in rodents and some other substances », IARC Monographs on the Evaluation of Carcinogenic Risks to Humans, vol. 73, WHO/IARC, 1999. Lors de ma rencontre en février 2010 avec Vincent Cogliano, chef des monographies du CIRC, celui-ci m’a informée que l’atrazine figurait sur la liste des produits à réévaluer en priorité.

[xiv] Paul MacLennan, « Cancer incidence among triazine herbicide manufacturing workers », Journal of Occupational and Environmental Medicine, vol. 44, n° 11, novembre 2002, p. 1048-1058. À noter que, deux ans plus tard, des scientifiques d’Exponent (voir supra, chapitre 9) ont publié une autre étude dans la même revue, montrant qu’il n’y avait pas de lien entre l’exposition à l’atrazine dans l’usine et le cancer de la prostate ! (Patrick Hessel et alii, « A nested case-control study of prostate cancer and atrazine exposure », Journal of Occupational and Environmental Medicine, vol. 46, n° 4, 2004, p. 379-385).

[xv] Tyrone Hayes et alii, « Hermaphroditic, demasculinized frogs after exposure to the herbicide atrazine at low ecologically relevant doses », Proceedings of the National Academy of Sciences USA, vol. 99, 2002, p. 5476-5480 ; Tyrone Hayes et alii, « Feminization of male frogs in the wild », Nature, vol. 419, 2002, p. 895-896 ; Tyrone Hayes et alii, « Atrazine-induced hermaphroditism at 0.1 ppb in American leopard frogs (Rana pipiens) : laboratory and field evidence », Environmental Health Perspectives, vol. 111, 2002, p. 568-575.

[xvi] William Brand, « Research on the effects of a weedkiller on frogs pits hip Berkeley professor against agribusiness conglomerate », The Oakland Tribune, 21 juillet 2002.

[xvii] EPA, « Potential for atrazine to affect amphibian gonadal development », octobre 2007 (Docket ID : EPA-HQ-OPP-2007-0498).

[xviii] Tyrone Hayes, « There is no denying this : defusing the confusion about atrazine », BioScience, vol. 5, n° 12, 2004, p. 1138-1149.

[xix] Robert Gilliom et alii, « The quality of our Nation’s waters. Pesticides in the Nation’s streams and ground water, 1992-2001 », US Geological Survey, mars 2006.

[xx] Tyrone Hayes, « Pesticide mixtures, endocrine disruption and amphibian declines : are we underestimating the impact ? », Environmental Health Perspectives, vol. 114, n° 1, avril 2006, p. 40-50. Dans cette étude, Tyrone Hayes rappelle que, depuis 1980, 32 % des espèces de grenouilles ont disparu et que 43 % sont en déclin.

Je mets en ligne l’interview que j’ai réalisée du professeur Tyrone Hayes dans son laboratoire de l’Université Berkeley en Californie. Malheureusement cette interniew n’est pas dans mon film, car j’ai dû couper en raison de problème de longueur…

La une de Usine Nouvelle

Après l’Express, Télérama, Le Nouvel Observateur, c’est au tour de Usine Nouvelle de faire la Une sur mon livre Notre poison quotidien.

Je suis évidemment très heureuse de voir que mon ouvrage de 479 pages suscite autant de réactions du côté de l’industrie, contrainte de justifier ses pratiques et agissements pour maintenir ses produits sur le marché, fût ce au prix de coûts environnementaux et sanitaires considérables. J’espère qu’elle en profitera pour revoir de fond en comble son modus operandi car elle a tout à y gagner. Tout indique, en effet, que rien ne pourra arrêter l’exigence de transparence exprimée par la société civile, ainsi que le prouvent les projections-débats auxquelles je participe un peu partout en France et qui attirent les foules (photos ci-dessous).

Je note que certains industriels sont toujours dans le déni, ainsi que le prouve cette phrase de Usine Nouvelle: « Les industriels estiment que les liens entre manipulation de pesticides et cancers ne sont pas avérés ».

C’est toujours la même rengaine! Et une preuve supplémentaire de la mauvaise fois des industriels.

En effet, comment prouver avec certitude qu’un poison agricole donné est cancérigène?

La meilleure façon serait de renfermer dans une cage hermétique, sans contact extérieur, des volontaires et de les exposer pendant vingt ou trente ans à de petites doses de pesticide, pour mesurer ensuite le taux de cancer. On voit bien que c’est impossible!

La deuxième solution c’est de réaliser des études épidémiologique sen comparant des paysans malades à des personnes non malades pour voir si l’usage de pesticides peut être considéré comme un facteur déterminant. C’est ce qu’ont fait de nombreux chercheurs indépendants et le résultat est sans ambiguïté: il y a un lien évident entre l’exposition chronique aux pesticides et la prévalence des cancers. C’est d’ailleurs sur cet énorme corpus d’études épidémiologiques que se basent les tribunaux des affaires de sécurité sociale et la Mutualité sociale agricole pour accorder le statut de maladie professionnelle à des paysans atteints de cancer (voir mon film et livre).

La troisième solution ce sont des études toxicologiques réalisées sur des rats ou souris. En général, ces études sont (mal) réalisées par les fabricants de pesticides qui se gardent bien de les publier dans des revues scientifiques à comité de lecture. Et pour cause! Voyez ce qu’en dit le docteur Vincent Cogliano , chef des monographies au centre international de recherche sur le cancer (CIRC) qui dépend de l’Organisation mondiale de la santé, dans l’interview qu’il m’a accordée:

http://notre-poison-quotidien.arte.tv/fr/pesticides/

Je note, cependant, que Jean-Charles Bocquet, le directeur de l’Union des industries de la protection des plantes (UIPP), le représentant des fabricants de pesticides, a reconnu que les pesticides pouvaient provoquer des cancers chez les agriculteurs, chose qu’il a « regrettée », lors de notre face à face pour Libération:

http://www.liberation.fr/terre/06013220-pesticides-notre-poison-quotidien

Les internautes ont remarqué que Jean-Charles Bocquet trouve « regrettable » que les paysans aient des cancers à cause des pesticides et qu’il leur recommande de se « protéger » lors des épandages. C’est alors que je lui parle du rapport très inquiétant publié le 15 janvier  2010 par l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Afsset) où les experts expliquaient en détail qu’ils avaient testé dix modèles de combinaison [i]. et constaté leur inefficacité : « Seuls deux modèles sur les dix testés conformément à la norme atteignent le niveau de performance annoncée, écrivaient-ils.  Pour les autres combinaisons, le passage des produits chimiques a été quasi immédiat à travers le matériau de trois d’entre elles et à travers les coutures pour deux autres, ce qui constitue des non-conformités graves. Les trois dernières sont à déclasser pour au moins une substance. »

Enfonçant le clou, ils constataient que les tests réalisés par les fabricants « sont réalisés en laboratoire dans des conditions trop éloignées des conditions réelles d’exposition. Les facteurs essentiels, tels que la durée d’exposition, la température extérieure, le type d’activité, la durée de contact n’entrent pas en considération ». Et leur conclusion était sans appel : « Un contrôle de conformité de l’ensemble des combinaisons de protection contre les produits chimiques liquides présentes sur le marché doit être réalisé et les combinaisons non conformes retirées sans délai. »

Lorsque j’ai cité ce rapport à Jean-Charles Bocquet, celui-ci s’est passablement énervé, allant jusqu’à dire que ce rapport était infondé et que l’UIPP l’avait dénoncé dans un courrier à l’AFSSET.

Curieusement, quelques jours plus tard, M. Bocquet n’avait plus rien à dire contre ce rapport, lorsque nous nous sommes retrouvés dans une émission de Radio france Internationale:

http://www.rfi.fr/emission/20110319-1-mangeons-nous-poison-notre-assiette

Tout indique que Protéines, l’agence de communication de l’UIPP, a soigneusement analysé la prestation de son client sur Libération Labo en lui recommandant d’adopter un profil (plus) bas au sujet du rapport de l’AFSSET…

http://www.proteines.fr/-Portfolio-

Dans mon livre Notre poison quotidien ( 8ème meilleure vente de France au bout de dix jours dans le classement de l’Express, et troisième meilleure vente à la FNAC), je consacre six chapitres aux pesticides , dans lesquels j’expose minutieusement les principales études conduites par des scientifiques indépendants (c’est-à-dire sans liens avec l’industrie de la chimie):

Dans un prochain commentaire , je reviendra sur la phrase que Usine Nouvelle prête à Gérard Thomas qui travaille pour Syngenta « Notre poison quotidien contient beaucoup d’éléments fallacieux. Il n’est pas honnête du point de vue de l’investigation scientifique » … Je raconterai, notamment, l’histoire scandaleuse de l’atrazine, un herbicide fabriqué par Syngenta, aujourd’hui interdit en Europe, mais qui continue d’empoisonner les campagnes américaines.

Photos :

– Projection de Notre poison quotidien au festival du FIGRA au Touquet

–  Salle Pétrarque de Montpellier avec la librairie Sauramps:

– Festival Itinérances d’Alès:

http://languedoc-roussillon.france3.fr/info/-notre-poison-quotidien–a-ales-68138232.html

Cinéma Utopia de Tournefeuille (Toulouse):

http://midi-pyrenees.france3.fr/info/marie-monique-robin-invitee-du-midi-pile-68181915.html?onglet=videos

Maison du peuple de Montauban:

– Cinéma de Romans avec la librairie des Cordeliers:

– Librairie Kléber à Strasbourg:

http://alsace.france3.fr/info/deux-rives/strasbourg–marie-monique-robin-en-visite-68029659.html


[i] Afsset, « L’Afsset recommande de renforcer l’évaluation des combinaisons de protection des travailleurs contre les produits chimiques liquides », <www.afsset.fr>, 15 janvier 2010.

Les « contre vérités » et conflits d’intérêts de Jean François Narbonne

André Cicolella, chimiste et toxicologue, porte-parole du Réseau Environnement Santé, publie sur le site du RES une réponse aux contre-vérités distillées par Jean-François Narbonne sur mon film Notre poison quotidien dans des médias de seconde zone. Tout indique que ce dernier n’a pas vu mon film ni lu mon livre, car ce qu’il en dit est tout simplement… hors sujet ou témoigne d’une méconnaissance des dossiers assez inquiétante (Bisphénol A, aspartame). A moins qu’il ne s’agisse tout simplement de mauvaise foi, car Mr. Narbonne a semble-t-il été recruté par l’AFIS pour s’attaquer à mon enquête. Je laisse André Cicolella répondre à ses pseudos arguments:

http://reseau-environnement-sante.fr/2011/04/04/la-vie-du-reseau/reponse-a-jean-francois-narbonne/

Par ailleurs, je publie la déclaration de conflits d’intérêts que Jean-François Narbonne a adressée à l’AFSSA ( l’ex-agence française de sécurité sanitaire des aliments, rebaptisée ANSES)en janvier 2010. Peut-être peut on y trouver quelques raisons de son empressement à affirmer que l’interdiction des biberons contenant du Bisphénol A était une décision « strictement politique » destinée à satisfaire quelques excités écolos, comme il l’a affirmé dans une émission de France Culture (Le grain à moudre du 15 mars) où l’incohérence et la véhémence de ses propos a provoqué de nombreuses réactions outrées des auditeurs de la radio.

Je laisse les internautes apprécier la déclaration de conflits d’intérêts et note que le laboratoire de toxicologie du professeur Narbonne est financé par … Total. Je rappelle que la branche chimique de Total est Arkema qui représente l’un des principaux fabricants de … Bisphénol A!

Par ailleurs, je mets de nouveau en ligne le  courrier adressé par le Dr. Marcel-Francis Kahn, ancien membre de l’AFIS,  à Christian Vélot, où il dénonce les liens entre l’AFIS et Monsanto, raison pour laquelle il a démissionné de l’association scientiste. Cette lettre avait provoqué quelques remous au moment de sa publication, ainsi que je l’avais révélé sur mon Blog Le monde selon Monsanto, et il est intéressant de lire la réponse de l’AFIS (lien ci-dessous).

Mon cher collègue,

Je viens de signer la pétition protestant contre la suppression des facilités de recherche dont vous bénéficiez.L’élément suivant peut vous intéresser.Je faisais partie du Comité scientifique et de patronage de l’AFIS qui édite le bulletin « Science et pseudo-science ».Je combats depuis longtemps en médecine tous les charlatanismes.
Il ne vous a peut-être pas échappé que ,sous l’influence de son rédac chef Jean-Paul Krivine,l’AFIS s’est transformé-sans que notre avis soit sollicité- en un véritable lobby pro OGM.Certes,je ne suis pas du tout persuadé que le maïs 810 oud’autres soit toxique.Ce que j’ai lu ne m’en convainc pas.Mais en revanche je
combats la stratégie monopolistique agressive de Monsanto et de ses diverses sociétés écran.

J’ai donc demandé à la rédaction de Science et Pseudoscience que mes lettres où je demandais( avec courtoisie et sans mettre encause a priori leur honnêteté scientifique…) que Marcel Kuntz et Louis-Marie Houdebine indiquent leurs liens avec Monsanto et ses filiales,comme en médecine ( je m’occupe d’un journal scientifique médical) il est devenu obligatoire de préciser ce qu’on nomme conflits d’interêt.

La publication de mes courriers et la réponse à mon interrogation) m’ont été refusées bien que j’avais indiqué que ma présence au sein des comités scientifique et de patronage dépendrait de cette publication;J’ai donc démissionné de ces deux comités et j’ai indiqué que je rendrai public cette démission.Si vous le jugez utile,vous pouvez utiliser cette lettre et mon nom.

Avec toute ma sympathie

Docteur Marcel-Francis KAHN,
Professeur (émérite) de Médecine Paris 7

http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article850

Les paysans s’organisent et la DJA (suite)

Les 19 et 20 mars , une soixantaine d’agriculteurs malades se sont réunis à Ruffec, pour lancer l’association Phyto Victimes. Soutenue par Générations futures, cette réunion vise à rassembler les agriculteurs, qui partout en France souffrent de pathologies liées à l’utilisation des pesticides, pour mener des actions communes – y compris judiciaires – à destination des pouvoirs publics et des fabricants de poisons agricoles. Elle fait suite à la réunion que j’avais filmée en janvier 2010 à Ruffec et qui commence mon film et livre Notre poison quotidien:

http://www.mdrgf.org/news/news190311_phyto_victimes.html

La veille de la réunion, le 18 mars, une projection de Notre poison quotidien a été organisée à La Salle de Villefagnan, à une dizaine de kilomètres de Ruffec, à laquelle j’ai participé avec François Veillerette de Générations Futures et Paul François, l’agriculteur victime d’une grave intoxication au Lasso de Monsanto, qui a été élu président de Phyto Victimes (photo).

Comme promis, je mets en ligne la suite du chapitre que j’ai consacré à la DJA dans mon livre Notre poison quotidien (en librairie le 24 mars).

Le concept clé de la NOAEL, « dose sans effet toxique observé »

Évidemment, tout cela n’est guère rassurant, surtout quand on sait, comme on l’a vu au cours des chapitres précédents, à quel point l’industrie est prête à tout pour maintenir sur le marché ses produits, aussi toxiques soient-ils. Et logiquement, on peut craindre qu’il en soit de même quand il s’agit d’obtenir l’homologation des dits produits. Concrètement, les « études toxicologiques » sont conduites sur des animaux de laboratoire, car, comme l’écrit Diane Benford, « il ne serait pas éthique de tester un produit chimique sur des volontaires humains, à moins qu’il y ait un degré raisonnable de confiance qu’ils ne souffriront pas de dommages[i] ». Cette remarque n’est pas anodine, car elle souligne la première approximation – d’aucuns diront « absurdité » – qui caractérise le système d’évaluation des produits toxiques que l’on a délibérément décidé d’introduire dans notre assiette, au nom d’une certaine idée du « progrès ». « Sans aucun doute, expliquait ainsi René Truhaut, des données provenant d’études humaines seraient plus satisfaisantes pour estimer le risque couru par les humains, […] mais cette approche idéale se heurte à de nombreuses difficultés et limitations. […] C’est pourquoi il a été postulé que, jusqu’à preuve du contraire, l’homme devrait se comporter comme l’espèce la plus sensible testée et, en conséquence, il est plus adéquat de sélectionner l’espèce animale la plus comparable à l’homme[ii]. » Voilà qui est pour le moins… « flou », pour reprendre le terme utilisé précédemment par le « père de la DJA », d’autant plus qu’aucun modèle expérimental n’a été développé pour déterminer quelle était l’espèce animale la plus susceptible de se comporter comme les humains, en cas d’intoxication par des produits chimiques. Faute de quoi on utilise généralement des rongeurs (souris, rats, lapins) et, dans les cas plus délicats, des chiens et des singes.

Dans un premier temps, on expose les cobayes à une dose élevée de la substance testée, généralement par voie orale, pour déterminer ce que l’on appelle la « dose létale » ou, dans le jargon la « DL 50 », c’est-à-dire la dose qui tue la moitié des animaux. On se souvient (voir supra, chapitre 2) que la fameuse « DL 50 » est une déclinaison de la « loi de Haber », du nom du chimiste allemand qui inventa les gaz de combat. Celle-ci exprimait une relation entre la concentration d’un gaz et le temps d’exposition nécessaire pour provoquer la mort d’un être vivant : plus le produit des deux facteurs était petit, plus le pouvoir létal du gaz était grand. Il en est de même pour la DL50, qui est une valeur indicative du degré de toxicité, par exemple, d’un pesticide. Et le « père de la guerre chimique » avait constaté que l’exposition à une concentration faible de gaz toxique pendant une longue période avait souvent le même effet mortel qu’une exposition à une dose élevée pendant une courte durée. Curieusement, les agences de réglementation, mais aussi le JECFA et le JMPR, semblent ignorer ces conclusions, car leurs experts s’évertuent à croire qu’il est possible de trouver une dose inoffensive à long terme, même quand la substance se révèle mortelle à forte dose.

En effet, la deuxième étape du processus d’évaluation toxicologique consiste à baisser la dose qui a servi à établir la DL50 pour observer quels sont les effets sur les cobayes. « On recherche toute une série d’effets nocifs possibles, m’a ainsi expliqué Diane Benford. Par exemple, on essaie de savoir si le produit endommage les tissus ou les organes, s’il provoque des effets sur le système nerveux ou immunitaire, et on s’intéresse tout particulièrement à son potentiel cancérigène, parce que bien sûr c’est quelque chose qui préoccupe les gens ».

De fait, quand on lit la monographie qu’a rédigée la toxicologue pour l’ILSI, on est impressionné par la liste des études toxicologiques que les industriels sont censés fournir aux agences de réglementation. Les « effets » qu’ils sont tenus d’investiguer concernent « les changements fonctionnels (comme la perte de poids), les changements morphologiques (taille accrue des organes ou anormalités pathologiques), la mutagénicité (modifications de l’ADN, des gènes et chromosomes transmissibles et ayant le potentiel de causer des cancers ou des malformations du fœtus), la cancérogénicité, l’immunotoxicité (hypersensibilité, allergie, dépression du système immunitaire conduisant à une susceptibilité accrue aux affections), la neurotoxicité (changements comportementaux, surdité, acouphènes), la reprotoxicité (baisse de la fertilité, avortement spontané, malformations congénitales) ».

Selon le type d’effet recherché, la durée des études varie entre deux semaines (toxicité à court terme) et deux ans (cancérogénicité), pendant lesquels les cobayes ingèrent quotidiennement une certaine dose de poison, car l’objectif de ces tests est de mesurer la toxicité chronique et donc les effets provoqués par une exposition prolongée et répétée dans le temps. Les expériences sont conduites jusqu’à obtenir une dose qui apparemment ne provoque aucun effet sur les animaux : c’est la « NOAEL » (acronyme de « no observed adverse effect level », « dose sans effet toxique observé »).

« Peut-on dire que la NOAEL est un seuil de sécurité ?, ai-je demandé à Diane Benford.

– Dans la vie, il n’y a aucun domaine où l’on puisse garantir une sécurité absolue, a-t-elle admis, en regardant résolument ses mains. En fait, cela dépend de la qualité des études conduites sur les animaux. Si l’étude est médiocre, on risque d’être passé à côté d’effets qu’on aurait pu observer dans une étude de très bonne qualité… C’est pourquoi il a été décidé d’appliquer un facteur de sécurité qui consiste à diviser la NOAEL par cent pour obtenir la DJA. »

Les « facteurs de sécurité » : un bricolage « absolument inacceptable »

« La NOAEL est une mesure floue, qui n’est pas extrêmement précise », m’a affirmé pour sa part Ned Groth, un biologiste qui fut expert pendant vingt-cinq ans de la Consumers Union, la principale organisation de consommateurs des États-Unis. À ce titre, il participa régulièrement aux forums organisés par la FAO et l’OMS sur la sécurité des aliments. « C’est pourquoi les gestionnaires du risque utilisent ce qu’ils appellent un facteur de “sécurité” ou d’ “incertitude”. L’approche standard utilisée depuis cinquante ans par les toxicologues consiste à diviser la NOAEL par un facteur de cent. En fait, ils appliquent un premier facteur de dix pour tenir compte des différences qui peuvent exister entre les animaux et les humains, car on n’est pas sûr que les hommes réagissent exactement de la même manière que les animaux au produit chimique ; puis, ils appliquent un deuxième facteur de dix pour prendre en compte les différences de sensibilité entre les humains eux-mêmes, car, bien sûr, celle-ci varie selon qu’on est une femme enceinte, un enfant, une personne âgée ou une personne atteinte d’une maladie grave. La question est de savoir si c’est suffisant. Nombreux sont ceux qui soutiennent qu’un facteur de dix pour tenir compte de la variabilité humaine est beaucoup trop faible. Pour une même dose, l’effet pourra être nul pour certaines personnes, mais il pourra être énorme pour d’autres.

– Mais sait-on sur quelle base scientifique ce facteur de cent a été fixé ?, ai-je demandé.

– Ça s’est décidé à quatre autour d’une table[1] !, m’a répondu l’expert en environnement. C’est ce qu’a rapporté Bob Shipman, un ancien de la Food and Drug Administration, dans une conférence à laquelle j’ai assisté. Il a dit : “C’était dans les années 1960, il fallait que nous trouvions une manière de déterminer quel niveau de produit toxique on pouvait autoriser sur les aliments. On s’est réuni et on l’a fait”[iii] ! »

Ce que raconte l’expert américain est confirmé par… René Truhaut en personne qui, dans son article de 1973, reconnaît que le fameux « facteur de sécurité », censé constituer l’ultime rempart contre la toxicité des poisons, relève de l’empirisme le plus pur : « Un facteur de sécurité quelque peu arbitraire de cent a été largement accepté et ce chiffre a été recommandé par le JECFA dans son deuxième rapport, écrit-il. Mais il ne serait pas raisonnable de l’appliquer d’une manière trop rigide[iv]. » Dans sa monographie, Diane Benford fait exactement le même constat : « Par convention, un facteur d’incertitude de cent est normalement utilisé, par défaut, car, à l’origine, ce fut, une décision arbitraire[v]. » Au passage, elle souligne que la principale source « de variation et d’incertitude » du processus d’évaluation réside dans la différence qui existe entre des animaux de laboratoire élevés dans des conditions d’hygiène maximales et exposés à une seule molécule chimique, et la population humaine qui présente une grande variabilité (génétique, maladies, facteurs de risque, âge, sexe, etc.) et est soumise à de multiples expositions.

Fidèle à son franc-parler, le Britannique Erik Millstone tranche d’une formule qui a le mérite de la clarté : « Le facteur de sécurité qui est censé être de cent est un chiffre tombé du ciel et griffonné sur un coin de nappe ! D’ailleurs, dans la pratique, les experts changent régulièrement la valeur du facteur au gré de leurs besoins : parfois, ils utilisent un facteur de mille, quand ils estiment qu’une substance présente des problèmes de sécurité très préoccupants ; parfois, ils le réduisent à dix, parce que, s’ils appliquaient un facteur de cent, cela rendrait impossible l’exploitation du produit par l’industrie. La réalité, c’est qu’ils utilisent toutes sortes de facteurs de sécurité qui sortent de leur chapeau d’une manière opportuniste et absolument pas scientifique. Ce bricolage est absolument inacceptable, quand on sait que c’est la santé des consommateurs qui est en jeu[vi] ! »

Cet avis est partagé par l’avocat américain James Turner, qui est aussi le président de l’association Citizens for Health et un spécialiste reconnu des questions de sécurité alimentaire et environnementale : « L’application du fameux “facteur de sécurité” ne répond à aucune règle, m’a-t-il expliqué lors de notre rencontre à Washington. Par exemple, actuellement l’EPA (l’agence de protection de l’environnement) utilise un facteur de mille pour des pesticides qui causent des dégâts neurologiques ou des troubles de comportement chez l’enfant. En fait, la détermination du facteur de sécurité dépend totalement des experts qui réalisent l’évaluation : s’ils sont sensibles à la protection de la santé et de l’environnement, ils vont prôner un facteur de mille et pourquoi pas d’un million ! S’ils sont plutôt du côté de l’industrie, ils vont appliquer un facteur de cent, voire de dix. Le système est complètement arbitraire et n’a rien à voir avec la science, car, en fait, il est éminemment politique[vii]. »

En résumé, pour qu’on comprenne bien l’incroyable amateurisme du système de réglementation censé nous protéger contre les méfaits des poisons chimiques qui entrent en contact avec nos aliments : pour établir des normes d’exposition prétendument « sûres », on réalise des expériences sur des animaux, en essayant de trouver une « dose sans effet » quelque peu aléatoire, car elle dépend de l’espèce utilisée et de la compétence, pour dire les choses sobrement, des laboratoires privés de l’industrie ; puis, on divise la dose obtenue par un facteur de sécurité qui varie selon le profil des experts…

Au bout du compte, la DJA est une valeur exprimée en milligramme de produit par kilo de poids corporel. Prenons l’exemple d’un pesticide qui a une DJA de 0,2 mg. Si le consommateur pèse 60 kg, il est donc censé pouvoir ingérer 60 x 0,2 mg, soit 12 mg, de pesticide par jour et pendant toute sa vie, sans que sa santé en soit affectée. Mais cette jolie construction somme toute très bureaucratique ne tient pas compte du fait que nous sommes exposés, chaque jour, à des centaines de substances chimiques qui peuvent interagir, ou avoir un effet nocif à des doses extrêmement faibles, comme les perturbateurs endocriniens, que seuls des outils très performants peuvent détecter, mais nous n’en sommes pas encore là (voir infra, chapitre 15)…

Les ressorts de la « société du risque »

« Est-ce que vous considérez que la DJA est un concept scientifique ? » Incontournable, la question semble pourtant surprendre Angelika Tritscher, la secrétaire du JECFA et du JMPR à l’Organisation mondiale de la santé. « Bien sûr que c’est un concept scientifique, me répond-elle sans hésiter, puisqu’elle est le résultat de l’évaluation de toutes les données scientifiques dont nous disposons sur un produit chimique. À partir de ces données, nous déterminons la dose qui ne provoque aucun effet et nous la divisons par un facteur d’incertitude, c’est un processus totalement scientifique[viii]. » J’ai obtenu le même type de réponse de Herman Fontier, le chef de l’Unité des pesticides de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) » : « J’ose bien espérer que la DJA est un concept scientifique ! », s’est-il exclamé, avec un large sourire[ix]. Ou de David Hattan, le toxicologue de la Food and Drug Administration en charge des additifs alimentaires : « Je pense vraiment que c’est un concept scientifique qui protège la santé des consommateurs », m’a-t-il assuré, avec un calme imperturbable.

Il serait tentant de considérer que ces experts qui travaillent pour des agences nationales ou internationales sont tous des menteurs ou des imposteurs. Je dois avouer que cette pensée m’a plusieurs fois effleurée, au fur et à mesure que je découvrais l’indigence du système réglementaire censé nous protéger des méfaits des poisons chimiques. La vérité est bien sûr beaucoup plus complexe, à l’image de la situation inextricable dans laquelle nous sommes plongés depuis que, poussés par la soif de profit des industriels mais aussi par une certaine vision du « progrès », les hommes politiques ont accepté l’idée qu’il était légitime d’introduire un nombre incommensurable de poisons dans notre environnement. Mais nous avons tous notre part de responsabilité dans cette évolution, ainsi que le faisait remarquer Rachel Carson dès 1962 : « Les agents chimiques du cancer sont imbriqués dans notre monde de deux manières, écrivait-elle dans Le Printemps silencieux. La première tient ironiquement au désir de l’homme d’avoir une vie meilleure et plus facile ; la seconde à la production et à la vente des produits chimiques qui sont devenues une part communément acceptée de notre économie et de notre mode de vie[x]. »

C’est en lisant La Société du risque d’Ulrich Beck que j’ai vraiment compris les répercussions politiques et sociales de ce que l’on appelle la « consommation de masse » et, du coup, l’insoutenable position dans laquelle sont enferrés les « experts » sollicités pour limiter les dégâts que ce modèle induit sui generis. Dans cet ouvrage capital, le sociologue allemand explique en effet comment, en cinquante ans, nous sommes passés de la « société de classes », qui était caractérisée par la « pénurie » et la question fondamentale de la répartition de la « richesse socialement induite », à la « société du risque », qui est la marque de la « modernité avancée » où « la production sociale de richesses est systématiquement corrélée à la production sociale de risques[xi] ».

« Les sociétés de classes restent attachées, dans la dynamique de leur évolution, à l’idéal de l’égalité, écrit-il, dans une démonstration magistrale. La situation est différente dans le cas de la société du risque. Son contre-projet normatif, qui en est le fondement et le moteur, est la notion de sécurité. […] Tandis que l’utopie de l’égalité est riche d’une quantité d’objectifs de transformations sociales à contenu positif, l’utopie de la sécurité reste singulièrement négative et défensive : au fond, il ne s’agit plus d’atteindre quelque chose de « bien », mais simplement d’empêcher que se produise le pire. Le rêve de la société de classes est le suivant : tous veulent et doivent avoir leur part du gâteau. L’objectif que poursuit la société du risque est différent : tous doivent être épargnés par ce qui est toxique[xii]. » Certes, poursuit Ulrich Beck, les « risques » ont toujours existé, mais ceux qui caractérisent la « machinerie industrielle du progrès » sont d’un autre ordre que ceux que courait Christophe Colomb en s’embarquant dans un improbable voyage ou les paysans guettés par la peste, car ils « se dérobent à la perception des sens » : « Ce sont des “produits parasites” que l’on ingurgite, que l’on inhale en même temps que quelque chose d’autre. Ils sont les “passagers clandestins” de la consommation normale. Ils sont véhiculés par le vent et par l’eau. Ils peuvent être présents n’importe où et sont assimilés avec les denrées dont notre survie dépend – l’air que l’on respire, l’alimentation, l’habitat, etc.[xiii]. »

C’est pourquoi, dans ce « nouveau paradigme de la société du risque », la question fondamentale que les politiques ont à résoudre est « comment les risques et les menaces qui sont systématiquement produits au cours du processus de modernisation avancée » et qui prennent la « forme d’effets induits latents » peuvent-ils être « endigués et évacués de sorte qu’ils ne gênent pas le processus de modernisation ni ne franchissent les limites de ce qui est “tolérable” (d’un point de vue écologique, médical, psychologique, social)[xiv] » ?

En lisant ces lignes, j’ai enfin compris pourquoi les textes réglementaires concernant la sécurité des aliments et environnementale faisaient systématiquement référence à des notions qui ont fait leur apparition après la Seconde Guerre mondiale, à savoir celles d’« évaluation des risques » ou de « gestion des risques ». Ces nouveaux concepts de la politique publique sont même la seule raison d’être des multiples « agences » qui ont fleuri en France au cours des dernières décennies (mais aussi dans les autres pays dits « développés »), comme l’Agence de sécurité sanitaire pour les produits de santé (Afssaps) ou l’Agence de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) ou encore l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Afsset). De même, le docteur Jean-Luc Dupupet (voir supra, chapitre 3) se présente comme le « médecin en charge du risque chimique » à la Mutualité sociale agricole, une fonction similaire à celle de Diane Benford qui dirige le « département du risque chimique » à la Food Standards Agency, l’agence chargée des normes alimentaires au Royaume-Uni.

Dans le texte qu’elle a rédigé pour l’ILSI, celle-ci consacre un long développement à la notion de « risque » (en anglais risk) qu’elle relie à celle de « danger » (hazard). C’est d’autant plus fascinant que, je le rappelle, sa monographie concerne les… aliments. « Les experts désignent par “danger” tout agent biologique, chimique ou physique qui a le potentiel de causer un effet nocif pour la santé, écrit-elle. La probabilité ou le risque que ce danger se manifeste chez les humains dépend de la quantité de produit chimique qui entre dans le corps, c’est-à-dire de l’exposition. Le danger est une propriété inhérente à la substance chimique, mais s’il n’y a pas d’exposition, alors il n’y a pas de risque [sic !] que quelqu’un souffre des conséquences de ce danger. L’évaluation du risque est donc le processus qui permet de déterminer si un danger particulier va s’exprimer à un certain niveau d’exposition, de durée ou à un certain moment du cycle de la vie, et si c’est le cas l’étendue du risque est estimée. La gestion du risque consiste à essayer de réduire le risque en réduisant l’exposition[xv]… »

Les bénéfices contre la santé

« La DJA a l’apparence d’un outil scientifique, parce qu’elle est exprimée en milligramme de produit par kilo de poids corporel, une unité qui a le mérite de rassurer les politiques, car elle a l’air très sérieuse, m’a dit Erik Millstone avec un petit sourire en coin, mais ce n’est pas un concept scientifique ! D’abord, parce que ce n’est pas une valeur qui caractérise l’étendue du risque mais son acceptabilité. Or l’ “acceptabilité” est une notion essentiellement sociale, normative, politique ou commerciale. “Acceptable”, mais pour qui ? Et derrière la notion d’acceptabilité il y a toujours la question : est ce que le risque est acceptable au regard d’un bénéfice supposé ? Or, ceux qui profitent de l’utilisation des produits chimiques sont toujours les entreprises et pas les consommateurs. Donc ce sont les consommateurs qui prennent le risque et les entreprises qui reçoivent le bénéfice. »

De fait, si les politiques s’évertuent à réclamer de leurs « experts » des montagnes de chiffres – et nous allons voir avec les « limites maximales de résidus » (voir infra, chapitre 13) que l’ampleur de la tâche dépasse tout ce que l’on peut imaginer –, c’est parce qu’ils jugent que les « bénéfices » technologiques ou économiques que sont censés apporter les poisons chimiques valent bien quelques risques humains. Cet « important concept des bénéfices versus les risques » constitue même le fondement du système élaboré par René Truhaut, ainsi qu’il le reconnaît très crûment dans une phrase assez étonnante : « Il est évident que dans le cas d’une population sous-alimentée où l’espérance de vie ne dépasse pas les quarante ans, il est justifié de prendre des risques plus élevés que pour une population qui dispose d’une alimentation surabondante[xvi]. »

Plus prosaïquement, il suffit de lire le préambule de la directive européenne du 15 juillet 1991 « concernant la mise sur le marché des produits phytosanitaires » pour mesurer l’idéologie économique qui sous-tend la politique sanitaire et à quel point les « bénéfices » précèdent les « risques » dans l’ordre des priorités de nos dirigeants : « Considérant que la production végétale tient une place très importante dans la Communauté ; considérant que le rendement de cette production est constamment affecté par des organismes nuisibles et par des mauvaises herbes, et qu’il est absolument nécessaire de protéger les végétaux contre ces risques pour éviter une diminution du rendement et pour contribuer à assurer la sécurité des approvisionnements ; considérant que l’utilisation de produits phytopharmaceutiques constitue l’un des moyens les plus importants pour protéger les végétaux et produits végétaux et pour améliorer la production de l’agriculture ; considérant que ces produits phytopharmaceutiques n’ont pas que des répercussions favorables sur la production végétale ; que leur utilisation peut entraîner des risques et dangers pour l’homme, les animaux et l’environnement, notamment s’ils sont mis sur le marché sans avoir été examinés et autorisés officiellement et s’ils sont utilisés d’une manière incorrecte[xvii]… »

La phraséologie de ce texte est tellement incroyable qu’il m’a fallu le relire plusieurs fois pour comprendre ce qui me choquait profondément. Le mot « risque » y est utilisé à deux reprises : la première pour désigner celui que courent les végétaux à cause des « organismes nuisibles » ; la seconde pour évoquer celui qui menace la santé des hommes. Pour le législateur européen, il n’y a manifestement aucune différence de nature entre ces deux formes de « risque ». Pire : il justifie le second par l’élimination du premier, en reprenant à son compte les arguments des adeptes de l’agriculture chimique et des fabricants de pesticides, qui sont les seuls et uniques bénéficiaires de l’usage des « produits phytosanitaires ».

L’argument des « bénéfices » est aussi au cœur d’un rapport parlementaire français présenté en avril 2010 par Claude Gatignol, député UMP de La Manche, et Jean-Claude Étienne, sénateur UMP de la Marne, intitulé Pesticides et Santé, dont les « deux cents pages pourraient faire rire tant elles sont tendancieuses », pour reprendre les mots de Libération[xviii]. Après avoir auditionné les auteurs du fameux rapport Les Causes du cancer en France (voir supra, chapitre 10), qui, la main sur le cœur, affirment que « les risques pour la santé des insecticides actuellement autorisés en France et plus généralement des produits phytosanitaires, sont souvent très surestimés, alors que leurs avantages sont très sous-estimés », les deux représentants de la nation lancent un cri d’alarme absolument pathétique (pour dire les choses poliment) : « Vos rapporteurs souhaitent rappeler les bénéfices de l’usage des pesticides et invitent les pouvoirs publics à anticiper les conséquences d’une diminution trop brutale de l’utilisation des pesticides en France[xix]. »

Plus sérieusement, car le rapport des deux parlementaires constitue une telle parodie qu’il ne mérite pas qu’on s’y intéresse davantage, on retrouve la même rhétorique « bénéfices/risques » dans le texte de l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis (EPA) qui a fondé en 1972 l’homologation des pesticides et autorise la mise sur le marché de toute substance ne posant pas un « risque déraisonnable pour l’homme ou l’environnement, après avoir pris en compte tous les coûts et bénéfices économique, social et environnemental du pesticide[xx] ».

« Le point de vue des politiques, c’est que le danger d’un polluant environnemental doit être mesuré à l’aune de sa valeur économique, m’a expliqué l’avocat James Turner. Sur le fond, je ne suis pas opposé à ce qu’on fasse une évaluation des bénéfices et des risques qu’induit l’usage d’un produit chimique, à condition que la santé soit le seul étalon de l’arbitrage. Or, l’arbitrage ne se fait jamais santé contre santé, mais santé contre bénéfice économique. D’ailleurs, il y a une règle communément admise qui veut qu’un produit soit considéré comme sûr s’il ne tue pas plus d’une personne sur un million chaque année. C’est pour vous dire à quel point le système est pervers… »

L’information que m’a communiquée l’avocat de Washington est confirmée par Michel Gérin et ses coauteurs dans leur manuel Environnement et santé publique : « Bien que la notion de risque et de niveau acceptable soit très controversée, écrivent-ils, on s’accorde à dire qu’un risque de l’ordre de 10 – 6 (un cancer par million de personnes exposées) est acceptable dans le cas des produits chimiques qualifiés de cancérogène chez l’animal[xxi]. » Rapporté à la seule population française, ce « quota » signifie soixante morts annuelles pour un seul produit cancérigène. Quand on sait que des milliers de produits cancérigènes (mais aussi neurotoxiques ou reprotoxiques) sont actuellement en circulation, on mesure mieux l’étendue des dégâts et le malaise des « experts » dont la mission est de masquer l’hécatombe par des colonnes de « dose journalière acceptable » et autres « limites maximales de résidus », comme nous allons le voir.


[1] L’expression employée par Ned Groth est un américanisme : la « méthode BOGSAT », pour bunch of guys sitting around the table (une bande de mecs assis autour de la table).


[i] Diane Benford, « The acceptable daily intake, a tool for ensuring food safety », loc. cit.

[ii] René Truhaut, « Principles of toxicological evaluation of food additives », loc. cit.

[iii] Entretien de l’auteure avec Ned Groth, Washington, 17 octobre 2009.

[iv] René Truhaut, « Principles of toxicological evaluation of food additives », loc. cit. C’est moi qui souligne.

[v] Diane Benford, « The acceptable daily intake, a tool for ensuring food safety », loc. cit. C’est moi qui souligne.

[vi] Entretien de l’auteure avec Erik Millstone, Brighton, 12 janvier 2010.

[vii] Entretien de l’auteure avec James Turner, Washington, 17 octobre 2009.

[viii] Entretien de l’auteure avec Angelika Tritscher, Genève, 21 septembre 2009.

[ix] Entretien de l’auteure avec Herman Fontier, Parme, 19 janvier 2010.

[x] Rachel Carson, Silent Spring, op. cit., p. 242.

[xi] Ulrich Beck, La Société du risque, Flammarion, Paris, 2008, p. 35. C’est Ulrich Beck qui souligne.

[xii] Ibid., p. 89.

[xiii] Ibid., p. 74.

[xiv] Ibid., p. 36.

[xv] Diane Benford, « The acceptable daily intake, a tool for ensuring food safety », loc. cit. C’est moi qui souligne.

[xvi] René Truhaut, « Principles of toxicological evaluation of food additives », loc. cit.

[xvii] Directive 91/414/CEE du Conseil, du 15 juillet 1991, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, Journal officiel, n° L 230, 19 août 1991, p. 0001-0032. C’est moi qui souligne.

[xviii] Éliane Patriarca, « Le texte des rapporteurs UMP est révélateur du rétropédalage de la droite sur les objectifs du Grenelle », Libération, 4 mai 2010.

[xix] Claude Gatignol et Jean-Claude Étienne, Pesticides et Santé, Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, Paris, 27 avril 2010.

[xx] Federal Insecticide, Fungicide, and Rodenticide Act (FIFRA), § 3 (b) (5). C’est moi qui souligne.

[xxi] Michel Gérin et alii, Environnement et santé publique, op. cit., p. 371.