Je suis intervenue, hier, dans le journal de RTL pour corriger les erreurs contenues dans l’interview qu’avait donnée le matin même Xavier Beulin, le nouveau patron de la FNSEA.
http://www.rtl.fr/ecouter/marie-monique-robin-journaliste-specialiste-du-sujet-etait-l-invitee-de-rtl-midi-7652847987
En effet, commentant le décès de Yannick Chenet, à la suite d’une leucémie reconnue en maladie professionnelle (voir sur ce blog), le grand céréalier a déclaré qu’à sa connaissance il n’ y avait pas d’autres cas !
Il est curieux que le n°1 du principal syndicat agricole ne soit pas en relation avec la Mutualité Sociale Agricole (MSA) qui aurait pu lui communiquer le nombre d’agriculteurs qui ont obtenu le statut de maladie professionnelle après un empoisonnement chronique aux pesticides.
Dans l’interview que m’ a accordée le docteur Jean-Luc Dupupet, le médecin en charge du risque chimique à la MSA, ils étaient déjà trente-deux au printemps 2009.
Les maladies concernées étaient les cancers du système lymphatique (leucémies, lymphomes, myélomes), du cerveau, de la prostate, du pancréas, du foie, de la peau, et deux maladies neurodégénératives (Parkinson et Charcot). Gageons que la liste des maladies susceptibles d’être reconnues en maladie professionnelle va s’allonger, au fur et à mesure que les paysans sortiront du silence…
De plus, Xavier Beulin affirme que les poisons utilisés dans les champs sont homologués et qu’il n’a pas de liens avérés entre l’exposition aux pesticides et certaines maladies chroniques comme le cancer ou la maladie de Parkinson.
Les poisons chimiques agricoles sont certes « homologués » , mais mon enquête a révélé les nombreuses déficiences du système d’homologation qui est inefficace et ne protège pas la santé des agriculteurs ni des consommateurs.
Quant à l’affirmation sur l’absence de liens entre pesticides et maladies chroniques, ce n’est pas l’avis de la Mutualité Sociale Agricole ou des nombreux Tribunaux des Affaires de sécurité Sociale (TASS) qui ont accordé le statut de maladie professionnelle à une trentaine d’ agriculteurs malades, dont Yannick Chenet, décédé samedi 15 janvier. Pour cela, les juges et experts se sont basés sur les nombreuses études épidémiologiques mais aussi expérimentales (réalisées sur des animaux) qui montrent les effets cancérigènes des pesticides.
Dans mon livre « Notre poison quotidien » qui sortira en même temps que mon film (le 15 mas sur ARTE,) je raconte l’histoire de Sylvain Médard, technicien dans une coopérative agricole de Picardie. Atteint d’une myopathie rare, qui fait qu’aujourd’hui il est en fauteuil roulant, il a obtenu la condamnation de sa coopérative pour « faute inexcusable », les juges estimant que celle-ci ne l’a pas protégé des risques qu’il courait en testant les molécules sur des parcelles d’essai. Il fut le premier à obtenir le statut de maladie professionnelle.
Ensuite, il y eut Dominique Marchal, un céréalier lorrain, atteint d’un syndrome myéloprolifératif, susceptible d’évoluer en leucémie, auquel j’ai consacré un chapitre dans mon livre. Sachant que sa maladie faisait partie du Tableau des maladies professionnelles de la sécurité sociale (tableau 19) en association avec l’exposition au benzène depuis 1973, il a fallu qu’il fasse analyser les nombreux bidons de pesticides qu’il avait utilisés sur sa ferme (250 molécules entre 1986 et 2002 !) pour prouver que la moitié d’entre eux contenaient du benzène. Or, les fabricants niaient la présence de benzène dans leurs formulations, en toute légalité : en vertu d’une règle complètement aberrante, ils ne sont pas tenus de déclarer ni communiquer l’identité des produits qui entrent à moins de 7% dans leur formulations !
Qualifié de « nouveau poison domestique » par le journal The Lancet dès 1862 , le benzène est classé « cancérigène pour l’homme » par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) depuis 1981, lequel, après des années d’atermoiements, a enfin tenu compte des nombreuses études montrant qu’une exposition chronique à de faibles doses provoque de graves lésions dans la moelle osseuse. En effet, dès la fin des années 1920, des rapports médicaux provenant essentiellement d’Amérique du Nord et d ‘Europe révèlent une épidémie d ‘anémies aplastiques et de leucémies chez les ouvriers travaillant en contact avec le benzène. En octobre 1939, le Journal of Industrial Hygiene and Toxicology publie un numéro spécial sur « l’exposition chronique au benzène » où il recense 54 études montrant un lien entre cette substance et les cancers de la moelle osseuse.
En 1948, l’American Petroleum Institute – une organisation qui dépend des industriels du pétrole – commande une synthèse des « meilleures études disponibles sur le développement de la leucémie résultant d’une exposition au benzène » au professeur Philip Drinker de l’école de santé publique de Havard. Après avoir énuméré tous les maux irréversibles provoqués par une intoxication aigüe ou chronique au benzène, le scientifique conclut : « Dans la mesure où l’organisme ne développe aucune tolérance au benzène et que la susceptibilité varie énormément d’un individu à l’autre, on considère généralement que la seule dose d’exposition absolument sûre est zéro ». En d’autres termes : le seul moyen de se protéger contre l’hydrocarbure c’est de l’interdire.
Yannick Chénet, à qui je dédie mon enquête, témoigne dans mon film « Notre poison quotidien ». Il exploitait une ferme à Saujon ( Charente Maritime ), comprenant soixante hectares de céréales et six hectares et demi de vignes pour la production de cognac. Il a développé une « leucémie, myéloïde de type 4 », reconue comme maladie professionnelle, en raison de son exposition chronique au benzène contenu dans les poisons qu’il utilisait sur ses cultures (à noter qu’il y aussi d’autres molécules présentes dans les pesticides qui sont susceptibles de provoquer des leucémies). Il avait fait un énorme effort pour participer à l‘Appel de Ruffec, une réunion qui s’est tenue le 17 janvier 2010 sur la commune de Paul François, une autre victime des pesticides. Cette réunion exceptionnelle, à laquelle participaient une trentaine d’agriculteurs malades, constitue la première séquence de mon film Notre poison quotidien.
Photos:
– Préparation de l’interview du docteur Jean-Luc Dupupet de la MSA. Je salue au passage le courage de la mutuelle qui a décidé de rompre la loi du silence que continue malheureusement de perpétrer la FNSEA.
– Au Lycée Bonne-terre de Pézenas (section viticulture) où le docteur Jean-Luc Dupupet (au fond à droite) est venu présenter Phty’Attitude, un programme de prévention des intoxications aiguës aux pesticides qui comprend aussi une partie sur les maladies chroniques.
– Avec Jean-Marie Bony, atteint d’un lymphome non hodgkinien. Il fut l’un des cadres de la coopérative agricole Provence Languedoc et manipula des centaines de pesticides.
– Avec Jean-Marie Desdion , un producteur de maïs du Cher, atteint d’un « myélome multiple à chaînes légères ».